La Cordillère des Andes sépare, de plus en plus, deux visions économiques du continent.
L’économie est une science bien imparfaite parce que, contrairement aux sciences dites “dures”, il est difficile de répliquer des expériences : ce qui condamne les économistes et les commentateurs à proposer des versions souvent contradictoires de politiques économiques passées ou contemporaines. Mais l’Histoire, par exception, engendre parfois des laboratoires : ainsi les deux Allemagne avaient-elles permis de comparer les vertus et vices de l’économie socialiste contre l’économie libérale. La séparation permanente entre les deux Corée offre une vitrine de l’efficacité relative de l’économie ouverte contre l’économie autarcique.
Eh bien, en ce moment, il se constitue sous notre regard, à condition de bien vouloir regarder, un nouveau laboratoire : en Amérique latine. D’une tournée récente dans cette région, je retiens que la Cordillère des Andes devient une frontière économique et plus seulement géologique entre deux stratégies. Par exemple, voyager de Buenos Aires à Santiago du Chili, ce qui prend à peine deux heures, revient aujourd’hui à passer d’un pays en voie de “démondialisation”, l’Argentine, à un autre qui (gouvernements de gauche et de droite confondus) a opté pour le grand large : or, le Chili croît, tandis que l’Argentine décline. Le contraste entre ces deux pays et leurs stratégies économiques divergentes est emblématique : la Cordillère sépare, de plus en plus, deux visions du continent.
À l’Est, de l’Argentine au Venezuela, en passant par la Bolivie et le Brésil (qui, depuis le remplacement de Lula par la Présidente Dilma Roussef, hésite encore), les régimes politiques deviennent autoritaires, les choix économiques anticapitalistes et hostiles à la mondialisation, les politiques sociales redistributrices plutôt que productivistes.
Cet “Est latino-américain” a pu donner l’illusion, ces années récentes, que l’autarcie rapportait plus que le libre échange. Mais cette euphorie était entièrement dopée par des cours élevés de matières premières : soja pour l’Argentine et le Brésil, pétrole pour le Venezuela, minerais et gaz pour la Bolivie. Ce que les économistes du développement nomment la “malédiction des ressources naturelles”, en réalité, aura nui à la diversification économique des pays concernés et à leur insertion dans le circuit mondial des échanges : le présent ralentissement mondial de la croissance et de la demande pour ces ressources naturelles annonce des réveils douloureux pour les tenants de l’autarcie redistributrice. À l’Est de la Cordillère, la croissance tend vers zéro, entraînant un cortège de dettes publiques, d’inflation monétaire et de discordes sociales.
Par contraste, l’Ouest latino-américain, du Chili au Mexique, en passant par le Pérou, la Colombie, le Costa Rica (l’Équateur hésite), a clairement choisi le grand large : s’engage avec tous les pays du pourtour du Pacifique, Japon inclus mais Chine exclue, une vaste négociation commerciale pour créer une zone de libre échange (le Pacte TransPacifique) qui pourrait devenir l’axe de l’économie mondiale future. À l’Ouest de la Cordillère, il est à peu près par tous admis que la notion d’économie “nationale” ne fait plus sens et qu’il n’existera à l’avenir qu’une seule économie mondiale.
La seule question qui vaille en Amérique latine est donc : “Faut-il faire partie de cette économie mondiale, ou décliner fièrement dans l’isolement ce qui est le “modèle” argentin actuel présidé par Madame Kirchner ?” On reste d’ailleurs effaré d’apprendre que l’économiste Joseph Stiglitz voit dans l’Argentine un modèle recommandable… Un goût pour la provocation sans doute ! Pour faire partie intégrante de la nouvelle économie mondiale, certaines conditions nationales sont requises : un État de droit solide pour attirer les entrepreneurs et les investisseurs, une monnaie fiable, des gouvernements prévisibles. Le Chili, qui est le modèle Pacifique depuis trente ans, remplit ces conditions, l’Argentine n’en satisfait aucune. L’Argentine se “démondialise” et se “dé-démocratise”, ce qui semble le destin de l’Amérique du Sud “orientale”.
Le philosophe Blaise Pascal, s’interrogeant il y a quatre siècles sur le relativisme, observait que ce qui paraissait vrai en-deçà des Pyrénées était perçu comme une erreur sur l’autre versant. La Cordillère des Andes remplit aujourd’hui la même fonction emblématique : vérité à l’Ouest de la Cordillère, erreur à l’Est ? C’est probable : malheureusement, ce seront les peuples plus que leurs dirigeants dévoyés et les économistes qui les conseillent qui seront les victimes de toute erreur de jugement.
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Sur le web.
“effaré d’apprendre que l’économiste Joseph Stiglitz” : mais pourquoi s’étonner ?
Le modèle argentin est une sorte l’idéal économique pour Stiglitz dont on avait un aperçu de l’idéologie avec la fameuse commission voulue par Sarkozy en 2008, à la recherche du bonheur brut.
Très bon
Ca manque un peu de chiffres pour donner du corps à cette analyse.
Bonjour,
Super orienté comme article.
N’ oublions pas que par exemple les inégalités sont plus grandes au Chili qu’en Argentine (référence indice de gini). Lee système scolaire en Argentine est gratuit il y a dans les universités argentines de plus en plus de Colombiens ou Chiliens car dans leur pays les études sont payantes….Je comprends bien cette différence d’orientation entre l’ est et l’ouest des Andes mais les résultats sont loin d’ être aussi manichéen.
l’argentine est ruiné comme tout pays socialiste mais c’est un pays où il y a l’égalité dans la pauvreté (c’est ca le socialisme). le problème est la pauvreté pas les inégalités. ” les résultats sont loin d’ être aussi manichéen” vous voulez rire ??? je connais un francais très à gauche qui est parti en argentine (pays qu’il considérait comme un paradis) et qui est très vite revenu avec une autre vision du monde