Le maréchal Rommel, vite débordé par les Alliés en Normandie, l’avait déjà noté voilà 80 ans : la supériorité aérienne est essentielle aux opérations de haute intensité ; pourtant, la guerre de l’Ukraine relancée en février 2022 (après le gel de son « opération antiterroriste » contre les républiques russophones en 2014) a fait mentir cet adage. Ou plutôt, les vagues de chasseurs et de bombardiers qu’on voyait assombrir le ciel de la Seconde Guerre mondiale à la guerre du Golfe y sont remplacées par des nuées de microdrones et des volées de missiles de croisière, sur fond de guerre des tranchées et de duels d’artillerie dignes de la Grande Guerre.
Est-ce pour cela que la guerre s’enlise, comme se lamente le président Zelensky, élu jusqu’au 21 mai 2024 pour faire la paix en Ukraine ? Rien n’est moins sûr. En effet, son pays, dont la force aérienne ex-soviétique a déjà perdu une centaine d’appareils en un peu plus de deux ans, aurait fort à faire à rebâtir une capacité de supériorité aérienne le long d’un front de 970 km, qui n’a jamais connu les incursions de plus d’une poignée d’appareils. Pourtant, la lamentation a fait son chemin, et à la fête des 80 ans du débarquement, un an après la vaine invocation des chars perceurs de lignes russes, les capitales occidentales bruissent de la cession à l’Ukraine d’avions de chasse européens. Mais de quoi parle-t-on ?
Chasseur-vedette ou brillant second
De chasseurs-bombardiers F-16, appareil mythique tout d’abord : le F-16 Fighting Falcon de General Dynamics (aujourd’hui Lockheed Martin, le plus gros industriel mondial de l’armement) offrait des ruptures impressionnantes au moment de son entrée en service à la fin des années 1970 : ce chasseur léger (12 tonnes) monomoteur se révèle à la fois particulièrement agile (le pilote assis en dehors de la cellule à partir de la taille peut encaisser des accélérations jusqu’à 9 G) et une véritable bête de somme, capable d’emporter un arsenal impressionnant mêlant nacelles-capteurs, bombes et armements guidés, tout à la fois air-air et air-sol ; c’est la naissance, bien avant le Rafale omnirôle, du chasseur-bombardier multirôles capable d’assurer sa protection, d’engager des menaces aériennes, et de détruire des cibles au sol dans la même mission ; le F-16 réalise ce fait d’armes nanti de ses commandes de vol électriques, de son radar multimodes, et de son calculateur de mission, autant d’équipements rares à l’époque.
Et le F-16 d’enchaîner les succès… aux mains de pilotes chevronnés. Contre les batteries sol-air de la plaine de la Bekaa ou le réacteur nucléaire irakien dès 1982, puis martelant les armées de Saddam Hussein (ou ce qu’il reste de la même centrale à Bagdad) en 1991 ; en Europe où revient la guerre dans l’ex-Yougoslavie, les F-16 de l’OTAN s’imposent à nouveau dans les années 1990, avant de prendre le chemin de l’Afghanistan au début du siècle. Dans ces opérations, la versatilité du F-16 est confirmée, mais il dégage une dominante air-sol, alors que les dangereux combats aériens sont plus volontiers confiés aux intercepteurs lourds dédiés, comme le F-15 Eagle. Puis la disparition de la menace aérienne dans les conflits asymétriques du début du siècle confine le F-16 dans un rôle de brillant second, infatigable camion à bombes, qui supplante la promesse initiale du superfighterimbattable dans les airs.
De chasseurs de défense aérienne français Mirage 2000-5 ensuite. Appareil léger (moins de 8 tonnes) mono-mission contemporain du F-16 et dédié à la chasse, pourvu lui aussi de commandes électriques, mais dont les courtes pattes le confinent à une défense ponctuelle plutôt qu’à des raids à longue portée (à moins de disposer de capacités de ravitaillement en vol), le Mirage 2000-5F des « Cigognes » de notre armée de l’Air à Luxeuil est essentiellement une modernisation d’appareils vieillissants, rénovation à mi-vie du Mirage 2000C de la guerre du Golfe. Comme les F-16 européens, nos Mirage 2000 y avaient été confinés dans de stériles missions d’escorte et patrouilles de défense aérienne, face à une aviation irakienne déjà « traitée » par l’US Air Force.
Face à ce bilan satisfaisant, quels succès attendre de ces promesses d’envoi de chasseurs en Ukraine ?
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Exit la modernité tout d’abord : on parle d’appareils européens vieillissants, Mirage 2000-5 français (éventuellement à augmenter de Mirage 2000-5EG grecs plus modernes) dont la modernisation remonte au tournant du siècle, et de F-16A/B Block 15 (les Américains livrent aujourd’hui des Block 60) issus des premières livraisons de 1979, modernisés en F-16 AM par le programme d’amélioration à mi-vie MLU décidé en 1989, et lancé en 1991 pour des livraisons à la Belgique, au Danemark, aux Pays-Bas et à la Norvège à partir de 1995, les États-Unis s’étant retirés du programme peu après la signature du contrat…
Les premiers F-16A MLU s’illustrent néanmoins au-dessus de l’Adriatique (quand les F-16C de dernière génération de l’USAF bombardent la Serbie, la Bosnie et le Kosovo), où, malgré leur nouveau radar, leur cockpit multi-écrans et leurs missiles à longue portée, ils conduisent les mêmes monotones patrouilles aériennes de combat que leur mentor leur avait assignées en Irak en 1991. Puis en Afghanistan dès 2001, et en Lybie en 2011, les Alliés prennent part à la guerre, lâchant des bombes à guidage laser ou GPS depuis leurs F-16 modernisés… pendant que l’USAF garde ses versions spécialisées F-16L (pour l’attaque au sol nocturne avec ses nacelles de navigation et d’attaque LANTIRN) et F-16 W (pour Wild Weasel, un système de mission dédié à l’attaque des radars de défense aérienne).
Ce sont donc bien ces mêmes F-16AM de près de trente ans qui sont en cours de transfert en Ukraine, à hauteur de 80 appareils environ, livrés sur les flottes belge, danoise, néerlandaise et norvégienne entre l’été 2024 et la fin de l’année 2028. Ils seront rejoints au mieux par une vingtaine de nos Mirage 2000-5, sur moins de 30 survivants dans nos forces, dont une partie seulement pleinement opérationnelle. Ces mêmes forces aériennes, renforcées d’aviateurs américains (sur F-16) et britanniques (sans F-16) ont entrepris d’arracher les pilotes ukrainiens à leurs tactiques et leurs avions soviétiques (considérés dépassés alors qu’ils sont parfois plus jeunes que le F-16) pour leur apprendre l’anglais, les purger du système métrique (les compteurs des avions russes sont graduées en mètres), leur réapprendre à voler (sur Alpha Jet en France par exemple, et peut-être sur nos sept biplace Mirage 2000B restants) apprendre à maîtriser leur fougueuse monture (en Arizona forcément), et surtout leur enseigner les arcanes des nombreux sous-systèmes embarqués (radio et liaison de données, radar multimode, identification ami-ennemi, calculateur multimissions), aussi hétéroclites que peuvent donner le mélange d’équipements américains et européens successifs sur quatre décennies.
Si ces étapes sont franchies, viendra alors l’apprentissage des tactiques, techniques et procédures (le métier du combat aérien) propres à tirer parti des capacités du Mirage 2000-5 à défendre l’espace aérien, et du F-16 à délivrer des armements guidés contre des cibles aériennes et terrestres. On comprend alors facilement qu’une telle reconversion ne saurait se faire en quelques mois, et que plus d’un an après l’effet d’annonce, on peut seulement espérer qu’une petite poignée de pilotes ukrainiens (une vingtaine au maximum) sauront voler tout seuls et rester groupés, puis mener des missions de combat à plusieurs, peut-être intégrées au commandement de l’OTAN… à la fin de 2024 au plus tôt. Quant à nos Mirage, l’annonce de six mois avant capacité opérationnelle ukrainienne apparaît très optimiste, puisque nous n’y étions pas préparés, et que les seuls retrait et remise en condition, puis relance des productions d’équipements périmés, prendra bien plus d’une année. On parle donc d’un à deux escadrons ukrainiens opérationnels d’ici 2025.
Ces menues réalités balaient facilement les clichés des experts de plateau et autres productions des médias du ruisseau principal à propos des game changers et autres balivernes sur les chances de quatre à cinq escadrons d’appareils, aussi nouveaux en Ukraine qu’anciens en opérations, pour tenir le millier de km du front, défendre les villes de Lvov à Kharkov en passant par Kiev et Odessa contre des nuées de drones et de missiles… voire mener des attaques contre la Russie, au-delà des timides raids qui ponctuent les opérations depuis 2022.
Cauchemar logistique et opérationnel, mais contrats de rêve
Si elle est intelligemment menée, l’arrivée des F-16 permettra certes un doublement des forces aériennes ukrainiennes… mais ils auront fort à faire, comparé aux expériences antérieures du chasseur mythique : finies les défenses soviétiques obsolètes et compromises, tenues par des clients arabes ou yougoslaves ; il faut désormais affronter des systèmes de guerre électronique, des réseaux de défense aérienne, et des armements sol-air et air-air à longue portée, russes de dernière génération aux mains de leurs concepteurs, qui n’auront donc pas besoin de venir rechercher le duel aérien rapproché avec les F-16 ukrainiens. Quant à nos Mirage, malgré leurs capacités impressionnantes de tir à distance de sécurité (radar RDY et missiles d’interception MICA d’une portée supérieure à 100 km), ils n’ont jamais fait la preuve de ce potentiel en combat aérien.
À moyen terme, on se prend alors à rêver au X-62A, F-16D dopé à l’intelligence artificielle, à l’image de ces expérimentations en cours au-dessus du désert californien contre des pilotes humains pour le programme VISTA, ou même de ces F-16 Viper dernier cri modifiés du projet Venom de pilotage autonome livrés au centre d’expérimentation d’Eglin en Floride en avril dernier : le pilote, éventuellement requis au décollage ou à l’atterrissage, ne serait plus que témoin embarqué d’un duel d’algorithmes forcément plus rapides et plus implacables… Voilà qui allégerait d’autant les contraintes de formation et de qualification des Ukrainiens ! Nos Mirage 2000-5 en seraient bien incapables avant des années.
Pourtant, au-delà de l’avion, il faudra compter avec l’intégration possible des Mirage 2000 et F-16 dans des systèmes de commandement et de renseignement en réseaux, qui seraient susceptibles de fournir un avantage qualitatif à l’Ukraine : avions radar (on parle de deux Saab 350 suédois en plus des AWACS de l’OTAN), drones de guerre électronique, centre de commandement des opérations aériennes gavés d’imagerie satellitaire et d’interceptions radio et radar, qui guideraient les chasseurs vers leurs cibles comme un essaim de frelon asiatiques. Ce stade prometteur, déjà envisagé pour nos blindés, tant il suppose un degré de maîtrise et d’intégration que ni les Ukrainiens ni même les Français, ne sont prêts à démontrer. Quant à l’ajout d’équipements français à cette mosaïque, même si le Mirage 2000-5F possède une certaine interopérabilité avec l’équipement des F-16 (liaison de données notamment) et nos avions-radars E-3 AWACS américains, il ne peut que compliquer, ou retarder, cette intégration. Mais sans se voiler la face, l’annonce française ajoute surtout de la complexité et des délais pour l’Ukraine, pour des raisons humaines, techniques et logistiques.
En revanche, cet armement, ces formations et ce long entraînement formeront un pas supplémentaire vers la cobelligérance assumée des pays de l’OTAN contre la Russie, qui dépassera nos fournitures actuelles de canons et de missiles. En effet, l’orchestration d’un dispositif aérien, mais aussi et surtout sa montée en puissance et sa préservation, ne sauront se faire sans l’engagement direct des aviateurs de l’OTAN. Abriter quatre à cinq escadrons de combat, les défendre au sol, et les préserver des menaces en vol consacreront la participation active des Français et des alliés européens sur leur propre sol aussi bien qu’en Ukraine ; sinon comment rêver d’une centaine de chasseurs en 2028 sans que les Russes ne volatilisent les bases aériennes, les centres de maintenance, et les stockages de munitions en Ukraine comme ils s’emploient à marteler l’infrastructure du pays à coups de missiles balistiques et de croisière depuis deux ans ? Il faudra donc bien envisager d’abriter les appareils ukrainiens sur des bases en Pologne ou en Roumanie ; à moins de croire aux rêves éveillés de Kiev, qui envisage un Sofortprogramm façon 1944 pour construire des « bunkers souterrains », alors que même la fourniture de quelques abris et tranchées pour ralentir la poussée russe depuis cet hiver demeure problématique.
Dans cette nouvelle ferveur, on risque fort de voir triompher, non les Ukrainiens ou les Russes, mais la même équipe gagnante : les États-Unis, fournisseur et chef de file de cette nouvelle capacité d’usure de la Russie ; les Européens, qui troqueront leurs vieux F-16 pour des F-35 rutilants, qu’on se garde bien d’envoyer contre la Russie (les Français pourront commander quelques Rafale de plus) ; et surtout les industriels de tous ces pays, qui n’auront plus qu’à consommer la manne du contribuable européen pour fourguer à prix d’ami leurs avions obsolètes avec leurs stocks d’équipements et d’armements en fin de vie, que les Ukrainiens ne sont pas près de produire localement, et encore plus loin d’entretenir seuls.
Les malheureux seront ainsi passés, en matière d’aviation, d’un maître-fournisseur russe à une ribambelle de fournisseurs occidentaux concurrents. Si les promesses de juteux contrats d’équipement et de maintien en condition opérationnelle peuvent faire saliver les industriels, la victoire finale n’en apparaît en réalité que plus illusoire.
Mais était-elle seulement à l’ordre du jour quand nous avons transformé cette guerre civile en guerre éternelle, par procuration et jusqu’au dernier Ukrainien ?
La “cobelligérance” est du même niveau que toutes les “colbelligérances” du temps de la guerre froide, que ce soit celle des soviétiques aidant Nasser ou le Viet Minh, ou celle des américains assistant les rebelles Afghans. Les dirigeants militaires des deux pays ont systématiquement choisi de fermer les yeux sur cette assistance à l’époque, la seule question est : Poutine serait-il prêt à poursuivre dans cette attittude, quoi qu’il arrive ?
Concernant les dons de mirage 2000 français : a priori ils ne devraient pas donner lieu à des nouvelles commandes de Rafales pour les remplacer, ce sont des appareils en fin de vie dont le remplacement est déjà programmé. De même pour l’arrivée des F35 dans les armées de l’air des autres pays européens : ce remplacement est déjà programmé et en cours, les F16 promis à l’Ukraine étaient censés prendre leur retraite à relativement court terme.
Conclusion de l’article : non, il ne s’agit pas d’une “guerre civile”, une guerre civile est une guerre qui se fait à l’intérieur d’un pays. Aucune des parties de l’Ukraine ne faisait partie de la fédération de Russie, qui s’était engagée à respecter et préserver ses frontières telles que définies en 1991 en échange des armes nucléaires qui y étaient entreposées. Sans entrer dans la polémique de qui a tiré le premier, on est bien face à une guerre d’agression.
… Et pas d’infrastructure de l’Otan implantée sur le territoire… Chose non respectée car tout type de laboratoires à but très flous.
Après on joue clairement sur les mots, on a bien affaire à une invasion.
On a bien affaire a une invasion russe……😂😂😂😂😂
L arrivée des drones a profondément modifié l espace aérien…..donc les références au passé sont a prendre avec beaucoup de précautions
Les conflits aussi bien en ukraine qu en Israël montrent leur impact croissant
Les avions sont très fragiles face à l alliance radars +missiles
Les russes ont perdu plus d une centaine de chasseurs en deux ans
N’importe quoi Contrepoints, vous revenez au poutinisme sous-jacent, lamentable.
Ce n’était en rien une guerre civile, car provoquée par le Kremlin, comme déjà en Géorgie avec la sécession de l’Abkasie dans le but de pouvoir intervenir et annexer ces pays. Vieille méthode soviétique déjà utilisée après la WW2. Poutine n’a jamais admis l’indépendance de l’Ukraine!