Par Aurélien Véron et Philippe Briard [*]
Le discours de politique générale de Manuel Valls se place dans le prolongement du pacte de responsabilité annoncé en janvier par le président de la République. Davantage que Jean-Marc Ayrault, le nouveau Premier ministre parle de baisse de charges, réduction de la pression fiscale, soutien aux entreprises et à la compétitivité, et simplification du mille-feuille territorial. Rien de tout ceci n’est une surprise. Le Premier ministre avait annoncé la couleur dès 2010 dans son livre Pouvoir.
Les premières annonces n’en restent pas moins floues, et fragiles par leur étalement sur une longue durée. L’histoire récente nous a malheureusement appris à être sceptiques envers les mesures prenant effet après la mandature du président et des députés. La somme des réductions de dépenses annoncées pour l’État central, les collectivités territoriales et l’assurance-maladie ne correspond pas aux 50 milliards d’euros promis, mais peut-être faut-il attendre le budget rectificatif pour juger sur pièces. De plus, ces montants, même s’ils se concrétisaient, restent modestes ramenés aux 100 à 150 milliards de coupes budgétaires nécessaires pour amorcer une vraie inversion de tendance de la dépense publique, et par conséquent une baisse sensible de la pression fiscale capable de soulager les Français et les entreprises.
Par ailleurs, les réformes structurelles sont curieusement absentes du discours de politique générale. La simplification drastique du Code du travail et la suppression de professions protégées, qui seraient créatrices de centaines de milliers d’emplois, figurent pourtant parmi les préconisations d’économistes classés à gauche comme Pierre Cahuc, Gilbert Cette ou Philippe Aghion. Elles ne coûteraient que les voix des paléosocialistes de la majorité, mais rien au budget de l’État. Au contraire, la mise en œuvre de telles réformes libérales accroîtrait les recettes de l’État comme le montrent les exemples qui nous entourent en Europe.
Les municipales ont révélé une transhumance massive des électeurs du Parti socialiste vers le Front national, économiquement aligné sur la gauche du PS. Ces électeurs ne reviendront pas de sitôt. Ils continueront à s’enfoncer dans l’étatisme et la recherche de boucs émissaires. Le parti socialiste en sort durablement affaibli, mais sans pour autant qu’ait lieu un plébiscite de l’UMP dont le discours reste très creux. La France compte désormais trois grands partis : FN, UMP-UDI, Gauche plurielle. Sans réforme majeure, la situation économique continuera de se dégrader. Le FN pourrait devenir le parti dominant dans quelques années.
À l’Assemblée nationale, le soutien à Manuel Valls est fragile. Il est pris en étau, entre la nécessité de réaliser – avec retard – le redressement budgétaire promis depuis deux ans à Bruxelles, sa majorité parlementaire qui le lâchera aux premières résistances corporatistes, et l’incontournable François Hollande qui conjugue indécision, lâcheté, mais aussi inflexibilité envers ses ennemis. Placer à Matignon, dans une impasse insoluble, un opposant ambitieux n’est-il pas une façon de faire échouer ?
La timide volonté réformatrice affichée par Manuel Valls n’en fait pas un libéral ; il reste un étatiste, seulement teinté d’une sauce social-démocrate. S’il a dénoncé par le passé certaines absurdités françaises (35 heures, droit du travail, etc.), Manuel Valls a conclu son discours par : “il faut redresser nos comptes publics, mais sans casser notre modèle social et nos services publics.”
L’État français dépense 57 % du PIB, plus que tout autre pays de la zone euro. Le chômage est à son maximum depuis 16 ans, à 11 %. Un nombre effrayant de Français parmi les plus riches et les plus jeunes partent pour des environnements économiques plus favorables à l’étranger. Depuis la création de la zone euro en 1999, la France n’est parvenue qu’à un taux de croissance annuel de 0,8 %. Le nombre de bénéficiaires du RSA a connu une hausse de 7,2 % en 2013, pour atteindre 4,9 millions de personnes (2,3 millions de foyers) à fin décembre 2013. Enfin, le nombre de SDF explose, +50 % en dix ans. Est-ce ceci, le modèle social français qu’il faudrait préserver ?
Il existe chez Manuel Valls une attitude très bonapartiste.
Sa grande tolérance envers les intrusions dans la vie privée des Français (écoutes téléphoniques, etc.) et son traitement de la liberté d’expression (la France est le pays développé qui censure le plus Twitter) ne trouvent comme contraposée que son mépris envers ses opposants, rapidement assimilés à l’extrême droite comme l’a été la Manif pour tous. Son caporalisme est un atout pour faire passer des réformes économiques face aux immobilismes de la République. Mais il doit également nous inciter à la méfiance. Le triptyque situation économique désastreuse + homme fort + État tentaculaire a apporté les pires désastres au cours du XXe siècle.
Le nouveau gouvernement se dépêche de renoncer aux engagements de redressement de nos comptes publics. Il tente d’arracher un accord à la Commission européenne et à l’Allemagne avant les élections européennes de mai 2014, en jouant sur la montée des partis eurosceptiques. Alors que les institutions technocratiques européennes devaient nous protéger de la démagogie des politiques, c’est l’inverse qui se produit, avec une violation régulière des grands principes des traités européens. Car rétablir nos comptes publics n’est pas destiné à plaire à l’Union européenne : il s’agit surtout de sauvegarder nos enfants du destin de la République de Weimar et de plusieurs pays d’Amérique du Sud (Argentine, Colombie, Venezuela) ! La patience des Allemands s’étiole à notre égard, d’autant que les clients de leur industrie de pointe sont essentiellement sur d’autres continents. L’entrée en conflit avec la France n’aurait qu’un coût limité au regard des dangers que l’homme malade de l’Europe fait peser sur l’Allemagne à refuser les efforts nécessaires.
Autour de nous, même l’Italie se réforme ! Matteo Renzi n’a pas à subir l’autorité d’un Président puissant, mais il a su dompter une majorité réputée ingouvernable. Bien qu’elles ne soient pas encore concrétisées pour le moment, ses ambitions réformatrices sont intéressantes et pourraient inspirer la France.
En conclusion, il nous reste à espérer que Manuel Valls brise rapidement les velléités contestataires de son camp, en présentant un bilan sincère de la situation et une stratégie thérapeutique crédible pour ramener la confiance des investisseurs et ainsi des premiers résultats en matière d’emploi et de croissance. Mais peut-être Manuel Valls aura-t-il le destin de Jimmy Carter qui, devant la stagnation économique des États-Unis, a tenté de réaliser certaines réformes libérales avant d’être balayé en 1980 par la révolte libérale menée par Ronald Reagan.
La droite ne doit pas voir dans son succès en demi-teinte une raison pour arrêter de se réformer. Pascal Lamy choisit le pari de l’optimisme : “la gauche modernise son logiciel”. Tout pari réformateur mérite d’être encouragé, surtout s’il peut débarrasser le discours du PS de ses vieux oripeaux anticapitalistes. Il pourrait surtout amener la droite à se réinventer enfin dans le libéralisme, et à se débarrasser de toute sa frange interventionniste. Vivement le renouveau !
[*] Aurélien Véron est président du PLD et Philippe Briard membre du Conseil national.
Extrait de l’article de Philippe Robert, le 3 mars 2014, sur Contrepoints, concernant le livre “Lettres béninoises” (que je recommande à tout un chacun) :
“Et si, par extraordinaire, nos actuels dirigeants socialistes trouvaient le temps de lire les 186 pages du livre de Nicolas Baverez qui, d’ailleurs, se lisent aussi facilement qu’un vrai roman d’action, peut-être alors s’éviteraient-ils et, par ricochet, nous éviteraient-ils de précipiter la France, avant même la date fatidique de 2040, dans une déshonorante et irréversible spirale descendante jusqu’au crash final.”
http://www.contrepoints.org/2014/03/03/158362-lettres-beninoises-de-nicolas-baverez-2
Si malgré tout Manuel Valls était un Socialiste Libéral, qu’il fasse preuve d’audace et ose prendre des risques, il lui faudra d’abord convaincre ou vaincre l’hostilité d’une grande partie des membres de son gouvernement. Nous parlons bien de ministres choisis par François Hollande.
Imaginons seulement qu’il passe ce premier barrage d’immobilisme de Gauche, il lui faudra ensuite rallier à ses idées, l’assemblée nationale. Surprise, pourrait il alors émerger une coalition “Démocrate Libérale” rassemblant une partie de la droite et de la gauche. J’exclus d’emblée les deux partis Frontistes, EELV et les paléosocialistes de l’équation. Ce ne serait plus Droite contre Gauche mais Réformateurs contre Conservateurs.
Dès lors qu’une telle coalition se créerait, c’est à tout le peuple français qu’il faudra faire accepter les difficiles mais nécessaires réformes. Nous sommes dans notre majorité attaché au principe d’une protection sociale, basé sur la solidarité. Mais dès lors qu’on veut réformer pour sauver ce qu’on peut encore du désastre, ils sont aussi une grande majorité à penser en égoïste (pensant tous que l’égoïste, c’est l’autre) ne voient comme unique solution que de faire payer l’autre (le riche, le patron, l’immigré, le fonctionnaire, etc…). Prenons comme exemple récent la gronde des intermittents du spectacle…
Nous vivons peut-être en République “fromagère” (plutôt que bananière), nous avons les élus qu’on mérite. Manuel Valls a été nommé 1er ministre en partie suite à sa grande popularité (alors qu’il n’a recueilli que 6% des suffrages lors des primaires socialistes de 2011). Il n’est pas dans le fond le grand réformateur attendu. Mais pourrait on néanmoins interpréter cela comme une évolution de la mentalité (car je ne doute pas de nos capacités intellectuelles) des citoyens français à accepter et souhaiter le changement ?
A court terme, la nomination de Valls est avant tout une manoeuvre pour sauver les meubles lors des prochaines élections européennes.
A moyen terme, c’est vraissemblablement un piège pour discréditer Valls et les idées libérales : on le laisse et on l’encourage à s’exprimer et brasser du vent. Bien encadré politiquement, avec des contraintes étatique et écologistes, et limité par les marges de manoeuvres financières, on l’envoie au mur.
Je n’ai pas plus de sympathie pour Valls que pour un autre politicien menteur et arriviste. Son avenir m’importe peu. Mais pour l’état français à long terme, on pourrait se demander si les manoeuvres de Hollande (tout comme celles de son prédécesseur) ne relèvent pas de la haute trahison.
Un socialiste libéral … quel bel oxymore
Que vient faire la Colombie dans cette histoire?
S’agirait-il de cette classique confusion entre Colombie et Bolivie?
Bonjour,
Sur la période 1994–98, la dette publique a augmenté, et l’économie colombienne est entrée en crise en 1999 avec une forte récession et 20% de chômage. Néanmoins, effectivement, ce n’est pas du tout du même ordre de grandeur que pour l’Argentine (glissade sur plusieurs décennies à partir d’un point très élevé) et la République de Weimar.
La position de la Colombie dans cette liste n’est pas idéale, surtout qu’à l’heure actuelle son économie va plutôt bien.
Les auteurs.
Merci pour cette rectification.
Il est effectivement difficile d’assimiler la situation colombienne actuelle avec celle de l’Argentine (en faillite recurrente et qui ne s’est jamais remise du péronisme) et avec celle du Venezuela (qui n’est jamais parvenu à faire quoi que ce soit d’intelligent sinon jeter l’argent du pétrole par les fenêtres)
“En conclusion, il nous reste à espérer que Manuel Valls brise rapidement les velléités contestataires de son camp, en présentant un bilan sincère de la situation et une stratégie thérapeutique crédible pour ramener la confiance des investisseurs et ainsi des premiers résultats en matière d’emploi et de croissance.”
Gardons-nous d’entretenir des espoirs vains. J’en ai plus qu’assez, d’entendre la droite dire au sujet des socialistes “Pourvu qu’ils comprennent enfin !” Mitterrand nous a déjà fait le coup. Valls, c’est Fabius 2, point final. Hollande suit par point le programme de réélection de son aîné.
Véron suggère cette hypothèse du reste : Valls se fracasse face aux marxistes du PS et c’est la dissolution immédiate pour que ce soit encore à la droite d’avoir à faire le sale travail (qu’elle a symétriquement toujours réussi à esquiver elle aussi) afin de redonner des chances à la réélection d’Hollande.
Il y a 3 éléments nouveaux à la situation actuelle :
1/ Personne ne pourra botter en touche avant 2017
2/ Hollande est incapable de décider, ne tient aucune troupe et n’a pas le centième du talent et du cynisme de son idole
3/ Valls joue pour lui et tient désormais Hollande
Cocktail trop explosif donc pour que les 2 ou 3 scénaris les plus probables ne se réalisent…
“Socialiste Libéral” est un non sens.
Arrêtez avec ce type! Il a échoué en tant que ministre de l’intérieur, il suinte la haine des républicains espagnols en 36, c’est une baudruche.
Socialiste libéral ???? ça existe ????? et le jour quand il fait nuit noire ça existe aussi ?
Socialiste dictatorial serait plus juste non ? et ça rime aussi ! je plaisante… quoi que…
nous véron …
il fera le beau pour avoir le susucre de l europe ,car quand on est a la rue on dit merci a celui qui donne l aumone …!
J’apprécie beaucoup le ton nuancé et réaliste de votre article, qui tranche avec le ton un peu trop polémique et “yaka fokon” de ce site.
Et votre analyse des risques du “vallsisme” pour les libertés publiques est assez pertinente.
Toutefois, vous dites : “La timide volonté réformatrice affichée par Manuel Valls n’en fait pas un libéral ; il reste un étatiste, seulement teinté d’une sauce « social-démocrate ». S’il a dénoncé par le passé certaines absurdités françaises (35 heures, droit du travail, etc.), Manuel Valls a conclu son discours par : « il faut redresser nos comptes publics, mais sans casser notre modèle social et nos services publics. »”
Il est évident que c’est un affichage, une posture. Un discours de politique générale ne peut jamais être analysé sur la seule base de son contenu.
Or ce discours est intéressant justement parce que, s’il fait des concessions politiquement incontournables (vous ne vous attendiez pas à ce qu’il dise “cassons le modèle social français” quand même!), il emploie une terminologie violemment opposée à la vulgate du PS. ça je suis bien placée pour le savoir, j’ai été encartée un temps – j’ai le cœur à gauche – et je peux vous dire que les propos de M. Valls, tenus en section, donneraient lieu à des huées.
C’est là que se situe la petite “révolution” vallsienne. Il vient de faire sauter quelques tabous très forts au sein du PS, par le simple choix des mots utilisés.
Pour cette raison je m’inscris en faux vis-à-vis de certains commentaires qui tentent de minimiser ou de banaliser ce qui vient de se passer dans l’hémicycle. Visiblement, il faut avoir milité à gauche pour réaliser que c’est tout à fait nouveau.
Bien évidemment, cela ne sera pas suffisant pour régler les problèmes de fond, mais qui peut le croire?
Le “Grand Soir”, c’est une utopie de gauchiste. Il y a du bon à prendre dans ce qui a été dit et dans les premières initiatives qui en sortent. C’est un bon début!
merci pour ce commentaire !