The Closing of the Muslim Mind, La fermeture de l’islam

The Closing of the Muslim Mind, comment la civilisation islamique a découvert la raison, pour finir par la rejeter.

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The Closing of the American Mind

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The Closing of the Muslim Mind, La fermeture de l’islam

Publié le 21 août 2011
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The Closing of the Muslim MindLivre en vente sur Amazon Fr.

Avec The Closing of the Muslim Mind, c’est la première fois que j’accepte de chroniquer un livre sans avoir jamais entendu parler de l’auteur, et je ne regrette pas ce pari. Robert R. Reilly, l’auteur dont nous parlons, a fait partie de plusieurs administrations républicaines (Reagan et Bush fils) et est Senior Fellow à l’American Foreign Policy Council. Voilà qui nous indique qu’il s’est probablement intéressé au Moyen-Orient, mais ne nous indique guère son niveau d’expertise quant à notre sujet.

L’avant-propos est signé Roger Scruton, un des plus éminents philosophes conservateurs anglophones contemporains, ce qui annonce plutôt un livre de bonne facture. Allons vérifier cette impression.

Le titre du livre semble provoquant, mais il n’est pas là par hasard. D’une part, il s’agit d’une allusion à The Closing of the American Mind, d’Allan Bloom [1] ; d’autre part, il ne s’agit pas de l’esprit de chaque musulman, mais de la capacité de la culture musulmane à intégrer des idées nouvelles. En effet, cet ouvrage traite d’un des grands drames intellectuels de l’Histoire humaine : comment la civilisation islamique a découvert la raison, pour finir par la rejeter. Plus précisément, comment et surtout pourquoi l’essentiel de l’islam sunnite [2] a abandonné l’idée d’interroger la réalité avec la raison humaine, c’est-à-dire s’est dé-hellénisé.

Il existe deux manières de fermer son esprit à la réalité : nier la capacité de connaitre quoi que ce soit avec sa raison, et nier que la réalité soit connaissable. Le monde islamique a fini par adopter ces deux manières. Cette lutte intellectuelle n’a rien d’abstrait : elle continue d’influencer la weltanschauung du monde sunnite, son (manque de) développement, et jusqu’à la crise islamiste qui le secoue et nous secoue.

L’ouvrage, enfin, repose sur de nombreuses citations de sources primaires : philosophes médiévaux et penseurs contemporains [3]. Parcourons-le ensemble.

La scène qui ouvre notre drame se déroule dans l’Arabie pré-islamique, une société tribale typique. Philosophie et pensée grecque n’ont pas pénétré la péninsule. Arrive l’Islam qui unifie les tribus, stoppe leurs razzias mutuelles mais part à la conquête du monde extérieur. Parmi les premières conquêtes, on trouve des pans de l’Empire Byzantin où la pensée des Grecs (science et philosophie confondues) est bien établie chez les intellectuels. Le monothéisme se heurte alors à la raison pure : est-elle compatible avec la révélation, et avec son interprétation traditionnelle ?

Le débat oppose la Qadariyya à la Jabariyya, écoles soutenant respectivement l’existence du libre-arbitre humain et la détermination complète de l’Homme par la toute-puissance d’Allah. Comme souvent en Islam, la lutte est aussi politique : les Omeyyades décadents apprécient la Jabariyya, qui les exonère de toute responsabilité dans leurs méfaits. Ils furent renversés par les Abbassides qui s’appuyaient sur les Qadarites, ou plutôt sur les successeurs de ces derniers, les Motazilites.

Pour ces derniers, non seulement l’Homme est libre, mais la révélation et la justice divine sont accessibles à la raison… Ce qui permettait par ailleurs aux Abbassides de juguler le pouvoir des interprètes de la jurisprudence, les oulémas. Les Motazilites, théologiens rationalistes, pensaient que le Coran a été créé [4], qu’il pouvait donc être interrogé avec la raison, que cette dernière avait des choses à dire sur la moralité et la nature de Dieu, notamment que ce dernier était bon et juste par nature. De même, pour eux la réalité existe objectivement, est connaissable, organisée selon des lois elles-mêmes connaissables ; en somme, des positions qu’on retrouvera plus tard en terre chrétienne chez un Thomas d’Aquin. Pour les Motazilites, la raison précède la révélation parce que la raison est la nature de Dieu. Ainsi, comme chez Aristote, une éthique purement rationnelle devient envisageable.

En 827, les Motazilites réussirent à imposer leur doctrine d’un Coran créé par le biais du calife Al-Mamun, connu pour sa Maison de la Sagesse et l’ouverture intellectuelle de son règne, sommet de l’Âge d’Or musulman. Toutefois, cette officialisation n’est pas allée sans heurts : les juges devaient jurer qu’ils adhéraient à la doctrine, et une sorte d’Inquisition fut créée pour veiller à son respect. Il y eut des condamnations à mort, et beaucoup d’emprisonnements, comme pour Ibn Hanbal, fondateur de l’école de jurisprudence hanbalite, la plus littéraliste des quatre maddhabs.

Mais au bout de quelques décennies, les choses changèrent : Al-Mutawakkil [5] revint à une théologie traditionnaliste, sous l’égide notamment des Hanbalites, et se livra à une véritable chasse aux Motazilites et à la philosophie. Certains Motazilites se réfugièrent en zone chiite, d’autres persévérèrent malgré les difficultés. La nature détestant le vide, ils furent remplacés par des oulémas, rattachés à des écoles de jurisprudence, ou maddhabs.

Ces écoles sont au nombre de quatre [6], fondées à partir du VIIIe siècle. Jusqu’au XIIe siècle, elles assuraient l’interprétation (ijtihad) du Coran ; mais après cette date, il devient généralement admis qu’il ne restait plus rien à interpréter, que le jugement personnel devait céder la place à l’application et l’imitation des précédents juridiques, et que, selon l’expression consacrée, les portes de l’ijtihad s’étaient refermées.

L’école hanbalite, la plus récente, est aussi la plus virulente contre la pensée grecque, et la plus opposée à l’application de la raison : la révélation ayant eu lieu, la raison n’a plus de rôle à jouer. Malgré la dureté des propos de Ibn Hanbal et de ses élèves, le travail de sape intellectuel fut accompli par une nouvelle école de pensée, les Acharites.

L’acharisme considère que la révélation prime la raison, utilisant les outils de la raison et de la philosophie pour soutenir la vérité de la révélation, mais non comme outils autonomes de connaissance. Son fondateur, Al-Achari, a été motazilite jusqu’à 40 ans, mais a renoncé à ses croyances, soutenant que l’homme est déterminé et que Dieu est, avant toute autre considération, omnipotent. Les conséquences de cette métaphysique de la volonté pure seront multiples et profondes.

Notamment, les raisons de Dieu sont inconnaissables, puisqu’il agit comme bon lui semble. De même, la nature n’est pas dotée de lois stables, puisque son existence et sa prolongation à chaque instant sont l’œuvre d’un miracle permanent. Cette option philosophique, connue sous le nom de volontarisme, affirme que Dieu est la cause directe de tout : si la laine brûle au contact du feu, c’est parce qu’Allah lui a ordonné de brûler. Parce qu’il est œuvre de volonté et non de raison, l’univers ne peut être connu : la volonté est sa propre finalité. Chercher à comprendre la volonté divine relève alors de l’impiété.

Un débat similaire a aussi agité la chrétienté : Augustin d’Hippone et Duns Scot contre Thomas d’Aquin, en quelque sorte. Mais l’Église avait davantage de bases pour résister au volontarisme, comme la présentation du Christ comme Logos en incipit de l’Évangile selon Jean.

Al-Ashari était ce qu’on peut appeler un atomiste extrémiste : l’univers est composé d’atomes, l’espace est composé de positions discrètes [7], et le temps de moments séparés les uns des autres. À chacun de ces moments, Dieu détruit l’univers pour le recréer l’instant d’après dans sa position suivante, ce qui permet de justifier le volontarisme dont nous avons parlé. Plus encore, comme la seule force motrice de l’univers est la volonté toute-puissante et arbitraire de Dieu, un moment n’a pas nécessairement de rapport avec le précédent : c’est l’idée même de causalité qui s’effondre [8].

C’est toutefois Al-Ghazali [9], aujourd’hui encore révéré comme un des plus grands philosophes de l’Islam, qui a poussé l’acharisme dans ses conclusions les plus extrêmes. Arbitraire, le monde ne peut plus être connu du tout, pas plus que l’éthique [10] (hormis par la Révélation) : aucun acte n’est moral ni immoral, obligatoire ou interdit tant qu’Allah ne l’a pas décidé. Il s’agit d’un avatar du droit du plus fort, et le plus fort, c’est Dieu, qui est au delà du bien et du mal. Cette théologie nietzschéenne et cet extrémisme juspositiviste de droit divin nous semblent profondément étrangers, en tant qu’Occidentaux bercés de judéo-christianisme. Sans guide moral indépendant, les musulmans pieux en furent réduits à calquer leurs comportements sur ceux de Mahomet et de ses compagnons, à baser leur droit sur la seule jurisprudence, et leur éducation sur l’apprentissage par coeur. Ce n’est que par une pirouette que l’homme garde la responsabilité de ses actes, alors qu’il n’est même pas libre.

D’une certaine manière, les Acharites sont partis de la conclusion qu’ils voulaient défendre, la supériorité absolue de la révélation sur la raison, et ont bâti leurs positions philosophiques dans cet unique but. Mais ce faisant, ils sont rigoureusement tombés dans tous les pièges que la raison raisonnante peut se tendre à elle-même.

À part les Hanbalites, opposés par principe aux raisonnements philosophiques, tous les autres maddhabs [11] ont fini par accepter l’acharisme. En effet, ce dernier a fini par incarner la voie du milieu entre motazilisme et hanbalisme, bénéficiant entre autres de l’appui du puissant vizir Nizam al-Mulk et plus tard de Saladin.

Revenons sur la personne de Al-Ghazali : l’objectif de son œuvre majeure, L’incohérence des philosophes, est de montrer que la philosophie ne peut aboutir à la moindre certitude. Pour ce faire, il choisit la voie la plus simple, qui consiste à élever les critères nécessaires à la certitude jusqu’à ce qu’ils en deviennent inaccessibles. Adoptant une démarche hypercritique, il remet en doute tout ce qu’il croit savoir, pour aboutir à une profonde crise psychologique, qui ne fut guérie, dit-il, que par la grâce divine. Et plus précisément, par l’expérience mystique soufie, qu’il connut en vivant en ermite.

Malgré les risques de ce passage soufi (rappelons que les soufis sont parfois mal vus en Islam, car souvent soupçonnés d’hérésie), al-Ghazali y a trouvé la paix intérieure, la certitude qu’il cherchait. Chez lui, c’est l’intuition directe qui remplace la raison, qui dépasse la raison. Pour Al-Ghazali, le point de contact entre l’Homme et son Créateur n’est pas la raison, comme pour les Juifs et les Chrétiens, mais bel et bien la volonté : je veux, donc je suis. Autre conclusion (teintée de soufisme) d’Al-Ghazali, seul Allah existe vraiment ; la réalité de l’univers est bien pâle en comparaison, presque une illusion.

L’acharisme enseignait la dépendance absolue vis-à-vis de la volonté divine ; le soufisme y ajoute une tendance à faire peu de cas de la réalité. Le tout aboutit à un quiétisme, une passivité, un fatalisme (source du fameux “Incha’Allah” [12]) qui aura bien des conséquences.

L’incohérence des philosophes d’Al-Ghazali porta un coup fatal à la philosophie en terre d’Islam, en exposant que le seul but de la raison était de démontrer sa propre inutilité. Près d’un siècle après, Averroès tenta d’allumer un contre-feu, écrivant L’incohérence de l’incohérence pour réfuter l’ouvrage précédent… mais trop tard : les œuvres d’Averroès finirent brûlées.

Les sociétés d’Islam perdirent progressivement leur intérêt pour la science, se vidèrent peu à peu de leur esprit d’initiative, de leur imagination, et se calcifièrent. Des personnages comme le hanbalite Ibn Taymiyya finirent de clouer le cercueil en mettant l’obéissance au sommet de la hiérarchie des valeurs, et en terminant d’évacuer la raison. Exeunt philosophie, théologie, ouverture à la nouveauté et esprit critique.

On commence mieux à voir pourquoi la démocratie libérale n’est pas née en Terre d’Islam, et pourquoi elle a tant de mal à s’y implanter, spécialement dans le monde arabe. L’absence d’une référence morale déduite de la raison, d’une idée même de droit naturel ou de droits naturels, mais aussi la primauté du pouvoir pur sur la raison engendrent une forme très particulière de démocratie : un Dieu, un vote ; Dieu prenant en charge tout, absolument tout. À Dieu tyrannique, pouvoir tyrannique. Et à violence du pouvoir, violence des opposants, qui n’ont d’ailleurs plus que la religion comme base sur laquelle appuyer leur contestation.

Abandonner la causalité a mené à abandonner puis nier la réalité. Incha’Allah n’est pas qu’un tic de langage, mais reflète une pensée profonde, qui peut mener des théologiens à déclarer haram l’idée d’une police d’assurance ou d’un vaccin, puisque tout évènement est l’acte d’Allah. De même, la présence de pétrole en Arabie Saoudite est vue comme un signe que le wahabbisme saoudien a les faveurs du ciel.

Sans causalité, le monde islamique voit les évènements qui arrivent comme des effets de forces mystérieuses, ce qui mène à la superstition et à un imaginaire complotiste débridé. Il arrive malheur à un ennemi présumé des musulmans ? C’est l’œuvre de Dieu. C’est aux musulmans qu’il arrive un malheur ? Encore la faute d’un complot américano-sioniste. Ce schéma mental peut aisément être qualifié de gnosticisme, dans le pire des sens du terme.

Le naufrage de la civilisation islamique est déjà ancien. La perte de vitalité intellectuelle, comme toujours, précéda la perte de vitalité politique, qui fut actée dès les invasions mongoles au 13e siècle. Depuis plusieurs siècles, les Arabes sont eux-mêmes conscients que quelque chose cloche. Les choses vont même de pire en pire, comme le montrent les rapports de l’ONU sur le développement humain. Par exemple, en plus de quarante ans, le Pakistan a produit exactement huit brevets. Depuis 1000 ans, le monde arabe a traduit environ 10 000 livres, soit ce que l’Espagne traduit chaque année. Pas la peine d’en rajouter.

Deux réactions virent le jour. La première visa à décalcifier l’esprit islamique, parfois de force et dans les larmes, comme tenta de le faire Atatürk, parfois intellectuellement, comme voulurent le faire al-Afghani, Ahmad Khan et d’autres.

L’autre réaction considérait que l’échec des Arabes était dû à ce qu’ils s’étaient détournés d’Allah. Pour beaucoup, le coup de grâce date de 1924 et de l’abolition du califat. Les premières organisations islamistes, telles que les Frères Musulmans, ont été créées pour sa restauration.

Reilly prend alors un parallèle historique : après la Première Guerre Mondiale, les Allemands étaient tout à fait désorientés par leur défaite et la chute de l’Empire Allemand [13]. Les Nazis exploitèrent leur volonté de revanche, en leur offrant un narratif combinant un ennemi intérieur et un ennemi extérieur. De même, les islamistes exploitent le désarroi populaire en offrant à la vindicte de la rue musulmane un ennemi intérieur, les apostats (c’est-à-dire tout musulman qui n’est pas d’accord avec eux), et un ennemi extérieur, les Juifs et les croisés, ainsi qu’un chemin vers le futur, qui passe par l’imitation du passé de la communauté médinoise.

L’islamisme n’est pas né spontanément, toutefois. Il est le rejeton dégénéré de la rencontre entre des intellectuels conservateurs (Hassan al-Banna, Sayyid Qotb et Maulana Mawdudi) et les idéologies totalitaires de l’Ouest. À titre d’exemple, Qotb assurait la liaison entre les Frères Musulmans et l’Internationale Communiste. Pourquoi avoir pris le pire de l’Occident ? Pour l’inévitable Bernard Lewis, le collectivisme de ces idéologies collait avec le cadre de pensée de ces intellectuels. Mais surtout, pour Reilly, ces idéologies sont basées sur la primauté de la volonté et le dénigrement de la raison.

L’islamisme n’est donc plus une religion à proprement parler, mais une idéologie dont le but est d’immanentiser l’eschaton [14], c’est-à-dire de faire advenir par tous les moyens (humains, et non plus divins) la fin des temps promise dans les textes sacrés, en accomplissant une justice parfaite et ultime, ici-même et dès maintenant. C’est pourquoi les islamistes considèrent que le terrorisme relève d’un devoir moral.

Quant à la démocratie, elle est comprise comme étant une religion concurrente et blasphématoire (puisqu’accordant une certaine importance à l’homme), et doit être combattue et détruite. Le but n’est pas politique, il est métaphysique, nécessaire pour faire advenir la transformation finale du monde, et aucune concession sur le fond ne sera possible

Pour faire changer le monde, la raison est impuissante, et la force reste le seul moyen d’y parvenir. L’étape logique suivante est donc la guerre, ou à défaut, le terrorisme.

La défaite du camp de la raison a empêché l’Islam de développer ses propres anticorps contre cette infection idéologique. Pourtant, des intellectuels musulmans sont prêts à reprendre le flambeau motazilite. Ils sont généralement en exil, et le problème est que leurs idées sont davantage discutées en Occident qu’en Islam.

Ce n’est pas en tentant d’aider économiquement les pays du Moyen-Orient qu’il y aura moins de terroristes, conclut Reilly ; autant vouloir éradiquer le nazisme en 1930 en aidant économiquement l’Allemagne. Le sous-développement du Moyen-Orient a la même cause que l’islamisme : une culture dysfonctionnelle due à une théologie difforme ; et sans prendre le problème à sa source, nos efforts pour le régler seront vains. L’islam peut-il se réhelléniser, connaître à son tour les Lumières ? Un Thomas d’Aquin peut-il se lever en terre d’Islam ?

Le problème d’un potentiel islam libéral, c’est qu’il n’a pas de cadres, alors que les islamistes en ont. Toutefois, ces derniers ne réussiront pas forcément. L’ancien président indonésien Abdurrahman Wahid a par exemple lancé un appel à trouver une autre version de l’islam, qui bannirait la haine et serait favorable à la raison. Lui-même s’est détourné du fondamentalisme quand il a découvert… les écrits d’Aristote. Comme quoi, cette lutte peut décidément se jouer à bien peu de choses.

_______

À la lecture de cet ouvrage, on est fasciné par la brillance de la thèse de Reilly, pour peu que l’on s’intéresse un peu à l’islam et son histoire. On sent qu’il y a dans ce livre somme toute assez court, une explication sans doute profonde à la crise actuelle de la civilisation islamique. Peut-être même la pièce qui manquait au puzzle que des gens comme Bernard Lewis ont tenté de reconstituer et d’expliquer au monde occidental.

Bien entendu, l’on peut trouver, en cherchant bien, quelques reproches à faire à notre auteur. Certains raccourcis, comme une confusion bénigne entre providence et théodicée par exemple. Ou bien le lien qu’il fait entre hanbalisme et acharisme : il n’est prouvé à aucun moment que les Acharites aient soutenu les Hanbalites, le lien entre les deux groupes se limitant sans doute à leur ennemi commun, les Motazilites. Ou encore, le récit sans doute trop rapide de l’adoption de l’acharisme par le mainstream sunnite. Ou son insistance à parler de Nietzsche en caricaturant un peu sa pensée.

Mais The Closing of the Muslim Mind n’en est pas moins un ouvrage passionnant, très fouillé, débordant d’érudition et duquel on sort avec les idées claires. Après tout, il n’est pas donné à tout le monde d’écrire un livre aussi réussi, surtout pour parler d’un sujet aussi pointu que la philosophie islamique médiévale.

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Notes

[1] Livre dans lequel l’auteur, élève de Leo Strauss, plaide pour le retour d’une forme de liberal education.
[2] Le livre ne traite pas du chiisme, différent et nécessitant une enquête à part.
[3] Pervez Hoodbhoy, Tarek Heggy, Fazlur Rahman, Abdelwahhab Meddeb ou le poète Adonis, par exemple.
[4] Contrairement au dogme des traditionnalistes, selon qui le Coran est incréé et coexiste depuis l’éternité avec Allah sous la forme d’une tablette écrite en arabe, chose que les Motazilites assimilent à un polythéisme.
[5] C’est ce même calife qui, le premier, imposa aux dhimmis de porter des signes distinctifs.
[6] Hanafites, Malikites, Chaféites et Hanbalites.
[7] Au sens mathématique du terme, c’est à dire isolées les unes des autres.
[8] Ce point de vue est appelé occasionnalisme, et a été défendu en Occident par Malebranche surtout, mais aussi sous des formes affaiblies par Hume et Berkeley. Qu’il soit apparu plus tard en Occident, à un moment où la réalité de la réalité ne faisait plus de doute et que de nombreuses idées rivales étaient déjà présentes, est sans doute la raison de son innocuité relative sous nos latitudes.
[9] Al-Ghazali est souvent considéré comme le personnage musulman le plus important après Mahomet ; il est fréquemment cité parmi les Mujaddid, ceux dont la tâche est de revivifier l’Islam à chaque siècle.
[10] Rappelons à toutes fins utiles que la possibilité d’une éthique rationnelle est le fondement ultime de la liberté de conscience.
[11] Plus précisément, tous les Malikites, les trois-quarts des Chaféites, le tiers des Hanafites ; le reste adhére au maturidisme, une variante subtile de l’acharisme.
[12] Textuellement, “Si Allah le veut”, puisque tout l’univers dépend de sa volonté.
[13] L’hyperinflation des années 20 acheva de faire penser aux Allemands que le monde tournait sans dessus dessous, mais l’auteur ne la mentionne pas.
[14] Pour reprendre la formule d’Eric Voegelin, popularisée par William Buckley.

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