Faut-il secourir les riches de préférence aux pauvres ?

Les décisions d’assainissement budgétaire sont souvent présentées comme motivées par la volonté de complaire aux classes possédantes. Analyse d’un jugement erroné.

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Saint Martin partageant son manteau credits Melina1965 (licence creative commons)

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Faut-il secourir les riches de préférence aux pauvres ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 7 janvier 2015
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Par Corentin de Salle

Saint Martin partageant son manteau credits Melina1965 (licence creative commons)

J’étais dans l’une des 15 000 voitures immobilisées près de 24 heures en Savoie la semaine passée en raison des intempéries neigeuses. Heureusement pour moi, nous avons pu obtenir in extremis les toutes dernières chambres d’un hôtel confortable situé 40 km en amont une fois que, en milieu d’après-midi, nous eûmes renoncé à atteindre notre station de sport d’hiver. Quant aux autres automobilistes, ils passèrent des heures éprouvantes dans leurs véhicules ou dans des écoles et autres gymnases le long du parcours après que la demande de logements eut, en moins de deux heures, fait exploser l’offre hôtelière. En soi, cette mésaventure n’a aucune espèce d’intérêt mais j’en parle car, à gauche, plusieurs commentateurs, dont la bloggeuse Anne Lowenthal, affirmaient que cette situation illustrait parfaitement une vérité dérangeante : lorsqu’il s’agit des riches (les skieurs, pour la plupart, appartiennent au segment le plus fortuné de la société), les pouvoirs publics trouvent instantanément des solutions alors que les nécessiteux et autres clochards peuvent bien mourir de froid quand il gèle à pierre fendre.

Voilà un débat idéologique à souhait. Mais se pose-t-il réellement en ces termes ? Non. On compare ici des pommes et des poires. D’un côté, un problème ponctuel (une succession d’erreurs et de déveines paralysant un axe routier au cœur de l’hiver, situation inédite depuis 1991 selon mon hôtelière) et, de l’autre, un problème structurel (la situation des sans-abris dans les centres urbains durant les froids hivernaux). À aucun moment, les pouvoirs publics ne se sont dit : « voilà des personnes riches et donc dignes d’intérêt. Secourons-les ». Ils ont juste veillé à assurer un minimum d’hébergement à des personnes en difficulté. Point. D’ailleurs, cette opération improvisée fut chaotique. Un père de famille me disait avoir passé quelques heures dans un gymnase non chauffé, aux sanitaires inutilisables et où les plus chanceux pouvaient dormir sur un carton. Si on fait les comptes, le montant dépensé par les pouvoirs publics pour lutter contre la pauvreté doit être 100 fois, 1000 fois plus important que le coût quasi nul de ces opérations ponctuelles. En ce cas, pourquoi, dira-t-on, ne pas ouvrir les gymnases et écoles aux SDF ? Car ces derniers n’ont pas besoin d’hébergement pour une nuit mais pour tout l’hiver. Par ailleurs, le risque de squat est évidemment inexistant dans le premier cas.

Prenons néanmoins l’argument au sérieux. Il y a quelques années, une vidéo a beaucoup circulé sur la toile : un jeune homme élégamment habillé interpellait les gens dans la rue afin qu’ils le dépannent de quelques euros car il avait perdu son portefeuille et son gsm. La plupart des gens lui donnaient de l’argent alors que la même personne, travestie en clochard, ne recevait quasiment rien. Au risque de choquer, je dirais que, personnellement, ces réactions ne me scandalisent pas. Certes, la proximité socio-économique entre celui qui aide et celui qui reçoit doit probablement jouer car, pour celui qui aide, le « décentrement » est plus facile : chacun peut s’imaginer se retrouver dans la même situation embarrassante. Mais ce n’est pas la raison principale. Si, en l’espèce, on donne plus rapidement au riche qu’au nécessiteux, ce n’est pas parce qu’on estime que les riches seraient plus dignes d’être secourus mais parce qu’on donne plus facilement de l’argent quand on estime que ce don sera utile. Dans le premier cas, il servira à restaurer une situation provisoirement perturbée. Dans le second, il contribuera à la persistance d’une situation de mendicité que, pour des raisons diverses, les gens désapprouvent généralement. Ceux qui désirent réellement aider les sans-abris donneront de préférence à des organismes spécialisés ou se diront qu’ils financent déjà divers programmes en tant que contribuables.

Dans le même ordre d’idées, on entend souvent du côté de la gauche (dans les milieux syndicaux ou autres) l’argument suivant : le gouvernement ergote constamment pour débourser des montants insignifiants de nature à remédier à telle ou telle situation difficile alors que « quand il s’agit de trouver de l’argent pour les banques », on parvient soudainement à dégager des centaines de millions, voire des milliards d’euros. On sous-entend que les riches se tiennent les coudes entre eux et que le gouvernement est leur complice. Je ne vais pas entrer ici dans le débat pour savoir si le renflouement des banques en 2008 était opportun (je pense qu’il s’agissait d’un mal nécessaire mais, afin de responsabiliser ce secteur, je serais partisan qu’on l’avertisse que, lors de la prochaine crise bancaire, on laissera, de manière darwinienne, s’écrouler les banques imprudentes, à condition de mettre sur pied un système de faillite bancaire permettant d’immuniser les déposants). Quoi qu’il en soit, là encore, on compare des pommes et des poires. Le sauvetage des banques (qui, hormis Belfius, ont, depuis, remboursé l’État avec intérêt) était justifié pour se prémunir de « l’effet systémique » (les faillites en cascades d’une multitude d’entreprises saines mais brutalement privées de liquidité en raison de la faillite du secteur bancaire). Laissons de côté la question de savoir si la théorie de l’effet systémique tient la route. Les dirigeants politiques qui, aux États-Unis, en Europe, en Belgique ou ailleurs ont, depuis 2008, décidé de renflouer les banques, y ont cru et l’ont fait non pas pour complaire aux banquiers mais dans l’intérêt commun (éviter les licenciements massifs, etc.). Sauf à tomber dans la démagogie, impossible de comparer le sauvetage des banques aux décisions politiques consistant, pour de bonnes ou mauvaises raisons, à accroître encore le déficit et l’endettement d’un État qui vit au-dessus de ses moyens.

Faut-il secourir les riches de préférence aux pauvres ? Non. Bien sûr que non. Toutes les vies se valent. Le problème, c’est que les décisions d’assainissement budgétaire ou d’allègement fiscal sont souvent présentées comme motivées par la volonté de complaire aux classes possédantes. On ne peut nier que ces dernières servent quelquefois les intérêts de ces derniers mais, à long terme, elles bénéficient avant tout à l’ensemble des membres de la société et en particulier aux plus pauvres.

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  • Si je ne m’abuse, il y a dans le soir une réponse de Lowenthal à votre article mais c’est pour les abonnés …

  • Qu’attendre d’autre comme argumentation de la part de Mme Lowenthal, cette activiste patentée du parti d’extrême-gauche belge : le PTB ? Elle flingue à foison tout qui se trouve à droite de son propre clan, en premier mais sans exclusive le PS de DiRupo, là où il serait avantageux de racler de l’électorat malléable sur base de ses frustrations et d’envies entretenues !

    Dans les cas d’urgence, les pouvoirs publics agissent sans sectarisme. Tout qui se trouve dans une forme de détresse est potentiellement secouru. Suffit de voir les équipes mobiles allant vers les SDF, les centres d’hébergement et chauffoirs publics et en cas extrêmes les urgences hospitalières !
    Rappelons nous : ce fut l’abbé Pierre (R.I.P.) qui accentua les dispositifs de secours après la terrible vague de froid de 1954 … lui n’étant pas d’extrême-gauche, mais un simple prêtre doté d’un sens de la charité non calculée, à l’inverse de l’activiste ici con-cernée !

  • déja, il ne faut pas exagérer. les gens qui partent au ski ne sont pas spécialement riches. la plupart font parti de la classe moyenne. cela permet de montrer que le discours antiriches des gauchistes visent aussi la classe moyenne. la gauche a tendance à détruire la classe moyenne (d’abord, la classe moyenne supérieure puis toute la classe moyenne enfin à part les fonctionnaires)

    • jacques: « déja, il ne faut pas exagérer. les gens qui partent au ski ne sont pas spécialement riches »

      Merci, vous arrivez juste à temps pour m’empecher d’aller creuser le jardin à la recherche des millions que j’aurais caché par devers moi. :mrgreen:

  • vous oubliez un truc important :
    une aide ne doit être que ponctuelle et c’est pour cela qu’on aide facilement quelqu’un (aisé ou pas) ayant subit un accident de la vie , autrement , cela s’appelle une aumône , cela enrichi le donneur mais enferme le receveur dans la pauvreté

    • Le diable est dans les détails et là il est dans le mot « ponctuelle », dont la définition autorise beaucoup de choses, du don one-shot au programme d’aide hivernal. Un accident de la vie ne se limite pas à avoir perdu son portefeuille mais peut nécessiter une aide plus … suivie dirons nous.

      J’ai surtout du mal à comprendre en quoi aider une personne serait l’enfermer dans la pauvreté. Ce qui maintient les pauvres dans un état duquel ils voudraient tous s’extraire, c’est un Droit du Travail inepte et une politique économique catastrophique.

  • Extrait d’une conversation entre Colbert et Mazarin sous LOUIS XIV.
    Colbert : Pour trouver de l’argent, il arrive un moment où tripoter ne suffit plus. J’aimerais que Monsieur le Surintendant m’explique comment on s’y prend pour dépenser encore quand on est déjà endetté jusqu’au cou…
    Mazarin : Quand on est un simple mortel, bien sûr, et qu’on est couvert de dettes, on va en prison. Mais l’Etat… L’Etat, lui, c’est différent. On ne peut pas jeter l’Etat en prison. Alors, il continue, il creuse la dette ! Tous les États font ça..
    Colbert : Ah oui ? Vous croyez ? Cependant, il nous faut de l’argent. Et comment en trouver quand on a déjà créé tous les impôts imaginables ?
    Mazarin : On en crée d’autres.
    Colbert : Nous ne pouvons pas taxer les pauvres plus qu’ils ne le sont déjà.
    Mazarin : Oui, c’est impossible.
    Colbert : Alors, les riches ?
    Mazarin : Les riches, non plus. Ils ne dépenseraient plus. Un riche qui dépense fait vivre des centaines de pauvres.
    Colbert : Alors, comment fait-on ?
    Mazarin : Colbert, tu raisonnes comme un fromage (comme un pot de chambre sous le derrière d’un malade) ! Il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches….. Des Français qui travaillent, rêvant d’être riches et redoutant d’être pauvres ! C’est ceux-là que nous devons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux là ! Plus tu leur prends, plus ils travaillent pour compenser… C’est un réservoir inépuisable.

    • On en apprend tous les jours, ainsi Mazarin serait un « Surintendant ». Elle est bien bonne celle-là. Je présume qu’il y a confusion avec Fouquet.

      • Je lis dans wikipédia sur Mazarin :
        « Ainsi, à partir de 1643, à la mort de Louis XIII, alors que Louis XIV n’est encore qu’un enfant, la régente Anne d’Autriche nomme Mazarin Premier Ministre. En mars 1646, il devient également « Surintendant au gouvernement et à la conduite de la personne du roi et de celle de Monsieur le duc d’Anjou ».
        http://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_Mazarin

      • Pas très fort en Histoire les Américains, pas très fort sur les vérifications de leurs assertions moqueuses, pensez donc, même pas une petite recherche de rien du tout sur ce qu’ils affirment. Et ça veut en remontrer aux Français.

  • Pour les riches qui étaient du côté de Cluse-Chamonix-Megève, pas de gros gros problème, par contre des escargots sur l’autoroute, alors qu’elle était déneigée et salée régulièrement!
    Dc, si pas de pb pour les riches de mon côté, pourquoi autant de pb pour les riches de l’autre côté? A part la fermeture des routes pour accéder aux stations mais cela ça s’anticipe!

  • La question du secours ne se pose que quand il est trop tard. Si on tient 2 personnes par la main au bord d’un gouffre, que l’un des deux est en train de crever de faim, qu’il est en phase terminale de cancer et en train de faire une crise cardiaque en plus d’être pauvre, en effet on peut se recentrer sur l’autre bien portant et riche.
    La question est de savoir s’il faut entretenir une concurrence sauvage entre pauvres et garantir les revenus des riches : le libéralisme pour les pauvres, le socialisme pour les riches ; on parle parfois de capitalisme de connivence, mais je ne suis pas certain que le capitalisme puisse ne pas glisser toujours vers la connivence.
    A l’inverse il serait facile de dire qu’il faudrait se contenter d’entretenir la liberté en oubliant de s’en donner les moyens (la sécurité par exemple, ne me semble pas du tout être la première des libertés, mais bien le premier de ses moyens).

  • Le problème, c’est que l’État n’intervient souvent pas sur des riches ou des pauvres, mais sur des réseaux de riches ET de non-riches qui dépendent d’eux. C’est le cas dans le sauvetage des banques. Je crois cependant que de laisser l’ensemble du réseau s’effondrer est douloureux à court-terme, mais sain à long-terme, car les pauvres ou gens de la classe moyenne se responsabiliseraient au moment de choisir avec laquelle des banques ils font affaire, ce qui agirait comme régulateur beaucoup plus efficace que cette assistance/surveillance venant de l’État. Je suis d’accord cependant avec l’article que ce n’est pas les riches qui sont visés par la mesure, mais des réseaux dépendants de ces riches. En fait, les non-riches ne comprennent pas que la seule manière de ne pas « sauver les riches » est d’assumer les risques associés aux riches avec lequel ils choisissent de faire affaire. Dans ce cas, les riches ne seront pas sauvés, mais eux non plus.

  • ces gens ne sont pas trop logique: dans coté, ils voient que les états ont tendance à être au service de l’élite possédante mais d’un autre côté, ils glorifient l’état et ils veulent plus d’état. c’est un peu paradoxal. si ils étaient logiques, ils devraient demander moins d’état. l’état est un instrument qui sert à pérenniser la domination d’une partie de la population sur l’autre au travers du monopole de la force. inévitablement, l’état sera toujours au servir des personnes qui contrôlent cet état. et comme ces personnes sont des êtres humains ils auront tendance à utiliser le pouvoir de l’état pour leurs intérêts personnels et ceux de leurs proches. plus un état intervient dans l’économie, plus il de corruption et de capitalisme de connivence

  • d’un point de vue logique, il n’est pas anormal que l’état profite à ceux qui le financent (impôts). c’étaient ce point de vue que défendaient les défenseurs de la démocratie censitaire. l’état est au service de ceux qui le financent. bien sûr, personnellement je ne défends pas du tout ce point de vue. pour moi, le meilleur s’est un état limité aux fonctions régaliennes (et un filet minimal de survie, une sorte d’état providence très minimal) avec une flat tax (où seuls les plus pauvres ne payent pas d’impôts). je ne trouve quand même pas très normal
    le système actuel où certains (indépendans, petits entrepreneurs,….) qui payent le plus d’impots et de taxes sont ceux qui ont le droit le moins aux services publiques tandis que ceux qui profitent le plus de l’état ne payent pas d’impôts ou payent le moins (le cac 40, les assistés,…)

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