Au nom de la liberté Armorique : la révolte des bonnets rouges en 1675

Les Bonnets rouges : pour financer la guerre de Hollande, Louis XIV lève de nouveaux impôts. C’en est trop pour les paysans bretons qui se soulèvent en 1675.

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Au nom de la liberté Armorique : la révolte des bonnets rouges en 1675

Publié le 27 juillet 2014
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Par Guirec Le Guen
Un article des Enquêtes du contribuable

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Le souvenir des Bonedoù ruz est resté vivace en Bretagne. La brasserie Lancelot a créé en 1998 une bière aux baies de sureau en leur honneur.

Nous sommes en 1675. Depuis quelques années, Colbert taxe beaucoup et un peu trop facilement. C’est ainsi qu’à partir de 1664, une dizaine de taxes nouvelles passeront en force. On taxe ainsi le tabac, la vaisselle d’étain ainsi que le papier timbré (nécessaire pour tous les actes notariaux ou judiciaires). Il est même question d’instaurer la gabelle là où elle n’a jamais été payée. Plus grave encore, ces taxes sont imposées au mépris des droits et des lois propres aux provinces. Le résultat ne se fait guère attendre. Dès le 26 mars 1675, des émeutes éclatent à Bordeaux, puis le mouvement gagne Nantes et Rennes où des bureaux sont mis à sac.

Du papier timbré aux Bonnets rouges et bleus

A la vérité, il ne s’agit encore que d’un lever de rideau. Le mouvement va bientôt s’emballer, surtout en Bretagne occidentale. L’embrasement de la Bretagne s’explique assez facilement. La péninsule armoricaine traverse une crise profonde. Naguère important producteur de textiles (l’un des plus gros pourvoyeur de voiles pour les navires européens), le vieux duché voit ses marchés traditionnels (Angleterre, Hollande, Espagne) se fermer peu à peu à la suite des guerres. Et le déclin ne fait que commencer. Dans ce contexte, les nouvelles taxes pèsent fortement sur les populations rurales, d’autant plus que la petite noblesse, touchée elle aussi, en vient à se montrer de plus en plus avide et pointilleuse sur ses prérogatives.

Car il ne faut pas oublier que la fiscalité royale vient se rajouter à une fiscalité seigneuriale devenue encore plus lourde. Cette réaction nobiliaire est d’autant moins supportable que, d’une certaine façon, les gentilshommes relèvent de la même société que les paysans. Les fameux « codes paysans » – on le verra – ne sont pas l’expression d’une lutte de classe. Ils veulent au contraire rapprocher le petit peuple de ces mêmes gentilshommes. Cette complexité dans les rapports sociaux est assez bien résumée dans le parcours de celui qui deviendra le chef principal de la révolte : Sébastien Le Balp.

En 1675, Sébastien Le Balp a 36 ans. Fils d’un meunier de Kergloff (à côté de Carhaix, Finistère), il a suivi des études de droit à Nantes, études payées par le Marquis du Tymeur. Avec la dot de sa femme, il achètera une charge de notaire à Carhaix, mais ce début prometteur sera interrompu par une vilaine affaire. Complice dans une affaire d’escroquerie au bénéfice de la fille de son bienfaiteur (et au détriment d’un paysan), il sera incarcéré.

Lorsque la révolte atteindra la région, les paysans, qui arborent alors le bonnet rouge (les Bigoudens préfèreront le bonnet bleu) lui demandent de se mettre à leur tête. Le 6 juillet 1675, Le Balp mène le groupe d’insurgés qui attaque et pille le domicile du collecteur d’impôts de Carhaix. Cinq jours plus tard, ils sont plusieurs milliers à s’en prendre au manoir de Toussaint de Trévigny, en Poullaouen.

Jusqu’à la fin du mois d’août, les insurgés vont écumer le Poher et tout le centre de la Bretagne, assiégeant et pillant villes et châteaux (sans oublier les bureaux), et surtout arrachant la révision des exigences nobiliaires ou ecclésiastiques.

La fin de Sébastien Le Balp et la répression

Dans le même temps, les paysans révoltés mettent par écrit leurs revendications : ce sont les « codes paysans ». Ces revendications concernent essentiellement la fiscalité, tant seigneuriale que royale. Le thème de la « liberté Armorique » y est essentiel : il s’agit de maintenir les privilèges fiscaux de la Bretagne, tels qu’ils figuraient dans l’acte d’union de la Bretagne à la France en 1532.

Tout se terminera dans la nuit du 2 au 3 septembre 1675. Ayant appris que le duc de Chaulnes a fait envoyer les troupes royales, Sébastien Le Balp est venu demander de l’aide à Charles de Montgaillard, gendre du marquis du Tymeur et assez favorable aux revendications paysannes. Malheureusement pour lui, le frère de Charles de Montgaillard le tuera par derrière d’un coup d’épée mettant fin à la révolte. C’est l’heure de la répression. Cette répression sera féroce et hantera longtemps la mémoire bretonne. Hommes, femmes et enfants, rien n’échappe à la fureur des soldats du roi.

Evoquant les innombrables pendaisons, Chaulnes n’hésitera pas à dire : « Les arbres commencent à se pencher sur les grands chemins du poids qu’on leur donne ». De son côté, la Marquise de Sévigné racontera, dans sa lettre du 5 janvier 1676 : « Pour nos soldats, ils s’amusent à voler ; ils mirent l’autre jour un petit enfant à la broche ». La répression s’en prendra de façon plus symbolique aux églises bretonnes. En pays Bigouden, on peut encore voir certains clochers décapités sur ordre du roi à Pont-l’Abbé ou à Plonéour-Lanvern. A Rennes, un faubourg sera entièrement détruit et ses habitants chassés.

Financièrement, la note sera exorbitante. Les nobles et les religieux dont les biens ont été saccagés seront indemnisés plus ou moins à l’amiable, tandis que le Parlement de Bretagne, exilé à Vannes devra s’acquitter d’un subside extraordinaire de 500000 livres pour prix de son retour à Rennes en 1689. Les Etats devront accepter une substantielle augmentation du « don gratuit » et entériner toutes les demandes fiscales à venir du pouvoir royal. Enfin, les villes devront entretenir à leurs frais les troupes chargées de la répression, ainsi qu’une armée de 20000 hommes.

La liberté Armorique était définitivement enterrée. La Bretagne mettra près de trois siècles à s’en remettre.


Article extrait des Enquêtes du contribuable n°1 « Profession politicien » octobre-novembre 2013, 68 pages.

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  • La haine du pouvoir francais a l’encontre de la Bretagne date de bien avant l’anschluss, et ne s’est jamais dementie, monarchie, empire ou republique. « La Bretagne sera toujours l’ennemi hereditaire de la france » a dit colbert, justement.
    L’absence de respect n’en est qu’une expression basse, mais la permanence de ce mepris doit etre enfin admise par les Bretons. La france n’a jamais ete leur amie. Elle est et n’est que son maitre. Combien encore d’annees a etre enchaines a cet etat haineux ??

  • taxe foncière .taxe d habitation ,impots sur le revenu,TVA,et toutes les autres taxes ….pas de changement l etat a besoin d argent !!

  • En tant qu’historien breton, je confirme et félicite l’auteur pour son exactitude. J’avais fondé une revue d’Histoire de Bretagne en 1981 dont le titre était « Dalc’homp sonj! »= « souvenons-nous! »; C’était tiré de l’inscription commémorative de la bataille de Saint-Aubin-du- Cormier en 1488, défaite bretonne face aux troupes d’invasion françaises. C’est ce que beaucoup de Bretons font…trois siècles plus tard, les Bonnedou ruz sont toujours là!

  • Monsieur Le Honzec, Monsieur Stefan, je vous trouve un peu durs pour ce Colbert qui n’a pas, bien sûr, la sollicitude des Libéraux. Néanmoins, si l’on remet ses actions dans le contexte de l’époque, je ne suis pas persuadé qu’elles furent néfastes à la France lors d’un développement de l’industrie en Angleterre et en Hollande, quand la France restait aux manufactures. La concurrence était plus que rude.
    Pour ce qui est de l’impôt, Colbert arrivant à la charge des Finances, constatait que son rendement n’était guère plus que la moitié de sa collecte (Une pique certaine pour son prédécesseur) et qu’il convenait, pour les finances royales, d’optimiser l’assiette, de simplifier l’affermage, mais aussi d’étendre le champ de l’impôt. Les nouvelles gabelles pour les exemptés, le papier timbré des actes civils, les taxes pour quelques marchandises comme l’étain ont été effectivement très mal accueillies par une population qui considérait comme acquise depuis des siècles cette règle qui consistait par le pouvoir à ne pas taxer plus de 20% des ressources des sujets, sauf accord des Etats.
    Le bât blessa en Bretagne; à raison.
    Ces 20% eurent raison aussi de Louis XVI et de sa volonté d’obtenir une rallonge des Etats Généraux.
    Que penser aujourd’hui, Aotrou Le Honzec, des impôts directs ou indirects, taxes diverses sur tous les produits, et pas que le sel, les droits à tout document administratif qui nous volent allègrement plus des deux tiers de notre labeur.
    Monsieur Le Honzec, Monsieur Stefan, je suis Bigouden. Je ne renie pas la Bretagne ni la France. Je renie la République. (même avec un R majuscule)

    • Bonjour, cher Bigouden (Je suis du Bro-Erec, Pays d’Auray)
      Etant collaborateur de Contrepoints, je pense le plus grand mal des impôts infligés par l’état français. Etant Breton, je pense le plus grand mal de louis XIV, qui a (re)commencé la guerre de Cent Ans avec les Saozon villiget, provoquant la ruine de la Bretagne qui venait de connaître son « Age d’Or »( 1532-1675,titre du livre d’Alain Croix, éd.Ouest France, 1993). Breizh atao memestra!

  • Sans oublier le génocide de Conlie en 1871. Nous ne pardonnerons jamais à ces hommes politiques criminels et voleurs quand en plus ils se permettent de donner des leçons de démocratie aux autres pays.

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