Quand la gauche européenne choisit ses chefs

De la primaire socialiste française à l’élection du leader travailliste britannique.

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Protesting Osborne's Budget - Jeremy Corbyn - 2 credits Jason (CC BY-NC 2.0)

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Quand la gauche européenne choisit ses chefs

Publié le 25 août 2015
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Par François Brutsch.

Protesting Osborne's Budget - Jeremy Corbyn - 2 credits Jason (CC BY-NC 2.0)
Protesting Osborne’s Budget – Jeremy Corbyn – 2 credits Jason (CC BY-NC 2.0)

On connaîtra le 12 septembre le résultat de la compétition en cours au sein du parti travailliste. Mais on peut d’ores et déjà formuler quelques observations sur la procédure suivie, en la comparant non pas tant aux primaires américaines qu’à la désignation, en 2011, du candidat de la gauche de gouvernement à la présidence française, qui a vu la victoire de François Hollande.

Dans les deux cas, il s’est agi d’ouvrir la procédure pour lui donner plus de représentativité en corrigeant le biais idéologique des militants purs et durs pour aller à la rencontre des citoyens «normaux», mais la voie suivie a été très différente.

La procédure britannique

Dans le régime politique britannique, le leader du parti travailliste exerce simultanément une fonction parlementaire : soit premier ministre, chef du gouvernement, soit leader de l’opposition, chef du Shadow Cabinet. Il y avait donc une certaine logique à ce qu’il soit désigné, jusqu’à la fin du 20e siècle, par le groupe parlementaire. Tony Blair a été le premier leader élu par un vote ouvert à tous les membres du parti, selon un système mis en place par son prédécesseur, John Smith, qui pondérait ce résultat, comptant pour un tiers, par un tiers donné au vote des parlementaires (à Westminster et à Strasbourg) et un tiers donné au choix des membres collectifs (syndicats et organisations affiliées au Labour).

Ce système a révélé ses failles avec l’élection d’Ed Miliband en 2010 grâce au poids donné aux syndicats, alors que David Miliband avait nettement remporté le vote des membres et des parlementaires. Lorsque s’y est ajouté un scandale public autour de la tentative du syndicat Unite de truquer la désignation d’une candidature dans une circonscription écossaise, une réforme s’est avérée inéluctable pour que les syndicats ne soient plus en mesure de prévaloir. L’élection actuelle se déroule selon une procédure adoptée en 2014 :

  • Comme auparavant, tout candidat doit être un parlementaire et avoir le soutien d’au moins 15% du groupe (soit actuellement 35 MPs).
  • L’élection se déroule ensuite au suffrage universel d’un électorat qui comporte trois types de personnes ayant chacune une voix :
    • les membres du parti (y compris les parlementaires) ;
    • une nouvelle catégorie de membres sympathisants (supporters) qui paient une cotisation individuelle symbolique de £3 ;
    • les membres des syndicats qui acceptent leur enregistrement politique et les membres des autres organisations affiliés.
  • C’est une élection majoritaire simulant des tours successifs pour que l’élu recueille une majorité absolue (Alternative Vote) : l’électeur place les candidats par ordre de préférence, si personne n’obtient la majorité, le candidat arrivé en queue est éliminé, les secondes préférences des bulletins qui le plaçaient en tête sont redistribuées, et ainsi de suite (voir cette illustration).

À la date de remise des listes d’électeurs provenant des membres collectifs (quelque 190 000) et de clôture des affiliations comme supporter (quelque 121 000, avant élimination de quelques milliers d’«entristes») ou comme nouveau membre du parti depuis la démission d’Ed (+53 000), le corps électoral potentiel se constitue donc de quelque 600 000 personnes au total. Voir encore le taux de participation ! Pour donner un ordre de grandeur, le Labour a reçu 9,3 millions de voix à l’élection du 7 mai 2015.

Le vote est ouvert entre le 10 août et le 10 septembre1, en ligne ou, pour les membres du parti qui reçoivent le matériel à domicile, par correspondance.

En l’état, les critiques de la procédure portent principalement sur deux points :

Jeremy Corbyn, le candidat qui a instantanément remplacé Alexis Tsipras, viré traître à la cause, dans le rôle de sauveur de l’inaltérable espérance, n’avait le soutien que de 14 ou 15 parlementaires à la veille du délai d’enregistrement des candidatures. C’est à la suite d’un chantage émotionnel grossier qu’une vingtaine d’autres lui ont finalement donné leur signature, tout en signalant qu’ils ne voteraient pas pour lui2.

La procédure d’enregistrement des supporters est censée impliquer une vérification du fait qu’ils sont de bonne foi, et non des électeurs conservateurs, verts ou d’extrême gauche désireux de fausser l’élection, ce qui paraît logistiquement et intellectuellement infaisable. Ma critique serait plutôt que seul Corbyn a compris l’importance de cet électorat potentiel. La campagne de Liz Kendall, qui aurait dû pouvoir s’appuyer sur les anciens membres et les électeurs et sympathisants déçus de ce qu’était devenu le parti travailliste et ulcérés de voir les conservateurs laissés au pouvoir pour longtemps, n’a pas activement cherché à recruter des supporters. Quant à Andy Burnham et Yvette Cooper, leurs critiques s’expliquent d’autant mieux que comme apparatchiks ils sont les moins susceptibles de provoquer l’adhésion enthousiaste de supporters.

La primaire de la gauche française

Certes, le candidat à la présidentielle n’est pas le patron officiel du parti socialiste (c’est le premier secrétaire). Mais il en est bien le leader véritable. Déjà lors des précédentes élections il y avait eu un vote de l’ensemble des membres3.

Pour l’élection présidentielle de 2012, suivant l’exemple de la gauche italienne, le PS français a mis en place une primaire ouverte. Le contrôle du processus est délégué à une instance externe:

  • Les candidatures, qui peuvent aussi être extérieures au PS4, doivent recueillir des parrainages d’élus; il y a eu 6 candidats en 20115.
  • Le scrutin calque l’élection présidentielle : elle a lieu dans des bureaux de vote, sur la base des listes d’électeurs officielles, avec un premier tour le 9 octobre 2011 et un deuxième tour le 16 entre les deux candidats arrivés en tête :
    • Le système de contrôle est purement déclaratif, en forme de preuve par l’acte : signature d’une déclaration de principe «Je me reconnais dans les valeurs de la Gauche et de la République, dans le projet d’une société de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité, de justice et de progrès solidaire» et versement d’une contribution symbolique de 1€ minimum ;
    • S’y ajoutent les membres du parti non inscrits sur les listes électorales (étrangers, mineurs).

Au premier tour, 2,6 millions de personnes se sont déplacées. François Hollande et Martine Aubry sont arrivés en tête, les quatre autres candidats se ralliant à des degrés divers à Hollande. Au deuxième tour, Hollande l’emporte avec 57% des suffrages sur 2,9 millions d’électeurs (il sera élu président en 2012 avec 10 millions de voix au premier tour, 18 millions au deuxième).

Une démocratisation inéluctable

gauche choisit ses chefs rené le honzecComme les élargissements successifs du suffrage universel, la démocratisation des procédures de désignation des chefs de parti est, sinon irréversible depuis qu’elle est logistiquement bien plus facile, du moins à sens unique : on n’imagine guère un retour en arrière. En France, la droite envisage de suivre une procédure similaire à celle du PS en 2011 pour la prochaine présidentielle. Au Royaume-Uni, tous les leaders de partis sont désormais élus par la base, et la primaire ouverte a déjà été utilisée pour désigner les candidats dans certaines circonscriptions.

Après la réforme de John Smith, la procédure adoptée par le Labour en 2014 n’est sans doute qu’une étape de transition. La voie italienne et française paraît l’exemple à suivre. Car plus on s’éloigne des appareils et des militants pathologiques, plus on se rapproche de ce peuple qu’il s’agit de servir. Et plus le nombre d’électeurs potentiels est élevé, moins le risque de manipulation est réel.

Quoi qu’on en disent des commentateurs enfiévrés et des sondages douteux, il n’est pas encore certain que Jeremy Corbyn soit proclamé vainqueur le 12 septembre, tant les incertitudes sur le comportement réel des membres, supporters et adhérents aux syndicats et organisation affiliées sont grandes. Mais il est peu probable qu’il remporterait un scrutin ouvert à tous les électeurs de gauche.

Sur le web

  1. Selon un système qui, en Suisse, a fait la preuve de ses défauts : outre l’absence de garantie sur l’identité de la personne qui vote véritablement, il y a l’impossibilité pour les électeurs précoces de tenir comptes d’ultimes épisodes de la campagne.
  2. En 2005, dans un autre contexte, David Miliband qui était le favori avait demandé à certains de ses soutiens de permettre la candidature de figuration de Diane Abbott pour le même courant – mais en 2015 les choses semblent évoluer différemment…
  3. Qui en 2007 avait abouti à la désignation surprise de Ségolène Royal au lieu de François Hollande, favori de l’appareil.
  4. On peut imaginer qu’un Daniel Cohn-Bendit, par exemple, aurait pu en son temps émerger.
  5. Election marquée par le retrait du favori, Dominique Strauss-Kahn, alors inculpé pour viol à New York.
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