Le projet de multirecyclage du plutonium dans les réacteurs actuels est une idiotie

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Le projet de multirecyclage du plutonium dans les réacteurs actuels est une idiotie

Publié le 23 juillet 2024
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À l’inverse du nucléaire durable, le multirecyclage du plutonium dans les réacteurs actuels à eau pressurisée (REP, EPR et EPR2) est une idiotie car ces réacteurs dits à neutrons lents (RNL), transforment le plutonium, matière fissile stratégique, en déchets tout en continuant de consommer la précieuse ressource uranium 235 (U235). Le bilan net est un gaspillage de ressource et une production accrue de déchets « pénibles » de haute activité à vie longue (HAVL). 

 

Incompétence ou mensonge ?

Depuis l’arrêt du prototype de recherche Astrid en 2019 qui visait à développer un réacteur à neutrons rapides de quatrième génération (RNR), certains dirigeants de la filière nucléaire, notamment au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) et à Orano (ex-Areva), présentent le multirecyclage en RNL (donc dans les REP et EPR actuels) comme une alternative au multirecyclage en RNR.

Or, cela est faux : le multirecyclage en RNL conduit à consommer toujours plus la ressource U235, menacée d’épuisement avant la fin de ce siècle, et à augmenter la production de déchets HAVL.

En effet, si les RNL sont efficaces pour fissionner l’U235, a contrario ils favorisent le mécanisme de capture neutronique qui conduit à la formation de noyaux plus lourds que l’uranium. Ces noyaux dits transuraniens, ou actinides, sont des déchets radioactifs à longue durée de vie impossibles à fissionner en l’absence de réacteurs à neutrons rapides (RNR).

Le multirecyclage du plutonium en RNL est ainsi un projet fallacieux qui laisse entendre que le plutonium est utilisé pour produire de l’électricité par recyclages successifs dans le réacteur, alors que c’est exactement le contraire. Cet actinide majeur est transformé en américium (actinide mineur), qui est un déchet, en continuant à consommer de l’uranium 235 !

Toujours prévu dans le contrat d’objectifs du CEA avec l’État et dans la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 2019-2023) son déploiement obstiné est une fuite en avant dont le bilan économique, technologique et environnemental sera catastrophique, au détriment de la crédibilité de toute la filière nucléaire.

Alors, comment justifier un tel programme de recherches coûteux (plusieurs centaines de millions d’euros) pour découvrir ce qui est déjà connu, au prix de la dégradation de nos stocks de matière stratégique et de l’accroissement des déchets HAVL ?

Volonté de récupérer des subventions ? Incompréhension du sujet ? Action délibérée de sabotage du nucléaire français ?

S’appuyant sur des données publiées pour l’élaboration du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR 2016-2018), une évaluation quantitative de différents scénarios (monorecyclage du plutonium en RNL (Mox actuel), multirecyclage du plutonium en RNL, et multirecyclage du plutonium en RNR) a permis de mettre en lumière les points remarquables suivants :

  • Le monorecyclage du plutonium en RNL, qui correspond au moxage actuel (Mox), permet de réduire de seulement 10 % le besoin en uranium enrichi en U235, et augmente de 66 % la quantité d’actinides mineurs (déchets).
  • Le multirecyclage du plutonium en RNL ne réduit quasiment pas le besoin en uranium enrichi en U235 par rapport au cycle ouvert (environ 5 %). Il est même moins performant que le monorecyclage actuel (Mox), et il augmente considérablement (300 %) la production d’actinides mineurs à gérer en déchets. Il en résulte que le multirecyclage du plutonium en RNL équivaut à transformer de la matière fissile en déchets… sans produire d’énergie.
  • Le multirecyclage de l’uranium et du plutonium en RNR est le seul scénario correspondant à un nucléaire durable qui économise drastiquement la ressource. Le besoin en uranium enrichi en U235 disparaît, ainsi que le besoin d’extraire et d’importer de l’uranium, car c’est le plutonium qui fissionne pour produire l’électricité. Seul un appoint en uranium 238 (99,3 % de l’uranium naturel) est nécessaire pour, après transformation en plutonium, alimenter le réacteur en matière fissile.

 

La France dispose sur son sol d’un stock considérable d’uranium 238 (plusieurs centaines de milliers de tonnes) qui lui assurerait une production d’électricité pendant plusieurs millénaires, à condition de disposer de RNR. Avec les RNR, c’est toute la matière énergétique disponible dans l’uranium qui est utilisée pour produire de l’énergie, à la différence des RNL optimisés pour la seule fission de l’uranium 235 dont la teneur dans l’uranium n’est que de 0,7 %.

Enfin, dans le cas du multirecyclage en RNR, les actinides mineurs, notamment l’américium, sont susceptibles eux aussi d’être fissionnés. La recherche sur des combustibles de RNR incorporant l’américium a été stoppée au CEA conjointement à l’arrêt d’Astrid. Il est à noter que si le multirecyclage en RNR intégrait le plutonium et les autres actinides, les déchets ne contiendraient plus que des produits de fission dont la période moyenne d’activité est d’une trentaine d’années. Le multirecyclage en RNR ramènerait donc la durée nécessaire du stockage des déchets radioactifs à quelques centaines d’années seulement…

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Force est de constater que l’arrêt d’Astrid, l’arrêt des programmes de R&D pour un combustible RNR incorporant les transuraniens, et la promotion insensée du multirecyclage en REP ont un dénominateur commun : viser l’arrêt du nucléaire par épuisement de la matière fissile stratégique, uranium 235 et plutonium, et dégradation significative de la gestion des déchets.

Le rapport parlementaire de la commission d’enquête sur les raisons de la perte de la souveraineté énergétique de la France (mars 2023) des députés Raphael Schellenberger (président) et Antoine Armand (rapporteur) a retoqué le multirecyclage en REP que le CEA avait présenté en substitution à Astrid :

« À plusieurs reprises, il a été affirmé que le lien entre la recherche sur le multirecyclage en réacteur à eau pressurisée et la recherche sur la quatrième génération était logique et évident ; ce point, contesté par d’autres experts, ne paraît toujours ni logique ni évident au rapporteur, étant donné la différence en matière de combustible et plus encore de fission (neutrons lents versus neutrons rapides). Par ailleurs, au vu des enjeux de retraitement des MOX usés, des déchets (dont la durée de vie pour les plus radiotoxiques est réduite sensiblement dans le cas de la quatrième génération) et de la disponibilité du combustible (le multirecyclage n’entraînant pas de rupture technologique par rapport à la technologie actuelle), il paraît pour le moins étonnant de mettre sur un plan analogue ce multirecyclage REP avec la quatrième génération. ».

Bis repetita, le rapport sénatorial de la commission d’enquête sur la consommation, la production et les  prix de l’électricité (juillet 2024) des sénateurs Franck Montaugé (président) et Vincent Delahaye (rapporteur) résume à son tour un avis négatif :

« Il en résulte que le projet de multirecyclage dans les réacteurs classiques à eau pressurisée (multirecyclage en REP) qui risque d’entamer significativement notre stock de plutonium et de mobiliser des ressources financières indispensables ne semble pas pertinent à la commission d’enquête ».

Déjà, le 22 juillet 2022, la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et déchets radioactifs (CNE2), instituée par la loi du 28 juin 2006 pour évaluer la pertinence et la qualité des recherches conduites principalement par le CEA et l’ANDRA, avait invalidé ce projet insensé.

Le président de cette Commission (Gilles Pijaudier-Cabot) avait déclaré lors d’une audition : « le multirecyclage ne nous semble pas avoir d’intérêt […] nous ne voyons donc pas vraiment d’intérêt significatif à cette étape ».

Pourtant rien n’a changé. Le projet de multirecyclage du plutonium dans les réacteurs actuels (REP) figure toujours dans la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE). Le CEA et Orano continuent d’en faire la promotion car il y aurait une « continuité entre la troisième et la quatrième génération », ce qui est une ineptie supplémentaire.

Récemment, les interrogations suscitées par le multirecyclage en REP ont été ramenées par leurs thuriféraires à « une simple guerre de religion » !… Ou comment se raccrocher avec désinvolture à l’idéologie faute d’arguments scientifiques et techniques, et faute de compétence.

 

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Ou bien une potentielle machine à cash pour ses promoteurs, en lieu et place, et à court terme, du multirecylage en RNR où les opérations minières et d’enrichissement disparaissent ?

Ou, plus banalement et de façon inquiétante, serait-ce un marqueur du niveau d’incompétence des dirigeants de la filière et conseillers en tout genre dans les ministères concernés ?

Ces derniers, soit n’auraient pas compris les bases de la physique de la fission, soit auraient décidé ce programme parce qu’ils visent l’arrêt du nucléaire à court terme (quelques décennies), en programmant la disparition de la matière fissile stratégique, plutonium et uranium 235 au détriment du futur de notre pays, en préemptant une décision qui ne leur appartient pas.

Incompétence, intérêts personnels, infiltrations antinucléaires, petits arrangements entre amis. Tout se passe comme si la France perpétuait son absence totale de vision stratégique de long terme en matière de politique nucléaire, sans avoir pris conscience des deux épées de Damoclès suspendues au-dessus de sa tête :

  1. Épuisement à court terme de la ressource fissile disponible (uranium 235),
  2. Disparition, choisie ou subie, des ressources énergétiques carbonées (pétrole, charbon et gaz) aujourd’hui dominantes.

 

Il est temps que la France se rende compte, au plus haut niveau, que seuls le nucléaire durable grâce au plutonium créé en quantité suffisante dans les RNR et l’hydraulique sont à la hauteur du problème posé pour succéder, au moins partiellement dans un premier temps, aux énergies fossiles.

 

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  • À part arrêter le nucléaire, je ne savais pas que depuis Jospin la France avait “une vision stratégique de long terme en matière de politique nucléaire”. Et pour cela, quoi de plus efficace que de mettre des écolos aux postes clés décisionnels et promouvoir des incompétents aux ordres aux postes techniques.

  • “Ces noyaux dits transuraniens, ou actinides, sont des déchets radioactifs à longue durée de vie…”
    Les qualificatifs “transuraniens” et “actinides” ne sont pas équivalents, comme la phrase ci-dessus semble le montrer. En effet, les transuraniens sont des éléments dont le numéro atomique est supérieur à celui de l’uranium (numéro atomique 92), et les actinides sont une famille d’éléments du tableau périodique comprenant les 15 éléments chimiques allant de l’actinium (no 89) au lawrencium (no 103), et comprenant donc 11 transuraniens [du neptunium (n° 93) au lawrencium (n° 103)]. Le thorium (n° 90), par exemple, est un actinide, mais pas un transuranien. Le rutherfordium (n° 104), autre exemple, est un transuranien, mais pas un actinide. Les transuraniens situés au-delà du lawrencium (n° 103), le dernier des actinides, sont appelés les transactinides. On connait à l(heure actuelle 17 transactinides dont 2 (ununennium (n° 119) et et l’unbinilium (n° 120) (noms provisoires), sont encore hypothétiques.

  • C’est bien une action délibérée de sabotage du nucléaire français. Elle a commencé par la fermeture de Superphénix par Jospin, et ses alliés écolos qui, comme Hollande plus tard avec Fessenheim et la loi sur la transition énergétique, qui doit fermer arbitrairement une vingtaine de centrales électronucléaires, ont délibérément mis à la poubelle, le bien des Français qui fabriquait une électricité bon marché, fiable, en grande quantité et non productrice de CO2. Tout ça pour faire plaisir à leurs alliés écolos pour pouvoir se faire réélire. Il est grand temps que la production d’électricité en France soit privatisée afin d’être protégée des politiciens véreux.

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