Autosuffisance alimentaire en Afrique : 2 erreurs à éviter

Il convient d’éviter de confondre autosuffisance et sécurité alimentaire, cette dernière nécessitant l’ouverture des échanges.

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sécurité alimentaire CC Flickr DFATD

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Autosuffisance alimentaire en Afrique : 2 erreurs à éviter

Publié le 12 janvier 2015
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Par Hicham El Moussaoui, depuis Beni-Mellal, Maroc.

sécurité alimentaire CC Flickr DFATD

70% des Africains travaillent dans l’agriculture mais près du quart de la population du continent demeure sous-alimentée. Et chaque fois que ce constat est fait, les appels à l’autosuffisance refont surface. En effet, après avoir été abandonné, suite à l’échec du plan de Lagos dans les années 80, le concept de l’autosuffisance, impliquant la satisfaction des besoins alimentaires des populations par la production locale, est remis au goût du jour. Si la réduction de la dépendance alimentaire des pays africains est légitime, deux erreurs sont à éviter.

Une conception nationaliste et dirigiste de l’agriculture

La stratégie d’autosuffisance telle qu’elle a été menée dans plusieurs pays africains, notamment ceux du Sahel (Niger, Mali, Burkina, etc.), entre 1972 et 1982, s’est traduit par un accroissement des importations et des aides alimentaires. En 2010 par exemple, les importations alimentaires annuelles de l’Afrique s’élevaient à 33 milliards $US dont près de 3 milliards comme aide.La raison principale de cet échec tient au fait que les dirigeants africains ont fait de l’indépendance alimentaire une question d’indépendance nationale, d’où la mise en place de politiques agricoles nationalistes. Ainsi, au nom de l’autosuffisance, l’État a pris en main l’agriculture en administrant les prix et en créant des fermes publiques gérées par des bureaucrates hermétiques aux réalités du marché. L’objectif prioritaire était de produire et de stocker le maximum tout en protégeant les producteurs locaux de la concurrence étrangère. Cette vision de la production était contre le bon sens dans la mesure où les prix des produits agricoles africains (blé, riz, etc.) sont deux ou trois fois plus chers que les produits étrangers avec une qualité inférieure. Les questions de coûts et de productivité n’étaient pas prises en considération, ce qui était défavorable à un usage rationnel des facteurs de production (Terre, capital, travail).

Par ailleurs, il faut souligner l’effet d’éviction exercé par le contrôle monopolistique étatique sur l’investissement privé. Ainsi, dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest Centrale (Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Togo), comme des pays d’Afrique en général, les réformes institutionnelles n’ont pas été menées suffisamment en profondeur pour créer un environnement favorable à une concurrence effective et saine. À cet égard, quand l’État s’est désengagé partiellement de la production, il n’a pas transféré au secteur privé les fonctions de distribution et de commercialisation des produits agricoles. En témoigne la persistance des monopoles publics dans le commerce et dans la distribution des produits agricoles (riz en Côte d’Ivoire et au Sénégal, sucre au Maroc, etc.). Ainsi, en légitimant un certain dirigisme étatique, la stratégie d’autosuffisance a provoqué l’échec de plusieurs projets de réforme de l’agriculture africaine car elle a tué les incitations à l’investissement, à l’innovation et à la productivité.

Sécurité alimentaire plutôt qu’autosuffisance.

La sécurité alimentaire est définie comme la possibilité matérielle et économique pour chacun d’acheter, de se procurer ou de consommer en tout temps suffisamment de nourriture pour mener une vie saine et active. Dans cette optique, la carence de la production locale n’explique que l’aspect-offre de la sécurité alimentaire. Ainsi, la stratégie d’autosuffisance, fondée sur la production locale, peut ne pas garantir la sécurité alimentaire pour deux raisons. D’abord, dans une économie ouverte, la production locale d’un pays pourrait être exportée. En effet, il y a un avantage à saisir, qui est le prix élevé que les clients étrangers sont disposés à payer. Ensuite, certaines franges de la population pourraient se trouver exclues si elles ne possèdent pas les moyens financiers suffisants pour acheter cette production locale. La crise alimentaire ne résulte donc pas uniquement du déficit de l’offre locale, mais également du faible niveau de revenus des ménages. C’est ici une question de pouvoir d’achat. Par ailleurs, les restrictions (tarifaires et non tarifaires) renchérissent les importations et affaiblissent les exportations, d’où la difficulté pour les pays africains d’accéder à la sécurité alimentaire. Dès lors, il convient d’éviter l’erreur de confondre autosuffisance et sécurité alimentaire car cette dernière exige non seulement l’existence d’une offre suffisante, mais également d’une demande solvable.

En conséquence, la sécurité alimentaire passe par l’action sur l’offre et sur la demande. Au cœur de toute activité économique, en l’occurrence agricole, se trouve l’acte d’investir. Or, dans tous les pays africains, l’agriculture est pénalisée par la faiblesse du secteur privé. Dans ce sens, l’accélération de réformes institutionnelles pour lever les blocages (foncier, fiscalité, crédit, commercialisation, etc.) aux investissements privés est incontournable pour développer une agriculture à forte valeur ajoutée et à forte productivité. Pour ce qui est de la demande, l’encouragement de l’agriculture vivrière est primordial pour élever les revenus des agriculteurs et lutter contre la pauvreté. La réforme de l’environnement institutionnel de l’investissement permettra non seulement la création d’emplois directs, mais également la diversification des activités génératrices de revenus monétaires à leur disposition. Avec les revenus dégagés par cette agriculture intégrée au marché mondial, il est possible d’accompagner l’agriculture vivrière, notamment en finançant des projets de développement du monde rural (infrastructures routières et hydriques, formation, technologie et recherche agronomique, etc.). En conséquence, les gains de productivité générés permettront l’amélioration du pouvoir d’achat des ruraux et par corollaire des citadins avec pour conséquence l’amélioration de leur accès aux produits alimentaires. L’opposition de l’agriculture vivrière à l’agriculture exportatrice devient donc obsolète, il est besoin d’une approche complémentaire entre les deux. Qu’il s’agisse de culture vivrière ou exportatrice, les pays africains ne peuvent avoir une agriculture diversifiée et compétitive sans un secteur privé responsable et sans une intégration au marché mondial.

L’idée ici n’est pas de contester le droit des pays africains de réduire le recours à l’extérieur pour se nourrir mais de prévenir contre une approche d’autosuffisance servant d’alibi pour justifier des interventions étatiques jusque là inefficaces et coûteuses. La sécurité alimentaire passe plutôt par la diversification et l’ouverture des échanges. À ce propos, les pays occidentaux doivent rompre pour de bon avec leur protectionnisme larvé (subventions, barrières non-tarifaires, règles d’origine).


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