Utopialand : le retour de l’utopie

La « normalité » du président Hollande coïncide avec une remarquable absence de vision et de stratégie : les rares aperçus qu’il ait montré d’une vision globale rappellent la social-démocratie prospère de la France des années 1960

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Utopialand : le retour de l’utopie

Publié le 19 mai 2012
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La « normalité » du président Hollande coïncide avec une remarquable absence de vision et de stratégie : les rares aperçus qu’il ait montré d’une vision globale rappellent la social-démocratie prospère de la France des années 1960. Hollande va donc chercher à faire miroiter aux autres dirigeants européens la vision d’un monde qui n’existe plus. Mais une façade de normalité ne suffira pas à résister aux réels dangers qui menacent les fondations même des sociétés européennes.

Par Guy Sorman.

Bien que la France ne revendique plus le devant de la scène de l’histoire mondiale, elle reste influente au-delà de ses frontières nationales. Depuis le XVIIIe siècle – depuis la Révolution, jusqu’au rôle épique de Charles de Gaulle pendant la Seconde guerre mondiale, la décolonisation de l’Afrique et la révolte estudiantine de mai 1968 – la France a souvent été un indicateur des profonds bouleversements sociaux de l’Europe. La récente élection présidentielle s’inscrira-t-elle dans le droit fil de cette tradition ?

François Hollande, un bureaucrate assez terne, a mené campagne en promettant d’être un président « normal », contrairement à Nicolas Sarkozy, le président sortant haut en couleur – et à vrai dire, contrairement aussi à tous ses prédécesseurs depuis l’instauration de la Ve République en 1959. La victoire de Hollande pourrait être le signe que les pays démocratiques sont devenus réticents à l’idée d’être gouvernés par des présidents ou Premiers ministres flamboyants ou charismatiques.

En fait, dans l’ensemble de l’Europe, aucune démocratie n’est aujourd’hui dirigée par une personnalité forte ou séduisante. L’Italie est toujours gouvernée par une administration intérimaire, mais dans ce pays également, les électeurs semblent s’être lassés d’être dirigés par un chef d’État excessif. L’Europe n’a plus de Nicolas Sarkozy ou de Silvio Berlusconi, mais elle n’a plus non plus de Margaret Thatcher, de Helmut Kohl, ou de José Maria Aznar. À une époque de crise économique et institutionnelle en Europe, tous les dirigeants européens semblent être, disons, extrêmement normaux.

Nombreux seront ceux à penser que la victoire de la normalité sur le charisme est une raison de se réjouir. La démocratie est après tout le processus par lequel des citoyens normaux élisent des femmes et des hommes normaux pour les diriger sur une période de temps donnée selon des règles établies.

Mais cette tendance à la normalité des chefs d’État européens coïncide avec une remarquable absence de vision et de stratégie. Si l’un ou l’autre de ces dirigeants normaux a une stratégie à long terme pour l’Europe (et qui peut penser que Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, ou Catherine Ashton, la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères, ait une telle vision ?), ils ont de toute évidence la plus grande peine à la communiquer.

Dans le cas de Hollande, les rares aperçus qu’il ait montré d’une vision globale rappellent la social-démocratie prospère de la France des années 1960 : un État providence fort, accompagné de dépenses publiques importantes pour encourager la croissance et l’emploi. La référence de Hollande semble être l’époque idyllique d’après-guerre de sa jeunesse, une période de forte croissance, de renouvellement démographique, d’une immigration limitée et d’une faible concurrence mondiale.

En d’autres termes, Hollande cherchera à faire miroiter aux autres dirigeants européens la vision d’un monde qui n’existe plus. Cette politique de la nostalgie est inquiétante, non seulement parce que la France et l’Europe sont confrontées à de graves difficultés économiques, mais également parce que la France et d’autres démocraties sont confrontées à de réelles remises en cause de leur légitimité.

Pour l’avenir, qui sait, l’élection présidentielle française de 2012 pourrait ne pas évoquer la victoire de Hollande et le triomphe de la normalité, mais le pas en avant décisif  de la longue marche des partis populistes vers le pouvoir. Au premier tour de l’élection présidentielle française, l’extrême gauche, un rassemblement hétéroclite de militants anti-capitalistes et écologistes, a réuni 14 pour cent des voix. À l’extrême droite, le Front national de Marine Le Pen, l’héritier politique du fascisme français, remportait 18 pour cent des voix, le meilleur score jamais enregistré par ce parti.

Pour le dire autrement, un tiers des électeurs français est aujourd’hui attiré par des candidats porteurs d’idéologies extrémistes qui ont en commun leur rejet anti-libéral de l’euro, du capitalisme et de la mondialisation. Chacune des parties trouve ses racines dans un passé idéalisé : l’extrême gauche dans la Révolution française et sa promesse égalitaire et l’extrême droite dans l’Empire français et la domination par la race blanche des autres populations du monde.

Les deux extrêmes sont de plus fortement nationalistes. Persuadés que la France doit agir seule, ils seraient prêts à fermer l’économie à la concurrence étrangère, à supprimer les marchés financiers et à renvoyer les immigrés dans leur pays d’origine. Leur convergence va au-delà de l’irrationalité commune de leurs programmes politiques. L’électorat de base de l’extrême gauche comme de l’extrême droite est constitué des nombreux Français qui se sentent économiquement vulnérables et politiquement exclus – essentiellement, toux ceux qui se perçoivent comme n’ayant aucune chance dans une société ouverte.

Le genre de normalité de Hollande ne convainc pas ces électeurs populistes. Il ne serait pas très judicieux pour autant de ne pas les prendre au sérieux, parce que leurs aspirations utopiques se fondent sur des peurs réelles et légitimes. La mondialisation et une croissance anémique ont divisé toutes les sociétés européennes – et les États-Unis – en deux nouvelles classes sociales : ceux dont l’éducation et le capital social leur permettent de faire face à l’économie mondialisée actuelle, et ceux qui sont embourbés dans des emplois mal payés, souvent précaires (et aussi les plus directement en concurrence avec les emplois des immigrés, légaux et clandestins).

Aucun dirigeant européen traditionnel, y compris Hollande, n’a même mentionné ce nouveau clivage. En fait, tant Hollande que Sarkozy représentent ceux qui se sont adaptés à la mondialisation, et perçoivent tous les autres comme un réservoir d’électeurs à séduire et non comme une nouvelle sous-classe en voie de prolétarisation.

Cette perception superficielle du populisme fait de l’élection présidentielle française un symptôme inquiétant d’une direction aveugle de l’Europe. Une façade de normalité ne suffira pas à résister aux réels dangers qui menacent les fondations même des sociétés européennes.

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