Un nouvel âge d’or du nucléaire ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 9

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Un nouvel âge d’or du nucléaire ?

Publié le 4 juin 2024
- A +

Pendant que la France hésite entre fermer ses centrales nucléaires et les relancer dans un En Même Temps foutraque très macronien, des sociétés se lancent dans la production de petits réacteurs nucléaires modulaires (SMR pour small modular reactor), notamment aux États-Unis.

Au-delà des géants du secteur (comme Westinghouse, General Electric Hitachi Nuclear, General Atomics), on peut évoquer NuScale, TerraPower (financé par Bill Gates, au passage) ou encore Kairos Power…

Cependant, le petit dernier (arrivé il y a quelques années seulement) qui nous intéresse est Aalo Atomics.

Cette startup s’est lancée dans le pari de produire, d’ici 2026, des SMR en… 60 jours, entre la commande et la fin de fabrication, pour un coût de 3 cents du kWh. Pour cela, elle développe un microréacteur de 10 MW refroidi par du sodium liquide, utilisant l’hydrure d’uranium et de zirconium (UZrH) comme combustible.

Ce type de refroidissement et de combustible apporte les avantages suivants :

  • Économie, sûreté, compacité : ces réacteurs fonctionnent à la pression atmosphérique, ce qui réduit la complexité et le coût des systèmes de sécurité.
  • Plus le combustible est chaud, moins il est réactif, ce qui évite l’emballement. C’est cet aspect qui explique pourquoi il est même utilisé dans les réacteurs de recherche (sur les campus universitaires).

On pourra écouter une intéressante interview de son fondateur ici, et voir la présentation du concept là.

Aalo Atomics promet donc, en industrialisant massivement son processus de fabrication, de fournir en un temps record une source d’énergie très dense, très sûre, très peu polluante. Et ces dernières qualités ne sont pas une exagération.

Ainsi, selon le ministère américain de l’Énergie (DOE) – on pourra se référer à ce rapport page 390, la construction de réacteurs nucléaires est la source d’énergie la moins gourmande en matériaux, après le gaz naturel.

Une unique pastille de combustible de dioxyde d’uranium pèse environ 7 grammes (6,2 grammes d’uranium, 0,8 d’oxygène), mais génère environ 3,5 MWh d’énergie. Cette énergie générée équivaut à 318 litres de pétrole, soit une tonne de charbon et environ 337 m³ de gaz naturel. Sa densité énergétique élevée lui confère une grande efficacité.

Ainsi, pour 1000 MW électriques :

  • Un réacteur électronucléaire (rendement 33 %) consomme 27 tonnes d’uranium enrichi à 3,2 % par an.
  • Une centrale thermique (rendement 38 %) consomme 170 tonnes de fuel ou 260 tonnes de charbon par heure.
  • Un barrage hydroélectrique de 100 m de haut nécessite 1200 tonnes d’eau par seconde.

 

Ces pastilles sont assemblées en colonnes de 300 (appelées crayons), elles-mêmes groupées par 250. Un tel assemblage permet de fournir de l’énergie à 10 000 foyers pendant trois ans jour et nuit sans arrêt, même quand il n’y a pas de soleil, et même quand il n’y a pas de vent (dommage pour Sandrine Rousseau et ses moulins à vent).

Question sûreté, si l’on considère le nombre de décès par térawattheure (TWh) (ici : OurWordInData), l’énergie nucléaire est bien meilleure que l’énergie éolienne et l’énergie hydraulique. Le nucléaire fait 1000 fois moins de morts que le charbon, ~614 fois moins de morts que le pétrole, ~154 fois moins de morts que la biomasse, et 94 fois moins de morts que le gaz naturel. En fait, par rapport à l’hydroélectricité, le nucléaire fait 43 fois moins de morts. L’énergie solaire photovoltaïque lui est comparable.

Oh, oui, certes, mais ce serait aller un peu vite en besogne : quid des accidents ?

Sur les plus de 400 réacteurs nucléaires civils en production actuellement, les accidents sont peu nombreux : en 18 000 années × réacteurs d’expérience nucléaire dans le monde, on compte 16 accidents en tout, sur 65 ans d’exploitation, 13 sont très limités, et trois seulement sont majeurs, en 1979 (Three Miles Island), 1986 (Tchernobyl) et 2011 (Fukushima).

Ni l’accident de 1979 ni celui de 2011 ne firent de victimes. Celui de Tchernobyl fit (selon le rapport de l’UNSCEAR, p64-65) déplore 43 morts directement attribuables à l’événement, et environ 4000 de façon indirecte, sachant que pour ces derniers, l’aspect multifactoriel des maladies est très important. On pourra consulter les rapports suivants pour se faire une idée : ONU UNSCEAR , rapport UNSCEAR, CiteseerX

Les conclusions des nombreux rapports sont claires (même si elles ne sont pas médiatiquement entendues) : l’accident fut spectaculaire, mais le nombre de morts limité.

Même en prenant le chiffre de 4000 morts sur les 38 ans depuis la catastrophe, le nucléaire est très peu dangereux comparé au charbon qui provoque plus de morts chaque année dans son minage, et des centaines de fois plus en exploitation avec les particules fines (cf https://tinyurl.com/5yns5auz, https://tinyurl.com/45j2r2zv, https://tinyurl.com/mwnj2kdj).

Et alors qu’Aalo arrive à sa phase commerciale, DeepFission commence tout juste le travail sur ses petits réacteurs à eau pressurisés… insérés dans des puits de plus de un km de profondeur.

La société a déposé son projet il y a deux mois, auprès de la Commission de régulation nucléaire américaine (la Nuclear Regulatory Commission, NRC) : DeepFission project.

Le procédé profite de la pression de 160 atm due à la colonne d’eau (plus d’un kilomètre de haut), mais n’a pas besoin des enceintes de pression des installations PWR actuelles.

Même dans le pire des cas (emballement du cœur), une telle installation permet d’éviter toute conséquence pour l’environnement en surface, et s’affranchit de supporter les aléas environnementaux (tsunamis, tornades, et même les tremblements de terre).

Et en pratique, un tel emballement est impossible : un accident de perte de réfrigérant ne peut pas se produire à la suite d’une fuite dans une conduite, car le réacteur n’est pas entouré d’air, mais immergé dans de l’eau à haute pression.

Quant au réacteur, relié par câbles pendant son fonctionnement, il peut être récupéré en fin de vie.

DeepFission espère pouvoir se lancer dans quatre ou cinq ans.

Ces éléments promettent un nouvel âge d’or nucléaire. En tout cas, pour des raisons économiques autant qu’écologiques, on devrait le souhaiter : qu’on soit écolo ou non, le nucléaire est effectivement la solution la plus adaptée, et de loin. Dans ce tableau, et compte tenu de son prestigieux passé, espérons que la France tire son épingle du jeu.

Voir les commentaires (4)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (4)
  • Très intéressant, enfin la densité des énergies est abordée, et aussi le rendement à la source, toujours oublié . Ces éléments une fois pris en compte disqualifient ce qui est appelé ENR… (sauf pour l’hydraulique). Les perspectives d’avenir décrites sont surement plus sures et efficaces, sans oublier qu’elles n’altèrent pas le paysage….

  • À noter que, pour une fois, la France n’est pas complètement sur le bord de la route sur ce sujet, il existe aussi en France des entreprises qui mettent au point des SMR, notamment.
    Le problème est toujours le même : trouver des compétences. Après avoir passé 20 ans à dénigrer ces technologies, il faut réorienter la formation, ça ne se fait pas en un claquement de doigts.

  • Attention aux fausses bonnes idées. La dissémination de mini-réacteurs dans la nature présente de nouveaux risques pour la sûreté. Voir :
    https://climatetverite.net/2024/03/25/elements-de-surete-des-smr-reflexions-preliminaires/

  • Bonjour,
    Je ne partage pas votre optimisme concernant la sureté du système élaboré par Aalo Atomics.
    Je connaissais l’existence de celui-ci et j’ais été surpris d’apprendre, il y a quelque temps, l’autorisation délivrée aux Etats Unis.
    J’ai travaillé pendant 7 ans (de 1972 à1979) à l’IN2P3 (laboratoire du CNRS dédié à la Physique Nucléaire et des Particules) ,et j’ai été durant 2 ans (de 1977 à 1979, date de ma démission) membre de la Ccommission 05 (physique théorique) du Comité National de la Recheche Scientifique ce qui m’a permis d’accéder à des informations de première main.
    Au début des années 1970, le projet de centrale nucléaire Phénix utilisait ce système qui offrait notamment le gros avantage de pouvoir “bruler” les déchets radioactifs des autres centrales. Cependant, pour ce faire, le système devait travailler à la limite de la “masse critique” ce qui transforme, à la moindre défaillance, notamment du système de refroidissement, la centrale en une bombe “H” potentielle (ce qui n’est absolument pas le cas des centrales nucléaires “classiques” qui travaillent bien en dessous de la “masse critique” ou le risque d’explosion “nucléaire” est nul (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de risque “tout court”; voir Tchernobyl et Fukushima).
    Au laboratoire ou je travaillait, de nombreux scientifiques étaient très dubitatifs en ce qui concernait ce projet (du moins en ce qui concernait la sécurité).
    Lorsque un grand nombre de ces mini-réacteurs seront installés, statistiquement, et quelques soient les précautions prises, une catastrophe, (avec cette fois de nombreux morts rapides) est quasiment certaine!!
    La centrale prototype Phénix de Marcoule (de puissance plutôt modeste) a fonctionné correctement de nombreuses années mais le projet a été abandonné.
    La technique consistant à utiliser le sodium liquide comme fluide caloporteur fonctionne très bien mais est extrèmement dangereuse car le sodium liquide, qui est porté à très haute température (fusion à environ 100°C et porté à plus de 800°C) , réagit extrèmement violemment (il faut entendre par là “explosion”) au moindre contact avec l’eau, s’enflamme spontanément (de façon inextinguible) au contact avec l’oxygène de l’air. J’ai vécu, au CNRS, deux décennies de demandes continuelles de recherche sur le thème “extinction d’un feu de Sodium” et aujourd’hui encore aucune solution n’apparaît.
    Ce qui est déplorable, c’est que l’abandon du projet a (comme cela se fait classiquement en France) signifié abandon de toute recherche.
    J’ai vu récemment, qu’une petite société française aurait démontré que le sodium pouvait être remplacé par du chlorure de sodium qui ne présente pas les mêmes dangers (mais quid des performances?)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Qu’on le veuille ou non, la mise en service de l’EPR de Flamanville constitue le plus redoutable audit que l’appareil industriel français ait eu à subir depuis longtemps sur ses aptitudes tant technologiques qu’économiques et humaines. Car, comme partout ailleurs, le secteur énergétique y occupe la place la plus primordiale, au sens où la plupart des autres secteurs ne peuvent exister sans lui, où leurs rendements dépendent très largement du sien.

 

De quoi est-il question avec ce laborieux retour à la dynamique techno-industr... Poursuivre la lecture

L’Académie des technologies a publié son avis le 12 juin 2024 (20 pages) en faveur d’une trajectoire pour le développement d’un nucléaire durable en France.

Il fait suite au rapport de l’Académie des sciences de juin 2021, ainsi qu’aux recommandations pour l’avenir de l’énergie nucléaire émises en commun par l’Académie des sciences et par l’Académie des technologies en 2017.

Cet article est une synthèse composée essentiellement d’extraits de cet avis, parfois modifiés pour en faciliter la lecture.

 

Objectifs pou... Poursuivre la lecture

À l’inverse du nucléaire durable, le multirecyclage du plutonium dans les réacteurs actuels à eau pressurisée (REP, EPR et EPR2) est une idiotie car ces réacteurs dits à neutrons lents (RNL), transforment le plutonium, matière fissile stratégique, en déchets tout en continuant de consommer la précieuse ressource uranium 235 (U235). Le bilan net est un gaspillage de ressource et une production accrue de déchets « pénibles » de haute activité à vie longue (HAVL). 

 

Incompétence ou mensonge ?

Depuis l’arrêt du prototype de re... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles