Des aumôniers Témoins de Jéhovah dans les prisons

L’administration pénitentiaire ne peut pas refuser aux Témoins de Jéhovah la présence d’aumônier a statué le conseil d’Etat.

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Témoins de Jéhovah prêchant en porte à porte (Crédits Steelman Creative Commons)

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Des aumôniers Témoins de Jéhovah dans les prisons

Publié le 21 octobre 2013
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Par Roseline Letteron.

Témoins de Jéhovah prêchant en porte à porte (Crédits Steelman Creative Commons)
Témoins de Jéhovah prêchant en porte à porte

Dans un arrêt du 16 octobre 2013, le Conseil d’État annule la décision implicite du directeur des services pénitentiaires acquise le 3 mars 2008, rejetant la demande d’agrément en qualité d’aumônier des établissements pénitentiaires parisiens déposée par un Témoin de Jéhovah. Observons d’ailleurs que l’administration de la justice a fait preuve d’une remarquable constance dans son refus, successivement annulé par le tribunal administratif en 2010, puis par la Cour administrative d’appel de Paris du 30 mai 2011.

Assez habilement, le ministre de la justice ne justifiait pas son refus par le caractère sectaire du groupement en question, mais par l’insuffisance du nombre de détenus déclarant appartenir aux Témoins de Jéhovah et souhaitant donc les services d’un aumônier.

Le refus d’agrément

Sur ce point, la position du ministre peut sembler conforme au droit positif qui ignore la notion de secte, et ne connaît que celle de « dérive sectaire ». Le droit français se refuse à apprécier les convictions affirmées par les groupements. Peu importe qu’ils déclarent adorer le soleil, vouer un culte à un animal, ou attendre placidement la fin du monde… Seules sont sanctionnées les infractions commises, comme l’abus de faiblesse, ou l’escroquerie en bande organisée qui a permis tout récemment de sanctionner lourdement l’Église de Scientologie. En refusant une aumônerie aux Témoins de Jéhovah, le ministre déclarait se placer dans le droit commun, et invoquait le paragraphe 2 de la règle pénitentiaire européenne n° 29. Ce dernier invite les États à proportionner le nombre d’agréments donnés aux aumôniers au nombre de détenus pratiquant une religion. C’est donc le nombre des ouailles qui fonde la présence de l’aumônier.

Ces règles pénitentiaires européennes ne sont pourtant que des recommandations, dépourvues de toute valeur normative. Le Conseil d’État refuse donc de les prendre en considération, et se tourne vers les règles organisant le service des aumôniers pénitentiaires.

La liberté de culte dans les prisons

La norme essentielle est évidemment l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Il est complété par l’article 1er de la Constitution qui affirme que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. (…) ». Ces dispositions ne concernent pas seulement la liberté des convictions religieuse, liberté purement individuelle, voire intime. Elles garantissent aussi la liberté de culte qui a une dimension collective, ses manifestations avec les nécessités de l’ordre public et le respect du principe de laïcité. Dès lors que la Constitution pose un principe de non discrimination dans ce domaine, il est clair que les personnes détenues ne peuvent se voir priver d’aucune de ces deux libertés.

L’article 26 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ne fait que reprendre ces principes lorsqu’il énonce que « les personnes détenues ont droit à la liberté d’opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix, selon les conditions adaptées à l’organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l’établissement ». L’organisation des cultes en prison repose ainsi sur la présence d’aumôniers agréés par l’administration, et qui « consacrent tout ou partie de leur temps à cette fonction, selon le nombre des détenus de leur confession qui se trouvent dans l’établissement auprès duquel ils sont nommés » (art. D 439-1 cpp). Les textes en vigueur prévoient donc de moduler la durée de la présence de l’aumônier en fonction du nombre de personnes détenues se revendiquant de sa religion. Mais ils n’autorisent pas l’administration pénitentiaire à refuser purement et simplement l’agrément d’un aumônier Témoin de Jéhovah. Le Conseil d’État précise, à ce propos, qu’il n’est pas interdit de désigner des bénévoles, solution particulièrement économe des deniers publics.

Certains déploreront peut-être que cette décision constitue un pas de plus vers la consécration des Témoins de Jéhovah comme mouvement religieux, alors que cette association est régulièrement citée comme auteur de dérives sectaires, notamment à travers son refus des transfusions sanguines. Il est vrai que la Cour européenne des droits de l’homme, dans sa décision rendue le 30 juin 2011, Association Les Témoins de Jéhovah contre France, avait déjà estimé qu’un redressement fiscal imposé à cette association portait atteinte, compte tenu de son ampleur (plusieurs dizaines de millions d’euros), à la liberté religieuse. Un redressement fiscal n’est pas un agrément d’aumôniers, mais les deux décisions vont néanmoins dans le même sens.

L’indispensable lutte contre le prosélytisme

La lutte contre les dérives sectaires impose-t-elle une lutte contre toute reconnaissance de ces mouvements par les autorités publiques ? On peut se demander si l’agrément d’aumôniers Témoins de Jéhovah n’est pas une meilleure solution qu’un refus systématique. D’une part, l’enjeu est minime dès lors que, comme le soutient l’administration, il y a très peu de personnes détenues parmi les adeptes de ce mouvement. D’autre part, nul n’ignore que les mouvements religieux sont très présents dans les établissements pénitentiaires et qu’ils y font du prosélytisme, parfois même ouvertement. Et ce n’est peut-être pas le prosélytisme des Témoins de Jéhovah le plus dangereux. L’agrément des aumôniers devrait donc susciter de nouvelles réflexions. Cette procédure administrative pourrait en effet être utilisée pour imposer un véritable contrôle de l’activité de prosélytisme dans les établissements pénitentiaires. Car un agrément qui est délivré peut aussi être retiré ou non renouvelé.


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  • Excellent rappel de ce qu’est le droit et son application.

    A chercher l’exception, à voir des particularités, on détourne le débat et on donne de la force à l’argument adverse; l’affaire que vous citez est un parfait exemple, recherchons la faute, nous pourrons appliquer le droit, et seulement.

  • C’est clair qu’il n’y a pas assez de problèmes dans les prisons françaises et qu’en permettant une intrusion extérieure à des mouvements d’embrigadement le climat deviendra encore plus ingérable.

  • « Certains déploreront peut-être que cette décision constitue un pas de plus vers la consécration des Témoins de Jéhovah comme mouvement religieux, alors que cette association est régulièrement CITEE comme auteur de dérives sectaires »
    Etre CITER comme auteur de dérives sans etre CONDAMNER permet d’en déduire que ces citations ne sont pas fondées ! Heureusement effectivement que le droit s’attache aux faits et non aux accusations…

  • Enfin on peut maintenant rivaliser avec les USA ( pays plus sévère avec le crime) qui permettent aux détenus de se plaindre par la biais de « l’habeas corpus »…La France progresserait-elle?

    • 1) Rien à avoir avec l’habeas corpus : il ne s’agit pas de contester la légalité de la détention.

      2) Ce ne sont pas des détenus qui ont contesté la décision de l’administration mais les témoins de Jéhovah (ceux à qui ont a refusé l’agrément d’aumônier et l’association « Les témoins de Jehovah de France »).

      3) Les détenus français peuvent se plaindre depuis longtemps des abus dont il seraient victimes.

      • 1.Aux USA c’est le moyen qu’utilisent les détenus (avec le certiorari devant la cour suprême des USA) pour se plaindre de violations de leurs droits.
        2.Les détenus ne peuvent se plaindre que depuis 1995 et l’arrêt « Marie » du conseil d’état.Et ce uniquement sur la pression de l’ancienne « commission européenne des droits de l’homme » du conseil de l’Europe.

        • 1. C’est l’un des moyens utilisés par les détenus pour faire valoir leurs droits, oui. Mais ici la procédure utilisée n’est pas du tout comparable.

          2. Non. L’arrêt Marie permets de contester les décisions disciplinaire devant la juridiction administrative, mais avant cette décision les détenus pouvaient déjà se plaindre de l’administration pénitentiaire sur d’autres fondements. En l’occurrence ici il ne s’agit pas d’une décision disciplinaire et l’arrêt Marie est donc hors-sujet.

  • Bonjour
    Une petite remarque, la France, notre beau pays, n’est pas une république indivisible et laïque, tant que subsistera le concordat en Alsace.
    Je m’interroge également sur la coopération qu’un aumônier T.d.J pourrait avoir avec par exemple les aumôneries catholiques et protestantes, puisque selon la théologie jéhoviste, les catholiques et les protestants sont des émanations du diable et qu’il est absolument interdit à un T.d. J. de collaborer avec eux.
    Je suis pasteur au sein des aumôneries des hôpitaux, nous collaborons en amitié avec les amis cathos….quel sera le comportement des T.d.J. ? Il est évident que le monde carcéral et celui des hôpitaux est différent, mais au sujet des aumôneries, peu de différence.

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