Par Stéphane Montabert, depuis Renens, Suisse.
Ces derniers jours voient fleurir sur les murs de la Suisse une étrange campagne, « l’argent reste ici ». Variante, « les emplois restent ici ». Le graphisme simple s’associe à un slogan apparemment pétri de bon sens pour un impact maximum. Mais qu’en est-il du fond ?
Le peu d’information de l’annonce renvoie à un site reprenant et développant le thème de la campagne : produire davantage d’énergie locale pour moins dépendre de l’étranger – étranger mentionné à travers des régimes néfastes et corrompus comme l’Azerbaïdjan ou la Libye, histoire de bien marquer les esprits. Personne ne relèvera que nos principaux fournisseurs d’énergie sont l’Allemagne et la France, dont le degré de probité soutiendra la comparaison même auprès des plus cyniques.
La Suisse ne produit que 20% d’énergie autochtone et doit importer le reste ; « les choses doivent changer », proclame le site, « dans l’intérêt de notre indépendance et de la sécurité de l’approvisionnement ». Et de glisser entre deux applaudissements à la Confédération un objectif à l’horizon 2035 voire 2050 – ça ne mange pas de pain – pour augmenter la part d’énergie indigène dans le mélange…
On voit bien que nous sommes en campagne électorale pour les élections fédérales. Les lobbies sortent du bois. Celui-ci est une émanation de Swisscleantech, mais en grattant à peine, d’autres acteurs surgissent : Swissolar, l’association des professionnels de l’énergie solaire ; la fondation suisse de l’énergie, une petite association militant pour la société limitée à 2000 watts ; et enfin des habitués de l’influence de couloir, à savoir WWF, Pro Natura et Greenpeace, toujours les mêmes.
Une petite liste des acteurs de Swisscleantech se révèle elle aussi instructive ; on y trouve par exemple le fabricant d’automobiles Renault ou Ikéa, dont la production industrielle a été délocalisée en Chine… Toujours crédible d’avoir ce genre de sponsor pour une campagne invitant à produire local !
Évidemment, si ça a l’odeur, la couleur et le goût du protectionnisme, ça pourrait bien être du protectionnisme. Et c’est exactement le cas ici.
Le protectionnisme, sophisme à la mode
L’absurdité du protectionnisme censé préserver la population de « déséquilibres économiques » a été maintes fois démontrée. Je préfère renvoyer le lecteur curieux au célèbre texte de Frédéric Bastiat sur la Pétition des marchands de chandelles qui n’a pas pris une ride en un siècle et demi.
Si la Suisse importe 80% de son énergie, c’est à travers un phénomène vieux comme le monde qu’on appelle le commerce. Le commerce n’a rien de néfaste ; il permet d’obtenir des biens que l’on aurait la plus grande peine à produire soi-même. Il en est de l’énergie comme du reste.
Les professionnels de la communication font encore appel au protectionnisme en 2015 parce qu’il continue de faire mouche auprès des naïfs. Celui qui n’y prend pas garde a instinctivement l’impression que les barrières érigées contre les produits étrangers (qu’il s’agisse d’énergie ou de marchandises) favoriseront effectivement la production locale ; ce qu’il ne réalise pas, c’est que cette production locale se développe à travers des prix surfaits et que ces prix s’exerceront aux dépens de son propre pouvoir d’achat.
Et en guise de prix surfaits, le Suisse a une certaine expérience.
La gabegie des producteurs helvétiques d’énergie, un aperçu de l’infini
Introduisons un reportage récent de la RTS qui est, dans sa catégorie, un modèle du genre.
Le reportage commence par annoncer de but en blanc que les tarifs de l’électricité augmenteront l’an prochain puis décrit les déboires financiers d’Alpiq. La relation de cause à effet est trop évidente entre une entreprise publique mal gérée et une clientèle captive mais on ne s’étendra évidemment pas sur ce petit détail…
Alpiq va mal parce que l’Europe injecte « trop de courant » dans le réseau suisse, entend-on. Autrement dit, les Européens se battent pour nous vendre leur surplus d’énergie à des prix plancher et c’est un problème !
Mais le téléspectateur n’aura pas le temps de relever la contradiction que déjà la voix off lâche son argument-clé : Alpiq n’a pas assez cru à l’énergie renouvelable. Cette explication, qui ne veut strictement rien dire, sera martelée pendant toute la seconde moitié du reportage.
Même si l’ensemble de la séquence est un énorme morceau de propagande, quelques chiffres passent rapidement et font frémir. Pour commencer, la situation d’Alpiq : de 21 modestes millions de bénéfice en 2014, la société passe à un déficit de 886 millions de francs sur les six premiers mois de l’année 2015 ! Il est temps de se poser quelques questions en effet !
« Mais ces sociétés brassent des milliards », rétorquerez-vous peut-être. Vous auriez tort : des milliards certes, mais pas tant que ça. 3,3 milliards de chiffre d’affaires annuel seulement… Et déjà un tiers de ce montant perdu dans les six premiers mois de l’année ! Combien de temps pourrait se maintenir en activité un boulanger perdant un tiers du prix sur chaque baguette de pain vendue ?
La raison est lâchée à demi-mot : Alpiq joue sur le marché de gros européen et les prix se sont effondrés à cause de la surproduction allemande. Vraiment effondrés, et dans des proportions qui dépassent toutes les explications vaseuses à base de Franc Fort qu’on essaye évidemment de glisser dans la conversation. Jugez plutôt :
- En 2008, le Kilowatt-Heure se négociait à 23 centimes
- En 2015, il se négocie à… 4 centimes
On est assez au-delà des simples variations entre le franc et l’euro. Avez-vous vu votre facture d’électricité divisée par six ? Bien sûr que non. Vous pourriez, mais heureusement, la magie du monopole permet d’empêcher le consommateur de bénéficier de cette vilaine concurrence ! L’argent reste ici on vous dit !
Mais pas dans vos poches !
La Suisse, îlot de cherté
La campagne de lobbyisme de Swisscleantech est dictée par le calendrier électoral mais tombe bien mal au vu des nombreux scandales qui touchent le marché de l’électricité en Suisse, comme le rendement garanti du réseau électrique, et, bien sûr, une facture gavée de taxes.
N’en déplaise aux journalistes engagés, la production industrielle d’électricité est un exercice difficile qui implique de la prudence et de la finesse pour être rentable ; il ne suffit pas de scander « Renouvelable ! Renouvelable ! » pour que l’argent jaillisse comme par miracle…
Si le vent permettait de faire fortune à tous les coups cela se saurait depuis longtemps, et ce ne sont pas les Services Industriels Genevois qui me contrediront. Les éoliennes allemandes ne sont rentables que parce que l’électricité qu’elles produisent est subventionnée. Il s’agit donc de prix manipulés, un cas de dumping on ne peut plus clair mais que nos édiles souhaitent plus imiter que dénoncer.
Derrière l’appel à garder l’argent ici et garder les emplois ici il n’y a que la volonté de perpétuer un système qui empêche les consommateurs, particuliers et entreprises, de bénéficier des meilleurs prix.
L’électricité reste en Suisse un monopole coûteux et mal géré. Le choix entre l’électricité éolienne, nucléaire ou thermique est illusoire si la décision est imposée d’en haut. Il en est de même pour le lieu de production de cette électricité, local ou à l’étranger. Ces décisions devraient revenir à chaque consommateur, pas à une classe politique sous l’influence des lobbies, qu’ils soient nucléaires ou écologistes.
Plusieurs choses à corriger
→ Les énergies éoliennes ne correspondent qu’à 7,45% du mix énergétique allemand en 2014. Donc l’électricité éolienne est très loin d’inonder le marché.
→ L’Allemagne est loin de subventionner à mort ces éoliennes, seulement les éoliennes offshores. Cette aide représentait l’an dernier 0.25 cts par kwh pour un prix du kwh estimé à 28,73 cts.
→ Cette aide ne correspond qu’à la compensation du prix de rachat de l’énergie éolienne. Les éoliennes offshores bénéficie d’un prix plancher pour assurer leur rentabilité, et donc le financement de la filière éolienne, laquelle peut réinvestir dans la recherche et développement. En claire : on est subventionné à la production, et non sur la base d’une hypothèse, comme dans le cas de la régie genevoise.
→ Ce modèle porte ces fruits. Nous sommes passé d’éolienne de 2MW de puissance, ne fonctionnant que pour des vents entre 30 et 70km/h, à des éoliennes de 8MW fonctionnant pour des vents entre 10 et 90 km/h. La filière tient ses engagements, et fait progresser la technologie. Des modèles d’éolienne de nouveaux genres sont à l’étude.
→ Beaucoup d’analyste du secteur sont confiants, et affirment que les technologies éoliennes seront rentables sans aucunes subventions avant la fin de cette décennie.
→ Vous dîtes que si l’on pouvait faire fortune (sous-entendu, si c’était rentable) avec le vent ça se saurait depuis longtemps, nous mettez de fait complètement de côté les évolutions technologiques de ces dernières années. Ça dénote soit d’une méconnaissance du sujet, soit du rejet de l’idée que les technologies sont résilientes, ce qui serait ridicule.
→ In fine, vous vous concentrez sur les éoliennes, en omettant toutes les autres énergies renouvelables dans lesquelles les allemands ont également investis, comme le solaire ou la biomasse. Mais à en croire une conversation en commentaire dans votre blog, vous ne connaissez pas plus la technologie actuelle de l’exploitation de la biomasse que des éoliennes.
N.B : il est triste de toujours être confronté sur Contrepoints à des articles sur les énergies renouvelables à côté de la plaque, écrits avec le plus grand sérieux…
Vous n’y êtes pas non plus : le fait que le kWh soit à 0.04 Euros empêche les producteurs possédant de grands barrages de les rentabiliser. N’oubliez pas qu’il y a des taxes sur ces productions. Et l’entretien n’est pas gratuit ❗ Faute d’entretien, ce sera des coupures de courants en hiver lors des grands froids.
Les SI achètent au meilleur prix ce qui n’est pas produit localement, sans pour autant baisser leurs prix.
Vous extrapolez une conjoncture historique singulière. Ces derniers mois, le prix de l’énergie a baissé, sous toute ses formes, principalement du fait de la taille des réserves de pétrole accumulé, du développement des gaz et pétroles de schistes, et des manœuvres géopolitiques des pays de l’OPEP, et le fait que nous soyons en ÉTÉ, donc à une période de l’année où la demande d’énergie est plus faible qu’en hiver. Cela ne pourra pas durer éternellement, le simple retour de l’hiver amènera une hausse quelconque des prix de l’énergie en Europe.
Le maintien des prix hauts sur l’électricité par les revendeurs, malgré la baisse conséquente dont on parle sur les marchés, est justement dû au fait qu’elles ont des frais d’entretiens à assumer, même si leur mode de production est en stand-by. Les propriétaires de grand barrage peuvent tranquillement constituer leur réserve d’eau de fin d’été, et pourront donc produire de façon conséquente quand arrivera le froid.
Bref, une manœuvre de lissage des coûts et des prix tout ce qu’il y a de plus classique.
Non, ce n’est pas une conjecture singulière. Cela se développe depuis quelques années et pas seulement depuis ces derniers 6 mois. Depuis que les ENR se développent. Pour les grands barrages, ne reste plus que les très grands froids pour être rentables. Sinon plus d’exportations juteuses.
Les revendeurs, monopolistiques en Suisse, pas de choix du consommateur, vous revendent au prix fort et bien taxé, et achètent au meilleur prix. Et leurs coûts de maintenance, pas élevés du tout, n’ont pas brutalement augmenté.
Donc, rien de classique 🙂
Certes il y a une baisse générale du prix du MWH électrique produit par les ENR ce qui les rend de plus en plus rentable, et met la pression sur certaines formes concurrentes de production. Oui la situation monopolistique en Suisse ne joue pas en faveur du consommateur.
Cela dit mon raisonnement dépasse les frontières de la suisse, et pour cause une bonne partie de l’énergie Suisse est importé, même sous forme électrique. Si le marché européen bouge, la Suisse bouge, et les producteurs intérieurs s’adaptent. Donc je maintiens mon affirmation sur l’aspect singulier de la situation pour toutes les raisons citées précédemment.