La privatisation de l’eau : est-ce que ça fonctionne ?

La privatisation de l'eau est souvent présentée comme néfaste par ses détracteurs, qui occultent les succès et empêchent le débat.
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La privatisation de l’eau : est-ce que ça fonctionne ?

Publié le 30 janvier 2013
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Les exemples de privatisation ratée sont régulièrement avancés par les détracteurs de la privatisation de l’eau. Pourtant, dans un cadre favorable à la concurrence et à la libre-entreprises, elle est bénéfique à l’économie et aux consommateurs.

Par Le Minarchiste, depuis Montréal, Québec.

Selon Fredrik Segerfeldt, environ 1,1 milliard de personnes n’ont pas accès à de l’eau potable à travers le monde.

Cette pénurie causerait environ 12 millions de morts annuellement. Comme l’eau est essentielle à l’agriculture, sa pénurie d’eau engendre aussi des pénuries de nourriture, ce qui cause la malnutrition. Dans certaines régions du monde, certains (souvent femmes et enfants) passent une bonne partie de leur journée à quérir et transporter de l’eau, marchant plusieurs kilomètres, ce qui les empêche de travailler et/ou d’aller à l’école. Souvent, les pauvres qui n’ont pas accès au réseau d’aqueduc achètent leur eau à des vendeurs informels itinérants et la paient très cher. Par exemple, à Port-au-Prince, l’eau coûte environ un dollar par m3 sur le réseau, alors que les vendeurs informels la vendent 10 dollars par m3.

Non seulement ils paient plus cher pour leur eau, mais ils perdent quotidiennement de précieux revenus de travail à la transporter. Cette situation les enchaîne à un état de pauvreté récurrent. Ils manquent d’eau parce qu’ils sont pauvres et ils sont pauvres parce qu’ils manquent d’eau, un véritable cercle vicieux.

Pourtant, chaque année il tombe 113 000 km3 d’eau sur Terre, dont 72 000 km3 s’évaporent à nouveau, en laissant 41 000 km3, équivalant à 19 000 litres par personne et par jour. Au Cambodge, au Rwanda et en Haïti, seulement 32 %, 41 % et 46 % respectivement de la population ont accès à l’eau potable, même si ces pays ont davantage de précipitations annuelles que l’Australie, où 100 % de la population a accès au réseau d’aqueduc. La ville où il y a le plus de précipitations au monde, soit Cherrapunji en Inde, souffre constamment de pénuries d’eau potable.

Donc, il y a amplement d’eau potable sur la Terre. Le problème n’est pas là, mais réside plutôt dans son accessibilité, son transport et sa distribution. Cela requiert des infrastructures, lesquelles nécessitent des investissements pour être construites, et donc l’accumulation de capital. Or, le contexte institutionnel de ces pays ne favorise pas l’épargne et l’investissement. Dans la plupart des pays, les aqueducs appartiennent aux gouvernements et sont opérés par eux, lesquels ont démontré une bien piètre performance dans ce rôle. Par ailleurs, dans les pays pauvres qui souffrent de pénuries d’eau, le gouvernement ne dispose pas de suffisamment de capital pour garantir l’accès à l’eau, d’abord parce qu’il n’y a pas suffisamment de richesse à taxer, et ensuite parce que l’argent des taxes est dilapidé en bureaucratie et en corruption.

Le résultat est un sous-investissement chronique dans les infrastructure, laissant des millions de personnes sans accès au réseau.

 

Quelle solution à ce grave problème ?

La privatisation des aqueducs est généralement associée à une hausse des tarifs.

Après des années de sous-investissement gouvernemental, c’est le prix à payer pour obtenir le capital nécessaire pour financer les investissements dans le réseau, améliorer la qualité de l’eau, sa quantité ainsi que d’augmenter le nombre de foyers qui y ont accès.

On remarque que dans la plupart des régions, les tarifs d’aqueduc sont beaucoup trop faible, ce qui équivaut à une subvention pour les grands consommateurs d’eau et les mieux nantis, sur le dos des pauvres qui n’ont pas du tout accès au réseau, et des contribuables qui absorbent les pertes des sociétés d’aqueduc.

En moyenne, ceux qui n’ont pas accès au réseau d’aqueduc paient douze fois le tarif pour leur eau. Pour eux, même après l’augmentation du tarif post-privatisation, cette eau provenant de leur nouvel accès au réseau d’aqueduc est une véritable aubaine !

Comment s’assurer que les plus pauvres puissent obtenir assez d’eau pour survivre ? Le meilleur moyen consiste simplement à leur octroyer des coupons leur donnant accès à une quantité d’eau minimale, plutôt que de forcer les tarifs à la baisse auprès de la société d’aqueduc. On conserve ainsi l’incitatif à investir dans le réseau.

Qu’est-ce qu’une privatisation ?

En fait, ce mot a été utilisé à tort et à travers chaque fois qu’une entreprise privée a été impliquée de près ou de loin avec la distribution d’eau. Plusieurs « privatisations » ont été mal ficelées et n’ont été que des mascarades de beaux principes non appliqués. En réalité, il n’existe quasiment pas d’exemple de véritable privatisation dérèglementée des actifs d’une société d’aqueduc. En fait, on retrouve cinq niveaux d’implication du secteur privé :

  1. Un simple contrat de service, en vertu duquel une entreprise privée veille à l’entretien du réseau.
  2. Un contrat d’opération, selon lequel une entreprise privée opère le réseau sans toutefois en être propriétaire.
  3. Un bail, qui résulte en ce que l’entreprise privée loue les infrastructures pendant une période déterminée et finie.
  4. Une concession, qui similaire à un bail annexé de cibles à atteindre concernant le tarif, le nombre de foyers connectés, la quantité d’eau produite, la qualité de l’eau produite, etc.
  5. La possession complète et définitive des infrastructures, assortie d’une réglementation par les autorités gouvernementales.

 

La méthode ayant donné de bons résultats est la quatrième option.

Dans ce contexte, les profits des entreprises d’aqueduc privées dépendent de leur capacité à relier le plus de ménages possible au réseau d’aqueduc, à réduire les coûts au minimum et à éliminer les fuites. Les tarifs peuvent être règlementés, et les fournisseurs peuvent être mis en concurrence. Dans le monde, il y a au moins neuf multinationales impliquées dans la gestion des aqueducs, et beaucoup d’entreprises locales. À Manille, une cinquantaine d’entreprises ont répondu à l’appel d’offre pour la privatisation. Il n’y a donc pas d’oligopole dans cette industrie.

Cependant, il faut faire attention de ne pas simplement convertir un monopole public en monopole privé, structuré de façon à ce que l’entreprise se retrouve à viser la satisfaction des politiciens plutôt que celle des consommateurs finaux.

 

Cochabamba, Bolivie

S’il y a un exemple de privatisation qui a mal tourné, c’est bien celui de la Bolivie.

La Banque mondiale a certainement tenté de solutionner le problème d’accès à l’eau à plusieurs endroits dans le monde, mais s’y est bien mal pris, en subventionnant des projets médiocres, qui n’ont bénéficié qu’aux politiciens et aux firmes de construction qui les soutiennent.  À cet égard, l’exemple de Bechtel en Bolivie démontre très bien la malhabileté de l’organisme. En 2000, la Banque mondiale exige de la Bolivie qu’elle privatise ses services d’aqueduc. À Cochabamba, c’est un consortium mené par la firme américaine Bechtel qui remporte le marché. Selon le contrat, les acheteurs devaient investir pour revitaliser le système existant en forte détérioration, doubler la couverture du réseau, puisque la moitié des habitants n’y avaient pas accès, et les autres seulement quelques heures par jour étant donné sa piètre condition, assumer 30 millions de dollars de dette existante aux livres de l’entreprise d’État, et financer l’achèvement du barrage Misicuni, un coûteux projet pourtant déficitaire que le consortium ne prévoyait pas réaliser, mais qui leur a été imposé dans leur contrat. C’est qu’un allié influent du président Banzer, le maire de Cochabamba, Manfred Reyes Villa, voulait ce barrage pourtant inutile, puisque sa construction bénéficierait à ses collaborateurs politiques.

De façon à financer ces investissements qui amèneraient le réseau d’aqueduc à un niveau presque digne des pays industrialisés (même si les habitants n’avaient pas les moyens de payer les tarifs associés à un tel réseau) ainsi que le coûteux barrage Misicuni, le consortium mené par Bechtel a augmenté les tarifs en moyenne de 35 %. À Cochabamba, beaucoup ont vu leur facture d’eau augmenter beaucoup plus. C’est entre autres parce qu’auparavant, l’eau était rationnée. Il est donc normal qu’une fois le rationnement annulé, la consommation augmente, faisant monter la facture des consommateurs. Le prix unitaire, lui, n’avait pas tant augmenté. Par ailleurs, il n’était plus possible pour certains habitants aisés de payer des pot-de-vin aux fonctionnaires pour que leur foyer soit classé comme étant à bas revenu, bénéficiant ainsi d’un tarif réduit. Ils ont évidemment aussi vu leur facture augmenter. Finalement, beaucoup n’avaient pas de compteur d’eau, ce qui leur permettait de consommer gratuitement, situation à laquelle Bechtel a remédié. Ainsi, la résistance du peuple, surtout ceux qui voulaient protéger leur accès privilégié au réseau, a été forte, et le contrat a fini par être résilié. Les tarifs sont par la suite revenus à leur niveau initial, et le réseau est resté dans un état de médiocrité précaire. La moitié des 600 000 habitants de Cochacamba n’avait toujours pas accès au réseau d’aqueduc en 2005, et ceux qui y avaient accès devaient se contenter d’un service intermittent, parfois de trois heures par jour.

Cette privatisation a été bâclée, et le processus mal exécuté, perverti par le lobbying et l’ingérence politique.

 

Manille, Philippines

À Manille, l’accès à l’eau était médiocre, seulement 67 % des ménages avaient accès au réseau, la qualité de l’eau était mauvaise et elle devait être bouillie avant consommation.

Avant la privatisation, le réseau fonctionnait en moyenne 16 heures par jour et perdait 63 % de la production en fuites. Après la privatisation en août 1997, le prix de l’eau par m3 est passé de 8,78 pesos à 4,96 pesos, correspondant à une baisse de 43 % du prix de l’eau pour les consommateurs, bien inférieur à celui des vendeurs informels à 100 pesos le m3. Mais les tarifs ont dû être fortement augmentés suite à la crise asiatique et de sévères sécheresses, atteignant environ 30 pesos de nos jours, ce qui équivaut à 17 pesos ajusté de l’inflation (notez cependant que les tarifs résidentiels sont nettement inférieurs à cela, et les foyers les plus pauvres bénéficient d’une escompte de 40 %). Suite à la crise asiatique, la devise du pays a perdu énormément de valeur, ce qui a fait augmenter astronomiquement le service de la dette en dollar américain de la société d’aqueduc. Puis, le gouvernement n’a pas rempli ses obligations d’investissement concernant le bassin d’approvisionnement et a refusé d’autres hausses de tarifs, plaçant l’entreprise en situation financière critique.

Le processus de privatisation a été bâclé. Une famille bien connectée politiquement, mais sans expérience en gestion d’infrastructures (Lopez) a pris le contrôle de l’une des deux entreprises (car il y avait un maximum de 40 % de propriété étrangère pour Suez) et a cherché à l’utiliser comme vache à lait. Mal gérée et incapable de stabiliser sa situation financière suite à la crise asiatique, qui a conduit à une forte dévaluation du peso, et étant donné la limite de 40 % d’actionnariat étranger, celle-ci s’est retirée de la concession en 2003, après avoir échoué à atteindre ses objectifs. La concession a été reprise par Metro Pacific Investment et DMCI Holdings, des entreprises privées locales, en 2007. Néanmoins, l’entreprise a augmenté l’accès au réseau de 67 % à 86 % en 2006.

L’autre société d’aqueduc a été gérée par la multinationale Bechtel et les résultats furent bien meilleurs, celle-ci ayant surtout emprunté en peso. L’accès à l’eau potable 24 h/24 grâce aux services de MWC (Bechtel + partenaire local) a nettement progressé, atteignant 99 % en 2009 contre 26 % en 1997. La réalisation de travaux importants et l’installation de conduites d’eau ont permis de pratiquement doubler le nombre de ménages bénéficiant des services d’approvisionnement en eau potable en le faisant passer de 3,1 millions en 1997 à 6,1 millions en 2009. L’eau qui était auparavant perdue, du fait des fuites et du chapardage, a été utilisée pour étendre la zone desservie par MWCI. Parallèlement, la quantité d’eau non facturée a été réduite, ramenée à 16 % en 2009 contre 63 % en 1997. Son organisation a également été rationalisée : le nombre d’employés pour 1000 raccordements est passé de 9,8 à 1,5 en 2009. L’entreprise est rentable, et est même entrée en bourse.

Donc en somme, la privatisation des aqueducs de Manille a été plutôt rocambolesque, mais il n’en demeure pas moins que ceux qui n’avaient pas accès à l’eau sont maintenant dans une bien meilleure situation qu’avant.

 

Djakarta, Indonésie

La privatisation des aqueducs de Djakarta en 1997 fut une véritable mascarade. À cette époque, les gens payaient l’eau 10 à 32 fois plus cher auprès de vendeurs informels, et devaient faire la file pendant deux heures pour obtenir une eau de mauvaise qualité, dangereuse pour la santé. Le président Suharto a accordé des concessions de 25 ans à la française Suez et à la britannique Thames sans appel d’offre concurrentiel. L’arrangement avec le gouvernement était complexe, incongru et insoutenable. Ces arrangements ont bénéficié au fils du président et à ses relations. Encore une fois, la crise asiatique est venue fortement dévaluer la devise locale, ce qui a nécessité des augmentations de tarifs en 2001, 2003 et 2004.

Les résultats ont été décevants, mais une amélioration fut tout de même observée. Entre 1998 et 2008, l’accès aux aqueducs a augmenté de 46 % à 64 % et les fuites ont été réduites de 61 % à 50 %. Il s’agissait certes d’une amélioration, mais c’était tout de même en deçà des objectifs fixées par le contrat. Les tarifs ont presque triplé en dollar courant, mais pas pour les plus pauvres, qui n’ont pas subi d’augmentation.

 

Autres exemples

En 1985, les autorités de Macao ont signé un contrat de concession avec une entreprise privée concernant le réseau d’aqueduc. Résultat : la quantité et la quantité d’eau produite ont fortement augmenté. Dix ans plus tard, le PIB de la ville a triplé, et ses habitants ont l’un des meilleurs niveaux de vie de toute l’Asie.

Au Chili, au début des années 1980, le gouvernement a octroyé des droits de propriété sur de l’eau à des fermiers, des entreprises et des municipalités. Ces droits pouvaient être transigés sur un libre-marché. Résultat : l’offre d’eau y a augmenté plus vite que dans n’importe quel autre pays. Avant cette époque, seulement 27 % des Chiliens avait accès à l’eau potable dans les régions rurales, et 63 % dans les régions urbaines, alors que de nos jours c’est 94 % et 99 % respectivement, soit les pourcentages les plus élevés de toutes les nations de la catégorie de revenu moyen.

En 1997, le gouvernement du Gabon a signé un contrat avec une entreprise privée française concernant la distribution d’eau et d’électricité au pays. Le contrat comportait des objectifs à atteindre relatif au pourcentage de la population ayant accès au réseau ainsi que les tarifs qui devaient diminuer de 17,25 %. Cette opération fut un succès, même si le Gabon est pays très rural.

La ville de Casablanca a formé un PPP en 1997 avec un consortium formé d’entreprises locales et internationales, lequel a investi 250 millions de dollars dans le réseau d’aqueduc, entre 1997 et 2002. La performance du réseau s’est nettement améliorée : diminution des fuites, augmentation du nombre de foyers connectés, amélioration de la qualité de l’eau, amélioration du service à la clientèle. La compagnie a réduit le nombre d’employés, mais ceux qui restent ont été mieux formés et ont vu leur salaire augmenter.

En Guinée, avant que les aqueducs de certaines régions ne soient privatisés en 1989, presque 80 % des ménages de ces régions n’avaient pas accès à de l’eau par aqueduc. En 2001, cette proportion avait diminué à 30 %. Les gens devaient marcher de longues heures pour accéder à un point d’eau et/ou l’achetaient à un vendeur ambulant à des prix exorbitants. Sous l’égide du gouvernement, la société d’aqueduc sous-investissait et exigeait un prix minime pour l’eau, ce qui constituait en fait une subvention pour les privilégiés ayant accès au réseau (les plus riches). La qualité de l’eau était mauvaise, les interruptions de service nombreuses, tout comme les fuites. Pour faire du rattrapage au niveau des investissements, les prix ont bien sûr été augmentés substantiellement, mais pour ces pauvres qui ont maintenant accès au réseau, c’est une aubaine, puisqu’ils peuvent maintenant travailler au lieu de transporter de l’eau toute la journée.

À Buenos Aires, avant la privatisation en 1993, l’état du réseau était lamentable en raison du sous-investissement. La moitié des gens vivant dans les quartiers pauvres n’avaient pas accès au réseau. Les fuites représentaient 45 % de la production, 99 % des foyers n’avaient pas de compteurs, et 80 % des factures n’étaient pas payées.

Suite à la privatisation, la production a augmenté de 38 % et trois millions de personnes ont obtenu l’accès au réseau grâce à d’importants investissements. Le prix de l’eau est devenu dix fois moins cher que celui des vendeurs informels. En 1998, son prix était 17 % plus bas qu’en 1992, et la qualité s’est améliorée, le nombre d’enfants décédés en raison de causes reliées à l’eau a diminué. Le nombre d’employés est passé de 8000 à 4000, surtout par attrition. Puis est survenue la crise économique d’Argentine, les entreprises ont souffert de la dévaluation de la devise puisque leurs revenus étant en peso, et certains de leur coûts en dollar. Elles ont voulu hausser les tarifs pour compenser, ce que le gouvernement a refusé, poussant l’entreprise vers la faillite. Pour cette raison, Buenos Aires est considérée comme un exemple d’échec de la privatisation des aqueducs, alors que les résultats ont été plutôt encourageants, malgré la corruption, l’interférence politique et la mauvaise exécution du processus de privatisation lui-même.

À Yerevan en Arménie, après la privatisation, le service d’aqueduc a augmenté en moyenne de 7 heures par jour à 18,5 heures et plus de 70 % des ménages ont accès à l’eau 24 h/24. La qualité s’est aussi améliorée alors que la consommation d’énergie de l’entreprise a diminué de 48 %. Les fuites ont diminué de 35 %.

Des résultats encourageants ont aussi été observés au Rwanda et au Mozambique suite à l’implication d’entreprises privées.

Aux États-Unis, les privatisations d’aqueducs génèrent en moyenne à des économies de coûts de 20 % à 50 %. À Jersey City, le service d’aqueduc était médiocre. L’eau avait mauvais goût et échouait parfois les tests de potabilité. Les fonctionnaires en charge affirmaient qu’ils ne pouvaient rien faire, sauf si les tarifs étaient augmentés pour investir dans le réseau. C’est alors que le maire a décidé de sous-traiter le service d’aqueduc à des entreprises privées. En quelques mois, l’entreprise qui a remporté le contrat a réparé le réseau. L’eau de Jersey City a maintenant les standards les plus élevés et la municipalité économise 35 millions de dollars par an en dépenses.

Atlanta est un exemple de privatisation qui a mal tourné aux États-Unis. Alors que le réseau était médiocre, la ville a signé un contrat de 20 ans avec United Water en 1999 concernant l’opération et l’entretien du réseau, mais pas pour les investissements en infrastructures. La firme a d’abord hérité d’une file d’attente de plusieurs milliers de plaintes de service, dont certaines dataient de trois ans. La ville avait largement sous-estimé les dépenses en entretien du réseau, dont certaines portions datent de 1875. Néanmoins, les fuites ont été réduites de 28 % en quelques années. En 2001, le maire d’Atlanta déclarait qu’il était très satisfait de la privatisation.

Puis, en 2002, la nouvelle maire, qui avait jadis travaillé pour un concurrent de United Water, s’est mise sur le cas de l’entreprise. Face à ses critiques, United Water a répondu que la ville n’avait pas rempli ses obligations contractuelles relatives aux investissements en infrastructures et avait plutôt utilisé les économies de coûts générées par la privatisation pour boucler son budget. Puis, suite aux nombreuses disputes, le contrat fut résilié. La ville a repris le contrôle des aqueducs, embauché davantage d’employés et augmenté significativement les tarifs.

En 1989, Margaret Thatcher a vendu 10 réseaux d’aqueducs en les inscrivant à la bourse en Angleterre. Ces réseaux perdaient plus du quart de leur eau en fuites, et presque le tiers des zones couvertes ne rencontrait pas les standards de potabilité. Suite à la privatisation, les entreprises ont investi 3,5 milliards de livres par année dans les infrastructures. La qualité de l’eau s’est grandement améliorée et atteint maintenant les standards européens. Les tarifs ont augmenté de 21 % en dollars constants entre 1989 et 2005, mais ils avaient augmenté de 22 % durant les 7 années précédant la privatisation. Une chose qui a changé est l’imputabilité des entreprises d’aqueduc, qui doivent dorénavant payer des amendes lorsqu’elles nuisent à l’environnement, ou lorsqu’il y a des pannes, ce qui n’était pas le cas lorsque les réseaux étaient publics. Les aqueducs anglais ont maintenant une meilleure performance que ceux d’Écosse et d’Irlande qui demeurent sous l’égide des gouvernements, et ce à moindre coût.

Au Canada, les exemples sont plus limités, mais le meilleur est sans doute Moncton, au Nouveau-Brunswick. Dans les années 1990, la ville souffrait d’une qualité d’eau médiocre. Entre les périodes où l’eau devait être bouillie, la ville utilisait des camions-citernes pour transporter de l’eau d’une autre ville. En 1998, la ville a signé une entente de privatisation avec USF Canada. L’entreprise a construit une nouvelle usine de filtration pour 23 millions de dollars, soit huit à 10 millions de moins que ce qui avait été estimé par l’aqueduc public. Depuis, Moncton économise 14 à 17 millions par année en coûts de capital et d’opération. L’eau a maintenant les standards de potabilité.

Malheureusement, au Canada, le mouvement anti-privatisation (mené par les syndicats) est très puissant et a réussi à effrayer le public, de sorte que très peu de privatisations ont été envisagées. Pourtant, à Montréal, la ville perd presque la moitié de son eau en fuites, et les coûts d’opération y sont exorbitants. Mais personne ne se scandalise de l’échec du public…

 

Conclusion

Même si nous n’entendons parler que des exemples de privatisation qui auraient supposément mal fonctionné, il y a pourtant beaucoup plus d’exemples de privatisation positifs. Des projets de privatisation financés par la Banque mondiale, seulement 4 % ont été un échec menant à la résiliation du contrat. Ceci dit, les exemples de Cochabamba, Manille et Djakarta nous indiquent les voies à ne pas suivre, et les erreurs à éviter. Par ailleurs, il semblerait que l’implication des firmes Suez et Bechtel mène souvent à de mauvais résultats (elles sont spécialistes de la connivence politique).

Le problème le plus fréquent n’est pas que les tarifs d’eau sont trop élevés, mais bien qu’ils ne le sont pas assez lorsque l’aqueduc est public, ce qui incite au gaspillage et au sous-investissement. <

Ce qui importe n’est pas d’avoir un tarif  excessivement bas, mais plutôt d’investir pour étendre le réseau au plus grand nombre de foyers possible dans un contexte institutionnel favorable.

Voici les plus grandes erreurs à éviter lors d’une privatisation d’aqueduc :

  • Processus mené trop rapidement, ne permettant pas d’obtenir le meilleur arrangement.
  • Pas d’appel d’offre concurrentiel.
  • Recherche du tarif le plus bas, même si le plan d’affaires est irréalisable.
  • Ingérence politique.
  • Surévaluation ou mauvaise évaluation de l’état du réseau (souvent par manque de données en provenance des aqueducs publics et de leurs syndiqués; les privatisations font d’ailleurs suite à une période de sous-investissements chroniques après lesquelles des vices cachés surviennent immanquablement).
  • Financer avec de la dette en devises étrangères ou ne pas lier les tarifs au taux de change.
  • Laisser certaines infrastructures critiques nécessitant des investissements indispensables pour la viabilité du réseau entre les mains du gouvernement.
  • Limites sur la propriété étrangère (nuisant à l’accès au capital et agissant comme une subvention aux entreprises locales manquant d’expertise dans le domaine et souvent de connivence avec l’État).
  • Exiger des investissements trop élevés pour la capacité de payer des consommateurs locaux.
  • Subventionner la consommation d’eau des foyers les plus pauvres en forçant les tarifs à la baisse plutôt qu’en octroyant des coupons.
  • Grilles tarifaires trop complexes et/ou inadéquates.

 

La simple privatisation des aqueducs n’assurera pas un miracle économique. C’est une condition nécessaire, mais pas suffisante à leur amélioration. Pour que cela fonctionne, il faut aussi un contexte institutionnel qui favorise la concurrence et la libre entreprise, une économie ouverte et dynamique. Autrement, on ne fera que convertir une rente publique en rente privée.

Les activistes anti-privatisation ont bien peu d’égard pour les pauvres qu’ils prétendent défendre, qu’ils utilisent dans leur lutte contre le capitalisme. Ils font davantage appel à l’émotion qu’à la raison. Ils appliquent un double standard : lorsque le secteur public présente une performance médiocre, laissant des millions de ménages sans accès à l’eau, pas un mot, mais aussitôt qu’une entreprise privée commet la moindre faute, c’est l’hécatombe. Finalement, il est évident que les fonctionnaires et leurs syndicats militent fortement contre la privatisation des aqueducs.

Une chose est sûre, ce débat mériterait que l’on y consacre moins d’émotion et davantage de raison.

Pour plus de détails sur le sujet, voici deux textes fort intéressants :

Water-For-Sale : How Business and the Market Can Resolve the Worlds Water Crisis, par Fredrik Segerfeldt, un auteur et commentateur Suédois qui collabore avec plusieurs think tanks libéraux. Vous trouverez une version électronique de son livre ici.

Autre étude de cas sur les privatisations d’aqueducs:

http://www.law-lib.utoronto.ca/investing/reports/rp39.pdf

Sur le web

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  • Excellent article sur un thème fort essentiel.
    Auriez-vous par hasard des informations concernant la France?

    Merci beaucoup

  • Ils y a aussi beaucoup de villes en Inde ou la privatisation a été un succès.

  • Voilà du très bon journalisme de fond 🙂

  • Question posée sur le site minarchiste, restée sans réponse:

    Très bon article qui présente des bons et des mauvais exemples dans les deux cas. Il reste globalement très objectif et ça fait plaisir !

    Cependant il y reste des questions non posées dans cet article qui est : est ce que l’eau doit avoir le même statut que la plupart des autres bien de propriété ?

    Car peut importe si l’eau est publique ou privée, a qui appartient elle vraiment ? l’eau est une ressource qui se déplace et il y a des cas où un station de pompage placée en amont prélève la quasi majorité de la ressource ! est – ce normal ?
    comment réagir dans ce cas là ? je serais curieux de lire des études liées à cette question qui est l’objet de nombreuse querelles, soit entres états soit entres habitants et entreprises privées, etc…

    • Ce n’est pas la peine de se faire des noeuds au cerveau ; ça fait des milliers d’année que les juristes se penchent sur la question du statut juridique de l’eau, avec des solutions locales adaptées à chaque situation. En pratique l’eau est « res nullius », et quand c’est nécessaire, c’est l’accès l’eau qui est régulé (et pas l’eau elle-même). Le droit de propriété n’est pas le seul droit qui peut s’appliquer à une chose…

  • intéressant d’un point de vue théorique. Mais je pense que ce qui fait qu’il soit très rare de voir des entreprises privées gérer des aqueduc n’est en rien en rapport avec l’économie mais avec la politique : il y a le même débat avec l’énergie.

    En imaginant un entreprise sans liens avec l’État, l’entreprise qui s’assure un marché captif de taille importante (en cas de concurrence, la situation aboutit souvent à un monopole ou oligopole car les rendements sont croissants, rendant plus rentable et donc plus compétitive les grandes entreprises), alors cette entreprise détiendrait un pouvoir énorme sur les politiques qui ne voudrait jamais au grands jamais (surtout dans un pays développé comme le notre) porter la responsabilité d’une coupure généralisé de l’eau ou de l’électricité dans une grande ville. Et que dire si cette entreprises et étrangère…

    A partir de là, une telle entreprise aurait un pouvoir politique énorme. Et je n’invente rien puisque cette situation est déjà arrivé avec le lobby pétrolier : aucun État n’avait osé dire non à ceux qui les alimentent en pétrole bien sur.

  • L’eau est un bien d’intérêt public et ne peut en aucun cas servir des intérêts privés, il faut être très prudent avec le pouvoir que l’on concède aux entreprises. Plutôt que leur céder ce pouvoir il vaudrait mieux réfléchir à des solutions éthiques et durables pour l’ensemble des populations.. http://la-ruche-essaime.fr/leau-nest-pas-un-droit-fondamental-elle-devrait-etre-privatisee

  • L’un des exemples de privatisations raté régulièrement avancé c’est Buenos Aires.
    – L’Argentine, ruinée, a privatisé ses services publics dans les années 1990 entre autres mesures d’assainissement financier fournies en contrepartie de prêts effectués par des instances internationales dont le FMI. La privatisation a été un succès technique et commercial, avec par exemple une chute de la mortalité infantile directement liée à l’augmentation de la qualité de l’eau.
    – Après le crash de 2001, du au blocage d’une partie du programme d’assainissement financier par les syndicats et les fonctionnaires, les péronistes qui avaient en un siècle ruiné l’argentine (avec des idées politiques proches de la gauche française) sont revenus au pouvoir. Ils ont renationalisé à bas prix nombre de services publics dont l’eau et les bus dont le passage au privé avait apporté un plus à la population (mais celle ci, ruinée, était prête à croire toute les lunes socialistes du genre « on rase gratis »). Ces renationalisations à bas prix ont donné lieu à procès auprès des arbitres internationaux prévus par les contrats, gagnés par les compagnies qui avaient été évincées à des prix injustes. http://en.wikipedia.org/wiki/Water_supply_and_sanitation_in_Argentina

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Un article de Michael J. Armstrong

Avant que le Canada ne légalise le cannabis récréatif en octobre 2018, ses effets potentiels faisaient, comme cela est toujours le cas ailleurs dans le monde, l’objet de nombreux débats.

Aux États-Unis, le gouverneur du Nebraska, Pete Ricketts, a déclaré que le cannabis était une « drogue dangereuse » qui tuerait les enfants. L’homme politique allemand Markus Söder a exprimé des préoccupations similaires alors que le gouvernement s’est accordé au mois d’août autour d’un projet de loi qui ferait... Poursuivre la lecture

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