Les véritables objectifs de la règlementation financière

La priorité de la règlementation n’est pas vraiment la stabilité financière. Pour comprendre, un peu d’histoire monétaire s’impose.

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Les véritables objectifs de la règlementation financière

Publié le 1 février 2013
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La priorité de la règlementation n’est pas vraiment la stabilité financière. Pour comprendre, un peu d’histoire monétaire s’impose.

Par Vladimir Vodarevski.

L’Assemblée Nationale va examiner un nouveau projet de loi de régulation des banques. Celui-ci concerne cette fois la séparation des activités considérées comme spéculatives. Ce qui nécessite déjà de déterminer ces activités spéculatives. Ce projet de loi cherche à tirer les conséquences de la crise financière. Il a été jugé que c’est la dérégulation des marchés financiers qui a provoqué la crise.

Pourtant, il est difficile de parler de dérégulation quand il est question de finance. Il suffit d’aller jeter un coup d’œil sur le site de la Banque des Règlements Internationaux, à la section du Comité de Bâle. Ce comité existe depuis 1974, et ses règlements s’appliquent depuis 1988 aux banques et aux établissements financiers. Le nombre de publications témoigne de la multitude des règlements. Tout est envisagé dans les moindres détails. Dont la titrisation par exemple. Il suffit de faire une recherche, pour se faire une idée, du mot « titrisation » dans ce rapport sur la Convergence internationale de la mesure et des normes de fonds propres (juin 2004).

Un rapport du Sénat montre que l’importance donnée aux agences de notation, tellement décriées, provient de la règlementation, que ce soit le Comité de Bâle ou les autorités régulant les marchés financiers. Ce rapport montre en fait que le fonctionnement de la finance est formaté par la réglementation.

Le principe de la réglementation financière est de diriger le fonctionnement des établissements financiers, et des marchés. Le moyen est l’instauration de normes prudentielles, censées limiter les risques pris par les acteurs du secteur financier. C’est ainsi que la notation a été développée comme outil d’information sur les risques des placements obligataires, et de ceux pris par les banques. Si les banques investissent dans des titres considérés comme risqués, elle doivent augmenter leurs fonds propres, ce qui dégrade leurs rentabilités. Le système a été très efficacement mis en place.

Le problème posé par ce type de règlementation est évident : tous les acteurs agissent de la même manière. Par conséquent, en cas d’erreur de la règlementation, tout tombe comme des dominos. Le risque systémique est maximisé.

Pourtant, il existe d’autres moyens d’éviter les surchauffes des marchés financiers, et de limiter l’impact des crises financières. Par exemple, le système de l’étalon or, qui a fonctionné de longues années. Le free banking, qui laisse chaque banque émettre sa monnaie, dans la même unité de compte, et laisse aussi chaque banque responsable de sa gestion, c’est-à-dire qu’elle fait faillite si sa gestion est mauvaise. Il y a le débat sur les réserves fractionnaires, qui n’est jamais abordé (voir à ce sujet la série d’articles de Contrepoints).

Cependant, la priorité de la règlementation n’est pas vraiment la stabilité financière. Pour comprendre, un peu d’histoire s’impose. Jusqu’à la guerre de 1914-1918, l’étalon-or régissait le système monétaire. Ce qui offrait une très grande stabilité monétaire. La guerre a été financée largement par l’inflation. L’étalon-or était difficile à remettre en place. L’entre-deux-guerres a été une période perturbée pour les monnaies, l’étalon or n’ayant jamais été vraiment remis en place. La crise a amené l’abandon des tentatives de rétablissement de ce système.

Les perturbations monétaires ayant grandement contribué à la crise des années trente, dès la fin de la seconde guerre mondiale, il a été décidé de rétablir la stabilité monétaire. Une sorte d’étalon-or indirect a été mis en place. La valeur du dollar étaient fixée par rapport à l’or, tandis que celle des autres monnaies était fixée par rapport au dollar. Les règlements internationaux s’effectuaient en dollars. Chaque pays devait avoir suffisamment de dollars pour payer ses importations. Ce qui limitait la création monétaire. C’étaient les accords de Bretton Woods.

Les USA pouvaient eux faire ce qu’ils voulaient. Ils ont usé de la planche à billet pour soutenir leur économie, et donc créé trop de dollar par rapport au stock d’or qu’ils possédaient. Normalement, le rapport entre le stock d’or et le montant total de dollars devait rester fixe. Ce qui a fait exploser le système issu de Bretton Woods, et a abouti aux changes flottants en 1973. Le Comité de Bâle fut créé en 1974 pour faire face à cette situation.

Le système de Bretton Woods a donc explosé car les USA ont utilisé la création monétaire pour soutenir leur économie. C’est la caractéristique de l’après Bretton Woods : la monnaie est devenu le levier pour contrôler l’économie, notamment pour la relancer. C’est un curieux syncrétisme, un mélange de keynésianisme et de monétarisme. Le keynésianisme considère que la dépense relance l’économie, et le monétarisme qu’en cas de crise il faut créer de la monnaie (c’est un raccourci des plus sommaire, mais c’est ainsi que ces théories sont appliquées).

La règlementation a peu à peu construit un système financier correspondant à cette politique monétaire. Il faut favoriser la création monétaire, c’est-à-dire le crédit. Sachant que l’argent se retrouve toujours dans le système financier. Il faut protéger les banques, considérées comme poumon de l’économie : elle ne doivent pas faire faillite.

Il a donc été construit un système qui favorise la création monétaire, et donc le crédit, et donc les activités financières indispensables à la création monétaire. Et, pour éviter des faillites, des crises, des bulles financières, des surchauffes, la règlementation contrôle strictement le comportement des acteurs financiers.

Le système favorise également la dépense publique. En effet, les États sont considérés comme des emprunteurs de bonne qualité. Les critères prudentiels des achats d’obligations peuvent être assouplis par chacun des États. En clair, pour une banque, acheter des obligations d’État est considéré a priori comme étant moins risqué que d’accorder un crédit à une entreprise, et donc nécessite moins de fonds propres. Toujours ce syncrétisme keynéso-monétariste.

La crise a été provoquée par la création monétaire, justement. À la fois la politique monétaire accommodante de la Fed, qui a favorisé le crédit, et de la BCE, qui n’a jamais pris en considération l’augmentation vertigineuse de la masse monétaire dans sa politique (la masse monétaire mesure la création monétaire). C’est aussi le gouvernement américain qui a encouragé le crédit aux plus démunis, et notamment le crédit immobilier hypothécaire. Quand les ménages n’ont plus remboursé, la bulle immobilière et de consommation à crédit a éclaté, provoquant la crise.

La leçon à tirer de cette crise serait de s’interroger sur la politique monétaire. En gros, est-il bon de baser la croissance sur la création monétaire, et donc le crédit ? Alors même que l’Europe de l’après-guerre s’est développée dans un contexte plus restrictif sur le plan monétaire, alors même que la révolution industrielle s’est développée dans un contexte d’étalon or.

Mais le débat n’a même pas lieu. Sauf chez les libéraux, en particulier ceux de l’école autrichienne. Le dogme est que la monnaie est le moteur de l’économie. Il n’est pas remis en cause. La problématique est de continuer à mener la même politique monétaire, tout en évitant les crises. On considère, en quelque sorte, que les marchés ont mal réagi à cette politique monétaire. Il faut donc encore plus contrôler les marchés, et leurs acteurs, notamment les banques, pour qu’ils réagissent conformément aux souhaits des autorités.

Le débat sur la séparation des activités spéculatives de ce qui serait considéré comme le métier normal des banques illustre bien les objectifs de la réglementation. Elle s’attaque au coupable désigné : la spéculation. Sauf que la crise est venue du secteur des prêts immobiliers et des prêts à la consommation. Le cœur de métier des banques donc. La crise est venue de titres considérés comme non spéculatifs, car liés à l’immobilier.

Le débat devrait porter sur la politique économique. Progressivement, l’économie occidentale est pilotée par la création monétaire. On pense pouvoir accélérer ou ralentir la croissance en agissant sur les taux d’intérêt et le crédit. Les autorités, gouvernants et technocrates, ont trouvé ce levier pour promettre la prospérité sans effort aux citoyen. Le dogme s’est imposé comme une évidence, oubliant des siècles d’étalon-or. Les autorités ont trouvé un bouc émissaire, pour éviter d’affronter leurs responsabilités : les marchés financiers. La monnaie devrait être le débat aujourd’hui. De là découle le cadre réglementaire.


Sur le web.

Articles complémentaires : La politique économique avant et après la crise et Éléments d’histoire contemporaine : sortir des poncifs.

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  • Bravo pour cet exposé!

  • Je pense que l’erreur est que la croissance vient en fait de l’innovation qu’elle soit technique, organisationnelle, marketing, … Ensuite, la mise en place des innovations a souvent besoin du crédit pour réaliser des investissements. C’est là que la création monétaire qui facilite le crédit entre en jeu en poussant donc à l’innovation donc aidant la croissance.

    Croire que c’est la création monétaire qui fait la croissance est donc une simplification dangereuse … Une rupture dans la chaîne entre les 2 annihile tous les avantages positifs de cette création monétaire … Par exemple, actuellement, les banques préfèrent prêter aux Etats qu’aux entreprises. De plus, les innovations sont souvent contrebalancés par des changements ou durcissement de réglementations qui diminuent la productivité ou interdit purement et simplement certaines améliorations.

  • C’est trop génial d’avoir des articles comme cela, qui nous rafraichissent la mémoire, et qui nous permettent de comprendre comment on en est arrivé là aujourd’hui !
    Vraiment merci de nous permettre de réviser nos cours d’économie !

  • la préférence artificielle pour les obligations d’Etats même impécunieux est un cas d’école de conflit d’intérêts puisque la règle a été écrite ou à tout le mois inspirée par ceux qui en profitent

  • Je crains que les mesures de bon sens( société de personnes pour les banques) soient évacuées au profit du socialisme!Comme toujours…

  • Vladimir Vodarevski est il un économiste sérieux ? Pardon de cette question frontale, mais quand je lis :  »la crise est venue des prêts immobiliers et prêts à la consommation », j’ai envie de dire que soit vous n’avez rien compris, soit vous tentez d’enfumer vos lecteurs. Prétendre que les péquins moyens et/ou peu solvables (américains puisque la transfusion arrive de l’ouest), qui perdront leurs emplois et se retrouveront dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts, gentiment accordés par des organismes de crédit sont à l’origine de la crise est assez malhonnête et faux. Les banques se sont gavés de crédit. Crédits accordés à des taux assez bas pour obtenir le triple A des SP et autres compères, et pouvoir ensuite faire grimper ces mêmes taux et assécher leur clients. Crédits tellement juteux que les banques ont fini par les réarranger avec d’autres pour former des objets à revendre à d’autres (des investisseurs pour faire simple) qui ne savaient plus comment accumuler plus encore qu’ils n’avaient, le tout protéger par des assurances (quelque chose d’équivalent en tout cas), sur lesquelles il était tout aussi intéressant de spéculer d’ailleurs. Il a fallu bien sur sauver ces banksters (pardon) quand le système s’est écroulé puisque le con perdit son boulot, et ne pouvant plus honorer le remboursement de son crédit, entraina dans sa chute AIG (vous chercherez), ce con d’assureur qui avait proposé pour faire simple de couvrir tous ces objets financiers. Bien sur il a fallu le sauver, c’est lui qui par exemple assure(ait ?) les décollages des avions. Que vous souhaitiez spéculer et vous amuser dans votre monde à vous, j’en ai rien à foutre. Que vous transmettiez vos virus au travailleur productif qui pose des tuyaux d’eau pour alimenter vos sanitaires et permettre à vos enfants de boire tous les jours, surement pas.

    • Entièrement d’accord, bravo pour votre analyse Jérome !

    • @ Jérome : Effectivement, la crise est venue des prêts immobiliers, et pas qu’aux Etats-Unis.

      Mais il ne faut pas se tromper sur la cause du problème :

      – celle-ci ne peut pas venir des spéculateurs (ils prennent leurs risques) ;

      – elle ne peut encore moins venir des souscripteurs de ces prêts (ceux sont les victimes).

      Alors d’où cela vient-il?

      Qui fait la réglementation ? Qui promet le bien être de tout le monde (de manière utopiste) ? Qui contrôle la monnaie ? Sous l’impulsion de qui les taux des prêts vont être déterminés ? Qui vient en aide aux acteurs du risque « systémique » leur ôtant ainsi toute responsabilité sur leurs dérapages ?

      Et le piège à pauvres se referme lorsque l’on demande à tout le monde un effort de solidarité !

    • @Jérôme : Vladimir a très bien compris. La crise des subprimes vient des prêts immobiliers américains qui ont été gérés n’importe comment.

      D’où vient cette mauvaise gestion ? De politiques qui ont poussé à outrance l’endettement pour l’accès à la propriété, plus un cadre légal favorisant les prêts foireux (cf la titrisation). Et enfin du refus du gouvernement américain (et des autres) de faire porter la responsabilité aux responsables : les banques.

      Dans ce modèle les gains sont privés (les banksters) et les pertes publiques.

      Mais remarquez bien que le coeur du problème ne vient pas des banques mais des autorités américaines.

  • Le débat sur la création monétaire et le keynesianisme n’a pas eu lieu et n’aura jamais lieu au sein des institutions occidentales actuelles. Il n’y a qu’à regarder le traitement de la crise de la dette pour comprendre que les autorités en place iront jusqu’au bout, jusqu’à la faillite complète. De la même manière qu’en URSS, Chine, etc.

    L’espoir vient d’ailleurs, de certains pays émergents, de la mondialisation (eg relativiser les règles locales), et des nouveaux moyens pour contourner le système actuel.

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