Comment accorder à toute personne intéressée un droit d’accès aux données publiques, qu’elles proviennent de l’État ou des collectivités locales ?
Par Roseline Letteron.
L‘Open Data fait partie de ces concepts apparemment nouveaux qui ne font l’objet d’aucune traduction française, tant il convient de respecter la lumineuse pensée américaine, sans la dénaturer par une traduction qui ne pourrait que l’appauvrir. En réalité, l’Open Data désigne fort simplement l’ouverture des données publiques, y compris pour leur réutilisation.
Cette notion a été récemment utilisée dans le programme dévoilé le 28 février par Jean-Marc Ayrault. Il y annonce une volonté gouvernementale de « faire de l’ouverture des données publiques le levier de modernisation de l’action publique et de soutien au dynamisme économique ». La charte déontologique signée par les ministres lors de leur entrée en fonctions se montre, quant à elle, plus modeste. Elle leur demande seulement d’œuvrer à la mise à disposition gratuite et commode sur internet « d’un grand nombre » de données publiques.
Les dangers du Soft Law
À l’exception des textes juridiques déjà accessibles depuis le décret du 9 août 2002, l’accès aux données publiques relève donc, du moins pour le moment, du Soft Law, autre notion américaine qui désigne toute règle reposant sur la bonne volonté des intéressés et non pas sur la contrainte juridique. La plupart des éditeurs souhaitent évidemment l’adoption d’un « code de bonne conduite » qui leur permette de définir non seulement le cadre juridique, mais aussi le prix de la communication des données. De même, le Soft Law autorise une grande souplesse dans la définition des données concernées : toutes les informations détenues par les autorités publiques ou seulement « un grand nombre » d’entre elles ?
La consultation de la CNIL
La réflexion ne fait donc que commencer, et la CNIL annonce qu’elle va engager une consultation sur le sujet. Elle veut y associer à la fois l’administration et le secteur privé, dans le but de dégager un consensus, afin de contribuer à la « construction d’un Open Data durable« . La Commission est surtout préoccupée par les conséquences d’une ouverture très large des données publiques qui pourrait paradoxalement porter atteinte à la protection des données personnelles. En effet, nombre d’informations relatives à la vie privée des individus ou à l’activité des entreprises sont confiées à l’administration. La réflexion de la CNIL vise ainsi à trouver où il convient de placer le curseur, entre l’accès à la totalité des données publiques d’un côté, et la protection trop tatillonne des secrets de l’autre.
La réflexion est un préalable indispensable à la décision. Encore faut-il cependant qu’il y ait bien décision, à l’issue de ce processus. La pire solution serait de maintenir une démarche de Soft Law, car l’ouverture des données publiques ne peut être effective que si elle est imposée par une norme juridique contraignante.
Pouvoir réglementaire
Il est évidemment possible de considérer que l’accès aux données publiques relève du pouvoir réglementaire, et le décret du 9 août 2002 a déjà mis en place un « service public de la diffusion du droit par internet« , qui s’est concrètement traduit par la mise en place du site Légifrance. Le recours à la notion de service public dans ce domaine présente bien des avantages, et plus particulièrement celui de pouvoir imposer la gratuité. Ce n’est pas négligeable, et une conférence récente organisée par la DILA a montré que certaines associations se plaignent amèrement d’être obligées de payer la réutilisation de certaines données publiques.
Une loi sur l’accès aux données publiques
Un autre choix serait de considérer la communication des données publiques comme un élément des droits de la personne. Une loi pourrait alors intervenir pour définir les conditions de mise en œuvre de l’Open Data. Ce choix pourrait s’appuyer sur un des deux arguments essentiels.
Le premier est l’exemple américain, tellement apprécié dans ces domaines. Contrairement à ce que beaucoup de professionnels affirment avec assurance, le droit américain ne privilégie pas nécessairement le Soft Law, mais préfère souvent la loi. Dans un premier temps les lois fédérales se sont multipliées pour organiser l’accès aux informations des services fédéraux, avec le Freedom of Information Act de 1966 et le Governement in the Sunshine Act de 1976. Aujourd’hui, la communication des données publiques se développe au niveau des États fédérés, voire des collectivités territoriales. La ville de New York a ainsi adopté en 2012 la loi n°11 mettant à la disposition du public tous les documents détenus par les services de la cité. Un portail unique a été créé, accessible à chaque internaute, sans aucune condition d’inscription et sans paiement d’une redevance.
Le second argument est purement français, et chacun se souvient que ce qu’il est convenu d’appeler « la transparence administrative » a été imposé à des services réticents dès la fin des années soixante-dix, il y a maintenant plus de trente ans. La loi du 6 janvier 1978, le premier texte dans ce domaine, a donné à la personne fichée le droit d’accéder aux données qui la concernent. La loi du 17 juillet 1978 a consacré le droit d’accès aux documents administratifs, nominatifs ou non. Enfin la loi du 11 juillet 1979 a contraint l’administration à énoncer les motifs de ses décisions. L’expérience montre que cette petite révolution a été bien difficile à mettre en œuvre, et que la loi a été nécessaire pour imposer la réforme.
C’est dans cette direction que semble s’orienter le gouvernement, avec cependant quelques incertitudes sur la méthode employée. Car si la CNIL engage une réflexion, si le gouvernement présente une feuille de route, le Sénat, quant à lui, devrait être saisi très prochainement d’un projet de loi de décentralisation qui, dans son article 111, impose aux collectivités locales la mise à disposition de leurs données publiques, à titre gratuit. N’est-il pas quelque peu étrange d’engager le travail législatif avant que la réflexion soit achevée ? Une telle initiative rend plus difficile le choix d’une loi spécifique destinée à accorder à toute personne intéressée un droit d’accès aux données publiques, qu’elles proviennent de l’État ou des collectivités locales.
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Sur le web.
Ce qui est ici appelé » données publiques » signifie : « données qui appartiennent ( ou sont stockées par ) , légitimement ou non , à la machine étatique » et non : » données ouvertes au public » ( comme » lieu public » ).
Le débat ne pourrait être clarifié qu’en évitant l’emploi de ce « public » aux sens trop divers…
Pour compléter : le député Bertrand Pancher déposera prochainement une proposition de loi sur le sujet à l’issue d’une consultation sur https://www.parlement-et-citoyens.fr