Bien des pays nous envient le système fiscal capable de lever et de collecter avec le meilleur rendement au monde un impôt allant jusqu’à frapper la richesse non encore produite. La récente consécration institutionnelle d’une juridiction de sûreté nucléaire habilitée à censurer le développement de toute capacité de production électrique nationale, voire à décider sans appel de le suspendre à discrétion achèvera sans doute d’inspirer plus d’un dirigisme économique en herbe verte ou en sobre gestation.
Vendant aux Français qu’une telle juridiction est de nature à veiller à la sauvegarde des intérêts supérieurs de la nation, Bernard Doroszczuk, son président, ne déclarait-il pas ce qui suit dès le 23 janvier 2023, lors de son audition par la commission parlementaire sur l’indépendance énergétique de la France : « renforcer les capacités de l’IRSN [le bras armé de feue l’ASN] constitue un enjeu de souveraineté. »
Examinons donc ce sur quoi peut bien reposer une profession de foi aussi contre-intuitive.
La loi de création de l’ASNR du 21 mai 2024 maintient un pouvoir discrétionnaire de l’ASN dont le caractère néfaste est sous-estimé
Les prérogatives statutaires
L’ASNR conserve la mission générale d’expertise, de recherche et de formation de l’ASN. Outre sa veille permanente en matière de radioprotection et de surveillance radiologique des personnes et de l’environnement, elle contribue aux travaux du Parlement et à l’information du public.
L’ASNR conserve le statut d’autorité administrative indépendante de l’ASN. À ce titre, elle reste l’interlocuteur unique, indépendant du gouvernement et des exploitants, chargé du contrôle, de l’instruction des dossiers de sûreté et de radioprotection dans toutes ses composantes. Elle peut être reconnue comme un établissement exerçant des missions de recherche, bénéficier des prérogatives attachées à ce statut (accueil de chercheurs, de doctorants…) et avoir pour fonction de suivre les travaux de chercheurs aux niveaux national et international l’incitant à formuler des propositions sur les besoins en la matière.
Comme feue l’ASN, l’ASNR participe à l’information du public et présente à l’OPECST et au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) les sujets sur lesquels le public est associé aux travaux de recherche qu’elle mène et à la présentation de leurs principaux résultats. L’ASNR contribue également aux travaux du Parlement en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Les prérogatives fonctionnelles
La loi prévoit… que l’ASNR mette en place :
- Des groupes permanents d’experts (GPE) chargés d’éclairer les décisions de manière indépendante ;
- Un conseil scientifique, qui sera composé de personnalités compétentes dans divers domaines ;
- Une commission d’éthique et de déontologie composée de personnes extérieures qualifiées (similaire à celle de l’IRSN), chargée de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.
Que les sénateurs renforcent le rôle des GPE, afin de développer une expertise tierce et plurielle au sein de la nouvelle autorité.
Que le règlement intérieur de l’ASNR définisse des règles propres à assurer une séparation entre :
- Les processus d’instruction, d’expertise et de recherche (réalisés actuellement par les services de l’ASN et de l’IRSN) ;
- Et la prise de décision par le collège de l’autorité, qui sera composé de cinq commissaires nommés pour six ans.
La valeur ajoutée au chantier de Flamanville par l’ASN ne donne qu’un avant-goût de celle dont le contribuable et le consommateur français n’ont pas fini de jouir
Aux dires des hérauts de la rassurante mutation initiée en 2006, l’expertise, la modélisation et la police industrielles ne peuvent plus échoir en priorité aux concepteurs, aux constructeurs et aux exploitants présents et passés de la machine, mais aux nouveaux promus convenablement diplômés que, paraît-il, les suffrages universel et professionnel ont le devoir de coopter sur la base d’une table rase culturelle avec les « errements du passés ».
Ainsi, de la conception à l’exploitation des installations, une expertise inédite supplante-t-elle désormais celle à laquelle le pays doit quelque 2100 années.réacteurs d’un fonctionnement irréprochable, dont la souveraineté va jusqu’à influencer la politique énergétique du pays – en l’incitant par exemple à négliger le développement de la filière à neutrons rapides – et jusqu’à s’installer au sommet des hiérarchies de conduite et de maintenance des installations nucléaires d’une EDF placée de fait sous tutelle ne souffrant aucune concurrence.
Olivier Gupta, le directeur général de feue l’ASN, est l’archétype de ces nouveaux promus habilités à prodiguer leurs exécutoires recommandations. Il revendique sa légitimité experte d’un retour d’expérience techno-industriel commencé en 1999, interrompu en 2011 au profit de Météo-France, et de nouveau à l’œuvre depuis 2016. Pareils états de services inhérents à une campagne nucléaire de France achevée en 1999 l’autorisent assurément à décréter essentielle la coopération avec les professionnels de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne l’harmonisation des normes. La plus célèbre application de cette dernière a concerné les Équipements Sous Pression Nucléaire de Flamanville 3, dont on aurait pu faire l’économie des ruineuses conséquences financières en passant outre sa surréaliste rétroactivité, d’où qu’ait pu venir la décision de s’y plier.
Il serait d’ailleurs du plus haut intérêt qu’Olivier Gupta nomme les éminents partenaires européens dont le retour d’expérience électronucléaire réputé rivaliser avec celui de la France légitime qu’ils exigent d’elle une harmonisation normative allant dans le sens d’un durcissement permanent que rien ne prescrit dans l’étude de tous les retours d’expériences nucléaires de la planète.
Non content de n’en rien faire, le président Doroszczuk lui-même s’est enorgueilli de la fabrication de normes à prétentions internationales par l’ASN, lors de son audition parlementaire du 23 janvier 2023. Selon lui, notre illustre institution ferait école, au point de voir partout adopter la séparation stricte du contrôle [sanction] de sûreté de toute autre fonction en rapport avec la politique énergétique du pays. Allant jusqu’à méconnaitre souverainement l’antagonisme existant entre la profusion de normes et les enjeux économiques et politiques, il déclara que l’ASN s’appuie sur des éléments rationnels, techniques et démontrés, ajoutant que la qualité de l’expertise IRSN est mondialement reconnue, même si ce dernier est confronté à des difficultés de recrutement.
En fait de démonstration, un pouvoir politique digne de ses responsabilités ne devrait plus perdre de temps à sommer l’ASNR d’argumenter comme il se doit l’obligation de remplacer le couvercle de la cuve du réacteur de Flamanville 3, après seulement un cycle de fonctionnement. Car non seulement cette obligation n’est pas fondée pour d’éminents experts n’ayant plus rien à prouver, non seulement l’EPR2 prévu à Penly 3 est tout trouvé pour recevoir le couvercle de remplacement déjà prêt, mais l’absence de production requise par une aussi lourde intervention promet de coûter de 400 à 800 millions d’euros l’heure à EDF et, par conséquent, à la collectivité toute entière.
Quant à constater que l’IRSN peine à recruter, ça équivaut à avouer que l’organisme ne puise plus depuis longtemps son expertise dans le riche vivier du retour d’expérience industriel d’antan, mais dans l’exploitation notariale d’une abondante littérature théorique et pratique appréhendée sous l’angle du règlement. Le projet de recruter en catastrophe des retraités en apporte la preuve.
La gageure consistant à prétendre performer façon plan Messmer, sous les fourches caudines du gendarme ASNR, est insurmontable
Malgré tout, le désormais président de l’ASNR prend acte d’un concept EPR trop compliqué dont le ou les têtes de série ont fait gravement les frais, non sans exonérer l’ASN d’une gestion calamiteuse d’un « hors critères » des traversées enceinte semblable, dans son intransigeance, à celle du « hors critères » couvercle de cuve. Il se réjouit également à la bonne heure que le rapport Folz se soit fait l’écho détaillé de tout ce qui a foiré – notamment avoir commencé les travaux les études non terminées – et surtout de pouvoir tirer le plus grand profit du riche retour d’expérience des EPR chinois et finlandais, dans la conception, la mise en service et l’exploitation des EPR2.
Mais que croient donc monsieur Doroszczuk, ses collaborateurs, ses émules et une population sensible à leurs incessantes mises en garde ?
La piètre ébauche du modeste programme EPR n’a guère moins duré que la conception, la construction et la mise en service des paliers nucléaires CP0, CP1, CP2, P4, P’4, N4 et Rapide (Superphénix) toujours en exploitation, hormis CP0 et Rapide ! Qui peut croire que le temps n’est aujourd’hui pas compté à l’économie française comme il le fut en 1973, et que cette dernière peut se payer impunément le luxe de continuer à prendre ses irresponsables aises procédurières, sous l’insistante inspiration de l’ASNR ?
Il ne surprendra personne que chacun des sites concernés par les paliers énumérés ci-dessus ait été contraint de se doter longtemps d’un service chargé de gérer la réalisation de modifications ayant pu se compter jusqu’à plusieurs centaines. Mineures ou non, génériques ou locales, touchant ou non à la sûreté nucléaire, directement ou indirectement, la très grande majorité d’entre elles dut être réalisée tranches en exploitation, ce qui ne signifie pas automatiquement tranches en fonctionnement. C’est pourquoi, n’ayons pas peur des mots, et lâchons ce qui fait aujourd’hui frémir d’horreur le clergé du principe de la précaution absolue : le complexe électronucléaire français des années 1970-80 apprenait en marchant, certes en marchant prudemment, mais en marchant tout de même.
Parmi ces nombreuses modifications de lourdeurs inégales, citons pêle-mêle l’obligation de doter des sécheurs-surchauffeurs déjà en service d’un dispositif anti-reptation, l’adaptation technique du fonctionnement des tranches à un mode suivi de charge non prévu à la conception, connue sous le nom de CASOAR (Commande Automatique du Système production-transport Optimisé en Actif compte tenu du Réseau), la refonte complète de l’ergonomie des salles de commande ou le vaste Plan d’Action Incendie (PAI) touchant aussi bien à la sectorisation des locaux et des bâtiments, à la détection et à la neutralisation des incendies qu’à la conduite de la chaudière nucléaire.
L’instruction rigoureuse de ces nombreux dossiers fut conjointement assurée par la Direction de l’Équipement qui n’existe plus, par la Direction de l’exploitation du parc nucléaire et par le CEA. Les instruments de la première étaient les équipes spécialisées de ses régions et le SEPTEN (Service Études et Projets Thermiques et Nucléaires) ; ceux de la seconde les services centraux en liaison organique avec les exploitants et l’UTO (Unité Technique Opérationnelle) ; ceux du troisième, sous la férule sûreté duquel se trouvaient les deux directions précédentes, le SCSIN (Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires) dont le bras armé, l’IPSN, est l’ancêtre de l’IRSN.
À la dissolution de la direction de l’Équipement, en 2000, quelques dizaines de dossiers de modifications étaient encore en souffrance, certes, probablement injustifiées, mais tout de même…
Notre pays a disposé là d’une armée industrielle résolument en ordre de marche, avec laquelle les rangs clairsemés de l’actuelle armée mexicaine n’ont plus rien à voir. Son retour d’expérience flatteur ne lui tient manifestement pas rigueur de ne s’être pas concerté avec le public ni, désinvolture suprême, d’avoir négligé l’avis d’Yves Marignac, le porte-parole de « NégaWatt » en odeur de sainteté au GPE de l’ASN… Peut-on sérieusement penser que ce qu’il reste aujourd’hui de la Grande Armée est en mesure de procéder autrement et plus sûrement qu’elle, pour réitérer une salutaire performance dont le pouvoir a le culot de laisser entendre aux Français qu’elle est peu ou prou visée ?
Choisir, c’est plus que jamais renoncer
Ces derniers n’ont pas à choisir entre un approvisionnement électro-énergétique décent et l’exposition prohibitive au risque nucléaire, comme d’aucuns aiment à le colporter, mais entre ledit approvisionnement et un format de sûreté nucléaire préventive et accidentelle qu’il est nécessaire de réformer, à défaut de s’en débarrasser, sous peine de préjudices socio-économiques à venir : celui de l’ASN.
Sur le fond, la réforme se résume à libérer la doctrine de sûreté en vigueur d’une étreinte déterministe que les Américains pas moins méritants que les Français ont depuis longtemps jugée intenable, par l’introduction d’une forte dose de probabilisme.
Mais l’urgence est certainement de réformer le statut quelque peu politique de l’ASNR. Comme par le passé, cette dernière doit s’inscrire dans un processus industriel analogue à celui dont il vient d’être question, l’accompagner et non le régenter, en s’en tenant à l’élaboration d’une doctrine de sûreté moins inféodée à l’Internationale du dogme qu’au respect de la vraisemblance techno-industrielle ayant le plus fait ses preuves.
Il est donc plus que temps de revenir aux principes institutionnels les plus élémentaires ne reconnaissant aucune autorité non élue supérieure à celle de la représentation parlementaire, ou prétendant s’émanciper d’elle. En vertu de ces principes, tout comme les commandants de bords répondent en dernier ressort de la sûreté et de la sécurité aérienne, il revient aux chefs d’unités de la production électronucléaire de répondre de sa sûreté, garants qu’ils sont de l’application rigoureuse de consignes et de Règles Générales d’Exploitation réputées les plus optimisées possible sur tous les plans, y compris sur celui de la sûreté, dont le dosage doit forcément faire l’objet d’un compromis.
Hélas, aussi performante soit-elle, aucune optimisation n’empêchera jamais que des avions aient encore à se poser en catastrophe ou qu’on ait à arrêter d’urgence des réacteurs, en déplorant ou non des dégâts…
Tout à fait . Halte à la tyranie du principe de précaution !
Hum, que veut dire le “R” qui s’ajoute ? Rétrograde ? Réglementé ? Comment avoir de l’électricité en quantité suffisante si la réglementation étouffe toutes perspectives de développement et de construction?
Dommage ce “R” aurait signifier réactif….
Le R signifie radioprotection juste pour renvoyer à l IRSN……..
La bureaucratie francaise dans toute sa splendeur
Il est certain que la fusion avec l’IRSN, qui faisait contrepoids par son indépendance de l’ASN, facilite encore la tendance de cette dernière à se dégager de la volonté politique de relance du programme énergétique. Pour les autres inconvénients de cette fusion, voir :
https://factuel.media/argent-public/articles/surete-nucleaire-il-nest-pas-pertinent-dengager-une-reforme-administrative_tco_20612899
Bel exemple de ce conservatisme réactionnaire indécrottable en France
Que l on trouve aussi bien à gauche qu a gauche……