Pour une écologie libérale

Les écologistes sont à l’origine d’une prise de conscience salutaire.

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Pour une écologie libérale

Publié le 19 juillet 2011
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Un article paru il y a déjà quelques années mais que nous vous proposons pour Contrepoints été, afin de nous détacher de l’actualité et de nourrir le débat de fond par des articles de réflexion.

Les écologistes sont à l’origine d’une prise de conscience salutaire. Plus que d’autres, ils ont dénoncé l’absurdité et les dégâts écologiques des méga-projets, des méga-bureaucraties, l’architecture collectiviste des immenses cités grises facteurs de désagrégation et de ségrégation sociales, les conséquences écologiques de la Politique Agricole Commune, pressenti l’absurdité des calculs macro-économiques, chers aux bureaucraties nationales et supranationales qui additionnent, dans le même symbole de richesse, le coût des accidents de voiture, de l’alcoolisme, de l’armement, des terrains de sports et de la culture, dénoncé la longue connivence industrialo-politico-administrative qui semblait mettre les grands prédateurs au-dessus des lois.

Peut-être peut-on voir aussi derrière la montée de la sensibilité écologique la marque d’un respect plus grand dû à la vie, après le respect dû à la personne.

Peut-être aussi peut-on y discerner la volonté de ne pas vivre dans le seul présent l’éphémère d’une société aux flux rapides et une nouvelle aventure de l’espèce humaine qui, partie à la conquête de l’infiniment grand, de l’infiniment petit, part à la conquête du temps. Et, dans cette nouvelle aventure de l’espèce humaine partie à la recherche de la conquête du temps, nous ne sommes pas des voyageurs sans bagage. Il existe un héritage commun de l’humanité qu’il nous faut préserver.

 

Civiliser notre civilisation

Comment ne pas voir aussi dans la sensibilité écologique les signes avant-coureurs d’une nouvelle étape dans la marche de notre civilisation. Bertrand de Jouvenel parlait volontiers de la recherche des « aménités de la vie », de la nécessité de « civiliser notre civilisation », une civilisation destructive d’environnement, de valeurs et d’harmonie.

Nous savons maintenant que le niveau de vie ne s’identifie pas au pouvoir d’achat sur le marché, et que le progrès moral n’est pas la conséquence automatique du progrès économique. Sortis du « pouvoir survivre », nous voici à la recherche d’un « savoir vivre ».

Or, ces aspirations que l’on qualifie souvent d’écologistes ne peuvent trouver de satisfaction qu’en faisant confiance à la liberté.

 

Les meilleurs alliés de la défense de l’environnement

Il existe, je crois, une parenté profonde entre l’écologie et la confiance libérale dans l’ordre spontané d’une société libre, dans la supériorité du droit naturel sur l’action de tout pouvoir politique, dans la croyance profonde en la dignité de la personne et ses droits fondamentaux, dans le respect modeste des lois naturelles de l’économie, dans un système qui économise toujours davantage les ressources et la peine des hommes, dans la recherche de règles du jeu qui ne sacrifient pas « ce qui ne se voit pas » au profit de « ce qui se voit », qui ne privilégient pas un bienfait visible au détriment d’un méfait invisible.

 

L’écologie n’est pas un concept négatif

Pour un certain nombre d’écologistes, il est vrai que la dégradation de l’environnement apparaît comme une défaillance du libéralisme et que l’écologie doit donc remettre en cause une société de libertés. C’est ce que j’appellerai l’écologie négative.

Ainsi, derrière l’écologie défendue par certains militants particulièrement virulents, il existe une exigence radicale, une remise en cause certaine des logiques économiques d’une société de libertés. Ce sont parfois les mêmes qui manifestaient, il y a peu, contre les fermetures d’usines qui trouvent aujourd’hui une nouvelle jeunesse en manifestant contre les ouvertures d’usines. La protestation sociale a changé d’objet : la pollution a remplacé la paupérisation, l’exploitation de la nature par l’Homme a remplacé l’exploitation de l’Homme par l’Homme.

L’écologie se fait ainsi terre d’asile pour les orphelins de la contestation radicale de notre société, l’habit vert d’un nouveau dirigisme. Elle devient l’alibi sympathique d’un nouvel appel à l’État. Le dirigisme, partout en perte de vitesse, trouve avec l’écologie sa fontaine de jouvence.

À écouter certains, face au « laissez-faire, laissez polluer », il faudrait confier l’environnement à la garde de l’État, multiplier réglementations et subventions, créer une police de l’environnement, un grand ministère tout-puissant, limiter des droits de propriété, faire confiance à la bénéfique intervention de la puissance publique qui, croit-on naïvement, est apte à résoudre des problèmes complexes, de par sa vocation de service public. On sait comment se sont terminés en totalitarisme ces appels au Léviathan !

Chaque risque – et Dieu sait si certains risques liés à l’environnement ont une dimension médiatique – peut ainsi devenir prétexte à une intervention coercitive de l’État (il y aurait beaucoup à dire sur la notion de risques liés à l’environnement), ou d’une coalition d’États ou d’institutions supranationales. Pour nous, le vrai risque est ici de voir, au nom de l’écologie, remises en cause les règles et les principes mêmes d’une société de libertés et de voir ainsi détruire, ou freiner, progrès et prospérité. Or, la prospérité est à la fois cause de la demande de qualité environnementale et condition de la solution des problèmes.

Je ne pense pas, pour ma part, que l’écologie puisse longtemps suivre cette voie-là pour des raisons d’efficacité et de morale.

Mais, pour éviter cette dérive, pour apporter de vraies solutions aux vrais problèmes de l’écologie, il reste à montrer :

  • que s’il n’existe pas de liberté sans risques, il ne faut pas, en voulant supprimer le risque, supprimer les libertés
  • que la contrepartie de la liberté, c’est la responsabilité
  • que la défense de l’environnement passe davantage par la mise sur pied des règles et des changements institutionnels qui transforment l’intérêt personnel en actions sensibles aux valeurs écologiques, et qui responsabilisent les différents acteurs.

 

Hier, nombreux étaient ceux qui croyaient obtenir la croissance, la prospérité et la confiance dans la planification étatique ou les recettes du keynésianisme. À se tromper de diagnostic, on se trompe de remède. À se tromper d’idées, on se trompe de solution.

L’objet de la présente contribution au débat sur l’écologie consiste moins à apporter une solution précise à tel problème qu’à dégager le cadre conceptuel dans lequel doit s’inscrire l’action en faveur de la défense de l’environnement.

 

PREMIÈRE PARTIE
Où l’on cherche à vérifier si les atteintes à l’environnement sont le produit d’une trop grande liberté au sein de la société industrielle, et si le remède consiste à faire appel à l’État

 

Avant d’aborder au fond le problème, il est bon de souligner cinq évidences que l’on a trop souvent tendance à oublier.

1 – Les méfaits que l’on peut qualifier d’écologiques étaient pires avant la société industrielle (si l’on excepte, peut-être, certains risques qui font aujourd’hui l’objet de controverses et qui touchent à l’avenir de la planète ou à l’avenir de l’espèce).

2 – Il n’existe pas d’autre système qui soit capable de faire vivre une population mondiale de cinq milliards d’êtres humains.

3 – Les dégâts écologiques sont incomparablement pires dans les sociétés collectivistes que dans les sociétés de libertés. Dans la plupart des pays de l’Est ou du tiers monde, où l’on a banni la propriété privée et le marché, et où l’environnement est un bien collectif, donc purifié des « perversions » d’un capitalisme honni, les dégâts écologiques sont infiniment plus graves.

Le cas de l’Allemagne est à cet égard exemplaire :

  • à l’Ouest, un pays prospère économiquement, et dont l’environnement est largement sauvegardé
  • à l’Est, la pauvreté et une destruction environnementale catastrophique qui obèrent sa reconstruction.

La seule différence était d’ordre institutionnel concernant la liberté de l’Homme !

4 – Aux scénarios de catastrophes industrielles que l’on avance parfois, on peut tout aussi valablement opposer les perspectives de la nouvelle révolution industrielle, plus économe de matières premières, d’énergie et de la peine des Hommes.

5 – La sensibilité écologique est le privilège des riches, au point que l’on a pu constater que la demande de qualité environnementale correspondait avec celle de voitures haut de gamme.

 

La liberté n’est pas l’irresponsabilité

C’est à tort que l’on réduit une société de libertés à la seule dimension des libertés économiques. Une société de libertés est avant tout une conception de la justice et du droit.

La liberté, telle qu’elle résulte de notre tradition juridique et de la définition de l’article IV de la Déclaration des droits de l’Homme, consiste « à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui ».

Ainsi, la liberté, c’est la non-nuisance à autrui. Or, polluer est une agression. Cette agression peut impliquer ou non des sanctions pénales. Elle oblige à des réparations civiles, comme nous y invite l’article 1382 du Code civil : « Tout fait quelconque de l’Homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La plupart des atteintes à l’environnement que l’on prétend être la conséquence d’une société de libertés est en fait une déficience dans la mise en œuvre de ce principe de responsabilité, ou une dégradation de ce principe.

 

Le déclin de la responsabilité individuelle

Comme l’a bien montré l’économiste Henri Lepage, le principe fondamental de responsabilité contenu dans notre droit civil, à partir du XIXe siècle, a peu à peu été vidé de l’essentiel de son contenu en matière de pollutions et de nuisances.

C’est en matière de risques industriels et d’environnement qu’a commencé, il y a plus d’un siècle, la grande dérive du droit dans les pays de Common Law. En France et dans les pays de droit civil, le phénomène a pris des formes juridiques différentes, mais le point d’aboutissement a été le même.

Sous l’Ancien Régime, les pollutions industrielles, les rejets d’ordures et les troubles de voisinage étaient traités comme des violations de propriété.

Plus tard, sous l’Empire, la mise en œuvre du Code civil est restée fidèle à cette tradition juridique. Le fait que l’administration délivre à un établissement polluant ou dangereux une autorisation d’exercer n’avait pas pour effet d’exonérer son propriétaire de sa responsabilité civile en cas de plainte de ses voisins.

Vers le milieu du XIXe siècle, cette pratique de la jurisprudence disparaît. La gestion des risques d’environnement a ainsi échappé au droit pour devenir la responsabilité directe d’un État réglementaire, gouverné par des considérations d’opportunités économiques et politiques. Ce qui n’est pas reconnu comme nuisance, ce qui n’est pas autorisé ou, à plus forte raison, ce qui est autorisé par le droit public n’est pas répréhensible pour l’appareil judiciaire au titre de la responsabilité civile.

L’idéologie industrielle allait faire le reste : l’industrie, symbole de prospérité passait avant tout. Dès lors, l’action de l’État se trouve délivrée, en matière de droit et d’environnement, des principes de droit et de justice, au profit de principes d’opportunité.

Ce principe d’opportunité allait jouer en faveur des intérêts industriels à une époque où, rappelons-le, les cheminées d’usines et leurs fumées, les transformateurs électriques au cœur des villages, apparaissaient comme des symboles de prospérité et de progrès.

Le résultat, c’est la situation actuelle du droit de l’environnement en France. Ce ne sont pourtant pas les textes qui manquent. Nous avons beaucoup de lois et de règlements, mais nous n’avons pas de Droit (au sens d’un système de responsabilité organisé autour de quelques principes unificateurs). On peut même dire qu’il y a pléthore de textes. Mais, s’il y a beaucoup de lois et de règlements, on peut dire également qu’il n’y a pas de droit. (c’est aussi la situation au niveau international, où l’on compte environ trois cents traités multilatéraux dans le monde qui concernent l’environnement, plus de neuf cents traités bilatéraux, et près de trente mille lois).

Comme l’ont excellemment noté Christian Huglo et Corinne Lepage (Euro 92, 1989) « le système législatif français est pratiquement inadéquat pour protéger efficacement l’environnement ».

Je leur emprunte ici les traits distinctifs essentiels de notre droit de l’environnement.

Cette première caractéristique est que le droit de l’environnement « n’existe en France qu’en tant que subdivision du droit de l’État. En France, le droit de l’environnement relève, en effet, à 90 % du droit public ».

Le droit interne français en matière d’environnement est un droit purement étatique qui additionne ce que l’on dénomme, en droit public, les polices spéciales.

Ces polices spéciales sont détenues ou partagées par des ministères différents, dont aucun ne peut assurer la coordination à lui seul et aucun ne peut jouer le rôle d’arbitre.

Au total, plusieurs administrations gèrent les mêmes choses, mais avec des yeux différents et sans unité du droit. La jurisprudence du conseil d’État nous dira que ce qui est vrai au niveau de la législation sur le permis de construire ne l’est pas forcément pour autre chose. Si le permis de construire est illégal, l’autorisation d’installations classées ne le sera pas forcément.

Dans le droit de l’environnement, la place du droit public ou du droit administratif est immense, la place du droit civil extrêmement limitée, et la place du droit pénal reléguée au second rang, cantonnée dans un rôle auxiliaire du droit administratif et non directement protecteur.

Ces polices dites spéciales, installations classées, déchets, urbanisme, études d’impacts, pollutions atmosphériques, bruits,… se combinent mal entre elles, elles peuvent même se contredire.

La faiblesse du droit pénal se traduit par le fait que la majorité, si ce n’est la presque totalité du droit pénal de l’environnement, est constituée par des contraventions, sanction la plus faible du droit pénal. Ce qu’elle vise, ce n’est pas la pollution en elle-même, mais simplement le non-respect par les intéressés des prescriptions administratives. Ce qui est réprimé, ce n’est pas le fait de polluer, mais l’infraction à la réglementation.

Autre conséquence : dans la pratique, il est presque impossible d’obtenir l’ouverture d’une instruction en matière de pollution, si cette pollution est punie d’une simple contravention.

En procédure pénale, l’instruction est obligatoire en matière de crimes, facultative en matière de délits mais, sauf exception, interdite pour les contraventions.

Le professeur Francis Cabarello (RJE 1 1984) s’est livré à une intéressante étude sur le comportement des tribunaux administratifs et du Conseil d’État vis-à-vis de l’environnement. Sa conclusion de l’analyse de la politique jurisprudentielle du Conseil d’État est la suivante : « Une soumission du droit aux intérêts économiques et sociaux, d’où il résulte que les chances de l’environnement sont inversement proportionnelles aux intérêts en jeu ».

De même, le rôle du juge civil est des plus réduits. Ainsi, par exemple, en droit de la construction, le juge judiciaire ne peut jamais intervenir tant que le permis de construire est considéré comme légal, s’il n’a pas été annulé définitivement par le juge administratif. Ainsi, le juge civil n’a pas le droit d’agir dans certains cas particuliers si le tribunal administratif n’est pas passé avant. De plus, il ne peut intervenir dans le domaine administratif.

Il existe cependant un principe simple de responsabilité, dégagé progressivement (et repris notamment dans le droit communautaire), celui de « pollueur payeur ». Il signifie que les pollueurs sont pleinement responsables et que les victimes seront indemnisées (sans que les contribuables en fassent les frais). Il incite les agents économiques à adopter spontanément le comportement nécessaire qui évite la mise en œuvre de ce principe.

Pourtant ce principe simple a lui aussi tendance à être remis en cause par l’action de l’État.

Ainsi que l’ont noté (1989) Richard Marceau, Jean-Luc Migué et Pierre Simard (1) :

« Malgré son apparente simplicité, ce principe de responsabilité est bafoué régulièrement par l’interventionnisme public. On s’obstine à nuancer. Que ce soit par l’imposition de techniques de production ou par l’octroi de généreuses subventions aux équipements de dépollution, c’est la réglementation ou l’assistance publique aux pollueurs qui en exprime faussement l’application […] N’être plus responsable que du quart des coûts ou du dixième des coûts ne produit pas non plus l’effet attendu, pas plus que la restitution partielle d’un vol ne le ferait : il y aurait trop de crimes.

[…]

Au nom de faux principes (sauvegarde d’industries et d’emplois) qui camouflent des intérêts particuliers, nos gouvernements soustraient les industriels aux forces qui les amèneraient d’eux-mêmes au respect de l’environnement. En atténuant le principe de la responsabilité des pollueurs, nos gouvernements abaissent artificiellement le prix de la pollution et incitent implicitement les industriels à limiter leurs efforts de dépollution et à négliger la surveillance des matières dangereuses ».

 

Les autorités publiques jouent les arbitres changeants

Le droit de l’environnement ne paraît pas reposer sur des principes de justice et de responsabilité clairs, mais être davantage un droit administratif ou d’opportunité, où les autorités publiques se font les arbitres changeants de divers intérêts sociaux en conflit.

Ainsi, par exemple, en matière d’installations classées, la réglementation des déchets, organisée par la loi de 1975, fait des entreprises de recueil et de traitement des déchets des installations classées, lesquelles se voient contrôlées en tant que telles. D’autre part, les déchets eux-mêmes donnent lieu à un classement qui a pour effet d’organiser leur administration. En matière de pollution atmosphérique, le régime juridique est aussi très proche de celui des installations classées. Les sanctions pénales concernent le non-respect de prescriptions ou d’injonctions, administratives locales. Ce qui est sanctionné, ce ne sont pas des atteintes au milieu naturel ou au cadre de vie, mais une indiscipline, vis-à-vis de l’administration publique, de l’activité industrielle.

On peut observer que les techniques dites de contrats de branches ou de contrats de rivières propres, qui ont constitué un indéniable progrès, demeurent en réalité des techniques planificatrices déguisées où des intérêts antagonistes ne sont pas placés face à face. Elles constituent une mesure réglementaire qui suppose un arbitrage préalable et unilatéral entre intérêts hiérarchisés à l’avance.

Le principe de responsabilité et le droit de l’environnement qui devraient en découler ont été progressivement pollués par l’État et l’intervention administrative.

 

Un déficit de responsabilité est souvent un déficit de droits de propriété

Il est donc faux, face à de nombreux problèmes de l’environnement, de parler de défaillance du libéralisme, là où il y a une défaillance du droit, ou plus exactement de l’État qui n’a pas fait son métier.

Il nous faut tout d’abord constater que c’est quand il n’y a ni droits de propriété ni marché que l’environnement est le plus dégradé.

 

La propriété est souvent la meilleure alliée de l’environnement

Comme l’avait noté Aristote :

« Ce qui est commun au plus grand nombre fait l’objet des soins les moins attentifs car tout individu prend le plus grand soin de ce qui lui appartient en propre, quitte à négliger ce qu’il possède en commun avec autrui  » (Politique, livre III chap. 3).

Le propriétaire est responsable. La propriété privée, lorsqu’elle peut être mise en place, est le meilleur garant de la protection de l’environnement : elle encourage la bonne gestion. Une propriété qui est bien gérée croît en valeur et le propriétaire privé qui laisse sa propriété se dégrader voit la valeur de son capital diminuer.

Prenons l’exemple du chasseur (en ne posant ici que le problème de l’environnement, et non celui de la chasse elle-même). Les seuls espaces où se maintient un gibier abondant et largement naturel sont ceux où subsiste le droit allemand (Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle) qui confirme les droits de propriété, ainsi que dans les chasses privées.

Ailleurs, la législation de 1964 (loi Verdeille) a donné aux associations communales de chasse agréées (ACCA) le droit de chasser, même contre le droit des propriétaires sur toutes les propriétés non closes de moins de vingt hectares. Le résultat : une perte de responsabilité qui conduit rapidement à l’épuisement de la ressource convoitée. Dans les deux cas, amis ou ennemis de l’environnement, les chasseurs sont les mêmes. Ce sont les règles du jeu qui ont changé. En outre, cette loi ne permet pas aux propriétaires non chasseurs et protecteurs de la faune d’interdire la chasse sur leurs terrains (droit de gîte).

 

La propriété publique n’est pas un bon exemple de gestion responsable

Dans un système de biens collectifs rares, la liberté entraîne la ruine de tous (Hardin 1968). Ce sont les biens libres qui sont gaspillés ou pollués quand il n’y a ni propriété ni marché. C’est quand il n’y a ni propriété ni marché que l’environnement est le plus dégradé. L’exclusion de l’environnement des circuits de biens marchands fait de l’environnement un bien que personne n’a intérêt à sauvegarder, voué à la dégradation ou à la surexploitation.

Si quelqu’un détériore ma voiture, je peux exiger d’être dédommagé, mais personne n’est propriétaire de l’air que je respire. Si quelqu’un pollue l’air que je respire, je ne peux pas faire grand-chose pour être dédommagé.

La plupart des oiseaux migrateurs et des animaux sauvages ne sont pas la propriété de qui que ce soit. C’est la raison pour laquelle, dans beaucoup de régions du monde, ils sont chassés jusqu’au point d’être exterminés.

Prenons l’exemple des baleines. Chaque pêcheur a un intérêt évident à en capturer le plus possible. En l’absence de propriété privée ou de gestion collective et de procédé de limitation des prises, il est certain que l’on assistera à une diminution rapide de la population des baleines.

Aussi la sauvegarde d’un bien commun exige-t-elle de forts pouvoirs de police et une forte administration, c’est-à-dire des coûts financiers et sociaux.

Lorsque l’absence de droit de propriété privée engendre la pollution, le gouvernement, généralement, prend le contrôle de la situation afin de s’occuper du problème.

Or, en fait – et nous le montrerons dans une seconde partie –, la meilleure des solutions consiste, chaque fois qu’on le peut, à restaurer des droits de propriété et des mécanismes de marché.

 

L’intervention publique est souvent source d’effets pervers

On a pu ainsi constater dans le midi de la France que, là où de nouveaux réseaux de distribution d’eau ont été massivement développés et subventionnés pour aider l’agriculture, celle-ci régresse fortement au profit de l’urbanisation périurbaine. Les terres agricoles, étant mises en valeur grâce à une distribution d’eau moderne, attirent promoteurs et constructeurs, et incitent les agriculteurs à vendre leurs terres. Les zonages des documents d’urbanisme finissent toujours par céder aux pressions spéculatives.

De la même façon, certaines réglementations successorales (Corse) ainsi que la fiscalité foncière et une multitudes de règlements aboutissent à conférer aux forêts méditerranéennes – et à la partie qui pourrait sans doute être protégée par de vrais droits de propriété – un statut de quasi bien collectif. Leur valeur n’incite pas à la préservation. Le résultat en est la multiplication des incendies et la destruction chaque année de vastes espaces.

De même encore, la loi de 1983 qui généralise l’assurance obligatoire pour les catastrophes naturelles apparaît à tout le monde comme normale et souhaitable. En fait, les États-Unis qui avaient une législation semblable pour les zones littorales régulièrement balayées par des tempêtes ont dû y renoncer, le jour où les Américains se sont aperçus qu’elle incitait les gens à construire davantage dans les zones à risques ou les zones inondables, puisqu’ils savaient qu’en cas de catastrophes, ils seraient couverts de toute façon. En France, les effets pervers commencent à apparaître au point que certaines compagnies d’assurances (Macif par exemple) établissent elles-mêmes des cartes de risques d’inondation afin de pouvoir refuser d’assurer les immeubles situés dans ces zones, quelles que soient les décisions des documents d’urbanisme.

On le sait, une partie importante de la forêt amazonienne disparaît chaque année. Ce rythme élevé de déforestation est en fait directement lié à la politique gouvernementale qui consiste à subventionner la création de grandes fermes d’élevage et l’installation de nombreux petits agriculteurs. Sans les subventions du gouvernement, le rythme de déforestation serait sûrement beaucoup moins rapide. Un développement non subventionné rendrait la préservation de la forêt amazonienne beaucoup plus intéressante.

La Politique Agricole Commune (PAC) a transformé l’agriculture traditionnellement gérante responsable de l’espace rural en une activité hautement polluante. Aujourd’hui au prix de 6000 francs par an et par hectare on subventionne la suppression des haies, l’arasement des terres, la pollution des eaux, la destruction des paysages (zones humides…) et la production d’aliments inutiles ou dangereux (vache folle).

On pourrait ainsi multiplier les exemples de ces effets pervers où l’intrusion de la puissance publique dans la gestion des ressources de l’environnement conduit en réalité à aggraver le problème qu’elle se donnait précisément pour mission de résoudre.

Ils nous incitent, à la suite des analyses les plus modernes de l’action de l’État, à nous interroger sur l’aspect bénéfique et rationnel de l’action publique.

Il ne s’agit pas d’éliminer toute intervention de l’État, mais de réduire chaque fois qu’on le peut le champ des biens collectifs. Nombre de ressources naturelles, lorsqu’elles sont appropriables, peuvent être mieux gérées par le titulaire de droits de propriété.

Nous entendons ainsi inverser le rôle de la preuve. Nous ne présupposons pas l’intervention publique comme étant bénéfique, mais comme une solution ultime en cas de défaillance des autres acteurs, notamment pour les ressources environnementales non appropriables et d’une façon plus générales pour ce que les économistes appellent des « biens publics purs ».

 

Régulation ou réglementation, gestion administrative ou gestion économique et patrimoniale ?

Tout ce qui précède nous incite à préférer, chaque fois qu’on le peut, la gestion économique et patrimoniale à la gestion administrative.

Les conflits relatifs à l’environnement reflètent des conflits d’intérêts entre plusieurs conceptions d’utilisation d’un bien rare (public ou privé) dont la réalisation simultanée est impossible et qui donnent à ce bien une valeur.

Or, et la théorie économique, et l’expérience, et l’expérimentation de différents types de gestion prouvent que le marché et les institutions juridiques qu’il suppose sont le mieux à même de gérer la rareté.

De même, la gestion des risques ne peut venir que d’un système de régulation sociale qui diffuse la décision et la responsabilité au niveau des acteurs les plus concernés, acceptant de manière responsable de prendre des risques raisonnés.

En simplifiant, on peut dire qu’il existe pour l’environnement, comme pour tout problème, deux sphères de régulation possibles :

  1. La sphère de régulation du droit du marché et de la justice
  2. La sphère de régulation de l’intervention étatique, du règlement et de l’administration (ce que les Américains résument en command and control).

 

Dans le premier cas, le marché pèse les préférences, le juge rend la justice sur la base de droits individuels. La responsabilité individuelle s’oppose à la responsabilité de l’État, la propriété privée à la propriété collective, l’action du juge à l’action de l’homme politique ou de l’administration.

Dans le second cas, le marché politique, ou plus exactement le marché politico-administratif, arbitre des préférences. Il impose la décision de l’administration, celle de la majorité ou celle des minorités bruyantes ou des groupes d’intérêts (lobbies), qui revêtent l’apparence de décisions majoritaires, et qui sont le plus souvent des décisions d’opportunité.

Sur ce marché politique, l’environnement a été longtemps perdant, car ni syndicat puissant ni parti politique ne sont venus contrebalancer les intérêts économiques, électoraux et financiers en jeu.

Si l’on assiste aujourd’hui à un retournement de tendance sur ce marché politique, où joue fortement l’influence des intérêts médiatisables en faveur de l’environnement, la critique de la rationalité des choix politico-administratifs n’en reste pas moins la même.

Sur l’un et l’autre marché, l’environnement apparaît soumis à des règles. Mais sur le marché politique, ces règles sont des règles d’opportunité, alors que sur le marché des droits et des obligations, ces règles reflètent la recherche de ce qui est juste et les préférences des citoyens.

Entre les deux options, placer l’environnement sous la garde du droit ou sous la garde de l’État, il existe à peu près la même différence qu’entre une économie planifiée centralisée et une économie de liberté.

 

Les bonnes intentions ne font pas une bonne régulation

Or, de fait, nous avons systématiquement tendance à donner la préférence à la régulation politico-administrative. C’est tout naturellement la tendance des hommes politiques et des hommes de l’administration, face à un problème, que de tenter de le résoudre en exerçant leur pouvoir. C’est aussi tout naturellement la tendance des groupes d’intérêts écologiques que de demander cette intervention.

Dans le domaine de l’écologie comme dans d’autres, je crois à l’échec de l’État-providence. Les problèmes écologiques sont des problèmes souvent trop complexes pour être confiés au seul marché politique.

Remplacer la concurrence économique par la concurrence politique, la décision de justice par la coercition de l’État ne nous apparaît pas comme un progrès pour nous qui croyons au progrès de l’humanité, en raison inverse de l’action coercitive de l’homme sur l’homme.

Nous croyons qu’il faut dépolitiser la gestion de l’environnement, c’est-à-dire la sortir autant que faire se peut de la sphère de gestion politico-administrative déjà tellement hypertrophiée en France.

 

L’État n’est pas clairvoyant sur le long terme, le marché n’est pas aveugle

La gestion de l’environnement doit prendre bien évidemment en considération le long terme, car les ressources naturelles obéissent à des rythmes lents qu’une intervention de l’homme risque de déséquilibrer.

Là aussi, la question résumée est la suivante : qui est le mieux à même de prendre en compte le long terme, un système de responsabilité fondé sur le droit et la propriété privée ou un système politico-administratif ?

On ne peut pas accepter le simplisme qui consiste à considérer l’État comme étant par nature le meilleur gérant du long terme. Lui donner la garde de l’environnement revient à lui donner l’équivalent d’un véritable droit de propriété, mais sans les sanctions qui accompagnent la propriété privée. Mais l’État ce sont des Hommes : si les hommes politiques et les fonctionnaires sont investis de l’autorité sur l’environnement, leur responsabilité réelle n’est pas engagée, notamment, au regard du long terme.

À nouveau l’exemple des pays du socialisme réel qui ont confié au seul État la responsabilité de la gestion environnementale démontre l’inanité et les dangers des solutions bureaucratiques car l’horizon de l’homme politique n’est pas le long terme, c’est le court terme, rythmé par les prochaines élections.

À l’inverse, les propriétaires ont tendance à anticiper les valeurs à long terme de tous les usages de biens à longue durée de renouvellement (forêts, certaines espèces animales, protection des sols…) et effectuent les arbitrages en conséquence. La valeur marchande ou patrimoniale d’une propriété privée incorpore le long terme, sauf si des réglementation ou des subventions incitent à la surexploitation ou à la destruction.

Voilà pourquoi, chaque fois qu’on le peut, on doit rechercher des solutions qui permettent de protéger l’environnement par la responsabilité de l’Homme.

 

DEUXIÈME PARTIE
Où l’on cherche, cette fois, à restaurer et diffuser la responsabilité pour mieux protéger l’Homme et son environnement

 

Pour mieux protéger l’Homme et son environnement, il faut augmenter la responsabilité de tous, transformer l’intérêt personnel en action responsable à l’égard des problèmes d’environnement.

C’est là le propre d’un système fondé sur le droit, la propriété et le marché.

Dans un cas, la responsabilité est confiée à l’État, placée sous la garde vigilante de la police et de l’administration ; dans l’autre, la responsabilité résulte d’un système d’obligations réciproques.

Il faut donc refaire l’unité du droit de l’environnement autour des principes fondamentaux du Droit, dont on a vu qu’ils avaient été progressivement pollués par l’intervention publique sensible par nature à la pression des multiples lobbies professionnels et politiques.

Il faut donner à l’environnement une régulation-cadre sur des principes fondamentaux de responsabilité.

 

Intégrer la responsabilité face à l’environnement dans les principes fondamentaux du droit

Faut-il pour cela réaménager le droit ou inventer de nouveaux droits relatifs à l’environnement ? Il est parfois suggéré de proclamer ou de constitutionnaliser un droit de l’Homme à l’environnement.

Nous ne reprendrons pas ici la discussion qui consiste à montrer comment, dans la tradition philosophique, juridique européenne, la notion de droit à… n’existe pas. Il ne peut exister que des droits de… Le droit de propriété est une liberté personnelle accompagnée de la responsabilité. Le droit à la propriété est un privilège accordé par l’État qui permet de remettre en cause le droit à valeur constitutionnelle. Ainsi, les droits à… sont des privilèges que se donnent les États qui peuvent, sous ce prétexte, étendre très loin leur pouvoir de coercition, en conflit avec les libertés fondamentales.

Il suffit de montrer ici comment la protection de l’environnement découle tout naturellement des principes fondamentaux de notre droit et de la Déclaration des droits de l’Homme :

D’une part, parce que la liberté, c’est au terme même de l’article IV de la Déclaration des droits de l’Homme, « la non-nuisance à autrui ».

D’autre part, parce que proclamer les droits de l’Homme, c’est proclamer tout d’abord que chacun est propriétaire de son propre corps. En ce sens, une pollution peut représenter une atteinte à la propriété du corps de chacun, à sa santé, à son bien-être, à sa sécurité. Dans cette optique, toute pollution s’analyse comme une agression, un dommage à la propriété d’autrui. À commencer par la propriété de chacun sur son propre corps.

Point donc n’est besoin de nouvelle déclaration solennelle. Il suffit de tirer toutes les conséquences des principes fondamentaux contenus dans nos droits de l’homme et favoriser l’évolution jurisprudentielle.

 

La responsabilité par le droit

Étendre les principes de responsabilité du droit civil

Les principes de responsabilité du droit civil doivent être étendus aux problèmes d’environnement, sans que la réglementation ou l’autorité administrative y fassent obstacle en exonérant par avance le pollueur détenteur d’une autorisation administrative

Élargir la responsabilité pénale

On cite volontiers l’article L 232-2 du Code rural qui réprime directement une atteinte à l’environnement et qui, avec l’infraction de pollution maritime, édictée par la loi dite littoral de 1986, doit constituer la seule infraction qui sanctionne directement en droit français un comportement de pollution .

Une responsabilité pénale face aux atteintes à l’environnement offrirait l’avantage d’ouvrir, dans un certain nombre de cas, la possibilité à des personnes qui souffrent de la non protection de certains biens publics ou encore s’ils s’estiment victimes d’une pollution, de faire valoir leurs droits devant les tribunaux, et en quelque sorte de se substituer à l’État dans la défense de l’environnement. Elle offrirait aussi la possibilité, par l’intermédiaire d’une plainte, de permettre l’ouverture d’une instruction et, le cas échéant, (c’est très souvent le cas) de requérir des expertises.

Peut-être pourrait-on envisager aussi de créer des juridictions spécialisées afin de favoriser l’évolution de la jurisprudence dont le rôle serait, non seulement d’appliquer les lois, mais aussi de dire le droit.

Réduire le champ du droit administratif

L’objectif doit être de réduire le champ de la réglementation, en quelque sorte de dépubliciser ou civiliser le droit de l’environnement.

Cela étant, dans le cadre même du droit administratif, bien des améliorations peuvent être apportées dans un sens favorable à la défense de l’environnement.

Rendre plus transparentes les procédures administratives et favoriser l’intervention des citoyens

Il est important que le citoyen puisse s’exprimer avant qu’une décision soit prise.

En Allemagne, par exemple, les autorisations administratives ne sont pas délivrées sous réserve du droit des tiers, comme c’est le cas chez nous, mais le droit des tiers est géré en amont même de la décision.

Les Américains bénéficient de procédures d’auditions publiques tout à fait exemplaires. L’étude d’impact n’y est pas une simple formalité, elle y est discutée et défendue en présence de l’Administration et les citoyens sont consultés très en amont de la décision.

L’étude d’impact qui ne porte aujourd’hui que sur les aménagements et ouvrages devrait être élargie aux décisions amont (politiques, plans et programmes) ainsi que le préconise le projet de directive européenne et que le pratique la plupart des grands pays industriels, car à quoi sert le contrôle des effets en l’absence d’examen critique des causes !

De même, les procédures de transaction administrative devraient disparaître.

Les dispositions du Code de l’urbanisme qui pourraient permettre la prise en considération de l’environnement, relèvent du pouvoir discrétionnaire de l’administration, et ne font donc l’objet que d’un contrôle restreint de la part du juge administratif, limité à l’erreur manifeste d’appréciation.

La législation sur le permis de construire n’a pas pour effet, ni pour objet, d’assurer la protection des tiers. La démolition d’une construction ne peut être réclamée en matière d’urbanisme qu’après que le juge administratif a, de manière définitive, annulé un permis de construire .

Enfin on peut se demander pourquoi malgré les multiples textes réglementaires le contenu environnemental des documents d’urbanisme demeure indigent.

 

La responsabilité par les droits de propriété

Il ne s’agit pas ici de revenir sur le fait que la propriété privée incite à la bonne gestion, mais de montrer comment un certain nombre de biens, considérés comme communs, peuvent être des exemples de gestion privée.

C’est la raison pour laquelle, avant de multiplier les réglementations et les pouvoirs de police sur la gestion d’un bien commun, il importe de regarder si, d’un point de vue écologique, ce bien ne pourrait être mieux géré par l’attribution de droits de propriété privée.

Je donnerai ici rapidement quelques exemples :

En Grande-Bretagne, le National Trust, organisme entièrement privé soutenu par près de trois millions de membres, joue depuis un siècle un rôle capital dans la protection et la gestion du patrimoine historique et naturel.

Aux États-Unis, la crise des parcs publics contraste avec le succès écologique des réserves privées et notamment des 1100 conservatoires (land trust) privés et associatifs qui protègent en liaison avec les propriétaires plusieurs millions d’hectares. Par exemple depuis 1933, la Hawk Mountain Sanctuary Association a entrepris de protéger les faucons sauvages à une époque où les pouvoirs publics subventionnaient leur destruction. L’appropriation privée a permis de protéger les rapaces contre les chasseurs.

On pourrait encore citer les centres de production et de reproduction de certains insectes menacés par les pratiques agricoles. Les fermes de papillons ou les fermes pour l’élevage de crocodiles ou de tortues marines.

La protection de l’eider en Islande, oiseau très recherché pour son duvet particulièrement chaud (l’édredon) : depuis 1281 en Islande, les droits de propriété ont été accordés sur ces oiseaux, ce qui fait que les fermiers exploitent l’eider de façon beaucoup plus économe que s’ils étaient des biens communs voués à la surexploitation, au braconnage, ou aux prédateurs naturels.

Il apparaît que, partout dans le monde, les propriétaires privés peuvent et doivent jouer un rôle capital dans la gestion de l’environnement pour autant qu’ils sont encouragés et non présumés coupables.

 

La responsabilité par le marché

La technologie juridique moderne et internationale nous fournit des exemples qui montrent comment il est possible de réintroduire des droits de propriété et des mécanismes de marché là où l’on considère cela généralement comme impossible.

On peut citer l’exemple des bulles atmosphériques : dans une zone donnée, il s’agit de geler la pollution à un niveau donné, et d’attribuer aux pollueurs des quotas de pollution négociables (voire des quotas décroissants ou échangeables dans une zone plus vaste, afin de réduire la pollution). Une entreprise qui ne peut faire autrement que de dépasser les normes de pollution sera obligée de racheter le complément de droits nécessaires. Un tel mécanisme a pour avantage de favoriser, bien plus que tout autre système, le développement de nouvelles technologies de dépollution.

Ce principe peut d’ailleurs être étendu à la gestion de la qualité de l’eau dans un bassin versant pour maîtriser la pollution diffuse dues aux activités agricoles (bassin du Tar-Pamlico en Caroline du Nord).

Le transfert des droits de construire (COS) relève de la même logique, à savoir protéger l’environnement dans un contexte d’équité et d’intérêt mutuel.

Ainsi, pour favoriser l’arbitrage entre les droits de chacun sur l’environnement, les préférences contradictoires et donc la valeur accordée à l’environnement, il convient qu’existent de nombreux marchés libres où puissent s’échanger librement et contractuellement les droits de chacun.

 

La responsabilité par les associations

On l’a vu, les associations ont déjà réalisé un travail très important en vue de protéger l’environnement.

L’expérience montre que, pour de multiples raisons qui vont de l’altruisme au plaisir de la chasse, de l’intérêt scientifique au plaisir d’observer les oiseaux, les individus s’associent, s’organisent en vue de protéger des animaux, des plantes, des paysages et des sites. De plus, la protection de l’environnement peut heureusement devenir une activité lucrative.

Pour encourager l’initiative privée associative, le mécénat écologique, la France manque encore d’un statut approprié des fondations et de déductions fiscales incitatives. La toute récente création de la Fondation du Patrimoine ouvre une voie intéressante dans la mesure où l’État aura un rôle modeste tandis que la société civile est amenée à prendre ses responsabilités.

 

La responsabilité par l’État

Le premier rôle de l’État, ce n’est pas d’intervenir pour protéger l’environnement, c’est de faire des lois qui permettent au droit de protéger l’environnement.

Ceci reflète une conception de l’État où il n’administre pas les affaires des Hommes à tel ou tel prétexte – l’environnement étant de ceux-ci – mais veille à l’exercice de la justice entre des Hommes qui administrent eux-mêmes leurs propres affaires.

Il faut appliquer à l’action de l’État en matière d’environnement le principe de subsidiarité (subsidiarité de l’action publique par rapport à la société civile, subsidiarité au sein même de l’action publique en la rapprochant au plus près des problèmes par la décentralisation).

Il faut soumettre l’action de l’État aux principes généraux de responsabilité.

La gestion et la réglementation des biens communs et collectifs :

Il existe bien évidemment des biens communs, c’est-à-dire des biens pour lesquels on ne peut assigner de droits de propriété susceptibles d’être respectés. Dès lors qu’ils remplissent cette condition, ces biens sont légitimement gérés par l’État.

La frontière entre biens communs et biens appropriables est d’ailleurs variable, et peut changer en fonction de l’évolution des techniques.

Mais ces biens communs étant de nature très diverse, il convient de vérifier qu’ils appartiennent à la catégorie des biens communs irréductibles. Sans cela, la gestion privée doit être envisagée comme une alternative préférable.

En ce qui concerne la gestion publique, on peut d’ailleurs s’inspirer des techniques de la gestion patrimoniale qui visent à améliorer la gestion en commun et qui peuvent s’appliquer à des problèmes fort divers, comme : la protection des nappes phréatiques, la protection de la forêt lors des passages d’autoroutes, la restauration des terrains en montagne, la protection de la forêt contre les incendies, la gestion d’une zone littorale, la protection de la nature contre les dépôts d’ordure, la protection contre les risques naturels en montagne…

L’intervention publique peut consister encore à retrancher des actions publiques antérieures. On peut ici citer l’exemple du maquis corse devenu, depuis Napoléon, au nom de la solidarité corse, exonéré de droits de succession, pourvu qu’il demeure dans l’indivision. Ainsi, une grande partie du maquis corse est devenue un bien commun de fait qui, en l’absence de droits de propriété affirmés, se transforme en pâturage commun à la suite de providentiels incendies d’autant plus providentiels et fréquents qu’ils permettent de justifier d’un cheptel bovin largement fantôme subventionné par la Politique Agricole Commune.

Dans ce même esprit, de nombreux abandons de terres sont le produit de la fiscalité française et de la législation sur les structures agricoles (baux ruraux…) Par ailleurs, on l’a vu, les multiples subventions aboutissent souvent à encourager la destruction de l’environnement (drainage des zones humides, irrigation, remembrement…)

Ne pas multiplier les taxes au prétexte de la défense de l’environnement : l’argument des externalités est souvent utilisé pour justifier l’intervention de l’État, et tout particulièrement l’imposition de taxes sur tel ou tel bien. L’idée de base est que lorsqu’un bien est susceptible de provoquer des dommages par son utilisation, il faut le taxer, soit pour en décourager l’usage, soit pour compenser les dommages éventuels.

Ainsi, au prétexte des externalités, on jugera bon de taxer l’eau pour payer la dépollution, ou de taxer les allumettes et les briquets pour participer à la lutte contre les feux de forêts. (pourquoi ne pas taxer les couteaux de cuisine pour indemniser les victimes d’assassinats, taxer le chemin de fer pour participer à la lutte contre le bruit ?).

En fait, le concept d’externalité sert à faire payer le consommateur ou l’usager non fautif d’un bien ou d’un service pour l’usage fautif que d’autres peuvent en faire. Il sert encore à faire payer le consommateur d’un bien ou d’un service qui ne portent pas atteinte à l’environnement, ou exempts de pollution, pour compenser le coût des atteintes à l’environnement ou de la dépollution des autres biens ou services de même nature. De tels mécanismes me paraissent tout à fait contestables du point de vue du droit et de la responsabilité.

En fait, le concept économique d’externalités me paraît devoir être regardé avec une grande méfiance car il ne peut à lui seul légitimer l’intervention de l’État. Nous vivons entourés d’externalités. Chaque objet, chaque service, comporte des externalités, positives ou négatives, plus ou moins grandes.

Si une externalité, négative ou positive, s’analyse en dommages, il appartient aux tribunaux d’ordonner la réparation du dommage.

Le niveau de dépenses publiques consacrées à l’environnement n’est pas un bon indicateur de l’efficacité de l’action publique

Il est sûr que l’évolution qui consiste à donner plus de valeur à la qualité de l’environnement ne peut que conduire à des dépenses plus grandes consacrées à l’environnement. Mais qui dit plus de dépenses ne dit pas forcément plus de dépenses publiques. Pas plus que la prospérité des industries ne se mesure au niveau de subventions consacrées à l’industrie, le niveau de dépenses publiques consacrées à l’environnement n’est de nature à indiquer l’efficacité de la protection de l’environnement. Il indique simplement une préférence pour l’action collective, comme les prélèvements obligatoires indiquent une préférence pour les consommations collectives.

Les réglementations environnementales entraînent toujours des coûts pour le contribuable et/ou le consommateur. Récemment le rapport Guellec a mis en évidence les conséquences financières de la mise en Å“uvre de la directive européenne sur la généralisation de l’incinération de déchets solides. Toute réglementation devrait donc être précédée d’une étude d’impact coût/avantage… ce qui contribuerait en outre à limiter le nombre de pages du Journal Officiel !

La responsabilité collective des États face aux risques planétaires ?

Il reste à examiner un problème, celui des grands risques planétaires de l’environnement, risques qui impliquent une menace pour l’avenir même de l’humanité.

Nous touchons là un domaine où le risque est difficilement mesurable. En effet, comment prouver que la destruction de la forêt amazonienne entraînera, à plus ou moins long terme, la destruction des conditions normales de vie ? Comment démontrer que la pollution atmosphérique par le CO2 modifiera, dans deux cents ou trois cents ans, l’équilibre de la planète par le niveau des terres émergées ? Comment mesurer les risques réels liés aux atteintes à la couche d’ozone ?

D’un côté, il y a l’exagération médiatique de ces peurs (que l’on se souvienne du thème de la croissance zéro, véhiculé par d’excellents experts du Club de Rome en 1970, au prétexte de l’épuisement prochain de nos ressources énergétiques et alimentaires) et le danger de voir ces peurs collectives se traduire en demandes d’État (comme les guerres et les crises économiques ont contribué à renforcer le rôle et le pouvoir de l’État).

D’un autre côté, il y a la nécessité de tout mettre en œuvre pour conjurer un péril mortel, et c’est bien la fonction même de l’État que d’assurer la sûreté.

Nous sommes donc là dans le domaine même du rôle de l’État et de l’action des hommes politiques même si, nous l’avons dit, de tels problèmes doivent être traités avec prudence et, autant que faire se peut, hors de toute passion ou excitation médiatique.

Il me semble cependant que l’action publique internationale doit respecter ces deux principes :

  1. Les riches ne doivent pas imposer leurs préférences écologiques aux pauvres
  2. Les riches doivent payer les préférences écologiques des riches

 

Cela signifie par exemple que, si nous estimons que le maintien de forêts tropicales humides est quelque chose de vital, il serait choquant d’imposer aux pays qui possèdent cette ressource de sacrifier les bénéfices de leur coupe. On peut imaginer, en revanche, que ces forêts soient vendues ou que soit vendue leur exploitation, ou plutôt leur non-exploitation. De même peut-on utiliser – comme cela a déjà été fait en ce sens – les techniques de conversion de dettes.

 

CONCLUSION
Se sentir responsables

 

Nous avons ainsi abordé les problèmes d’environnement sous l’angle de la plus large diffusion des responsabilités. Ce n’est pas par des proclamations généreuses ou en inventant un nouvel État-providence de l’environnement que l’on protégera efficacement l’environnement. C’est par un système de droits et d’obligations qui diffuse le plus largement la responsabilité et qui fait de chacun un véritable gardien de l’environnement.

Mais cette protection ne sera efficace que si les comportements légaux deviennent des comportements naturels, fondés à la fois sur des principes ressentis comme des principes de justice et reposent sur un certain nombre de valeurs propices à la protection de l’environnement et de ressources communes.

Qui pourra jamais interdire, de fait, de jeter un papier gras par la fenêtre de sa voiture ? On ne peut mettre un policier derrière chaque personne. Il faut donc intérioriser les comportements favorables à l’environnement. C’est affaire de valeurs, c’est affaire d’éducation. On n’élève pas ses enfants parce que la loi vous y oblige. On le fait parce que c’est un comportement naturel.

Autrefois, on apprenait aux enfants à finir leur pain, c’est-à-dire à mesurer leur consommation. Ce n’était pas tant là un acte économique qu’un acte de respect envers la nature et la peine des Hommes, que l’on apprenait à ne pas gaspiller.

Les écologistes nous ont réappris ce respect de la Nature et de la Vie. Pour cela, une nouvelle fois encore, il faut leur dire merci.

 

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