Léon Walras et les errements de l’économie mathématique

L’erreur de Walras a été de vouloir donner une grille de lecture d’une économie réellement « pure », où tout fonctionnerait rationnellement

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Léon Walras et les errements de l’économie mathématique

Publié le 3 octobre 2011
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L’erreur de Walras a été de vouloir donner une grille de lecture d’une économie réellement « pure », où tout fonctionnerait rationnellement.

Un article publié en collaboration avec l’ALEPS (*)

Les études d’ingénieur de Léon Walras (1834-1910) l’ont conduit à rêver d’une science économique qui serait plus rigoureuse, parce qu’elle utiliserait un langage mathématique. Comme Jevons, Walras utilise le principe du « calcul à la marge » pour expliquer la logique des choix individuels. Les hommes mettent en ordre les besoins qu’ils veulent satisfaire et les moyens dont ils disposent. Cette « utilité ordinale » les amène à adopter des solutions parfaitement rationnelles. Exemple fameux : dans le salon où elle consomme tasses de thé et petits gâteaux, la vieille dame anglaise va-t-elle prendre une tasse de thé de plus ou commander davantage de gâteaux ? Quelle « utilité marginale » pour chacune de ces consommations nouvelles? De même qu’on peut connaître une fonction mathématique à partir de ses dérivées, on peut comprendre les choix économiques à partir de l’utilité comparée des diverses décisions marginales.

Ce « raccourci » va faire les délices de plusieurs générations d’économistes jusqu’à ce jour, surtout à partir du moment où des ingénieurs et mathématiciens se piqueront d’économie. À partir de 1980, l’économie mathématique sera aussi le refuge des partisans de la planification meurtris par son échec et qui rejoindront la science économique à travers la passerelle des mathématiques, tout en gardant, comme Walras, une idée mécaniciste et désincarnée de l’homo œconomicus.

L’équilibre général

Plus pernicieuse encore que sa méthode (mais à cause d’elle) l’idée de Walras d’équilibre général aura un succès toujours affirmé en économie.

Grâce à un système complet d’équations, Walras essaie de reconstituer le jeu du marché, pour en démontrer – du moins le croit-il – le fonctionnement pur et parfait. Le marché n’est pas quelque chose de réel, c’est le résultat pour n produits de l’égalité totale entre offres et demandes s’accordant sur un prix théorique établi par un « crieur de prix » : ce commissaire priseur bénévole et étranger aux échangistes trouverait par le calcul le prix d’équilibre pour chaque produit. Les n prix se combinent entre eux de façon à égaliser dans une économie toutes les offres et toutes les demandes. Il n’y a donc pas d’erreur dans le marché – ce qui apparemment réfute la thèse marxiste de l’apocalypse du capitalisme.

Depuis Walras les économistes « néo-classiques » se concentrent sur cet équilibre général, dont les modèles iront en se perfectionnant : Hicks, Samuelson, Nash, Aumann. Ils introduiront successivement des amendements au marginalisme originel, par exemple en introduisant l’incertitude dans les comportements individuels, mais resteront toujours fidèles à la même référence : l’équilibre général. Keynes a lui-même défini un « équilibre global de sous-emploi », en décrivant un marché qui s’équilibre grâce au chômage.

La critique de l’équilibre général sera immédiatement formulée par Carl Menger, fondateur de l’économie autrichienne : comme la vie, l’économie est déséquilibre permanent, elle repose sur l’observation des pénuries et des excédents, elle suppose erreurs et adaptations.

L’économie pure

Alors, où est l’erreur de Walras ? C’est de vouloir donner une grille de lecture d’une économie réellement « pure », où tout fonctionnerait rationnellement. La concurrence y serait pure aussi : les entreprises nombreuses, de faible taille, d’une fluidité totale, parfaitement informées, libres d’accès au marché. Walras sait bien qu’en réalité il en est autrement : l’« économie appliquée » est différente, parce que le contexte institutionnel détourne les acteurs de la rationalité et les prix de la vérité. Mais Walras n’en a cure, il ne décrit pas ce qui est, mais ce qui devrait être. Il plaide seulement pour qu’en économie appliquée la production soit la plus fidèle possible à un système de contrats interactifs, qu’il croit trouver dans des entreprises coopératives. De ce point de vue, il est proche des socialistes utopistes français (Saint Simon, Fourier), et il émet toutes les réserves des socialistes à l’égard de la propriété privée : la relation avec l’économie de marché devient finalement très ténue et très surprenante !

—-
Article repris du site de l’ALEPS, Libres.org, avec l’aimable autorisation de Jacques Garello.

(*) L’ALEPS, présidée par le Professeur Jacques Garello, est l’Association pour la Liberté Économique et le Progrès social, fondée il y a quarante ans sous l’autorité de Jacques Rueff, dans la tradition intellectuelle française de Jean Baptiste Say et Frédéric Bastiat.

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  • —Très cher, voulez-vous reprendre un peu de chips ou de cacahuètes ?
    —Attendez, il faut que j’établisse un modèle économique complexe pour comparer les diverses valeurs marginales pour choisir ce qui parmi ces 2 aliments que je vais consommer me profitera le plus.

    Quelle grosse erreur que d’oublier de tenir compte que l’homme a d’autres facteurs que la raison dans ses choix…

  • Je ne vois pas quoi le fait de décrire un modèle duquel on souhaite se rapprocher est une « erreur ». Au contraire c’est un apport important dont on peut vérifier le bien fondé lorsque que les conditions réelles se rapprochent des hypothèses (faibles coûts de transports, information gratuite).
    L’article fait un amalgame autour du terme d’ « économie mathématique » qu’il associe à une forme de dirigisme scientiste ou à une reduction de l’homme à un homo oeconomicus vu comme une sorte de robot ( alors qu’en fait on peut très bien étendre les raisonnements micro-économiques à des choix non-économiques ).
    Et la comparaison finale avec les socialistes utopistes est plus qu’approximative.
    Pour ma part, je pense que théoriser un modèle ne veut pa dire qu’on abandonne la réalité.
    L’exemple type est celui du billard. Un joueur calcule les rebonds de sa boule sur les bandes en utilisant (inconsciemment) un modèle physique qui suppose les boules parfaitement sphériques et les bandes parfaitement droites. Celà ne veux pas dire que le joueur est un naïf qui croit que son billard est parfait, celà signifie que raisonner sur un modèle est parfois la meilleur approximation qui permet de prévoir les phénomènes.
    Si je poste ce commentaire, qui est mon premier sur Contrepoints c’est parce que que je n’avais jamais été autant déçu par la qualité d’un article.

  • Walras raisonnait sur la concurrence libre et non faussée et l’information parfaite tout comme les physiciens raisonnent sur le vide absolu, qui n’existe pas dans la réalité.

    Walras n’était pas stupide au point de l’ignorer…ça s’appelle une « expérience de pensée » : si je me demande ce qui se passe si on relâche tous les meurtriers, ça ne signifie pas que je voudrais qu’on le fasse. Si l’on se demande ce qui se serait passé si Hitler avait gagné la guerre, cela ne veut pas dire que l’on ignore qu’il l’a perdue.

    Il est facile de se moquer du raisonnement marginal, mais c’est ce raisonnement qui explique que vous souhaitez travailler 40 heures par semaine, pas 10, ni 60, que vous souhaitez dormir 7 heures par jour, pas 2, ni 12, etc. Cela permet le passage d’une vision statique à une vision dynamique de l’économie, ce qui a eu une influence considérable.

    « Quelle grosse erreur que d’oublier de tenir compte que l’homme a d’autres facteurs que la raison dans ses choix… »

    Il me semble que votre erreur tient à la confusion entre les deux sens du mot raison :
    -le processus intellectuel de prise de décision, et
    -ce que serait ce processus si nous vivions dans un monde idéal au sens où l’entendent certains philosophes…

  • Pas de signature ?
    Et comment poser un « modèle » d’optimisation sans tenir compte des Droits de propriété ?

  • Les commentaires sont fermés.

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