Droitisation : mythes et réalités

Définition des conditions d’un processus de droitisation. Inventaire du pour et du contre.

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Droitisation : mythes et réalités

Publié le 18 décembre 2012
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Définition des conditions d’un processus de droitisation. Inventaire du pour et du contre.

Par Marc Crapez.

Selon ses partisans, la droite décomplexée est une droite assumée, déculpabilisée, ayant recouvré sa fierté et ses fondamentaux. Selon ses adversaires, c’est une droite dénuée de scrupules, qui suit une tactique de droitisation.

La droitisation signifie l’évolution vers la droite d’un parti politique, d’un électorat ou d’une société. L’usage du terme est souvent accolé à la métaphore de la pente glissante : on parlera notamment de « dérive ». Évoquer la droitisation d’un parti de droite équivaut à désigner une « extrême droitisation ».

L’idée de droitisation insinue une extrême droitisation non-exempte d’islamophobie.

Alain Juppé prétend qu’il y aurait, à l’UMP, un double problème d’islamophobie et de sirènes d’alliance avec le Front national. Mais il se base sur des sondages qui, en réalité, sont revenus à l’étiage logique qu’ils avaient il y a quinze ans, avant que ne débute la déferlante du politiquement correct.

La période qui, sous la houlette de Jacques Chirac, va des régionales de 1998 aux présidentielles de 2002, représente un pic de « gauchisation » inégalé, tant géographiquement qu’historiquement. Géographiquement, par rapport aux principaux pays de l’OCDE, la droite française fut championne du glissement vers la gauche. Historiquement, on n’avait pas vu un tel glissement en France depuis la période combiste allant de 1902 à 1905.

 

Distinguer trois formes de droitisation

Au sortir de cette période de forte gauchisation, la droite se ressaisit et défend la liberté d’expression sur six points.

À l’occasion de la campagne présidentielle de 2006-2007, Sarkozy revendique le terme de « droite » et critique « l’extrême gauche » en prononçant son nom. C’était devenu tabou. Auparavant, sous l’effet de la dérive chiraquienne, il fallait dire respectivement « centre-droit » et « gauche de la gauche ». L’existence d’une droite n’appréciant pas l’extrême gauche avait été prohibée, comme s’il s’agissait d’une provocation d’extrême droite.

Puis il y eut le mot « identité », accolé à un ministère et à un débat. Et lors des élections cantonales de 2011, le ni FN ni PS, confirmé aux dernières législatives. Ensuite, lors de la campagne présidentielle de 2012 et des questions aux candidats, il est devenu licite de considérer qu’il puisse y avoir « trop d’immigrés illégaux ». Enfin, émerge cahin-caha la notion de « racisme anti-Blancs », qui reste toutefois précaire.

Au total, ces six points ne menacent pas la forteresse du politiquement correct.

Mais ils peuvent donner à certains le sentiment subjectif d’une remise en cause. L’extrême gauche est de plus en plus coupée du reste de la société. Ses sociologues éprouvent une sorte de fièvre obsidionale. L’accusation de droitisation leur permet d’extérioriser cette souffrance et de se venger sur un bouc émissaire. Sans aller jusqu’à parler de « droitophobie », force est de constater que l’absence d’évocation de facteurs de gauchisation est suspecte.

Il convient de distinguer trois formes de droitisation et de les replacer en perspective historique.

Celle de l’UMP, depuis 2006, n’est que légère par rapport au brutal coup de barre à gauche de l’ère chiraquienne. Celle de l’électorat en général est un mythe. Celle de la société française est contrecarrée par plusieurs facteurs de gauchisation. Cette droitisation de la société consiste en un glissement vers la droite de catégories qui n’y étaient pas sociologiquement prédisposées mais qui se retrouvent esseulées, à l’écart du clientélisme de la gauche. Cette propension relative ne trouve pas de traduction électorale. Elle est prise de vitesse par ce que le politologue Pascal Perrineau a appelé une « coalition des minorités ».


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  • La droitisation est une réalité. La preuve : même la « gauche » s’est converti à l’ordre moral, elle ne parle que de « justice » ou, inversement, de « déchéance morale » (affaire Depardieu), son but n’est plus d’aider les drogués ou les prostituées mais « d’abolir » la prostitution, elle organise un nouveau « mariage » au lieu de soutenir l’union libre, elle a sombré dans le conservatisme, elle choisit ses leader dans des gens qui sont nés et pensent « extrême-droite » (Mitterand, Jospin, Royal, Hollande) etc.
    Le peuple vieillit et pense conservateur, même et surtout quand il proclame son progressisme.

    • Bonjour P
      La dialectique droite/gauche m’a toujours gêné.
      Une classification libéral/socialiste/conservateur reste AMHA bcp plus pertinente, le qualificatif de gauche restant un étandard risible de bobo: « Je suis de goooche, je suis du coté de la générosité »

      • Certes. Moi itou. Mais les gens utilisent cette classification, et elle a du sens pour eux. Un sens variable malheureusement, mais il faut faire avec.

        • Justement, c’est la que je ne suis pas d’accord, la plupart des gens utilisent cette distinction sans savoir ni d’où elle vient, ni se qui se cache derrière (actuellement : rien).
          Pour une très grande partie des gens en France, la droite est le contraire de la gauche, et les deux forment le spectre politique une fois qu’on y a rajouté des extrêmes, qui est généralement le même discours, mais moins politiquement correct.

          • Ce serait plutôt une non-gauche que son « contraire » : tout ce qui n’est pas à gauche se retrouve tôt ou tard à droite, y compris ceux qui se veulent « à l’écart » selon la formule de Brassens.

    • Jospin, né et pense extrême-droite, hmmm ?!
      Sa période trotskyste, ça doit être un gros accident alors.

    • EN effet il serait plus intéressant à mon sens de poser la question de l’identité dans la pensée libérale.
      Selon moi le libéralisme doit s’opposer aux changements imposés des us et coutumes, par l’immigration ou autrement. De tels changements doivent être volontairement et explicitement choisis.

      Il est difficile de convaincre des libéraux de s’engager collectivement. Pourtant le libéralisme est un choix de société, donc collectif, aussi paradoxal que cela paraisse.

      Le libéralisme doit être conservateur dans la mesure où la propriété, surtout foncière, n’a pas de sens dans un contexte où les lois et les moeurs « évoluent » dans une direction qui répugne à celui qui la subit.

      Le libéralisme doit donc s’opposer à la lutte contre la discrimination et abolir l’arsenal répressif dans ce domaine.
      Donc, c’est la « droite dure ».

      • Mais ce programme de territorialisme de l’économie, qui a prit fin petit à petit et très lentement en même temps que le Moyen-Age et la montée en puissance du capitalisme et de l’industrie, est bien soutenu par des partis politiques, il n’y a pas à s’inquiéter. Il suffit d’enlever « libéralisme » et vous avez plein d’amis.

  • Dans le contexte politique actuelle la droite se caractérise par la centralisation des moyens de gestion et de production (il me semble que le libéralisme doit prendre sa place dans le processus d’individualisation, forcément privée) qu’elle soit privée ou publique n’est plus une question fondamentale. Alors certes le PS et l’UMP essayent de nous faire croire que si le clivage se fait encore sur ce point, de se maquiller en antagonistes mais ils sont globalement sur le principal : l’état-nation jacobin, l’industrie, le capitalisme de copinage… etc.
    L’extrême droite montrant de vraies différences, puisqu’elle est dans l’idée de territorialité de l’économie et de la matérialité des échanges, les représentants de la droite classique se retrouvent à devoir jouer la comédie. A l’UMP la droite décomplexée est une approche nouvelle de la rhétorique, et seulement ça, qui revendique la liberté d’opinion, le bon sens et la convocation fictive d’un rapport de force externe aux débats pour s’éviter d’avoir à argumenter ou à assumer ses déclarations dans les actes puisqu’il ne s’agit que de posture. Le PS a aussi revu un peu sa rhétorique mais moins fortement car c’est plutôt Mélenchon qui a récupéré le laboratoire de la rhétorique de l’état et de la planification administrative. Ce qui compte c’est qu’on retrouve dans ces deux dynamiques quelque chose qu’on pourrait appeler réellement « droitisation », c’est à dire un phénomène de rapprochement idéologique entre cette droite de la centralisation des moyens de gestion et de production avec l’extrême droite territoriale prônant un écroulement de la complexité de l’organisation sociale (qu’on retrouve au FN ou chez les islamistes).
    Le fantasme d’un retour à notre condition matérielle me semble plutôt partagé relativement à une perte de certitudes, un manque d’outils cognitifs pour appréhender les nouvelles organisations qui semblent émerger et des risques effectivement bien matériels qui sont encourus avec les diverses ruptures en cours. En l’occurrence la droitisation actuelle me semble plutôt être le résultat d’un refus collectif de la liberté et des responsabilités qu’elle engendre.

    • Bonjour « ropib », vous dites des choses très intéressantes. Je reste sceptique sur le théâtre d’ombre dont vous dénoueriez les fils avec lucidité (vous mettez le paquet question vocabulaire : « maquiller en antagonistes, jouer la comédie, rhétorique, posture, fantasme »).

      Bon « l’idée de territorialité de l’économie » combat d’arrière-garde imputable au « manque d’outils cognitifs pour appréhender les nouvelles organisations qui semblent émerger » ? Peut-être, mais en attendant l’accomplissement du processus de destruction créatrice, ne faut-il pas tout de même colmater l’hémorragie de désindustrialisation et ceux qui sont au charbon là-dessus ne sont pas que des pantins grotesques…

      • On ne peut pas colmater, non, car c’est l’industrie qui engendre les conditions de son dépassement (et non de sa destruction). Enfin c’est comme ça que je comprends les choses.

    • @rolib,
      Je ne vois pas en quoi les points évoqués marqueraient la différence de l’extrême-droite. L’idée de « territorialité de l’économie », si vous voulez parler de « patriotisme économique », est défendue depuis toujours par toute la classe politique française, ça va de Dupont-Aignan à Arlette en passant par Montebourde-en-marinière ou par Sarko-la-TVA-sociale. S’il s’agit de racisme anti-immigré ouvert, alors là oui c’est bien la seule « originalité » du FN mais bon, appeler ça pompeusement « territorialité de l’économie », c’est abusif.

      D’ailleurs, comme l’a fait remarquer gillib, l’extrême droite française n’a pas grande chose de la droite. Si on regarde le programme du FN, c’est du social et de l’étatisme à tous les étages. Même le programme écologique du FN est presque du copier/coller de ce qu’on peut lire chez Eva Joly.

      Quant à la « matérialité des échanges », ça veut tout et rien dire, donc c’est spécifique en rien à l’extrême droite.

      • Le programme écologique du FN c’est la nature et le territoire, chez EELV c’est une gestion collective des interdépendances avec le milieu (et pas uniquement physique et naturel)… on n’est quand même pas dans les mêmes niveaux d’abstraction. Que le FN copie son programme sur d’autres n’a pas beaucoup d’importance.

        Le « patriotisme économique » passe à la télévision, il s’agit d’un accord total de toutes ces personnes sur l’état-nation. Or ce qui n’était pas prégnant au 20è siècle l’est devenu au 21è, c’est à dire que c’est accord sur la sauvegarde de l’état-nation l’emporte finalement sur tout le reste. Que la classe politique française soit à la ramasse, je ne suis pas certain que nous soyons vraiment en désaccord, mais j’avoue ne pas avoir suivie vos commentaires sur la question : vous la trouvez à la hauteur ?

        Pour ce qui est de la matérialité… oui ça veut dire beaucoup. Je concède que l’extrême droite française n’en est pas à prôner le simplisme des échanges d’objets solides de main à main et sans tiers… mais je suis sûr qu’elle y trouve beaucoup d’avantages si ce n’est de poésie. Une personne morale est, par exemple, une notion assez immatérielle, le principe du prêt aussi… plein de choses comme ça. L’extrême-droite est toujours « étatique » à partir du moment où elle a assimilé l’idée d’état, qui est pourtant moins matériel que la communauté, car c’est un moyen de limiter les dépendances en n’en instaurant systématiquement qu’une seule (mais toujours la même)… il faut le prendre comme une concession aux dynamiques naturelles de complexification des organisations sociales humaines, un moyen de garder un niveau d’immatérialité jugé acceptable (ce qui n’est pas le cas pour de nombreuses organisations islamistes par exemple) parce que reproduisant une hiérarchie familiale patriarcale.

        • Et je vous prie d’excuser mon écriture parfois phonétique qui me fait mettre des mots à la place d’autres… ça m’arrive souvent en ce moment (vivement les vacances) et j’en suis désolé. J’espère rester un minimum compréhensible.

  • « la droite décomplexée ».

    Tout politicard qui se dit « décomplexé » m’atterre d’avance.

    Le moins que je puisse attendre d’un politicien est qu’il accepte une réalité : gouverner, légiférer, c’est complexe. Ca DOIT complexer, faire réfléchir, peser le pour et le contre.

    Je paie un politicien pour qu’il soit complexé, pétri de doutes face à des tensions ultra-contradictoires, et arrive quand même à décider de manière pas trop stupide.

    En politique, « décomplexé », c’est un autre mot pour dire « complètement barge ».

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