La macro-économie, ça n’existe pas

Plus l’économie est traitée de manière abstraite, plus elle s’éloigne de la réalité.

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La macro-économie, ça n’existe pas

Publié le 17 août 2019
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Par Yves Montenay.

J’ai heurté de nombreux collègues en leur faisant part de ma méfiance envers la macro-économie, et voudrais développer ici pourquoi.

Ma thèse est que la complexité de l’économie, qui est celle de la condition humaine en général, se prête mal à l’usage des mathématiques, voire même de la plupart des statistiques. Ancien enseignant et acteur de l’économie, je suis conscient d’aller à l’encontre de l’évolution générale des idées, mais je suis conforté dans les miennes par les échecs des explications macro-économiques contemporaines.

Pour cela, il faut d’abord un bref rappel de l’histoire des idées économiques.

 

La réflexion économique est aussi vieille que l’humanité

Contrairement à ce que je lis souvent, la réflexion économique n’est pas une préoccupation récente et méprisable qui aurait fait perdre sa prééminence à la culture générale. Cette dernière est certes irremplaçable, mais il faut avouer que c’est souvent une préoccupation de ceux qui ont déjà de quoi manger.

On trouve de nombreux textes économiques chez les Grecs de l’époque classique (500 ans avant J.-C.) puis chez les religieux et philosophes du Moyen Âge qui ont abordé l’économie d’une manière morale, et soulevaient des questions éternelles comme « le juste prix », les taux d’intérêt etc. Et ont même formulé la théorie moderne de la valeur : « le prix des choses vient de leur utilité pour l’Homme » disait Thomas d’Aquin vers 1270.

Depuis Platon, on constate que la richesse est due principalement à la division du travail et à sa contrepartie, le commerce. Et pourtant, Dieu sait que d’innombrables intellectuels, des plus conservateurs aux plus marxistes, ont taxé cette dernière activité d’immorale ou de stérile.

On constate également qu’en économie tout se tient et qu’on ne peut isoler un phénomène.

Au XVIe siècle, l’école de Salamanque estime que l’économie est une activité humaine comme une autre, et donc qu’on ne doit pas interdire la liberté de circulation des biens, des personnes et des idées, ce qui implique la propriété privée et le prêt à intérêt.

Au XVIIe siècle arrivent les mercantilistes avec Montchrestien, puis, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle avec Cantillon, Quesnay et son tableau économique, Condillac, Turgot et… Adam Smith qui échangeait avec ce dernier ainsi qu’avec Jean-Baptiste Say et qui ne doit sa célébrité de « fondateur » qu’à la « force de vente » britannique.

 

D’Adam Smith au marxisme

Adam Smith, lointain ancêtre du marxisme ? Je ne plaisante qu’à moitié. Par rapport aux mouvements d’idées que je viens d’évoquer, notre cher Adam est un « déviationniste ».

En effet, son protestantisme lui fait développer la valeur travail, un des fondements du marxisme. Ou, plus généralement le fondement des théories pour lesquelles la valeur est considérée comme objective donc mesurable et sommable… idée qui mène à la macro-économie, dont le PIB, et aux calculs d’optimisation.

Si, comme je le pense, la valeur vient de l’utilité, elle n’est ni mesurable ni comparable d’un individu à l’autre et encore moins sommable, et la macro-économie n’a pas de sens. C’est l’idée de beaucoup de libéraux dont Frédéric Bastiat, l’économiste le plus connu au monde… sauf en France.

 

Des marginalistes ambivalents

Vers 1870 arrivent les marginalistes. Leur rôle est important puisqu’ils pensent définir le mécanisme des prix en le reliant mathématiquement à la valeur : « le prix se fixe quand l’utilité marginale est égale pour l’acheteur et le vendeur ».

Je trouve leur rôle ambivalent.

  • D’un côté les raisonnements « à la marge » sont d’usage courant dans certaines professions très capitalistiques : il vaut mieux faire rouler un camion que le laisser au garage, même si le prix touché ne couvre que le carburant et une partie des coûts fixes, comme le salaire et l’amortissement. Ce qui n’empêche pas de faire faillite si on vend trop longtemps en dessous du coût moyen…
  • D’un autre cela ne se vérifie que dans certaines conditions, fréquentes, mais pas universelles puisqu’elles supposent la rationalité des acteurs et leur bonne information réciproque ainsi qu’une définition et une mesure précise des données. Bref, un outil puissant mais qu’on ne peut pas utiliser pour tout.

 

Les marginalistes ont également le mérite de montrer que la valeur d’un bien est différente dans chaque situation. Ils ont par contre l’inconvénient de faire croire que les mathématiques jouent un rôle important en économie… et donc que l’économie est une science de même nature que la physique.

Les marginalistes entretiennent également le malentendu sur « l’homo economicus » qui pour moi n’est qu’un modèle simplifié valable dans certains cas, et pas du tout un modèle général sur lequel fonder l’ensemble de l’économie. Un peu comme la physique de Newton, tout à fait valable dans de nombreux domaines, mais à laquelle il faut ajouter par exemple les frottements ou la relativité.

Bref, si les mathématiques sont utiles en micro-économie, je vois mal leur utilisation pertinente en macro-économie.

 

Le culte des mathématiques

Étant maître de conférences en économie à Sciences-po, j’ai eu beaucoup de mal à faire avaler cela à mes élèves polytechniciens en « école d’application » dans ce noble institut. D’autant que la mode et les consignes de la direction poussaient à l’usage des mathématiques. J’étais heureusement protégé par ma formation scientifique qui empêchait de me traiter d’ignorant. J’avais également noté que les grands mathématiciens comme Laplace puis Poincaré partageaient mon avis.

Il y a là un fossé profond entre deux sortes de visions. Ceux qui utilisent les mathématiques, et donc les modèles, ont spontanément tendance à penser que tout écart entre le résultat et la réalité donne tort à cette réalité, voire qu’il faudrait la changer. Autrement dit ils estiment que la rigueur mathématique rend le résultat valide, alors que leurs propres convictions d’une part et le flou des notions et des chiffres d’autre part font qu’un modèle très savant ne peut que reproduire les erreurs de son concepteur et celles grevant les données.

Ce genre d’économiste est extrêmement répandu et certains se sont illustrés au Gosplan soviétique. Les Russes racontaient que la production de casseroles étant déterminée par ce plan en poids pour rendre possibles les calculs et non en réponse à la demande. Résultat : on voyait sortir des usines des ustensiles d’une tonne qui ne trouvaient pas preneur !

 

On est incapable de mesurer et même de définir

Ces économistes oublient qu’il est très rare que l’on puisse mesurer ce dont on parle.

Prenons les revenus. On se lance dans des calculs comme si on les connaissait. Or, on ne connaît en fait que des déclarations fiscales, qui sont loin de toucher l’ensemble des populations : une minorité en France et une infime minorité dans les pays du Sud. On ne connaît pas les fortunes, sauf cas très particuliers, mais seulement des déclarations fiscales encore moins nombreuses.

Quant à ces acteurs fondamentaux que sont les entreprises, leurs déclarations dépendent de conventions (l’amortissement du matériel, la comptabilisation d’un savoir ou d’un logiciel et 1000 autres rubriques etc.).

L’indice des prix n’a pas de sens précis : on additionne les choux et les carottes, on butte sur « l’effet qualité » : comment suivre l’évolution du prix d’un ordinateur quand il est fréquemment remplacé par un nouveau modèle au même prix mais plus puissant ?  Stabilité ? L’INSEE estime que c’est une baisse, mais de combien ? Si on divisait le prix par la puissance, il y aurait longtemps que l’indicateur serait tombé à zéro !  Et le chômage ? Dans Les Échos du 16 août, les évaluations diffèrent par centaines de milliers du fait de définitions divergentes reflétant la complexité du réel ! Idem pour la masse monétaire que l’on rêvait de piloter et qui a éclaté entre réalités diverses lorsqu’on a essayé de la définir…

Dans un autre domaine, que penser de l’évaluation de la production de l’administration à son prix de revient ?  Cette rémanence de la valeur travail n’est pas cohérente avec les autres chiffres auxquels on l’ajoute ! De plus on subodore que la valeur de l’enseignement, même imparfait, est grossièrement sous-évaluée, et que celle d’autres services (chut !) est grossièrement surévaluée.

Bref plus l’économie est traitée de manière abstraite, plus elle s’éloigne de la réalité. Et cela est valable pour tous les courants de pensée, des néoclassiques aux marxistes. D’où l’idée que les outils mathématiques seraient le vice fondamental qui mine les travaux et les prévisions de la plupart des économistes actuels.

À mon avis l’économie doit étudier les causes et les processus, en revenant sans cesse aux acteurs de base, le producteur et le consommateur. Cela est probablement impossible à mathématiser, mais mieux vaut de bonnes analyses que des savants calculs menant à des résultats et donc des politiques sans rapport avec la réalité concrète.

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  • Curieux raisonnement, qui commence par affirmer à juste titre que ce sont les échanges qui donnent la valeur des marchandises et des services, et qui s’intéresse ensuite à la valeur intrinsèque des marchandises et des services pour contester des indices, certes imparfaits dans leurs calculs, mais qui sont basés justement sur la valeur de leurs échanges ?

    • Valeur et prix sont deux notions différentes. La valeur est subjective. C’est celle qu’un individu accorde à quelque chose. Le prix résulte de l’échange. Il donne une indication sur la demande d’un produit. Ce n’est pas sa valeur.

      • Cette remarque fait-elle suite à l’article lui-même, ou bien à ma simple reprise de son propre vocabulaire, qui ne change rien sur le fonds de mon propos ?

        • Je réponds à votre commentaire. L’article est quelque peu imprécis sur le sujet, c’est vrai. Ce que je précise, c’est la version de l’école autrichienne.

    • Quelle est la valeur d’échange de l’éducation en France? Ce que l’article souligne c’est que pour énormément de services et de produits cette valeur est sortie du chapeau car la marché n’est pas libre donc la valeur apparente est non seulement fausse mais impossible en l’état a déterminer par des calculs.

      • Mais … c’est la valeur cumulée de ses coûts, mesurables et mesurés (oui ok à la louche, mais mesurés quand même). Je ne vois pas où se situe le problème à mesurer de tels coûts, à le comparer à d’autres système de fonctionnement, etc …

        Pour répondre à Vodarevski, je ne crois pas que l’école autrichienne d’économie refuse en bloc toute mesure macro-économique, mais qu’elle considère seulement qu’on ne peut en tirer un modèle économique pour le futur.

        Par exemple, le problème commence quand on inclut des notions d’investissement dans l’éducation pour les générations futures pour justifier ces coûts démesurés (comme si on prétendait que sans éducation publique il n’y a pas d’éducation), mais c’est un autre sujet.

        • Je ne vois pas ce que vous voulez dire. pourriez vous préciser? Merci.

          • Hayek par exemple : « La raison humaine ne peut ni prévoir ni modeler délibérément son propre devenir. Ses avancées consistent à déceler les endroits où elle s’est trompée ».
            Enoncer que les données macro-économiques ne permettent pas de modeler correctement une société n’est pas incompatible avec leur utilisation pour en déceler les dysfonctionnements.
            D’autre part, soutenir une théorie des crises liée à l’utilisation de modèles mathématiques mal utilisés, c’est déjà faire de la macro-économie il me semble ?

            • Votre citation d’Hayek n’est pas si pertinenete que ça. Oui on procede par erreur et correction, mais ca ne veut pas dire qu’on peut avec raison s’appuyer sur raisonnement deja fallacieux pour invalider une autre hypothese.
              De plus soutenir que l’utilisation des mathematiques en analyse macro economique conduit a une mauvaise utilisation des ressources, par l’Etat (un acteur que l’on peut etudier au niveau microeconomique), ce n’est pas faire de la macro economie. C’est etudier le processus rationnel de cet acteur. C’est purement micro economique, ne vous deplaise.

              • Je ne comprends pas ce que veut montrer votre paragraphe sur la citation d’Hayek. C’est une critique de la citation elle-même, ou bien sur l’interprétation que j’en fais ?
                Sur le reste, je dis seulement qu’une théorie des crises est de fait macro-économique, quelles que soient leurs origines.

                • Oui votre interprétation est merdique. Déjà parce que la macroéconomie n’a jamais prétendu modeler la société. Seuls les politiques le prétendent. Certains économistes font des préconisations mais ce sont toujours des politiques qui les mettent en place. Une fois de plus Votre citation d’Hayek dit juste que les humains apprennent par leurs erreurs. C’est bien trop général pour en faire une validation de la méthode macroéconomique. Avec des citations hyper généralistes comme celles ci, sorties de leur contexte de surcroît je dois pouvoir arriver à vous démontrer que Jesus était athée…
                  Non toute analyse de crise n’est pas une analyse macroéconomique. C’est faux. On peut analyser une crise économique en analysant le comportement des acteurs et en utilisant la praxéologie. Ce n’est pas parce qu’on observe un phénomène économique de grande ampleur qu’on fait une analyse macro économique. Si c’est ce que vous pensez alors vous avez oublié de lire la définition de la marco économie:
                  « La macroéconomie est l’approche théorique qui étudie l’économie à travers les relations existantes entre les grands agrégats économiques, le revenu, l’investissement, la consommation, le taux de chômage, l’inflation, etc. »
                  On peut analyser une crise sans sans utiliser ces relations entre grands agrégats.
                  Vos certitudes sont fondées sur une ignorance totale du sujet dont vous parlez. Vous défendez la marcoéconomie et pourtant tout laisse penser que vous ne savez pas que c’est une méthode et non pas un sujet. La micro économie essaye d’expliquer l’inflation par le comportement rationnel des agents. Pour le même sujet, la macroéconomie vous parle de l’évolution de M3 par rapport au PIB. Bref,

            • Ce n’est pas le même point de vue. La macroéconomie a pour ambition de prévoir l’avenir, par des méthodes quantitative.

        • « Je ne vois pas où se situe le problème à mesurer de tels coûts »

          Les coûts correspondent à une destruction de richesse. En aucun cas ils ne peuvent mesurer la création de richesse. Pour une comptabilité sincère, il faudrait déduire ces coûts du PIB au lieu de les ajouter.

          A ce compte là, pourquoi ne pas ajouter la valeur accumulée des vols, des viols et des meurtres au PIB ?

          • Si vous parlez en termes de comptabilité, « Les coûts correspondent à une destruction de richesse » pour ceux qui paient, égale à la création de richesse pour ceux qui encaissent, avec un solde nul pour l’ensemble de ces échanges.

  • Le rejet de tout calcul économique est exactement le point de vue des économistes dits « atterrés », permettant ainsi de faire passer sans effort de rationalité (même si le calcul éco n’est évidement pas une condition suffisante) leurs émotions et leurs opinions dans les médias et d’y trouver un écho auprès d’une population elle-même sujette à l’émotion plus qu’à l’analyse. Quant à la valeur travail, elle est également un facteur incontournable mais insuffisant de l’évaluation des biens, y compris dans le secteur marchand, puisqu’une entreprise qui facture durablement en dessous de son coût de main-d’oeuvre a peu de chance de subsister..

    • Certains rejettent les implications mathématiques de ce qu’ils observent, et les remplacent par leurs désirs. Ca n’est pas rejeter les mathématiques, c’est rejeter le monde concret. D’autres se fient aveuglément aux résultats de tel ou tel modèle mathématique, avec la facilité que ça offre pour ne pas s’interroger sur les mécanismes à l’oeuvre et néanmoins donner des résultats. Ca n’est pas promouvoir les mathématiques, c’est rejeter le monde concret tout pareil.
      Merci en tout cas à l’auteur pour cet article, qui écarte le soupçon d’abstraction dont j’avais failli l’accuser par ailleurs.

      • Les mathématiques sont un outils merveilleux à conditions de maitriser parfaitement les données d’entré. Dans le cas contraire ça na pas plus de valeur que l’astrologie ou la boule de cristal.

        • Plus exactement, les mathématiques sont un outil merveilleux sans conditions. Toutefois, ce ne sont qu’un outil, et comme pour le ciseau à bois dans les mains de l’ébéniste, l’art de bien les utiliser n’est pas inné, même chez les polytechniciens 🙂 quoi qu’en pensent ceux qui ne sont pas ébénistes ou polytechniciens.

    • Le cout de la main d’œuvre c’est exactement ça et rien d’autre, hors il y a énormément d’autre facteurs qui entre dans le prix de fabrication d’un produit ou d’un service. Caque cas est unique, faire des moyennes ou des extrapolation ne signifie rien.

  • Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain ! Le rejet de toute vérification mathématique de l’état de l’économie – et les comparaisons qu’elles permettent – conduit à une gestion économique sentimentale, qui me fait immanquablement penser à la phrase du Rantanplan de Lucky Luke, face à un putois : « je sens confusément quelque chose »

    • Non le rejet des mathématique conduit à renoncer à gérer l’économie, cela conduit au libéralisme, a une économie géré par ses acteurs sans l’intervention inutile et le plus souvent destructrices et injuste des états. l’économie comme la religion n’a pas besoin de gourous et de charlatans pour fonctionner.

  • Alors que dire des sondages!

  • La macroéconomie constitue l’outil essentiel d’analyse des politiques économiques des États. Elle est l’approche théorique qui étudie l’économie à travers les relations existantes entre les grands agrégats économiques, le revenu, l’investissement, la consommation, le taux de chômage, l’inflation, etc. (source wikipedia).

    La macroéconomie est donc la science de l’interventionnisme : on mesure plus ou moins bien des paramètres préalablement choisis, puis on influence celui-ci ou celui-là (selon des choix politiques) de manière à obtenir un équilibre souhaité. Quant on y songe c’est osé !

  • Le problème de la macroéconomie ce n’est pas les mathématiques mais la « macro » et les relations tirées du chapeau (type multiplicateur) que l’on y injecte. Les modélisateurs connaissent bien l’adage : « garbage in, garbage out ». Ces relations ont souvent été obtenues avec de très vagues corrélations (sur lesquelles les idéologues se jettent quand ils pensent que cela conforte leurs idées), sans que l’on sache vraiment distinguer ce qui est cause et ce qui est effet et sans que l’on ait une définition incontestable des grandeurs manipulées.
    La seule façon correcte de faire de l’économie est de partir du « micro » en essayant de comprendre comment fonctionne chaque acteur élémentaire. Beaucoup de choses s’éclairent si l’on suppose (on n’échappe pas à cette hypothèse) que les acteurs agissent en fonction de leurs motivations et bien sur de leurs connaissances (qui sont partielles et souvent erronées).
    Un exemple dans l’actualité récente : la fameuse inversion des taux censée être un indicateur de récession à venir. On nous dit que chaque fois que c’est arrivé la récession s’est produite peu après. Plus prosaïquement on peut simplement penser que les entrepreneurs n’ont envie d’emprunter que s’ils ont des projets qui ont des chances d’être profitables (i.e. des débouchés et une pression fiscale qui leur laisse une part raisonnable de bénéfice quand il y en a). S’ils n’ont pas cette envie et si des préteurs potentiels ne savent plus quoi faire de leurs liquidités, les taux longs d’intérêt s’effondrent. Le fait que les états restent de gros emprunteurs freine un peu le mécanisme mais comme les états n’investissent que très peu avec ce qu’ils empruntent ils ne soutiennent pas la croissance future. C’est donc bien la moindre envie d’investir et donc la récession (pas d’investissement entraine une production qui stagne) qui implique la baisse des taux du fait de la loi de l’offre et de la demande sur le prix (le taux) des capitaux. La récession n’est donc pas à venir, elle est déjà là. Il ne faut pas s’illusionner sur un chiffre magique encore légèrement positif car au niveau de précision de la connaissance du PIB (dont un très gros morceau est simplement estimé à son cout de production même si sa valeur vraisemblable de marché est bien inférieure) 1% par an peut en réalité être du négatif.

    • A propos de l’inversion de la courbe, il ne faut pas l’expliquer par les motivations complexes des marchés, alors qu’ils sont mis hors du jeu par les banques centrales. La situation est toute simple, dramatiquement simple.

      La BC détermine le niveau des taux courts par ses taux directeurs. Les taux courts de marchés ne peuvent pas être durablement inférieurs aux taux directeurs. En parallèle, la BC rachète les taux longs, hier par ses QE, aujourd’hui par le renouvellement constant de son bilan. Il ne reste que les miettes pour le marché, rareté artificielle qui crée une foire d’empoigne incroyable pour acquérir les derniers produits encore disponibles une fois l’ogre passé. Les taux longs s’effondrent, menacent de passer négatifs ou le sont déjà (pratiquement un tiers des dettes mondiales sont à taux négatif). La courbe des taux n’est plus le reflet du marché (la volonté de millions d’acteurs) mais d’une économie administrée (la volonté de quelques fonctionnaires). Le prix de l’argent n’existe plus. Il ne reste que des tarifs administratifs.

      Autrement dit, la courbe ne fournit plus aucune information pertinente et c’est dramatique car il s’agissait d’un des meilleurs indicateurs avancés d’alerte économique. Nous sommes dans la situation d’un navire dont le commandant de bord aurait saccagé volontairement les instruments et les commandes de la passerelle. Le commandant donne encore des ordres mais il n’a plus d’information valable pour le guider et il n’a plus de liaison avec la salle des machines.

      Désormais, on avance à l’aveugle. Vers le gouffre ? Personne ne peut le dire. L’information a été irrémédiablement détruite par les banques centrales.

      • Je suis bien d’accord sur la nocivité de l’action de la BCE qui perturbe à la fois le thermomètre et conduit les acteurs économiques à des décisions funestes (maintien en vie d’entreprises zombies par exemple). Je ne suis cependant pas sur qu’elle ait tant de pouvoir que cela. Il est sur que si la BCE n’achetait pas tant de dette publique (et si les banques et assureurs n’étaient pas forcés de l’acheter par la réglementation) les taux à long terme remonteraient un peu mais cela s’essoufflerait vite sans entrepreneurs prêts à s’endetter sur des projets sérieux. Quant aux taux courts, la banque centrale peut essayer de les tirer encore plus vers le bas mais les banques ordinaires ne peuvent suivre que si elles trouvent des clients capables au moins de rembourser le capital à l’échéance. En situation de récession ils sont durs à trouver.
        Derrière notre finance devenue folle (et incapable de toutes façons de redresser seule l’économie) il y a des déterminants puissants. Le principal me semble le manque de projets sérieux qui lui même résulte du mauvais traitement infligé à tous ceux qui veulent faire preuve d’inventivité, prendre des risques et travailler plus. Si l’on veut de la croissance, il faut récompenser les entrepreneurs. Tout le reste est de la rêverie ou de la tromperie.

        • ECB, Fed, BoJ, BNS, BoE, PBoC et d’autres banques centrales mineures : toutes irresponsables et coupables à divers degrés. Seule la Fed semblait recouvrer la raison ces derniers temps (et c’était bien joué pour faire payer la décrue de son bilan au reste du monde) mais on peut craindre le pire à nouveau.

          Au terme de la folie monétaire, on aura quand même une récession, d’autant plus grave que les zombies tomberont tous en même temps.

          • Je pense que l’on a déjà la récession. Le sentiment d’appauvrissement de la population est un bien meilleur indicateur qu’un PIB construit avec des règles contestables. A noter aussi que tous les actifs qui s’envolent du fait de l’excès de liquidité contribuent à la croissance nominale du PIB. Ce qui n’a aucun sens puisque si un actif quelconque ne permet pas de produire plus, sa valeur intrinsèque ne croit pas. Une usine reste une usine même si sa valorisation double. De même un appartement garde la même valeur d’usage si sa valeur nominale double.

            • Méfiez vous d’employer imprudemment le concept de valeur intrinsèque dans un raisonnement économique car vous vous condamnez à devoir le définir, ce qui vous expose à une infinité de critiques fondées. Il n’y a pas de valeur intrinsèque en économie, pas plus qu’il n’existe de point fixe dans l’espace. En économie, tout est relatif, à commencer par la valeur.

              • J’en suis bien conscient. Je voulais simplement souligner que l’heureux propriétaire-occupant d’un grand appartement parisien ne tire pas plus de satisfaction de cet appartement si sa valeur d’échange est multipliée par 2. Et de même l’heureux propriétaire d’une unité de production dont la production est constante ne voit pas son niveau de vie (c’est dire ce qu’il consomme effectivement grâce à la vente de ce qu’il produit sans vendre son capital) augmenter si la valorisation de son capital explose du fait d’une nuée d’investisseur s’arrachant tout ce qu’ils peuvent acheter avec des liquidités qui leur brûlent les doigts.

                • Ce que vous dites est très vrai pour la résidence principale, un peu moins pour les résidences secondaires et plus du tout pour l’immobilier de rapport.

                  Pour l’unité de production, il y a tout lieu de penser que le prix de vente de la production augmente en corrélation avec la valeur du capital. Par exemple, un coiffeur situé à Paris gagne plus d’argent qu’un coiffeur situé à Dakar, et pourtant les deux produisent le même service à productivité égale. La différence de prix de vente s’explique par la valeur et la quantité des capitaux investis en moyenne dans chaque pays (exemple cité par Madelin).

            • Pour le reste, plutôt d’accord avec votre commentaire.

  • Je suis d’accord avec l’article:
    « l’économie doit étudier les causes et les processus… » des actions humaines.
    J’ajouterais les conséquences, y compris celles qui sont lointaines ou difficiles à percevoir comme le pensait Bastiat, « ce qui se voit et ce qui ne se voit pas ».

  • L’économie est on ne peut plus concrète, c’est juste une question d’échanges. Elle se moque des théories à la mort moi le noeud des intellectuels. Leur spécialité ce sont les spéculations futiles, comme nous le constatons depuis 40 ans en France. Depuis tout ce temps ils palabrent pendant que l’économie du pays se dégrade de plus en plus. Cela rappelle le sexe des anges des Bizantins!

  • L’article cite avec justesse la problématique de la valeur objective. Avant même les néoclassiques, qui ont mathématisé l’économie, les relations mathématiques étaient présentes dans la répartition de la valeur par Ricardo, entre le travail, la rente, et le profit. Les néoclassiques ont adopté le marginalisme comme théorie de la valeur, mais gardé la notion de valeur objective.
    Quand on regarde l’évolution de la pensée économique, on a l’impression d’une volonté de trouver des relations mécaniques. De faire entrer la réalité dans une théorie, et non d’adapter la théorie à la réalité. Il n’y a pas vraiment de justification à l’utilisation des mathématiques pour la théorie économique.
    Cette réflexion sur l’utilisation des mathématiques existe dans l’école autrichienne. Elle a choisi de ne pas les utiliser, par raisonnement épistémologique, ce qui la rend plus précise que les autres théories économiques.
    http://ecole-autrichienne-d-economie.over-blog.com/2018/05/economie-et-mathematiques.html

  • la macroéconomie n’est pas le problème mais son utilisation politique.

    si elle était purement descriptive et scientifique ça ne serait pas un problème, mais elle va de pair avec l’interventionnisme économique.

    • L’économie a été formalisée d’abord pour son utilité politique, pour rapidement conclure qu’il ne fallait surtout pas d’intervention politique en économie, avec la fameux sentence « Sire, surtout ne faites rien ! Vous nous avez assez aidés. »

      Et puis les socialistes sont apparus, avides et cyniques… Patatras !

      Nous en sommes là.

  • Merci d’avoir explicité si clairement ce qui me semble une évidence.
    Ce qui est vrai en économie l’est aussi en d’autres domaines que l’on cherche à modéliser globalement, souvent pour justifier telle ou telle position/décision a posteriori.
    Et l’absence de formation scientifique suffisante pour tous conduit nombre de nos contemporains à adhérer à tout positionnement appuyé sur des résultats mathématiques: s’ils n’y comprennent rien, c’est que ça doit venir de gens très savants, donc c’est incontestable…

  • Mouais… l’auteur a écrit qu’une approche systémique mauvaise, c’était mal et qu’il valait mieux une approche analytique bonne.
    Ah, ça, c’est sûr : mieux vaut être bien portant que malade !

    Quant au mauvais exemple russe habituel ….

    Au fait, comment doivent faire les méga entreprises ? Il est facile de dire qu’elles ne doivent s’occuper que de leurs fournisseurs et de leurs clients ! Tant que ça marche…
    Pour l’auteur, le meilleur à son poste doit être très probablement le Directeur Financier, le « cost killer », celui qui dit aux autres comment et combien ils doivent moins coûter, le dos tourné vers l’avenir.

    • Les grandes entreprises ont souvent les mêmes travers que les états (leur dirigeants sont issue du même sérail) et souvent elle en paient le prix fort (GE). certaines par contre font fit de tout calculs et se focalise sur les éléments qui compte vraiment: le produits (apple), le client (amazon), la performance (google), l’innovation (telsa)…mais même pour les entreprises qui réussissent il n’existe pas de recette universelle et intemporelle, leur calcul économique peut être valable à un moment donné et ne plus marché à un autre sans que l’on sache vraiment pourquoi (sinon aucune société ne ferait faillite).

  • Comme la météo ce n’est donc pas une science exacte et cela demande de modifier constamment les paramètres , la succession continuelle des prix Nobel d’économie en est la preuve. Il y a beaucoup d’approximations qui font un tout cohérent.

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David Ricardo est mort le 11 septembre 1823, il y a deux siècles exactement. Jean-Baptiste Say en personne lui consacra alors un article nécrologique :

« Cet homme éclairé, cet excellent citoyen, est mort dans la force de l'âge, au bout de cinq jours de maladie, à la suite d'une tumeur dans l'oreille. » [1. Les Tablettes universelles, 27 septembre 1823, p. 23-26]

Moins connu qu'Adam Smith, Ricardo reste associé à la fameuse histoire du vin portugais échangé contre du drap anglais démontrant les vertus du libre-échange. Mais le c... Poursuivre la lecture

Par Peter Jacobsen.

 

Cette semaine, dans le cadre de la rubrique "Demandez à un économiste", j'ai reçu l'interrogation d'un lecteur nommé Mark :

« J'ai travaillé avec des immigrés qui se sont récemment installés aux États-Unis, ainsi qu'avec des travailleurs qui vivent encore dans leur pays d'origine, et qui travaillent pour moi à distance.

D'après mon expérience, ils sont en moyenne beaucoup plus travailleurs et plus qualifiés (même dans les domaines techniques) que mes collègues américains. Les étrangers tr... Poursuivre la lecture

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https://www.youtube.com/watch?v=n-ByvxRCYLA

 

 

On résume souvent Adam Smith à sa « main invisible », sa volonté de laisser-faire dans tous les domaines.

Si Adam Smith est bien le premier à avoir compris que la richesse d’une nation provient des échanges spontanés entre humains, et non des directives étatiques. Il a aussi parfaitement défini les cas où le laisser-faire était dommageable.

Plus précisément, Adam Smith n’a pas donné une philosophie attachée à un idéal de vie comme a pu ... Poursuivre la lecture

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