Par Francis Richard.
Pourquoi différer plus longtemps l’envie de partager le plaisir que procure la lecture du petit dernier d’Amélie Nothomb, qu’elle a, comme chaque année, à dessein, mis au monde littéraire à (et pour) la rentrée ? Car Amélie Nothomb a le sens du moment opportun pour paraître, dans toutes les acceptions et formes du terme.
Le crime du comte Neville n’est certes pas le plus long des romans de l’auteur belge, mais, tel qu’il est, c’est un véritable bijou. Ce qui illustre bien le fait que la longueur n’ajoute pas forcément à la qualité d’un ouvrage. Aussi est-il difficile de dire s’il s’agit d’un roman court ou d’une grande nouvelle. Mais est-ce bien important ?
Cette fois, Amélie Nothomb fait entrer le lecteur dans un milieu, le sien, qu’elle connaît parfaitement, celui de la noblesse belge, milieu dans lequel il est mortel de commettre un impair et qui vit encore la vie de château. Laquelle n’est pas celle que d’aucuns croient. Il ne faut pas se fier aux apparences, même savamment entretenues.
Vivre dans un château, à moins d’être vraiment riche, ce qui n’est pas souvent le cas des vieilles familles, n’est pas idyllique : il y fait froid en hiver et les mets délectables n’y sont servis que lors de fêtes fastueuses. Le comte Neville, sans avoir pourtant vécu largement, loin de là, à soixante-huit ans (il est de 1946), est ruiné et résigné à vendre Le Pluvier.
Avant de quitter le 2 novembre 2014 ce château qu’il aime, et souffre de perdre, mais dont la toiture s’effondre et qui respire l’inconfort et la fragilité, le comte Neville veut y donner une dernière garden-party le 4 octobre. S’il sait bien faire une chose, c’est organiser un tel événement mondain, recevoir des invités et célébrer de cette manière l’honneur familial.
Le comte Henri Neville, s’est marié en 1990 à Alexandra, de vingt ans sa cadette (elle est de 1967), belle femme (« la beauté féminine était sa drogue dure ») mais issue de toute petite noblesse. Ce qui pour le paternel d’Henri, Aucassin, est rédhibitoire. De leur union naissent trois enfants, Oreste en 1992, Électre en 1994 et Sérieuse en 1997 :
Quand on l’interrogeait sur le prénom de la petite dernière en s’étonnant qu’il n’ait pas eu la cohérence de l’appeler Iphigénie, il disait :
– J’ai plus de tolérance pour le parricide et le matricide que pour l’infanticide.
Sérieuse est une enfant bien différente de ses deux aînés. Une nuit elle sort du château pour la passer en forêt. Elle veut simplement savoir comment c’est. Une voyante, Rosalba Portenduère, qui passe par là, l’emmène chez elle et appelle son père qui vient la chercher. Elle sermonne le comte et se demande s’il s’intéresse assez aux ressentis de sa fille :
Depuis des années, pour d’obscures raisons, les gens ne se satisfaisaient plus des termes sentiments, sensations ou impressions, qui remplissaient parfaitement leur rôle. Il fallait qu’ils éprouvent des ressentis. Neville était allergique à ce vocable aussi ridicule que prétentieux.
En partant, cette voyante, après qu’elle l’a questionné et qu’il lui a confirmé qu’il donnerait bientôt une grande fête chez lui, lui fait cette prédiction : « Lors de cette réception, vous allez tuer un invité. » Cette petite phrase de la voyante va empoisonner les esprits du comte et de sa fille Sérieuse pendant les quelques journées et nuits qui précèdent encore l’événement.
Cette petite phrase hante réellement le comte Neville. Elle lui rappelle une histoire similaire qu’Oscar Wilde raconte dans Le Crime de lord Arthur Savile, qui l’a fait rire dans sa jeunesse et qu’il rachète en collection folio. Mais il ne rit plus. Comme presque tout le monde, il ne croit aux prédictions que si elles le concernent : « Même le sceptique le plus cartésien croit son horoscope. »
Amélie Nothomb raconte avec humour, et esprit, les affres dans lesquelles est plongé le comte Neville par cette prédiction d’un crime qu’il commettra lors de sa dernière garden-party au Pluvier. C’est à proprement parler désopilant comme la satire pleine d’affection qu’elle fait de la noblesse belge à laquelle elle appartient. La fin fait même rire aux larmes, car elle est… burlesque.
- Amélie Nothomb, Le crime du comte Neville, Albin Michel, 144 pages, août 2015.
—
*de l’auteure belge, puisque c’est une femme. 🙂
Et les formes « auteuse », « autoresse », « autrice » et même « authoresse » (sic), quoique plus rares, pourraient sans doute aussi bien faire l’affaire. Faites confiance aux fonctionnaires et politiciens, d’ici ou là-bas, que le pays soit plat ou pas, pour se mélanger les pinceaux sémantiques.
Je ne suis pas fan de Nothomb, mais ce court article me donne envie de découvrir le crime de ce vieux comte ruiné et résigné.
Les commentaires sont fermés.