Par Youri Chassin, en collaboration avec Guillaume Tremblay, depuis le Québec.
Un article de l’Institut économique de Montréal.

La possibilité d’exploiter les gaz de schiste dans les basses terres du St-Laurent a créé beaucoup d’émoi au Québec entre 2008 et 2012. Dans ce débat, les projets pour mettre en valeur cette ressource n’ont pas passé le test de l’acceptabilité sociale. La voix des groupes écologistes, bien organisés et omniprésents dans les médias, a porté davantage que celle des promoteurs issus de l’industrie.
Entre les deux, qu’en est-il de ceux qui ont des puits de gaz naturel sur leurs terres ? Cet article en forme de reportage présente un tour d’horizon des principaux enjeux ponctué de témoignages de la part d’acteurs qui ont souvent été ignorés dans le tumulte médiatique. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un échantillon qui permette de tirer des conclusions générales, ceux qui ont accepté de nous parler ne sont ni des opposants systématiques, ni des inconditionnels imprudents.
Les risques environnementaux
Le film Gasland, où l’on voit un homme mettre le feu à l’eau de son robinet, a marqué les esprits et soulevé beaucoup de questions depuis sa sortie en 20101. Parmi les fermiers, ce documentaire a toutefois suscité plus de sourires que de craintes. « Je peux vous faire ça chez moi, l’eau qui prend feu », s’indigne Guy St-Pierre, maire de Manseau dans le Centre-du-Québec, alors qu’il n’y a eu aucune fracturation près de chez lui2.
La présence de méthane dans le sol est connue depuis longtemps. Au 19e siècle, une congrégation religieuse de Ste-Angèle-de-Laval se chauffait au gaz remontant en surface qu’on récupérait d’un marais à proximité. Par ailleurs, la machinerie permettant de creuser les puits artésiens est équipée de dispositifs de sécurité pour prévenir les accidents lorsqu’on tombe dans une poche de gaz en forant.
S’ils se montrent ouverts à voir des projets se développer chez eux ou dans leurs communautés, les fermiers demeurent préoccupés par les impacts environnementaux. Comme le souligne Robert*3, copropriétaire d’une ferme laitière : « Quand on est agriculteur, notre but c’est de transmettre notre ferme. » La prudence est donc toute naturelle puisque la qualité de l’eau ou de l’air peut affecter les récoltes ou la santé des troupeaux et, par le fait même, la valeur de la ferme.
Les craintes concernent surtout la possible contamination des eaux souterraines ou de surface où les fermiers s’approvisionnent. En effet, la fracturation hydraulique est un procédé consistant à injecter dans le sol un mélange d’eau et de sable sous forte pression afin de fragmenter des formations rocheuses dans lesquelles du gaz naturel est emprisonné. Des produits chimiques sont utilisés pour augmenter l’efficacité de l’opération, mais ne forment jamais plus de 2% du mélange de fracturation4. Puisque certains produits peuvent être dangereux pour la santé humaine en concentration suffisante, il ne faut pas que ces produits se retrouvent dans la nappe phréatique.
Selon l’industrie, le risque d’une fuite importante polluant des réserves d’eau est très faible. La fracturation hydraulique au Québec se réalise généralement à des profondeurs d’au moins 1600 mètres sous la terre. Le puits comporte une couche additionnelle de cuvelage d’acier et de béton pour protéger les eaux souterraines dans les aquifères situés beaucoup plus près de la surface (voir Figure 1).
Jusqu’à maintenant, les faits confirment cette opinion. Sur un échantillon de 11 560 puits creusés dans un gisement du nord-est des États-Unis depuis 2008, on ne répertorie que 40 incidents reliés à l’eau ayant été causés par la fracturation hydraulique5. Aucun de ces incidents n’a eu d’impact négatif sur la santé humaine6.
En Alberta, on compte plus de 260 000 puits de gaz et de pétrole, et la fracturation hydraulique a été utilisée dans environ deux tiers des cas7. En 2014, il y a eu 91 fuites sur l’ensemble des puits. De ces incidents, un seul a affecté des arbres (la flore), tandis que trois ont affecté des cours d’eau (voir Tableau 1). Dans aucun de ces cas, la santé publique n’a été en danger8. Le risque zéro n’existe pas, ni pour l’exploitation du gaz naturel, ni pour aucune activité industrielle, mais les incidents sont rares.
Un puits fracturé sur sa terre
Avec le moratoire présentement en vigueur, il n’y a plus d’activité dans le secteur des gaz de schiste au Québec. La province compte néanmoins 34 puits creusés entre 2005 et 2010. La fracturation hydraulique a été réalisée dans plus de la moitié des cas9.
L’un de ces puits se trouve sur la terre à bois de René Bérubé, près de Bécancour. Lorsque les employés de Talisman Energy sont venus le voir, il y a vu une opportunité d’affaire. Tout n’était pas simple au début puisqu’il s’agissait principalement de gens de l’Ouest canadien unilingues anglophones. Talisman a finalement creusé un puits sur la terre à bois de M. Bérubé, en échange de quoi celui-ci a obtenu une compensation financière pour les 39 prochaines années, indexée et renouvelable.
Il se déclare satisfait de cette entente puisqu’elle incorpore les exigences qu’il avait, notamment sur l’utilisation des arbres coupés, la sécurité ou les subventions qu’il perdait du gouvernement. Les documents de l’entreprise ont été traduits. Amusé, il ajoute un autre exemple de bonne cohabitation : « S’ils abimaient la route pendant des travaux, ils la réparaient… et mieux que la municipalité ».
Aujourd’hui encore, Talisman Energy fait vérifier l’état du puits chaque semaine, comme pour tous ses puits. Selon Vincent Perron, employé de Talisman, sur l’ensemble des puits québécois, il y a eu deux occasions dans deux puits voisins où des émissions de gaz ont dépassé les normes. Chaque fois, les correctifs ont été apportés sans que ces incidents n’aient de conséquence fâcheuse.
La remise en état du lieu lorsque le puits sera éventuellement fermé est aussi prévue au contrat de M. Bérubé, une clause importante à ses yeux. Il a toutefois demandé de laisser le chemin d’accès construit sur sa terre, qui lui sera utile. Un chemin très bien fait puisqu’il est conçu pour du trafic lourd. « Ça vaut quelques milliers de dollars, faire faire un chemin comme ça. »
Rare au Québec mais monnaie courante en Alberta
La situation de René Bérubé est assez unique au Québec. Par contre, en Alberta, nombre de fermes et de ranchs sont parsemés de puits de gaz. Jim Culligan y possède un ranch d’élevage de 300 têtes… et de 26 puits de gaz. Les puits installés dans les terres sèches, ou pâturages, donnent droit à des compensations annuelles de 2000 $ à 3500 $. Dans les terres irriguées, il est plutôt question de 4000 $ à 7500 $. Ces compensations, qu’il renégocie aux cinq ans, dureront entre 10 et 40 ans10. « Don’t go to Vegas with it », recommande le rancher débonnaire. Jim Culligan a donc choisi d’investir dans de meilleurs équipements, de meilleurs bâtiments et de meilleures bêtes afin d’augmenter la rentabilité de son ranch.
Comme le nom l’indique, les compensations versées par les entreprises gazières compensent les nuisances lorsqu’on creuse le puits ainsi que la perte d’une surface cultivable couvrant souvent une acre entière même si l’espace clôturé autour de la tête de puits ne fait que 16 pieds par 16 pieds11.
Peter Sprunger, lui, fait partie d’un regroupement de 20 fermiers au sud de l’Alberta qui négocient ensemble avec les compagnies gazières et fixent les compensations selon la valeur des récoltes et d’autres facteurs. Cette « négociation collective » donne des lignes directrices très utiles, de l’avis de M. Sprunger, mais ça ne l’a pas empêché de renégocier ses compensations à la hausse lorsqu’il les trouve trop modestes.
Désormais à la retraite, Peter Sprunger a été fermier la majeure partie de sa vie près de Rosemary, deux heures à l’est de Calgary, cultivant de la luzerne et du canola. En 1980, lorsqu’il a émigré de la Suisse vers le Canada, il a commencé à travailler sur des fermes avant d’acheter la sienne en 1986. Sur la ferme qu’il a achetée, il y avait déjà un puits de gaz et un contrat stipulant des revenus annuels, ce qui augmentait la valeur de la propriété et donc le prix payé.
Au fil des ans, d’autres puits ont été creusés et M. Sprunger a acheté d’autres terres où il y avait des puits. Par contre, les primes d’assurances n’ont jamais augmenté en fonction du prix : il ne semblait pas y avoir de risque supplémentaire aux yeux de la compagnie d’assurance. À sa connaissance, il n’y a eu aucun incident dans son coin lié aux puits de gaz naturel.
La démarche pour installer un puits commence toujours par un avis par la poste informant le propriétaire de l’intérêt de la compagnie détenant les permis d’exploration, les fameux claims. Celui qu’on appelle le « landman » de la compagnie vient et s’assoit avec les fermiers, dans leur cuisine, pour expliquer l’intérêt de l’entreprise et négocier des compensations. Ces entreprises apprennent vite à entretenir des relations harmonieuses avec les propriétaires, selon Peter Sprunger.
Jim Culligan, pour sa part, n’a été confronté qu’à une seule anicroche lorsqu’une compagnie gazière en faillite n’a plus été en mesure de payer ses compensations. Ce puits a été fermé par l’entremise de l’Association pour les puits orphelins, financée par des prélèvements auprès des compagnies gazières12.
Des communautés partagées
Les fermiers québécois qui pourraient obtenir des ententes mais qui en sont empêchés par le moratoire voient d’importantes sommes leur échapper, alors que ces revenus assureraient l’avenir de leurs fermes pour de nombreuses années.
Dans quelques communautés, des mauvaises expériences avec certaines compagnies ont laissé des traces. Les protestations citoyennes se sont multipliées en 2010 après l’émission de permis d’exploration aux entreprises, souvent à l’insu des populations locales, et alors qu’on manquait d’information relative aux impacts environnementaux. Même des gens de l’industrie sont prêts à reconnaitre que des compagnies se sont comportées en « cowboys », au début. C’est pourquoi il faut réglementer cette industrie adéquatement, selon le maire Guy St-Pierre.
De l’avis de Stéphane Gendron, ex-maire de Huntingdon, on n’a pas eu un débat très sain sur la question de l’exploitation du gaz au Québec. Or, pour sa municipalité, il s’agissait d’une occasion d’affaire intéressante. Huntingdon a offert les services de ses usines de traitement des eaux usées à l’industrie gazière, ces installations étant sous-utilisées depuis la disparition de l’industrie textile de la région. L’unique contrat de traitement des eaux utilisées pour la fracturation, sous le contrôle du ministère de l’Environnement, a rapporté environ 15 000 $. Ce type de contrat aurait pu rapporter près de 600 000 $ annuellement à la ville de 2500 habitants et augmenter considérablement son budget. Lorsque les activités ont cessé, le gouvernement du Québec n’a offert aucune compensation à Huntingdon.
Il n’y a pas que des élus ou des fermiers qui espèrent une levée du moratoire. « Les entrepreneurs du coin, ils aimeraient bien que ça reparte », croit René Bérubé à Bécancour. C’est le cas de Maxime*, qui a été fournisseur de service sur les puits exploratoires il y a quelques années. Ce fils de fermier est allé travailler dans l’Ouest pendant dix ans après ses études techniques avant de revenir au Québec lorsque l’industrie s’est développée.
Avec le moratoire, Maxime a cru qu’il allait tout perdre. Bien que son expérience en Alberta l’ait convaincu que les techniques sont sûres, il comprend l’opposition de certains Québécois. « En Alberta, les lignes électriques, ils n’aiment vraiment pas ça », compare-t-il, alors que c’est devenu plus habituel ici. Maxime a fini par retomber sur ses pieds, mais si l’exploration gazière reprenait, sa situation s’améliorerait considérablement.
Le cégep de Thetford aussi pourrait en profiter. L’institution d’enseignement avait développé, grâce à son expertise dans l’industrie minière, une spécialisation en pétrole et gaz à partir du DEC en technologie minérale. Cette formation, où les taux de placement sont de 100% et le salaire moyen atteint 64 000 $, pourrait fournir beaucoup plus de finissants. Donnés surtout par des géologues, les cours procurent les bons outils pour que l’exploitation des hydrocarbures se fasse de façon sécuritaire, selon Christine Demers, directrice adjointe des études.
Certaines communautés et de nombreux propriétaires terriens se demandent, en toute humilité, si l’on n’est pas passé à côté d’une occasion en or avec le moratoire. Il faudrait prendre en compte cette perspective lorsque le débat reprendra sur l’exploitation du gaz de schiste québécois.
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Sur le web.
- Josh Fox, Gasland, documentaire, 2010. ↩
- Des tests menés par le ministère américain de l’Intérieur sur 66 puits d’eau souterraine hors de portée de toute fracturation hydraulique dans l’État de New York ont révélé que 15% de ces puits contenaient des concentrations élevées de méthane d’origine naturelle. Voir Paul M. Heisig et Tia-Marie Scott, Occurrence of Methane in Groundwater of South-Central New York State, 2012—Systematic Evaluation of a Glaciated Region by Hydrogeologic Setting, U.S. Department of the Interior, U.S. Geological Survey, Scientific Investigations Report 2013–5190, 2013. ↩
- Les noms suivis d’un astérisque sont des noms fictifs. Deux personnes n’ont accepté de nous donner des entrevues qu’à la condition qu’on ne puisse pas les reconnaitre. ↩
- U.S. Department of Energy, Office of Fossil Energy, « Fracture Fluids », Natural Gas from Shale: Questions and Answers. ↩
- Il s’agit des puits creusés dans la formation Marcellus, un gisement traversant les États de Pennsylvanie, de New York, de Virginie occidentale, de l’Ohio et du Maryland. ↩
- American Council on Science and Health, Hydraulic Fracturing in the Marcellus Shale  : Water and Health, Facts vs. Fiction, mai 2014, p. 26. ↩
- « Approximately 174,000 wells have been hydraulically fractured in Alberta since the technology was introduced more than 50 years ago. » Voir Alberta Energy, Shale Gas; Alberta Energy Regulator, List of Wells in Alberta, mai 2015. ↩
- Il s’agit uniquement des incidents rapportés, c’est-à -dire qui dépassent les seuils fixés par l’Alberta Energy Regulator. Il s’agit ici de tous les puits, tant pour extraire le gaz naturel que le pétrole, sans toutefois distinguer les incidents environnementaux provenant de la fracturation hydraulique et du forage horizontal de ceux provenant de méthodes plus conventionnelles. Alberta Energy Regulator, Compliance Dashboard, mai 2015 et communications avec le Alberta Energy Regulator. ↩
- Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, Les enjeux liés à l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste dans le shale d’Utica des basses-terres du Saint-Laurent, novembre 2014, p. 37. ↩
- Voir l’Annexe technique sur le site Web de l’IEDM. ↩
- Le terme général de compensation désigne en fait différents versements. Voir l’Annexe technique. ↩
- Orphan Well Association, Frequently Asked Questions, Who Pays For This ?.​ ↩
“compensations annuelles de 2000 $ à 3500 $. Dans les terres irriguées, il est plutôt question de 4000 $ à 7500 $. ”
C’est une plaisanterie ?
pourquoi une plaisanterie ?
si j’ai bien compris, c’est par puits. chaque puits empêchant de cultiver sur 0,4 hectare.
je ne suis pas paysan, mais l’indemnisation me semble loin d’être négligeable.
Par rapport à ce que ça rapporte aux compagnies, je pense que c’est très peu.
Cela ne semble pas une grosse somme. Limite dérisoire.
Cette somme correspond à l’indemnisation du propriétaire pour la surface occupée par le puits.
La compagnie doit aussi verser une redevance au propriétaire du sous-sol. Or, au Canada c’est le gouvernement provincial qui est propriétaire du sous-sol. Ce point est expliqué dans la note technique en annexe (note 10).
La situation est différente aux U.S.A., où le propriétaire touche non seulement l’indemnisation, mais aussi des royalties de 10 à 20% sur le gaz produit. Voir par exemple http://www.legazdeschiste.fr/exploitation-en-amerique-du-nord/21102012,focus-l-ohio-et-le-gaz-de-schiste,167.html
On nous dit que des études sont menées pour trouver d’autres voies d’extraction.
Cela ne semble pas être vrai : aucune bourse d’étude d’ayant été attribué pour étudier d’autres moyens d’extraction du Gaz de schiste.
Ça ça montre surtout la confiance très relative dans la recherche “publique” qu’ont les entreprises d’énergie. La recherche sur le sujet est fait en interne par leurs propres ingénieurs, chercheurs et autres. A priori pas les plus mauvais, et surtout si l’entreprise X trouve un truc, ça ne bénéficiera pas automatiquement et instantanément à leurs concurrents…
La France A INSCRIT LE PRINCIPE DE PRE dans la Constitution, c’est une faute lourde!
Elle préfère jouer à la roulette Belge (roulette avec 6 balles dans le barillet)…et se tirer des balles dans le pied
Lisez la suite dans mon livre Chirurgie chronique d’une mort programmée p199
Éditions L’ Harmattan
L’appel au « principe de précaution « pour justifier l’interdit qui frappe aujourd’hui les gaz de schiste en France relève plus d’un coup de menton politique que de la réalité.
A-t-on LES MOYENS DE NE PAS EXPLORER CETTE VOIE?
Les normes et les quotas paralysent les entrepreneurs
J’évoque tous ces problèmes dans le livre:
Chirurgie chronique d’une mort programmée, Éditions L’Harmattan p 199 à propos des progrès médicaux