Puissance publique et contrat social, une incompatibilité organique ?

Le « contrat social » étatique n’est en fait qu’un système de loi du plus fort.

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Puissance publique et contrat social, une incompatibilité organique ?

Publié le 6 janvier 2015
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Par Ferghane Azihari

contrat socialLes institutions étatiques modernes aiment affirmer leur raison d’être en invoquant l’existence d’un contrat. Pourtant, un examen minutieux de ces définitions ainsi que du fonctionnement des dites institutions peut légitimement remettre en question la nature contractuelle des puissances publiques.

 

Définir le contrat social

Un contrat est un accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes. La volonté étant la faculté d’exercer un choix libre, le libre-consentement est une condition sine qua non à la formation d’un contrat.

Le contrat social est un contrat d’association par opposition au contrat d’échange. Là où le second s’attache à garantir le transfert de biens et de services entre deux ou plusieurs personnes, le premier permet d’agréger des biens, des droits ou encore des libertés afin de les exercer dans le cadre d’une société.

On le voit dans cette définition, le contrat social sollicite la liberté deux fois.

Une fois dans sa formation (le libre-consentement inhérent à l’accord de volonté) ainsi qu’une seconde fois dans sa finalité (l’agrégation de droits & libertés dans l’objectif de les exercer en société).

La liberté étant inaliénable, l’agrégation des droits et libertés ne saurait être irrévocable. Concrètement, une société aux assises véritablement contractuelles ne peut pas empêcher ses membres de rompre le contrat d’association. La personne contractante est donc libre de quitter la société indépendamment de la volonté de celle-ci.

 

Définir l’État

L’État est une institution, c’est-à-dire un système de relations sociales, qui se différencie des autres par la détention de la souveraineté. La théorie dominante de la souveraineté tend à présenter cette notion de la manière suivante.

Il s’agit d’un pouvoir politique absolu qui s’exerce sur un territoire et une population. Parce que cette puissance est absolue, elle n’a d’autre justification qu’elle-même. Difficile de qualifier de « contractuelle » une puissance qui se dit absolue et non relative à la volonté des membres qui composent ladite institution. Ceci dit, cette théorie est bel et bien vérifiée dans les faits dans la mesure où les entités qui composent les États souverains n’ont pas le droit de rompre le contrat d’association (faire sécession) de leur propre chef. Le droit de faire sécession est dans tous les cas subordonné à l’autorisation préalable du pouvoir central.

Si l’Écosse a récemment pu organiser un référendum sur son avenir au sein du Royaume-Uni en toute sérénité, c’est parce qu’Édimbourg a eu l’autorisation de Downing Street.

Si la Catalogne a aujourd’hui tant de difficulté pour affirmer son indépendance, c’est parce que Madrid n’en veut pas.

 

Le contrat social étatique, un oxymore

L’effectivité de la Constitution d’un État souverain sur un territoire ne dépend donc pas de la volonté des collectivités-membres. Cet aspect non-contractuel de l’État souverain est également soutenu et maintenu par le droit international public. Rien d’étonnant a priori puisque celui-ci est produit par et pour les États en vue de protéger leurs intérêts, autrement dit leur souveraineté.

Rappelons en effet que la sécession unilatérale ne peut être, en droit international, légitimée qu’à trois conditions qui sont cumulatives.

Tout d’abord, les sécessionnistes doivent être un peuple au sens ethnographique du terme (sans doute peut-on y voir l’influence de l’idéologie nationaliste).

Ensuite, l’État dont le peuple fait sécession doit commettre des violations significatives des droits de l’Homme à son égard.

Enfin, aucun recours interne ou international n’est possible.

La rigidité du processus sécessionniste est accompagnée d’une grande incertitude. Car si ces conditions peuvent servir de fil directeur aux États tiers afin de jauger l’opportunité de reconnaître une nouvelle entité qui prétend au statut d’État souverain, elles ne constituent nullement des garanties juridiques vis-à-vis de l’État dont l’autorité souveraine est contestée. Dans ce cas de figure, l’aboutissement des requêtes sécessionnistes ne dépend que de rapports de force politiques asymétriques. Le « contrat » social étatique n’est en fait qu’un système de loi du plus fort.

 

Face à la puissance publique étatique, la puissance publique non-étatique

Résumons. La Constitution qui régit le pouvoir étatique n’a d’autre justification qu’elle-même. Cet aspect est en totale contradiction avec l’hypothèse d’une puissance contractuellement fondée. On peut dans ces conditions légitimement remettre en question la raison d’être des puissances publiques étatiques ainsi que des politiques qu’elles mettent en œuvre. Et il est vrai que d’un point de vue purement théorique, il n’y a absolument rien qu’une association privée ne puisse pas faire au moins aussi bien qu’une administration publique, y compris dans les domaines que notre imaginaire collectif tend mécaniquement à étatiser comme « l’intérêt général », « l’utilité sociale », ou encore la solidarité.

Il faut cependant se montrer pragmatique en attendant que la société civile développe une culture autogestionnaire propice à l’anarchie. Il y a lieu de considérer que l’on peut très bien imaginer des politiques publiques avec une assise beaucoup plus contractuelle. Ceci est tout à fait envisageable si l’on prend l’exemple des organisations intergouvernementales. Parce que leur fonctionnement est régi par des traités et non des Constitutions, leur existence ainsi que leur autorité sont beaucoup plus subordonnées à la volonté des entités-membres.

Si demain l’État français désire révoquer les traités qui fondent l’autorité de l’Union européenne, il peut le faire sans rendre de compte à ses partenaires. Il n’est pas certain que les régions jouissent des mêmes privilèges vis-à-vis de la République française. Un des moyens d’augmenter le contrôle démocratique et la teneur des contre-pouvoirs vis-à-vis des puissances publiques est donc de remplacer les Constitutions par des traités constitutionnels et les États par des institutions intergouvernementales, ce qui implique des souverainetés beaucoup plus localisées.

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  • La non-contractualité d’un état est précisément ce qui définit un état en tant que tel, non ? Et en ces temps de positivisme juridique débridé, la seule justification retenue pour se passer du consentement des gens c’est la loi du plus fort déguisée en loi du plus nombreux.

  • le contrat social n’existe tout simplement pas. c’est juste un mythe. pour qu’il y ait un contrat il faut que tous les parties soient d’accord pour faire le contrat or cela n’a jamais été le cas

  • Un Etat n’est pas un « un système de relations sociales » mais un Code de pratiques verticales (domaine régalien). Dans un système utopique libéral, il se limite à ça ; dans un système « socialiste », il prend en charge les pratiques horizontales. Quand il s’affaiblit il essaie de survivre en prospérant dans le sociétal. Nous y sommes.

  • Le pouvoir est nécessaire, car pour vivre en société, il faut bien établir des règles et les faire respecter.
    Mais le pouvoir doit être légitime, si non il n’est que tyrannie. Il appartient évidemment aux membres de la société d’apprécier cette légitimité, ce qui implique des processus collectifs de prise de decisions. Ces processus constituent les institutions politiques. Celles-ci ont donc bien une justification en dehors d’elles-mêmes.
    Le referendum permet de légitimer ces institutions, qui peuvent être amendées par la même voie.

    Je ne crois pas que l’expression « loi du plus fort » rende justice à ces processus.

    • Je suis entièrement d’accord avec vous!

      Une des grandes faiblesses de l’anarchisme (de gauche ou de droite) est la croyance insensée qu’une société puisse exister sans pouvoir (ce que d’aucuns appellent le politique). L’anthropologie nous apprend en effet qu’il n’y a jamais eu, même dans les sociétés dites « primitives » ou « traditionnelles », de société sans pouvoir : celui-ci est un des rares universaux de la condition humaine.

      • Au contraire, l’anthropologie nous apprend que l’autorité coercitive n’est pas consubstantielle au fait social. Cf par exemple les travaux de E. E. Evans-Pritchard ou de Pierre Clastres.

        • Les grandes civilisations, dont la notre, sont peut être un modèle plus pertinent que les sociétés primitives de chasseurs cueilleurs…

          • Si les « grandes » civilisations sont incapables de se passer du monopole légal de la contrainte, alors peut-être sont-elles plus primitives qu’elles ne l’admettent. 😀

            • Je préfère le monopole légal de la contrainte d’un état libéral et démocratique à une anarchie de bandes se disputant par les armes des parts du marché de la contrainte dans nos rues.

              • Je trouverai bien (jugement personnel) un développement du vouvoiement. Le tutoiement ressemble à une machine de guerre (tu tu ) et en plus recevoir les postillons salivaires c’est incorrect. L’insulte de l’autre ne fait pas partie des conditions humaines. (ceci est un jugement personnel).

        • @Ferghane

          Le pouvoir a trois fonctions : légiférer, juger et gouverner (prendre des décisions). A ces titres, il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais de société sans pouvoir, et tout pouvoir comporte une dimension de coercition, plus ou moins prononcée. Je connais les travaux de Clastres : jamais il n’a dit le contraire ; il suffit de lire son admirable « Chronique des indiens Guayaki » pour en être persuadé.

          Autre chose est la question de l’exercice du pouvoir. A cet égard, pour Clastres, les chefferies indiennes qu’il a étudiées sont des sociétés non pas sans pouvoir ni coercition, mais contre l’Etat, à savoir contre une instance SEPAREE de la collectivité et instituée de manière à assurer constamment cette séparation.

        • Tout dépend de ce que vous entendez par autorité coercitive : la morale, les traditions, le regard social, les habitudes, le cantonnement au options connues, le manque de moyens pour explorer l’inconnu font office d’autorités coercitives ‘inconscientes’, préhistoriques dans le sens d’historiquement plus anciens que la mise en place d’autorités coercitives ‘conscientes’, décrites et écrites.

      • Depuis quand l’anarchie est l’absence de pouvoir?

  • la relation humaine dans une société patriarcale doit se développer. Le dire, comment se parler pour accepter l’autre. Comment parler pour se faire accepter. Nous sommes bien dans une société patriarcale. Le père est le chef du ménage. Est cela qui conditionne notre société ?

  • Désolé, belle tentative de récupérer le libéralisme mais non. Le contrat social, comme le contrat national, comme le contrat civil sont au cœur du libéralisme. On n’est pas citoyen de fait (ce qui est un précepte gauchiste inaceptable : on ne naît pas avec un tatouage qui indiquerait sa nationalité, ça citoyenneté, sa classe sociale, même si on le croit ou qu’on le déplore …) mais on est citoyen de choix, de droit.

    C’est clair que cela est plus facile à comprendre quand on débarque sur Elias Island au XIX eme que quand on a été lobotomisé depuis des siècles.

    Le libéralisme n’est pas l’anarchisme et prendre comme référence l’Etat socialiste et sa haine pour celui-ci pour essayer de faire un hold-up est assez malhonnête.

    • Personne ne dénigre ici la notion de contrat social, contrairement à ce que votre commentaire sous-entend. Simplement, l’État n’a fait qu’usurper cette notion. J’ai essayé de démontrer en quoi le libre-consentement n’existe pas dans le cadre d’un État souverain. Essayez donc de démontrer le contraire.

      PS : la nation est tout sauf un concept libéral.

      • Je l’ai fait dans mon premier message.

      • Je ne parle pas de dénigrement, mais de récupération.

        Le respect du contrat est la définition même, la raison d’être de la souveraineté.

        Ce n’est pas parce que la souveraineté a été dévoyé dans un sens collectiviste (et j’adhère à votre critique de cette usurpation) qu’il faut la dévoyer dans un sens individualiste ou la réduire à néant.

        La souveraineté n’est pas le pouvoir, mais le droit d’exercer le pouvoir.

        La démocratie n’est pas le pouvoir au peuple, mais le contre pouvoir au peuple.

        Qu’importe le pouvoir, pourvu qu’il soit le plus efficace possible (collectiviste ou individualiste, puissant ou faible) et sous contrôle.

      • Nation, dans le sens de groupe humain constituant une communauté politique, établie sur un territoire défini et personnifiée par une autorité souveraine.

        Au sens anarchiste, l’autorité n’est pas reconnue.

        Au sens libéral, l’autorité souveraine est l’incarnation de la souveraineté, l’autorité en charge du respect du contrat social (et non en charge de la définition de celui-ci), ce qui est tout à fait possible, à la condition exclusive que le contrat soit bien un contrat librement consenti et non une obligation.

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