Quel avenir pour l’Euro ?

Le futur de l’Euro peut être envisagé avec différents scénarios. Le résultat final dépendra de qui gagnera le combat actuel.

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Quel avenir pour l’Euro ?

Publié le 28 février 2012
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Le futur de l’Euro peut être envisagé avec différents scénarios. Le résultat final dépendra de qui gagnera le combat actuel.

Par Philipp Bagus (*), depuis Madrid, Espagne.

La cause ultime des problèmes de la zone euro est le malinvestissement. Et en Grèce, la lutte fait rage pour savoir qui, au final, va payer la note de ces investissements. Au début des années 2000, une politique monétaire expansionniste a entrainé une réduction artificielle des taux d’intérêts. Les entrepreneurs se sont mis à financer des projets d’investissements qui ne semblaient rentables que parce que les taux d’intérêts étaient bas mais qui n’étaient en réalité pas suivis par une véritable épargne. Des bulles immobilières et des booms de consommation se sont alors développés en périphérie.

En 2007, ces bulles ont commencé à éclater. Les prix de l’immobilier se sont mis à stagner et même à chuter et les propriétaires et les constructeurs à ne plus pouvoir rembourser leurs emprunts. Comme les banques avaient financé et investi dans ces malinvestissements, elles ont engrangé des pertes. Après la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers, les prêts interbancaires se sont effondrés et les États sont intervenus. Ils ont renfloué les banques et ont, de cette façon, assumé les pertes du système bancaire qui résultaient des malinvestissements.

Alors que les malinvestissements étaient nationalisés, les dettes publiques de la zone euro ont explosé. En parallèle, les recettes fiscales se sont effondrées à cause de la crise. Au même moment, les États se sont mis à subventionner l’industrie et le chômage.

En plus, bien avant la crise, les États avaient accumulé les malinvestissements à cause de prestations sociales excessives. Deux raisons ont encouragé les dépenses sociales en périphérie. La première est le niveau bas des taux d’intérêt. Ces taux d’intérêts bas sont dus à la politique monétaire expansionniste de la Banque Centrale Européenne (BCE) et à la monnaie unique en elle-même. L’euro est en effet né avec une garantie de renflouement implicite. Les acteurs du marché comptaient sur les États les plus solides pour venir au secours des plus faibles et sauver le projet politique de l’euro dans la perspective du pire. Les taux d’intérêts que les États italiens, espagnols, portugais et grecs payaient ont drastiquement diminué lorsque ces pays ont rejoint l’euro, leur ouvrant la voie à la dépense financée par le déficit.

La seconde cause est que l’euro vit une tragédie des biens communs, comme je l’explique dans mon livre La Tragédie de l’Euro.

Dans la zone euro, nous avons plusieurs États indépendants qui utilisent un seul système de banque centrale pour financer leurs déficits. Les coûts de ces déficits peuvent alors être partiellement externalisés sous la forme de prix plus élevés supportés par les étrangers. Prenons l’exemple suivant : le gouvernement grec dépense plus que ce qu’il ne perçoit en impôts. Pour financer la différence, il émet des obligations d’État. Les banques achètent ces obligations car elles savent qu’elles peuvent les utiliser comme garantie (ou collatéraux) pour emprunter à la BCE. Lorsque les banques utilisent les obligations d’État grecques comme collatéraux avec la BCE, elles reçoivent de sa part du nouvel argent. Elles peuvent alors utiliser ces nouvelles réserves pour étendre leurs activités de crédit. La masse monétaire augmente et les prix augmentent. Les déficits sont ainsi indirectement monétisés, et les utilisateurs de la monnaie paient.

Les prix n’augmentent pas seulement en Grèce, mais dans toute la zone euro. De cette façon, une partie des coûts du déficit grec est reportée sur les étrangers. Considérons maintenant que tous les gouvernements de la zone euro peuvent faire de même (et pas seulement le gouvernement grec), cela mène à des incitatifs pervers. Si vous avez des déficits plus élevés que les autres pays de la zone euro, vous pouvez en externaliser les coûts sur eux. Plus votre déficit est élevé relativement aux autres membres de la zone euro, plus vous y gagnez.

Il y a une redistribution monétaire des pays les mieux gérés fiscalement vers les pays les moins bien gérés. Ces incitatifs étaient connus dès le début de l’euro. L’idée était alors de restreindre ces incitatifs en fixant une limite des déficits à 3% du PIB via le Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC). Cependant, le PSC a été un échec total : malgré de nombreuses violations au pacte, aucune sanction n’a été prise. Le principal problème est que les États sont leurs propres juges. Et jusqu’à maintenant, ils ont toujours décidé qu’aucun sanction n’était nécessaire.

Aujourd’hui, les dettes publiques de plusieurs pays de la zone euro sont si élevées qu’elles ne pourront jamais être remboursées. Les gouvernements en sont incapables ou peu enclins. S’ils augmentent leurs impôts, leur économie s’effondrera, ce qui pourrait entrainer au final une augmentation des déficits. S’ils réduisent leurs dépenses, ils s’exposent au mécontentement social. Dans chaque cas, ils perdront leur influence et leurs électeurs. Et comme ces dettes ne seront pas remboursées, elles représentent des malinvestissements.

Depuis le début de la crise des dettes souveraines, la facture était payée par le système de redistribution monétaire intégré dans le système de l’euro. Les principaux contributeurs étaient les citoyens des pays les mieux gérés fiscalement comme l’Allemagne qui garantissaient ainsi implicitement les dépenses effrénées des pays en périphérie. Les renflouements de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal n’ont fait que rendre ces transferts de richesses plus visibles. Les incitatifs à sauver les gouvernements irresponsables sont alors devenus évidents pour tout le monde et les Allemands ne veulent plus payer les factures des pays de la périphérie.

La question de savoir qui va payer la facture de ces malinvestissements s’est élevée avec la crise des dettes souveraines. C’est la réponse à cette question qui décidera de l’avenir de l’euro. Il existe plusieurs possibilités en théorie.

  1. Les gouvernements de la périphérie paient eux-mêmes pour leur attitude irresponsable. Ils réduisent leurs dépenses et privatisent les biens publics. Et perdent ainsi leur influence et probablement leurs électeurs.
  2. Les gouvernements du centre de l’Europe (Allemagne, Finlande, Pays-Bas, Autriche et peut-être France) paient et vendent leurs biens publics.
  3. Les contribuables des pays en périphérie paient via une augmentation du fardeau fiscal.
  4. Les contribuables des pays du centre de l’Europe pourraient payer. Cela pourrait être réalisé via une union fiscale où les pays les plus riches et les plus solides transfèrent continuellement des fonds vers les pays les plus pauvres. Alternativement, cela pourrait être fait avec des Eurobonds. Dans ce cas, les pays en périphérie émettraient des Eurobonds qui seraient garantis par tous les États de la zone euro. Les contribuables du centre de l’Europe paieraient indirectement au travers de taux d’intérêts plus élevés sur leur propre dette publique. Le FESF, Fonds Européen de Stabilité Financière, est une autre version de cette option. La différence est qu’avec le FESF, les pays du centre ont plus de contrôle sur l’émission d’obligations pour renflouer les gouvernements en périphérie et en plus, les pays gardent chacun des taux d’intérêts différents.
  5. Les citoyens de la zone euro paient au travers de l’inflation. La BCE monétise la dette des États. Celle-ci peut le faire de différentes façons. Elle pourrait acheter encore plus d’obligations des États de la périphérie. Et elle pourrait continuer à accepter ces obligations comme collatéraux. Elle pourrait aussi indirectement aider à financer le FESF ou les Eurobonds en monétisant plus la dette publique des pays du centre.
  6. Le système financier paie. Les États surendettés font défaut sur leurs prêts. Comme le système financier a financé les dépenses publiques excessives  et est interconnecté, une crise bancaire en résulterait.

La périphérie et le gouvernement français préfèrent une combinaison des options 4 et 5, union fiscale et monétisation. La BCE préfère une union fiscale. Mais le gouvernement allemand s’oppose aux deux options, craignant l’inflation et le mécontentement de ses électeurs, fatigués de renflouer la périphérie. Les allemands veulent la mise en place d’un pacte de stabilité réformé avec des sanctions automatiques et plus de contrôle sur les dépenses publiques excessives. L’Allemagne a aussi demandé à ce que les investisseurs privés (les banques) assument une partie des pertes. En d’autres termes, l’Allemagne souhaite une combinaison des options 1, 3 et 6 : les États et les contribuables de la périphérie, ainsi que les banques assument leurs pertes.

L’avenir de l’euro dépend de qui va finalement gagner. Si la France et la périphérie l’emportent, il y aura une union fiscale et plus de centralisation. L’euro sera une monnaie politique et faible.

Si l’Allemagne l’emporte avec son pacte de stabilité réformé, l’euro sera une monnaie forte à long terme.

Cependant, il y a aussi la possibilité que le camp perdant soit tellement mécontent que la zone euro se désintègre. Dans le cas d’une victoire allemande, plus de mesures d’austérité et une baisse du niveau de vie pourrait mener sur un mécontentement social insoutenable en Grèce. La Grèce pourrait alors quitter la zone euro et dévaluer sa monnaie pour continuer ses dépenses effrénées. Cela pourrait déclencher une réaction en chaîne avec d’autres pays qui quitteraient la zone euro, causant une crise bancaire.

Dans le cas d’une défaite allemande, il y aura encore plus de centralisation en Europe et possiblement des taux d’inflation à deux chiffres. C’est alors qu’un « tea party » allemand, opposé au transfert de richesses vers la périphérie, pourrait prendre naissance. L’Allemagne pourrait quitter l’euro, déclenchant la désintégration de la zone euro et une crise bancaire.

Mais qui est en passe de gagner ? L’Allemagne a les meilleurs cartes car c’est elle qui paie et qu’elle peut menacer d’arrêter de garantir pour la périphérie. Cependant, l’autre camp pourrait avoir de meilleurs arguments pour l’emporter. La France fait partie des vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale et a plus de pouvoir géopolitique que l’Allemagne. Le gouvernement français et ses alliés sont déjà parvenus à se débarrasser du Deutsche Mark qu’ils haïssaient. L’Allemagne n’a pas cessé de  payer les autres pays depuis la Seconde Guerre Mondiale à cause d’une combinaison complexe de culpabilité et de menaces implicites de se retrouver isolée. Comme les conditions géopolitiques n’ont pas changé radicalement, il est probable qu’à l’avenir, l’Allemagne continuera à payer et que l’euro sera une monnaie faible.

(*) Philipp Bagus est professeur Associé à l’Universidad Rey Juan Carlos, Madrid.

Traduction GB pour Contrepoints (Article original).

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  • Intéressant. J’aurais plutôt parié que le successeur de Merkel, appuyé en cela par toute une génération d’électeurs allemands n’ayant pas vécu dans la culpabilité de leurs parents et grands-parents préfèrerait sortir son pays de l’union monétaire. Il me semble par exemple qu’outre-Rhin l’attitude de midinette d’Angela vis-à-vis de Sarkozy fasse grincer fort des dents.

  • il est probable qu’à l’avenir, l’Allemagne continuera à payer et que l’euro sera une monnaie faible.

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