Le parachute doré, la « solution yéménite » de Wall Street

L’immoralité du parachute doré ne le rend pas moins utile et le supprimer sans lui trouver de remplaçant aurait des effets négatifs

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
parachute doré

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Le parachute doré, la « solution yéménite » de Wall Street

Publié le 3 juin 2012
- A +

L’immoralité du parachute doré ne le rend pas moins utile et le supprimer sans lui trouver de remplaçant aurait des effets négatifs.

Par Acrithène.

Pourquoi les actionnaires font-ils des cadeaux à leurs dirigeants les moins méritants ? Voilà une question qui laisse perplexe. Le fait que ces parachutes ne soient pas accordés au moment du licenciement mais à celui de l’embauche donne un premier indice. La théorie des jeux offre toute une série d’explications sur l’intérêt qu’ont les entreprises à promettre un bonus pour cause d’échec… tout un paradoxe !

Un raisonnement par induction inversé

Lorsque vous choisissez un mouvement aux échecs, vous devez analyser la réponse de votre adversaire à chaque mouvement envisageable. C’est sur la base de cette réponse, que vous choisirez votre propre mouvement. Autrement dit, le raisonnement que vous effectuez se fait dans l’ordre anti-chronologique. Un bon joueur tentera d’analyser les conséquences d’un mouvement dans plusieurs tours avant de choisir son action au tour actuel. En théorie des jeux, on appelle cela une résolution par backward induction (la traduction française de « raisonnement rétrograde » n’est franchement pas vendeuse). Voyons comment cela nous aide…

Décourager les dirigeants de s’accrocher à leur poste

Globalement, l’ensemble des raisonnements qui suivent relèvent essentiellement de la même idée : réduire l’aversion des dirigeants à leur licenciement. Le Golden Parachute est conçu au moment de l’embauche dans l’intérêt de l’entreprise qui en fait un instrument anticipant les situations dans lesquelles le risque de licenciement conduirait les dirigeants à agir contre l’intérêt de leur entreprise.

— Encourager les bons risques. Toute décision d’une entreprise repose sur l’appréciation d’une perspective de profit au regard des risques encourus. Or l’appréciation d’un risque dépend de la perspective retenue. À l’échelle d’un pays, les risques sont dilués par la loi des grands nombres (en lançant un dé, la probabilité d’obtenir seulement « 1 » est assez significative, mais si vous effectuez 1 000 lancés, vous êtes quasiment assurés d’avoir une moyenne de 3,5). Ce qui est vrai à l’échelle d’une nation est vrai dans la perspective des actionnaires de grands groupes, dont les intérêts sont totalement éparpillés. Au contraire, les intérêts des dirigeants sont concentrés dans leur entreprise et peut les conduire à un excès de prudence : ils n’ont qu’un seul dé. Le Golden Parachute est une assurance contre l’échec d’une stratégie a priori bonne. Il promeut le dynamisme contre la mollesse de dirigeants planqués. De ce point de vue, il aligne la perspective des dirigeants avec celle de la collectivité.

— Décourager la rétention d’informations. Les dirigeants ont une connaissance privilégiée de l’entreprise qu’ils président. Que doivent-ils faire lorsqu’ils détiennent une information ou un avis susceptible de provoquer leur licenciement ? Il semble clair que leur intérêt est de cacher le plus longtemps possible ces informations aux marchés. Le Golden Parachute, en réduisant pour le dirigeant le coût de son licenciement, réduit le risque d’une gestion mensongère.

— Promouvoir les rapprochements d’entreprises. Lorsqu’une entreprise fait face à une offre de rachat, les actionnaires demandent aux dirigeants de donner un avis consultatif. Vendre l’entreprise au prix offert, est-ce une bonne affaire au vu de ses perspectives ? Il est possible que la réponse soit positive mais que la fusion implique le changement des dirigeants. Auquel cas, ces derniers auraient intérêt à tromper les actionnaires. À nouveau, le package de sortie réduit cette incitation pernicieuse.

— Simplifier les divorces. Lorsqu’une entreprise se sépare d’un dirigeant, elle se fâche avec quelqu’un dont le pouvoir de nuisance est immense. Il est assez fréquent de voir des dirigeants remerciés aller étaler leurs états d’âme dans la presse. Le Golden Parachute est ici le prix de la paix.

D’un point de vue éthique, les Golden Parachutes sont problématiques. Lorsque les actionnaires embauchent un dirigeant, ils ne peuvent s’empêcher de lui confier un pistolet pour leur tirer dans les pieds. Le Golden Parachute sert à racheter à ce pistolet. Il rémunère la capacité de nuisance dont dispose tout dirigeant. Pour que le parachute fonctionne, il faut qu’il soit assuré contractuellement avant l’apparition des problèmes. Aussi, et de nombreux média le négligent, les actionnaires ne peuvent rejeter que symboliquement le parachute doré au moment du licenciement. C’est un engagement contractuel sur lequel les actionnaires ne peuvent légalement pas revenir ! M. Gourgeon conservera son parachute malgré la décision de l’assemblée générale d’Air France !

Hélas, l’immoralité de ce mécanisme ne le rend pas moins utile et le supprimer sans lui trouver de remplaçant aurait des effets négatifs. En matière de diplomatie, les médias évoquent souvent la fameuse « solution yéménite » qui consiste à offrir une retraite acceptable à un dirigeant autoritaire afin qu’il accepte de renoncer au pouvoir sans effusion de sang, sortie de crise improbable lorsqu’il s’attend à un lynchage. Le Golden Parachute est la solution yéménite de Wall Street, immorale, mais bien pratique…

—-
Sur le web.

Voir les commentaires (18)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (18)
  • Quand il s’agit de se remplir les poches on trouve toujours les meilleurs arguments. Je ne crois pas au sacro-saint secrêt de nos dirigeants qui mettrait les sociétés du CAC40 en danger. Ce texte est un montage intellectuel pour nous endormir!
    Il faudrait peut être indexer les revenus de nos dirigeants aux emplois créés et non aux profits engrangés!

    • Une économie qui fonctionne correctement détruit des emplois et en créée de nouveaux à d’autres endroits. Avec ce genre de propositions nous serions encore tous agriculteurs !

      Le chômage existe essentiellement du fait des gens comme vous qui raisonnent à l’envers et veulent faire du but de l’activité économique l’emploi, alors que c’est au contraire le travail qui est moyen.

  • Expliquation fumeuse de l’article, qui pourrait s’appliquer à tout salarié.

    Tout à fait d’accord avec René

  • Je me permets d’avoir une approche bien plus simple:
    Vous voulez m’embaucher parce que je suis exceptionnel, ok…mais si l’exception ne se révèle plus la règle, vous allez me virer, alors ok pour l’embauche mais si je me retrouve sur le carreau, je veux pouvoir atterrir sur un terrain bien moelleux, me relever et rechercher un nouveau job.
    Pour moi, rien d’immoral là dedans.

    • Je ne sais pas si c’est fumeux ;), je présente juste les arguments qu’on trouve dans la littérature académique.

    • Cette explication est peut-être valide quant au souhait des dirigeants d’obtenir des parachutes dorés. Mais elle n’explique en rien pourquoi les actionnaires acceptent de les leur offrir ?

      • Vincent Bénard avait parlé il y a quelques temps de ceci : il y a toujours un risque qu’un top manager ne convienne pas à l’entreprise et il est nécessaire de pouvoir les virer immédiatement dès que cela se révèle.
        David Descoteaux a aussi récemment écrit surle comportement moutonnier des actionnaires.

  • Effectivement, il vaux mieux payer pour se débarrasser d’un mauvais vite que le voir s’accrocher à son poste par tous les moyens.

    @ph11: belle mémoire. voici l’article:
    https://www.contrepoints.org/2011/06/03/27885-la-chasse-aux-gros-salaires

    Avec, en fin d’articles, des suggestions pour réduire certains abus liés au « capitalisme de connivence ».

  • la « solution yéménite » http://goo.gl/22d8c

  • « Avec ce genre de propositions nous serions encore tous agriculteurs ! »
    C’est justement parce que nous ne sommes plus des agriculteurs que ma proposition pourrait trouver une certaine légitimité!
    La crise actuelle n’est-elle pas une crise de croissance des pays du G7. Un arbre ne peut pas monter jusqu’au ciel.
    Malgré une mauvaise répartition des richesses j’ai l’impression que nous sommes arrivé à une forme de saturation de la consommation: Voyez l’automobile, la nourriture, l’habillement. etc… tous ces marchés sont saturés!

    • Ah non je ne sature pas moi personnellement, je veux bien tout ce que vous citez en plus grande quantité ou meilleure qualité…

  • Le « Parachute Doré n’est pas absolument pas immoral.
    Bien au contraire, il est même inscrit dans la loi en France.

    Tout employé à droit à une indemnité en cas de licenciement.
    Indemnité qui est soit négociée soit calculée sur les bases de la loi.

    Le « Parachuté Doré » n’est rien d’autre que cette indemnité légale, négociée !!!

    Est-ce à dire que les socialistes (qui jugent l’économie à l’aune d’une morale dont ils seraient les seuls dépositaires) sont contre les indemnités de licenciement???
    Non, bien sur. Ils veulent même qu’elles soient bien plus élevées. Mais pas pour les dirigeants.
    Alors? Alors, un petit tour de passe-passe sémantique fait par les socialistes transforme l’indemnité de licenciement en a fait une « chose immorale ». Et hop, on prend le terme américain (ou les vilains ultra-capitalistes américains) de Golden Parachute. C’est un paiement attribué à des dirigeants limogés (donc une indemnité de licenciement). Mais comme c’est américain, c’est donc forcément immoral (au sens de la moralité de la gauche…). Et on balance cela au peuple, en se gardant bien de dire ce que sont réellement ces « golden parachute ».
    http://en.wikipedia.org/wiki/Golden_parachute

    Mais en réalité, c’est juste une indemnité de licenciement comme pour tout les autres employés.

    • Il n’est pas illégal, certes. Mais c’est juridiquement très différent de l’indemnité versé à un salarié. Si le PDG est salarié, il aura une indemnité à ce titre, qui ne s’appelle pas un parachute doré.

      Mais le PDG est surtout un mandataire, c’est-à-dire un représentant. Or il est philosophiquement logique que quelqu’un puisse retirer son mandant à la personne qui le représente sans avoir à payer pour. La question du parachute doré est plus lié à cette dimension du dirigeant.

      • L’immoralité du parachute doré est que son volume est gonflé par la capacité de nuisance et non par le mérite.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Par Patrick Carroll.

Le 13 septembre 1970, le New York Times a publié un article de Milton Friedman qui allait devenir l'un des articles les plus célèbres - et les plus controversés - de toute l'économie. L'article était intitulé « A Friedman doctrine— The Social Responsibility of Business Is to Increase Its Profits ».

Selon la désormais célèbre doctrine Friedman, la seule mission d'une entreprise est de réaliser des profits pour ses actionnaires. Elle n'a pas d'autre "responsabilité sociale", telles que la prise en charge des ... Poursuivre la lecture

0
Sauvegarder cet article

Par Frédéric Peltier, Avocat, Président de l’Association des Actionnaires Actifs.

 

Dans une tribune parue dans Le Figaro le 30 mai dernier, Alain Minc dénonce : « Pire que les Insoumis, le gauchisme actionnarial venu de Wall Street ».

Ce titre aux relents trumpiste illustre bien la radicalisation heureusement minoritaire, quoiqu'influente, de quelques grands esprits qui pensent que les dirigeants des grands groupes doivent demeurer au-dessus de la mêlée des actionnaires. Au nom d’une prétendue légitimité supérieure ... Poursuivre la lecture

Divine surprise que tous ces articles relatant les 100 000 euros perçus en moyenne par les salariés de La Redoute, une magnifique démonstration de la puissance de l’actionnariat salarié. La somme passe très bien dans l’opinion : il y a bien sûr dans ce cas une dimension chance, la mise était faible, c’est arrivé vite mais ça a été aussi un énorme travail et le fruit d’une cohésion exceptionnelle de toutes les équipes. Voilà une juste récompense  !

Par contre, on a peu parlé de l’actionnariat salarié chez TotalEnergies sur lequel la fou... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles