Par Francis Richard.
En mécanique l’inertie s’oppose au mouvement d’un corps solide. Il faut la vaincre pour lui faire acquérir de la vitesse. Quand quelqu’un tombe en inertie, c’est, bien sûr, dans un sens figuré de ce principe physique.
Béatrice Lüthi, l’héroïne d’Inertie, le roman de Dunia Miralles, souffre de solitude. Elle lui pèse tellement qu’elle n’a pas d’autres envies que de regarder la télé (les émissions de télé-achat ou les séries) ou de fumer une tige ou de faire les deux choses à la fois. Elle n’a pas d’entrain pour les tâches ménagères, qu’il s’agisse de faire la vaisselle ou de s’occuper de son linge sale. Elle en fait le moins possible. Elle n’est pas complètement inerte, mais c’est tout juste.
Béa néglige son apparence. Comme elle ne s’épile plus, elle est poilue comme un singe. Béa néglige sa santé. Comme elle oublie de prendre ses médicaments, elle a une perpétuelle mauvaise toux. Béa néglige son alimentation et ne mange pas tous les jours, faute d’avoir fait les courses ou d’avoir de l’appétit. Comme elle se nourrit alors de boîtes de conserve sans les réchauffer, à même le contenant, elle en digère mal le contenu.
Tout ce à quoi elle aspire c’est à la tranquillité. Les coups de téléphone l’insupportent, de même que les visiteurs ou visiteuses qui sonnent à sa porte. Il faut dire à sa décharge que les démarchages téléphoniques sont incessants et que ce sont la plupart du temps des importuns qui frappent à son huis, situé dans un immeuble peuplé d’écorchés de la vie, tox, immigrés, couples en dispute permanente, concierge se mêlant de tout, vieille acariâtre etc.
Que lui est-il arrivé pour qu’elle tombe ainsi en inertie, pour qu’elle tombe si bas ? Elle a eu un compagnon, Patrick, mais elle en parle au passé. Elle a eu une mère, qui vit à Lausanne alors qu’elle habite dans le Jura horloger, mais elle ne peut plus l’appeler autrement que Liliane, laquelle vit maintenant avec Monsieur Chappuis. Elle a eu un job, mais elle l’a perdu la crise venue, après avoir subi un mobbing, et vit dès lors de l’aide sociale.
Dans une telle situation, noirissime, un rien peut permettre de remonter la pente. En l’occurrence, ce ne seront pas des riens qui vont le lui permettre. Car, une enfant, Prune, l’enfant qu’elle n’a pas eue, la fille métisse d’un couple de tox de l’immeuble qui la lui ont confiée pour un temps, et un homme, Fulvio, que sa femme a quitté en lui enlevant sa fille et qui s’en console dans ses bras, lui redonneront goût au mouvement de la vie et la remettront en branle, ne serait-ce que l’espace d’un été de canicule.
Ce livre, violent par les faits et les pensées qu’il raconte, et par la langue d’écorchée vive, au sens propre et au figuré, de Béa la narratrice, confirme la précarité de l’existence et n’incite guère à l’optimisme.
Peut-être Béa se convainc-t-elle tout de même un peu trop qu’elle fait partie de ces personnes qui n’ont pas droit au bonheur, et se contente-t-elle un peu trop facilement de désigner des boucs émissaires aux malheurs qui lui arrivent.
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Dunia Miralles, Inertie, L’âge d’homme, 280 pages.
Il suffit parfois d’un nouveau président pour perdre goût à la vie…