Les inégalités sont-elles condamnées à augmenter dans l’économie numérique ?

La révolution numérique conduirait à une accélération de la productivité, détruisant les postes des salariés les moins qualifiés.

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Big data (Crédits : Infocux technologies, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

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Les inégalités sont-elles condamnées à augmenter dans l’économie numérique ?

Publié le 2 décembre 2014
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La révolution numérique conduirait, selon la thèse défendue par l’économiste Erik Brynjolfsson, à une accélération de la productivité, détruisant les postes des salariés les moins qualifiés et récompensant de façon démesurée les génies des nouvelles technologies. Décryptage.

Par Erwan Le Noan
Un article de Trop Libre

big data credits infocux technologies (licence creative commons)

Les inégalités et leur évolution sont, chacun l’aura noté, l’un des sujets récurrents d’actualité dans la crise économique que nous traversons depuis quelques années. Tout récemment encore, l’INSEE a montré « qu’alors que les inégalités de revenus salariaux baissent globalement entre 2002 et 2007, ce n’est plus le cas entre 2007 et 2012″ (pour l’anecdote : les inégalités entre les plus riches se réduisent ; c’est entre la classe moyenne et les moins fortunés qu’elles se creusent). Le sujet pourrait toutefois être bien plus structurel : aux États-Unis, une réflexion académique émerge pour se demander si les nouvelles technologies ne seraient pas des facteurs durables d’accroissement des inégalités.

La dernière livraison de la revue MIT Technology Review y consacre ainsi sa une et un long développement. Les explications sont de trois ordres.

D’abord, il y a le contexte macroéconomique : la stagnation des salaires américains, la prime de rémunération accordée aux diplômes (ce que les économistes appellent « education premium »), la mondialisation…

Ensuite, il y a la récompense des salariés les plus qualifiés. C’est (sommairement) la thèse de Thomas Piketty : pour l’économiste français, si la loi de l’offre et de la demande joue en partie dans cette rémunération des talents rares, cela n’explique pas tout.

Enfin, il y a l’automatisation. C’est la thèse défendue par Erik Brynjolfsson. L’économiste considère que les robots vont remplacer les hommes, et l’emploi dépérir. La révolution numérique conduirait ainsi à une accélération de la productivité, détruisant les postes des salariés les moins qualifiés et récompensant de façon démesurée les génies des nouvelles technologies (on parle d’« economics of superstars » : les premiers à réussir raflent tout).

La thèse est forte, parce qu’elle semble indiquer que les inégalités ne vont cesser de croître. Elle peut pourtant être contestée. Des économistes comme Daron Acemoglu et David Autour n’y croient pas : selon leurs recherches, le numérique n’accélère pas la croissance de la productivité.

Cette thèse est également à modérer. Bradford Delong, économiste de Berkeley, montre ainsi que le numérique a contribué au contraire à réduire les inégalités, en permettant à chacun d’avoir accès à des prestations qui étaient auparavant réservées aux plus riches. Comme il l’écrit : « au XVIIe siècle, si vous aviez désiré assister à Macbeth bien confortablement installé chez vous, il vous aurait fallu vous appeler James Stuart, disposer de la présence sur place de William Shakespeare et de sa troupe de comédiens, et posséder un théâtre à l’intérieur même de votre palais royal ». Aujourd’hui, vous utilisez votre tablette ou votre télévision.

D’autres économistes avaient montré que la diffusion des nouvelles technologies pourrait réduire également les inégalités internationales, en favorisant le développement économique des pays les plus défavorisés.

Si tant est que l’on souhaite réduire les inégalités (ce qui n’est pas nécessairement évident), l’analyse choisie détermine les conséquences politiques à en tirer. Dans la version Piketty, le meilleur instrument est l’impôt. Dans la version Brynjolfsson, c’est l’éducation qui peut contribuer à élever le niveau de formation de chacun.

Il reste également une autre piste : celle de la concurrence, comme le défendait John Cochrane dans le Wall Street Journal la semaine dernière, en dénonçant le « capitalisme de copinage » (« crony capitalism »). En faisant en sorte que toutes les positions soient contestables par le mérite, en agissant pour que l’économie soit plus fluide, la puissance publique ouvrirait la voie à des ascensions économiques pour tous…


Sur le web.

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  • Piketty et Brynjolfsson se trompent tous les deux, surtout le premier.
    Ce qui pourrait limiter les inégalités, ou du moins améliorer le sort des plus bas revenus, ce serait l’abandon de l’État-providence et le retour au capitalisme pur – avec une monnaie stable, donc très, très loin de ce que nous connaissons.

    Le capitalisme pur fait baisser les prix et améliore le niveau de vie des plus faibles.
    Il récompense l’épargne, donc favorise l’investissement, dont l’éducation.
    Il n’enrichit pas indûment la finance ni les clientèles politiques.
    Il rend le pouvoir à la société civile, donc développe la charité, et améliore le sort des plus pauvres qui, par ailleurs, peuvent trouver du travail et donc progresser.

    L’option Picketty, c’est l’emploi de la force brute.
    En affaires humaines, elle produit invariablement le contraire des bonnes intentions.
    La perversion ne peut pas être mise au service du bien.

  • Le numérique n’est qu’un outil qui ne fait que répondre à l’extension du commerce international.
    La robotisation est un sujet que j’étudie depuis plusieurs années déjà, effectivement, les robots prendront la place des hommes partout ou ils sont présent. C’est un problème épineux, à l’identique des délocalisations de productions occidentales qui se faisaient fortes de réaxer l’emploi vers les services, ce qui non seulement fut une erreur mais une insulte faite au pays émergements supposés incapables de concevoir des produits technologiques.
    A moins que l’occident ait envisagé de perdurer une ère colonialiste ou veuille maintenir des pays dans un état de pauvreté suffisante pour que ceux-ci ne soit que des employés seuls capables de concurrencer ceux des pays occidentaux… oubliez le chapitre précédent… c’est une mauvaise appréciation de ma part, ce ne saurait être réel.
    Il y a matière à réflexion, il ne fait nul doute (au sujet des robots).

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