Par Philippe Guglielmetti
L’excellent livre du neurologue que je viens de dévorer s’appelle Pourquoi les filles sont si bonnes en maths et 40 autres histoires sur le cerveau de l’homme, mais le seul reproche que je lui ferai concerne justement ce titre marketing qui dénature l’une des 40 histoires intitulée « Les filles (ne) sont (pas) nulles en maths ».
Les 40 histoires thématiques et peu dépendantes les unes des autres sont courtes, écrites sous forme de dialogue « question – réponse », ce qui les rend très accessibles au public non scientifique (juste quelques noms de parties du cerveau ça et là), et regroupées en 6 chapitres :
1 – Histoires de mémoires (sur les amnésies)
2 – Histoires d’enfants (sur l’apprentissage)
3 – Histoires morales et dégoûtantes
4 – Histoires de voir (sur l’importance de la vision)
5 – Autres histoires de cerveau
6 – Histoires de médecine et choses utiles
Chaque histoire se réfère à des expériences scientifiques récentes ou des cas de patients répertoriés dont le lecteur curieux peut trouver les références dans les dernières pages du bouquin. Voici les histoires que j’ai préférées (spoiler alert…), avec les références scientifiques copiées du livre en fin d’article.
Parfois, plus que les résultats eux-mêmes, c’est l’ingéniosité des expérimentateurs qui étonne. Par exemple, dans « les records d’une tête de linotte », les scientifiques ont donné à des cassenoix d’Amérique des cacahuètes et des petits vers dont ils sont friands qu’ils sont ensuite allés cacher une fois repus. Les oiseaux une fois relâchés, après une courte période, allaient majoritairement chercher les vers, alors que ceux relâchés plus tard « savaient » que les vers ne seraient plus là et sont allés chercher les cacahuètes, démontrant ainsi que ces oiseaux mémorisent l’emplacement de leurs cachettes non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps.
L’importance d’une bonne expérimentation apparaît aussi dans « douze bonbons valent mieux que quatre ». Une célèbre expérience conduisit Jean Piaget à affirmer que la notion de nombre abstrait n’apparaît que vers 7 ans. Mais en reproduisant l’expérience en 1967 avec des bonbons plutôt que des cailloux, on s’aperçut que dès 2 ans déjà un enfant sait très bien qu’il y a plus de bonbons sur la ligne où on en a serré 12 plutôt que sur celle où il y en a 4 très espacés. Plus récemment encore, on a montré que des bébés associent déjà un nombre de syllabes répétées comme « babababa » plutôt à un groupe de 4 objets qu’à un groupe de 8.
En passant, il n’y a pas que les oiseaux, les bébés et moi dont le comportement dépend de l’appétit. L’histoire du « petit déjeuner du juge » montre que des décisions de justice sont systématiquement et fortement influencées par l’heure à laquelle elles sont prises. C’est peut-être la plus effrayante des expériences relatées dans ce livre…
Le chapitre « Histoires de voir » m’a particulièrement intéressé parce qu’Annick travaille avec des enfants et jeunes aveugles et malvoyants. Toutes les histoires de ce chapitre sont passionnantes, mais j’ai une préférence pour l’histoire de la dame aveugle depuis l’enfance et virtuose du Braille victime d’un AVC. Depuis, elle ne peut plus du tout lire le Braille parce que la zone de son cerveau malheureusement touchée par son AVC est celle… de la vision [6]
Le chapitre que j’ai trouvé le plus intéressant est « imagination et maladie d’Alzheimer ». Il concerne le « réseau du repos » (« default mode network »), la partie du cerveau qui s’active quand nous ne faisons rien de particulier, quand nous ne nous concentrons pas sur une tâche particulière. Il semblerait que ce soit elle qui nous permet de rêvasser en nous projetant dans le passé ou le futur, ou ailleurs. Et c’est dans cette zone que la maladie d’Alzheimer provoque le plus de micro-lésions…
— Laurent Cohen, Pourquoi les filles sont si bonnes en maths et 40 autres histoires sur le cerveau de l’homme, Odile Jacob, 2012, 304 p.
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Merci pour cet article qui donne envie de dévorer ce livre.
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