Pourquoi suivons-nous l’actualité ?

Le monde du journalisme mérite d’être décrit comme l’industrie du conte pour adultes et non comme celle de la recherche de la vérité pour le bien public.

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Pourquoi suivons-nous l’actualité ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 15 janvier 2015
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Par Gabriel Lacoste.

Marc Aurèle credits Guillaume Maciel (licence creative commons)Attentat contre la liberté d’expression, coupures dans les dépenses publiques, catastrophes météorologiques, corruption de nos dirigeants, sondages d’opinions, manifestation d’insatisfaction venant d’une bonne cause, accidents terribles, épidémie, concours de belles paroles entre des démagogues qui veulent nous représenter, dépressions économiques, guerres, exploitation des femmes dans une contrée lointaine, pollution des sols, des eaux et des airs et ainsi de suite ; pourquoi s’y intéresser ?

Nos théories sur la démocratie y répondent par une histoire fabuleuse : celle du bon citoyen et du journaliste engagé. Le monde nous tient à cœur, puis nous voulons l’améliorer. De courageux reporters et chercheurs se mettent alors à notre service en débusquant le mal partout où il se trouve, en le filmant, en le documentant, en le chiffrant, en l’opinant, question de nous tenir en alerte contre lui. Puis ils braquent ensuite les projecteurs sur les héros qui partent au combat, puis donnent la parole au Peuple qui les appuie.

Certains sceptiques y vont de leur doute. Les anarchistes collectivistes y vont de leur « manuel d’autodéfense » ou de leur « fabrication du consentement » contre les médias. Ceux-ci seraient biaisés par des « assoiffés d’argent », qui profitent des crises pour s’enrichir, qui rêvent de démanteler la propriété commune, qui nous conditionnent à acheter ou à fuir dans des futilités. Les libéraux y perçoivent au contraire une manipulation des foules par des groupes d’intérêts qui veulent étendre le pouvoir de l’État, à gauche comme à droite. Les conservateurs y voient le signe d’une décadence des mœurs. Chacun y va de son journal, de son podcast, de son blogue ou de ses vidéos YouTube « alternatifs ».

Cette diversité cache une profonde unité de discours. Tous schématisent à leur manière un groupe de gens ordinaires luttant contre une manigance quelconque venant d’une minorité toxique, puis se présentent comme leur éclaireur dans un mouvement de vigile digne d’un grand respect. Ils divergent sur le contenu, mais non sur la forme.

Je crois que nous sommes à côté de la réponse. Les récits d’actualité prennent leur source dans l’amusement que nous portions aux contes lorsque nous étions petits. Se raconter des histoires de peurs, des drames et des manigances, puis faire intervenir des personnages surhumains qui rétablissent l’équilibre est, purement et simplement, le fun. Cela nous permet de vivre au-delà d’un quotidien trop humain, et de ressentir des émotions grandiloquentes.

Devenant adulte, nous oublions à quel point nous restons animés des mêmes instincts puérils. Nous gardons, au fond de nous-mêmes, une pulsion adolescente qui nous pousse à nous projeter dans un personnage de chevalier qui part à l’aventure pour sauver la veuve et l’orphelin. Nous sommes des Don Quichotte. Nous construisons ainsi la fable du « citoyen et du journaliste engagé » au service de la « démocratie ».

En réalité, le monde du journalisme mérite d’être décrit plus concrètement comme l’industrie du conte pour adultes et non comme celle de la recherche de la vérité pour le bien public. Il n’y a probablement pas de « conspiration des médias », mais simplement des personnes qui ne peuvent vendre leurs versions des faits qu’en flattant dans le sens du poil notre sensibilité immature mal vieillie qui veut se faire refléter une scène captivante, puis vivre des émotions fortes avec une fin rassurante où tout revient dans l’ordre.

Le biais favorable des médias envers une forme ou une autre de pouvoir politique, que ce soit celui des politiciens ou de « masses agissantes » et son hostilité à l’idéal d’une société d’individus qui s’échangent paisiblement des services dérive simplement de cette structure narrative, qui nécessite de nous garder dans un état de tension combative agressive.

La vraie vie est étonnamment positive. Hier, des milliards de personnes ont vaqué à leurs occupations sans se voler, sans se tuer et sans s’insulter. Ils ont mangé, ils ont aimé et ils ont ri. Des milliards de transactions monétaires ont été effectuées de manière à satisfaire les diverses parties impliquées. Le pourcentage de fraude a été vraisemblablement insignifiant. En occident, nous avons la chance d’avoir du temps libre, des repas assurés et des loisirs dans des proportions inimaginables il y a de cela deux siècles. Le mal est la figure qui occupe une petite partie de l’espace, alors que le bien est le fond qui remplit l’ensemble qui reste.

pourquoi suivre l'actualité rené le honzecCette œuvre n’est pas tant l’accomplissement de citoyens et de journalistes courageux que le fruit long, patient et laborieux d’entrepreneurs, d’épargnants, de consommateurs et de travailleurs silencieux sur la place publique, mais motivés par le rêve terre-à-terre d’assurer leur bonheur et celui de leurs enfants sans trop tenir compte du bruit ambiant des va-t-en-guerre qui voudraient leur faire tout quitter pour aller en terre promise. Au contraire, ce sont ces aventuriers qui leur ont pourri la vie au cours de l’histoire, en se battant pour l’avenir de la race supérieure, pour la souveraineté de parlements élus, pour le communisme, pour la survivance culturelle, pour l’environnement, pour la sécurité nationale, pour la confiscation de richesses jugées éhontées, pour l’éducation universelle, pour la conversion de sauvages, et autres « projets de société ». Leurs actions noblement motivées finissent presque toujours par dégénérer en cauchemar. C’est lorsque la majorité silencieuse parvient à trouver des moyens de demeurer productive en dépit de ces bouleversements que la minorité citoyenne se tient dans les limites du raisonnable et ne nous cause pas trop de tort.

Le problème fondamental, c’est que cette histoire n’est pas fun à entendre. Elle vous ramène à la petitesse de votre existence. Donc, les journalistes engagés ne vous la raconteront pas, car, sinon, vous ne leur achèterez pas ce qu’ils vous vendent. Voilà pourquoi vous suivez l’actualité et qu’elle prend la forme qu’elle a. Cela est vrai, que vous soyez un laïque anticlérical progressiste qui se bat pour un monde meilleur ou que vous soyez un musulman en colère souhaitant faire triompher la volonté d’Allah.

Ce que je conseille à mes amis libéraux, c’est de s’embarquer dans le jeu des conteurs. Notre récit à nous, c’est celui d’un simple individu qui mène sa vie comme il peut, qui apprend de ses erreurs, puis qui ne se mêle pas de ce qui dépasse son entendement. L’élément perturbateur, ce sont les prétendus héros qui veulent lui faire quitter ce confort pour réaliser des idéaux aussi dangereux qu’ils sont beaux, grandiloquents et envahissants. Notre héros, c’est le vieux sage qui sait remettre de tels adolescents à leur place avec le langage de l’humilité et de la prudence. Sa priorité est de respecter le serment d’Hippocrate en évitant d’abord de nous nuire en sachant apprécier ce que le destin nous a offert en partage, puis en remettant l’accomplissement du paradis sur Terre à des forces qui nous dépassent, que celles-ci s’appellent l’esprit de Jésus Christ, Allah, l’Âme humaine, Gaïa ou l’Ordre spontané.

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  • Un article qui fait vraiment du bien en ces temps de « mobilisation » et « d’unité » national chevaleresque…

  • Gabriel Lacoste est décidément l’auteur de Contrepoints avec lequel je me sens le plus en phase.

    Je me faisais cette réflexion récemment : comment se fait-il que dans ce monde la technologie progresse à toute vitesse et soit source d’optimisme (souvent démesuré), alors que les media et les politiques tournent en rond et à vide et sont source de pessimisme.

    C’est qu’en matière d’économie (la vraie – pas celle des économistes de salon) et de technologie (la vraie – celle qui répond à un besoin et non à des utopies), l’homme thésaurise. Par exemple, en électronique, chaque nouvelle conception profite de l’expérience technique et économique des développements précédents. Du coup le progrès est phénoménal. Imaginez un instant la connaissance et la complexité qui se trouve à l’intérieur d’un smartphone à 60 euros. Les ordinateurs qui nous ont permis d’envoyer des hommes sur la lune étaient un million de fois plus cher et un million de fois moins performants.

    Mais en matière de réflexion sur lui même, et d’élaboration de solutions pratiques pour organiser la société, il me semble que l’homme ne fait des progrès que très lentement. L’humanité semble incapable de thésauriser sur l’histoire et de faire preuve de pragmatisme. Les media et les politiques ont toujours les mêmes travers (pourtant bien connus) qu’il y a un siècle, les peuples se laissent toujours manipuler aussi facilement et les individus n’ont jamais appris à se méfier de leurs propres biais : l’idée fixe qui ferme la porte au jugement, l’idée préconçue que l’on ne sait pas remettre en cause, la confusion entre l’angoisse et l’analyse, l’utopie et la progression.

    Et pire, la société doit intégrer des questions de plus en plus complexes (du fait des progrès de la technologie) avec une maîtrise de l’humain qui elle ne progresse pas.

  • Merci pour ce bel article. Pour pousser encore un peu votre réflexion sur un versant psychanalytique, je dirais que la vrai distinction chez les humains s’opère entre la part de nous même qui veut rester dans la toute puissance infantile, pour inconsciemment demeurer ce foetus, objet nourri et révéré par la mère, et le côté qui veut devenir sujet, briser les liens incestueux et naître psychiquement parlant pour, séparer de la matrice originelle, tendre vers son propre devenir.

    Le désir de tout puissant rejoint ce délire de toute puissance, et il est nourrit par une vision délirante et exaltée de la réalité. Celui qui sort de sa condition de bébé dépendant d’autrui pour trouver son chemin part à la rencontre du réel, et du lot de déceptions qui vont avec: le rêve est tellement plus accessible pour jouir tout de suite et sans efforts que le quotidien. Ce dernier oblige à tisser pas à pas une toile qui, si elle s’avère selon moi beaucoup plus riche et vivante in fine, nécessite un labeur permanent et pleins de renoncements.

    Faut il pour autant ne plus rêver? Certainement pas, mais pas en se déconnectant de la réalité, et notamment en confiant son âme à des idéologies englobantes qui vous livre une vision « parfaite » de ce que sont le monde et la vie. C’est un équilibre qui est au fondement de la psychée et au fondement du libéralisme. Les pulsions nourrissent la capacité créative d’un individu, le sur moi impose des limites à cette création lorsqu’elle se heurte à la liberté des autres, et le moi en est le point d’équilibre.

    L’état centré sur ses missions régaliennes, sans que sur ce périmètre son autorité puisse être contestée, mais sans qu’il puisse débordé de ce strict périmètre, est l’application social de cet équilibre intime.

  • C’est pas la première fois que je dis ça, mais vous avez un esprit d’observation et de synthèse étonnant.

  • Votre article est intéressant. Je comprends votre fatigue de ceux qui prétendent imposer « le bien » à tout le monde et votre envie de vivre tranquillement à votre guise. Vous avez probablement raison quand vous soulignez les instincts puérils et le désir adolescent d’être un chevalier en quête d’aventure. Les médias se contentent alors de nous donner le pain que l’on désire. On peut bien sûr les pointer du doigt d’agir ainsi, mai il convient aussi de s’interroger sur nous-mêmes car ils ne sont malheureusement que notre propre reflet il me semble.

    Néanmoins le fait que les médias pratiquent la mythologie du citoyen de façon abusive en la déformant ne signifie pas que tout est à jeter dans l’idéal citoyen. Ni comme vous le préconisez aux libéraux qu’il faille se mettre au même niveau que les médias en mythifiant de la même façon l’individu qui s’auto-réalise. D’un côté vous dénoncer justement la dérive infantile des lecteurs de journaux qui voudraient étendre l’intérêt de leur vie à travers le mythe, et de l’autre côté, au lieu d’essayer de les sortir de ce comportement infantile, vous appelez à l’exploiter vous même en utilisant votre propre mythe (l’homme auto-réalisé – arrêtez moi si je me trompe) en lieu et place de celui du citoyen.

    De plus vous avez une façon d’opposer le citoyen et l’homme productif qui me semble peu pertinente. Ce n’est pas parce qu’on produit quelque chose qu’il ne faut pas s’intéresser à la chose publique. D’ailleurs si l’on ne s’intéresse pas à la chose publique , la chose publique finira tôt ou tard par s’intéresser à vous. Cela me semble une raison suffisante pour ne pas vivre « peinard, » si tentant que cela puisse être d’aspirer à vivre de façon libérale dès lors que l’on a trouver un moyen de se réaliser soi-même. En évitant de s’intéresser à ce qui nous dépasse comme vous dites on finit par oublier la chose publique et on laisse à d’autres le soin de décider pour nous et de nous engager dans des choses que nous ne voulons pas.

    Donc, oui , je vous suis dans le constat que vous faites « Le monde du journalisme mérite d’être décrit comme l’industrie du conte pour adultes et non comme celle de la recherche de la vérité pour le bien public ». Mais n’oublions ni les vertus ni les nécessités de la chose publique. Et ne remplaçons pas non plus une exploitation abusive de la part infantile des personnes qui consomment les médias par une autre. Pourquoi ne pas plutôt essayer de leur faire prendre conscience de l’utilisation qui est ainsi faite de « leur désir profond de vouloir être un chevalier par procuration » et les laisser décider par eux-même s’ils veulent s’y soustraire?

  • Très belle analyse de notre pseudo conception de notre monde merci…

  • Les commentaires sont fermés.

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