Comment la politique monétaire de la BCE exacerbe les inégalités en France

Ce n’est pas l’économie de marché, mais la politique monétaire qui est à l’origine de l’injustice sociale

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 1
Source : Flickr

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Comment la politique monétaire de la BCE exacerbe les inégalités en France

Publié le 13 octobre 2023
- A +

La politique monétaire expansive de la Banque centrale européenne s’accompagne depuis plus de deux décennies d’une inflation disproportionnée des prix des actifs.

Cette forme grave d’inflation n’est toutefois pas prise en compte dans l’indice des prix à la consommation harmonisé, et n’impose donc pas de limites à la politique monétaire. Tant que les prix à la consommation n’augmentent pas trop rapidement, la masse monétaire peut être élargie, en dépit de la hausse vertigineuse des prix des actifs, en premier lieu des biens immobiliers.

Cela a des conséquences sociales importantes, que l’on peut déjà observer en France.

 

Le capitalisme, responsable des inégalités de patrimoine ?

De nombreux détracteurs du capitalisme font référence aux prétendues distorsions sociales que le système engendrerait. Selon eux, le capitalisme conduit à une répartition injuste des revenus et des richesses. De nombreuses personnes ne peuvent pas profiter des avantages du système. Elles sont laissées pour compte et s’appauvrissent au sein d’une économie par ailleurs prospère.

Ce diagnostic est vrai si l’on considère que le mot « capitalisme » ne désigne rien d’autre que notre système économique actuel.

L’erreur réside dans le fait que les critiques pensent que notre système s’apparente à une économie de marché à l’état pur. Ce n’est pas le cas. Nous vivons au mieux dans un capitalisme d’État dominé par la politique, dans lequel les mécanismes de marché sont autorisés s’ils ne font pas trop obstacle aux intérêts politiques particuliers. Notre système économique est marqué par l’interventionnisme étatique. Et dans aucun autre domaine, les interventions ne pèsent plus lourd que dans le système financier et monétaire.

Les évolutions indésirables de notre époque ne peuvent donc pas être automatiquement attribuées à l’économie de marché. Les causes des problèmes sont souvent ancrées dans la politique. En ce qui concerne les questions de répartition des richesses et de mobilité sociale, il ne fait aucun doute que l’inflation des prix des actifs, qui résulte en majeure partie de la politique monétaire, joue un rôle décisif.

 

La politique monétaire fait le jeu des riches

Une politique monétaire axée sur l’inflation, même s’il ne s’agit que d’une inflation moyenne de 2 %, créera d’elle-même les incitations qui conduiront à une inflation disproportionnée du prix des actifs.

Dans un environnement inflationniste, toute personne souhaitant protéger ses économies se tournera davantage vers des formes d’investissement qui protègent de l’inflation. C’est pourquoi la demande d’actions et de biens immobiliers augmentera de manière excessive. Leurs prix augmenteront donc de manière disproportionnée. Les prix à la consommation et les revenus des ménages sont à la traîne de l’inflation des prix des actifs.

L’inflation disproportionnée des prix des actifs a un effet direct sur le fossé entre les riches et les pauvres. Les ménages qui possèdent des actions et des biens immobiliers sont avantagés par l’inflation. Les ménages qui ne sont pas dans cette situation privilégiée sont laissés de côté. Il leur est de plus en plus difficile de rejoindre le reste de la société. La mobilité sociale vers le haut en pâtit.

En France, cette évolution peut être documentée par le rapport entre le patrimoine et le revenu annuel total.

Depuis l’introduction de l’euro en 1999, les prix de l’immobilier en France ont commencé à augmenter de manière disproportionnée – de plus de 100 % en seulement huit ans. Dans le même temps, le patrimoine a augmenté par rapport aux revenus.

Au milieu des années 1990, ce rapport était encore de 3,5, ce qui signifie que le patrimoine total, mesuré en valeur monétaire, était 3,5 fois plus important que le revenu annuel de la population française.

Jusqu’à la crise financière, ce chiffre est passé à six, non pas parce que davantage de richesses ont été créées en termes réels par rapport aux revenus, mais parce que les prix des biens patrimoniaux existants, à commencer par l’immobilier, ont tellement augmenté.

Ensuite, tant les prix de l’immobilier que le rapport patrimoine/revenu ont stagné pendant un certain temps. Ces dernières années, ils ont de nouveau augmenté.

Entre 2016 et 2022, les prix de l’immobilier ont encore augmenté de plus de 30 %. Le rapport patrimoine/revenu est passé à près de sept.

 

évolution du ratio patrimoine revenu en France

 

À quoi bon travailler et épargner ?

Qu’est-ce que cela signifie ?

Plus le rapport entre le patrimoine et les revenus courants est élevé, plus l’ascension sociale est difficile, toutes choses égales par ailleurs.

Imaginez une jeune famille issue d’un milieu modeste. Elle n’hérite pas d’un patrimoine important et perçoit un revenu moyen. Avec un taux d’épargne de 10 %, il faudrait 35 ans pour atteindre le niveau de richesse moyen de la société – en supposant que le rapport entre la richesse et les revenus soit de 3,5. Ce n’est pas facile, mais possible à réaliser en une vie de travail. Nous supposons dans ce calcul que 10 % des revenus sont mis de côté chaque année et ne subissent pas de perte de valeur due à l’inflation.

Mais si le rapport patrimoine/revenu est de 6 ou même de 7, comme c’est le cas aujourd’hui en France, il faudra 60 à 70 ans pour atteindre le niveau de patrimoine moyen. Ce n’est pas réalisable au cours d’une vie de travail normale. Il faut soit obtenir un revenu supérieur à la moyenne, soit épargner de manière excessive, et donc renoncer davantage à la consommation pour pouvoir rejoindre la moyenne sociale.

Dans ce contexte, on comprend pourquoi l’angoisse existentielle et le sentiment de décrochage sont de plus en plus répandus, notamment chez les jeunes. Le mécontentement envers le système augmente également.

Mais le système n’est pas une économie de marché à proprement parler. La mobilité sociale en France a effectivement souffert. De nombreuses personnes sont de plus en plus délaissées sur le plan économique. Ce n’est pas dû à des forces du marché, mais à l’interventionnisme monétaire qui, par le biais de l’inflation, favorise une redistribution perverse du bas vers le haut.

Cet article vous a plu ? Retrouvez son auteur dans un entretien long format accordé à Contrepoints Podcast, au micro de Pierre Schweitzer. Il y est question des banques centrales et des nombreuses controverses qui les entourent depuis leur création. Pensez également à vous abonner au podcast sur votre plateforme préférée ou encore sur Youtube pour ne pas manquer les prochains entretiens.

Voir les commentaires (6)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (6)
  • Nous vivons effectivement en France dans un capitalisme d’État, appelé jusqu’en 1990 communisme ou dictature du prolétariat.

  • Il est vrai que, lorsque l’on prend la peine de lire les annonces immobilières, il est patent que les prix sont ahurissants et, pas seulement à Paris. C’es franchement décourageant et frustrant pour les jeunes qui veulent s’installer, célibataires ou en couple ! Ceci est valable non seulement pour l’achat mais également pour la location.

    • Et pire encore, c’est cher pour l’occupation et encore plus pour la possession. Charges, impôts, redevances, taxes, obligations de diagnostics et de travaux, etc. bouffent l’argent qui devrait servir à rembourser le prêt.

  • Et on oublie de dire que dans ce pays, quand on a la niaque, que l’on a un revenu supérieur à la moyenne, on se fait littéralement massacrer par les prélèvements!
    J’en sais quelque chose, je viens d’une famille modeste, n’ai hérité d’aucun patrimoine, pas même un livret jeune, je travaille dur pour m’en sortir et avoir un revenu confortable, mais suis en permanence jalousé et surtaxé. Quand j’ai besoin d’un service public, du style crèche, centre aéré, on me répond que je peux payer alors ça donne le droit de se faire massacrer.

    Très franchement, il ne faut pas s’étonner que les forces vives de ce pays réfléchissent à s’expatrier là où ceux qui vulgairement se “sortent les doigts du c*l” peuvent accéder à un ascenceur social.

    • Entièrement d’accord avec vous. C’est le cœur lourd que j’incite mes enfants, en études supérieures, à aller voir le marché du travail hors de France…

  • inégalité =mauvais?

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Ouf, François Bayrou peut respirer ! Il reste Premier ministre pour un petit moment encore. Quoique adopté sans vote grâce à l'article 49.3 de la Constitution, le Projet de loi de finances (PLF 2025) révisé par ses soins après les déboires du PLF Barnier n'a pas abouti à la censure de son gouvernement. Il faut dire que depuis sa nomination à Matignon en décembre, M. Bayrou n'a pas ménagé sa peine pour faire plaisir au Parti socialiste (PS) quoi qu'il en coûte.

Ce dernier, satisfait du bout des lèvres des "concessions" budgétaires obten... Poursuivre la lecture

Des leçons utiles et passionnantes, pour y voir plus clair sur quelques-unes des grandes questions économiques contemporaines.

Douze ans après ses 8 leçons d’histoire économique, Jean-Marc Daniel nous propose 10 nouvelles leçons. Toujours avec l’idée qui lui est chère que les événements qui se produisent paraissent souvent inédits, exceptionnels, voire particulièrement dramatiques, à ceux qui les vivent. Ces derniers omettant toutefois que, dans nombre de situations, les leçons du passé auraient p... Poursuivre la lecture

Les Français ont redécouvert avec surprise, il y a quelques années, l’inflation, qui avait presque disparu depuis une génération. Ils en ont vu les conséquences sur leur pouvoir d’achat, leur épargne ou les taux d’intérêt de leurs emprunts. Certes, presque partout dans le monde, l’inflation a récemment diminué, mais elle n’a pas disparu et peut revenir en cas de dérapage monétaire ou d’une gestion budgétaire trop laxiste. Selon l’OCDE, l’inflation est encore en 2024 (communiqué du 4 septembre) de 5,4% en moyenne, de 6,7% pour le G20 e et de 2... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles