L’héritage de David Ricardo

David Ricardo était un homme exceptionnellement habile pour le calcul

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

L’héritage de David Ricardo

Publié le 25 décembre 2011
- A +

David Ricardo était un homme exceptionnellement habile pour le calcul, comme on peut le voir dans beaucoup de ses raisonnements et dans beaucoup de passages de ses œuvres. Mais je crains qu’à cette occasion il ait un peu exagéré.

Par Francisco Cabrillo, de Madrid, Espagne

Quand on parle de l’héritage d’un penseur ou d’un scientifique, on se réfère, généralement, à son legs intellectuel, aux idées qu’il a laissé aux générations futures. Je crains, toutefois, que le sujet de cet article soit bien plus prosaïque. Je ne vais pas expliquer ce que doivent les économistes à Ricardo – c’est beaucoup – mais fournir quelques détails curieux sur l’argent qu’il laissa à ses enfants quand il décéda et la manière dont il le répartit… qui n’était pas vraiment équitable.

Nous avons déjà raconté dans cette série que David Ricardo connut l’étrange expérience de voir comment sa synagogue à Londres célébrait ses funérailles alors qu’il lui restait encore beaucoup d’années à vivre pour le simple fait qu’il avait épousé un femme d’origine quaker en dehors, donc, de la tradition juive de ses ancêtres. Mais, finalement, notre économiste mourut pour de vrai et arriva le moment de répartir l’héritage. On était en 1823.

Homme très heureux en affaires, Ricardo mourut très riche. Sa fortune a été estimée aux alentours de £675.000 – £775.000, un chiffre réellement élevé pour l’époque, si nous considérons que les revenus, par exemple, d’un travailleur de la construction étaient de £65 par an et ceux d’un médecin d’un peu plus de £200. Sans atteindre le niveau de son prolifique père, qui avait engendré pas moins de 17 fils, notre personnage s’en contenta de 8, 3 hommes et 5 femmes. Jusqu’ici, rien d’extraordinaire pour ces années-là.

Ce qui est surprenant, cependant, est le contenu de son testament. Le texte, rédigé par un avocat professionnel, inclut une série de legs aussi bien pour les parents nécessiteux que pour ses frères. Mais le plus important est le critère sur lequel il se base pour répartir entre ses fils la part substantielle d’un si grand patrimoine : la quantité que chaque fils majeur recevrait devait être au moins huit fois supérieure à celle perçue par chaque des filles.

Nous ne savons pas très bien pourquoi il adopta une si curieuse décision. Ce n’était certes pas une chose que l’on aurait vu dans sa maison, car leur père traitait de manière égale à tous ses enfants dans son testament. Il ne semble pas non plus que ce fût une décision peu réfléchie car, grâce au travail de détective réalisé en son temps par Piero Sraffa, nous savons que le testament datait du mois d’avril 1820, trois ans avant son décès donc ; et qu’il avait été modifié par deux codicilles en 1821 et 1822, qui ne changèrent rien à l’essentiel du partage. Il ne s’agissait pas non plus de problèmes qu’il aurait eu avec ses filles ; parce que l’unique conflit réel, il l’avait eu avec sa fille Fanny, dont le mariage avait soulevé beaucoup d’objections de la part de Ricardo ainsi que de son épouse. Mais il ne la discrimina pas dans son testament ; et, de plus, Fanny mourut très jeune, sans même arriver à survivre à son père.

Même l’étude de la Bible se révèle de peu d’utilité pour expliquer une préférence aussi marquée pour les mâles. Certes le Lévitique, quand il faut estimer la valeur monétaire des hommes et des femmes, considère, en règle générale, que ceux-ci valent le double de celles-là. Mais je n’ai pas été capable de trouver le moindre texte où cette différence atteindrait la proportion de un à huit.

David Ricardo était un homme exceptionnellement habile pour le calcul, comme on peut le voir dans beaucoup de ses raisonnements et dans beaucoup de passages de ses œuvres. Mais je crains qu’à cette occasion il n’ait un peu exagéré.

—-
Article originellement publié par Libre Mercado.

Voir les commentaires (2)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (2)
  • On pourrait voir une explication plus logique, du point de vue (froid) d’un économiste.
    Puisque le père de la mariée, à cette époque, devait payer une dote, ne peut-on pas penser que Ricardo ait déduit la somme de cette dote à l’héritage de chacun de ses filles?
    Etant très riche, on peut imaginer qu’il ait donné des sommes conséquentes à la famille de ses gendres, qui au total seraient mises sous la colonne « dépenses » de chacun de ses enfants. Les hommes n’ayant pas besoin d’une dote, ils auraient (logiquement) reçu plus selon cette logique.

    Qu’en pensez vous?

  • Il me semble que la Torah, comme le Coran, laisse peu de place aux filles, que ce soit pour l’héritage, la vie dans la cité, la pratique religieuse ou autre.

    Dans ces 2 religions monothéistes, il semble bien (et contrairement au christianisme) que l’inégalité hommes femmes soit théorisées par les textes sacrés.

    Comme Ricardo était juif, cela peut venir de là non ?

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
droits de succession
18
Sauvegarder cet article

Les droits de succession sont assez généralement considérés comme justifiés, et on en donne en particulier une justification prétendue morale. En effet, on considère qu’il n’est pas juste que certaines personnes puissent hériter d’un capital plus élevé que d’autres sans avoir fait les efforts nécessaires pour cela et sans le mériter.

On évoque souvent de ce point de vue l’idée selon laquelle il faut assurer « l’égalité des chances » entre tous les citoyens. Mais il faut estimer ce point de vue comme étant totalement injustifié, et c’es... Poursuivre la lecture

David Ricardo est mort le 11 septembre 1823, il y a deux siècles exactement. Jean-Baptiste Say en personne lui consacra alors un article nécrologique :

« Cet homme éclairé, cet excellent citoyen, est mort dans la force de l'âge, au bout de cinq jours de maladie, à la suite d'une tumeur dans l'oreille. » [1. Les Tablettes universelles, 27 septembre 1823, p. 23-26]

Moins connu qu'Adam Smith, Ricardo reste associé à la fameuse histoire du vin portugais échangé contre du drap anglais démontrant les vertus du libre-échange. Mais le c... Poursuivre la lecture

Dans sa tribune Droit des successions : l’hypocrisie politique, Patrick Aulnas commence sa réflexion par la phrase suivante :

« Rien n’est plus naturel que de souhaiter transmettre librement les biens que l’on possède. Si le droit de propriété n’est pas une fiction, ce principe de base est essentiel. En général, la transmission se fait vers les enfants, mais toute liberté doit exister dans ce domaine. Il appartient à chaque individu de choisir ses légataires ou ses donataires ».

Je voudrais revenir sur cette idée fondamentale po... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles