L’entourloupe des tickets resto

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L’entourloupe des tickets resto

Publié le 1 juin 2024
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Parmi les mille et une façons que les Français ont trouvées pour s’auto-appauvrir à grande vitesse (avec un succès maintenant mesurable par tous), il y a bien sûr l’incroyable empilement de cotisations et autres prélèvements automatiques (automagiques devrait-on écrire tant il s’agit de vaudou) sur les salaires et émoluments de revenu. Il existe cependant d’autres méthodes, plus subtiles, pour aboutir au même résultat. L’une d’elles occupe ces jours-ci l’actualité : les tickets restaurant.

C’est à la suite d’un récent article du journal Le Monde qu’on apprend que des discussions sont en cours depuis un mois pour modifier le mode opératoire de ce moyen de paiement particulier : en effet, depuis 2022, ces chèques pouvaient être utilisés pour payer des courses alimentaires achetées en supermarché, ce qui n’est pas du goût des restaurateurs, des boulangers et des traiteurs…

Pourtant, l’idée qui date de 1967 était au départ simple, voire simpliste : par ce moyen, l’entreprise fournit à ses salariés un moyen de paiement qu’elle prend en partie en charge et qui est aidé par l’État au travers d’exonérations fiscales (à hauteur de 1,5 milliard d’euros cette année, tout de même). En pratique, le salarié ne paye que 40 à 50 % du prix de ces chèques et autres tickets restaurant en croyant y gagner.

Mais depuis 1967, les choses ont un peu évolué, et l’affaire n’est plus aussi bonne, ni pour les salariés ni pour les commerçants.

En effet, si la valeur totale des transactions avec ces titres est passée à 9,4 milliards d’euros de valeur totale en 2023 (soit une augmentation de 38 % par rapport à 2018), la crise sanitaire de 2020 à 2022, ses confinements et les fermetures de restaurants auront changé la donne en autorisant les détenteurs de ces tickets à les utiliser pour leurs achats alimentaires dans les grandes surfaces… Autorisation qui a perduré au-delà de la crise, et a même été étendue jusqu’à présent.

Pour les commerçants, la pilule a du mal à passer.

D’une part, le montant des commissions des organismes émetteurs de titres prennent, lors de leur utilisation, s’élève à 4 %, ce qui est raide. Elles pouvaient s’expliquer au début par les frais de gestion de ces petits bouts de papier (qu’il faut sécuriser, manutentionner, distribuer, etc). Cependant, à présent, 70 % des transactions sur ces titres sont menées sous forme de carte électronique format carte bancaire, ou sur des applications mobiles (encore moins coûteuse à gérer). Il n’y a donc quasiment plus de traitement papier coûteux, essentiellement de l’électronique. Par contraste, on rappellera que les cartes bancaires ne prélèvent qu’autour de 0,3 %, soit dix fois moins.

Au passage, la dématérialisation, commencée en 2014, devait aider à abaisser ces coûts de transactions alors d’environ 1,5 %. En réalité, avec ces 4 % de commission actuelle, elle les a multiplié par près de trois. Jolie inflation, non ?

D’autre part, avec l’usage étendu aux grandes et moyennes surfaces, les commerçants sont en concurrence avec les distributeurs, notamment lors des négociations sur ces commissions, sans avoir le même pouvoir de négociation. Au bilan, ces derniers ne payent que 1 % de commission. L’affaire tourne au vinaigre pour les commerçants.

Et ce n’est pas près de s’améliorer. Les grandes et moyennes surfaces représentent maintenant près de 30 % des transactions avec ces chèques : les Français achètent de plus en plus d’alimentaire avec ce moyen de paiement. De plus, avec l’inflation, les salariés se sont détournés des repas au restaurant, et six sur dix amènent leur propre gamelle. Dès lors, ce système de paiement devient une façon compliquée de bénéficier d’une remise sur les prix des produits alimentaires.

On est très loin de l’idée d’un repas quotidien.

Ces moyens de paiement engraissent donc les fournisseurs, mais sont devenus de véritables usines à gaz au fonctionnement suffisamment opaque pour que beaucoup de commerçants sont incapables de déterminer le coût exact de ces titres dans leurs charges qui, au final, imposent un type spécifique de consommation sur une partie du salaire des employés.

Au passage, cette opacité explique sans doute pourquoi ces commerçants se rangent du côté des fournisseurs historiques, quand bien même ces derniers leur imposent des commissions énormes pour un service à peu près nul.

En somme, ces titres spécifiques introduits en 1967 n’ont plus qu’un lointain rapport avec l’idée de base, imposent une destination spécifique, l’alimentaire en l’occurrence, à une partie du revenu des salariés, coûtent de plus en plus cher à l’État qui n’y trouve pas son compte en consommation, coûtent aussi aux commerçants des métiers de bouche de façon importante et opaque.

Ils ne bénéficient qu’à leurs producteurs, ces intermédiaires dont le rôle se borne essentiellement à utiliser leur pouvoir de négociation auprès de Bercy pour garantir le privilège fiscal dont leurs titres tirent profit. Pour ces derniers, c’est une excellente affaire, pour la société en général, on peut pudiquement se poser la question.

En fait, dans l’opération, il est certain que le Français ne s’en sort pas si bien, au contraire même.

Ainsi, il ne fait pas le moindre doute que les exonérations fiscales sont rattrapées par Bercy d’une façon ou d’une autre, et le tour de passe-passe n’en est alors que plus douloureux : l’ensemble du procédé consiste donc, en dernière analyse, à transférer ces montants du salarié en particulier et des contribuables en général vers les entreprises de titres restaurant. Les tubulures chromées sont toujours plus longues, tortueuses et nombreuses, mais à la fin, c’est toujours le capitalisme de connivence qui triomphe.

Mais c’est tout l’art de ces procédés opaques et complexes de faire croire à un avantage là où il n’y a, finalement, qu’une perte de liberté, additionnée d’une perte financière habilement camouflée : 96 % des Français qui bénéficient de ces titres veulent en prolonger l’existence.

Tout comme les cotisations sociales, dénuées de remise en question et de toute concurrence poussant à l’amélioration, qui finissent par imposer une assurance très coûteuse aux services de plus en plus médiocres, ces titres spécifiques ne font finalement qu’imposer un certain type de dépense à ceux qui y trouvent un bénéfice parce qu’ils sont trompés sur la nature réelle de la transaction.

Voir les commentaires (18)

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Créer un compte Tous les commentaires (18)
  • Très bonnes remarques. Je suis détenteur d’une carte ticket resto. Chaque mois mon employeur verse des sous dessus, des sous prélevés sur mon salaire et visibles sur ma fiche de paye, donc des sous qui m’appartiennent. Pourtant je ne peux pas décider librement de l’emploi de cet argent… en fait c’est une carte de rationnement !

    • Vous n avez plus qu a refuser votre carte ticket resto……comme cela vous n aurez plus d états d âme…….🤣🤣🤣🤣

      -3
      • En effet, je peux renoncer à la carte… et dans ce cas je renonce aussi à la ligne « repas » de ma fiche de paye. Autrement dit: soit j’accepte la carte, soit j’accepte une baisse de rémunération!

        • Êtes-vous certain de pouvoir renoncer à cet avantage qui, dans le pays de l’Egalité, doit forcément être distribué à tous ? L’employeur a l’obligation de donner cet avantage à tous ses salariés, les seules exception étant le nombre d’heures travaillées dans la journée et l’ancienneté.

          -1
          • L employeur peut en proposer mais il n y a pas d obligation
            De nombreuses entreprises ne le font pas
            Par ailleurs le salarié peut refuser cet abondement
            Pour une fois qu il y a une liberté, nos pseudo libéraux a la française s en offusquent……😄😄😄😄

            • Vous n’avez pas compris mon propos : soit l’employeur les met en place et alors c’est pour tous les salariés, soit il ne le fait pas. Ce n’est pas à la carte. Et s’il y a des tickets resto dans l’entreprise, alors stagiaires et CDD en bénéficient aussi.

              -1
            • “L employeur peut en proposer mais il n y a pas d obligation
              De nombreuses entreprises ne le font pas”
              Vous n’avez pas compris mon propos : les tickets resto ne sont pas une obligation en effet (à condition que les salariés aient une salle à disposition tout de même), en revanche, dès lors qu’ils sont distribués dans l’entreprise X, ils doivent l’être à tous les salariés de l’entreprise X.
              Bien sûr, un salarié de l’entreprise X peut les refuser, il perd alors du salaire. Croyez-vous alors que ce salarié a une quelconque liberté ? Allons…
              Ne voyez-vous pas le capitalisme de connivence derrière ce fonctionnement ? Que bêtement vous défendez en voulant critiquer un soi-disant “pseudo-libéral à la française” quand vous ne faites que prouver que vous ne réfléchissez pas au-delà de votre petite remarque mesquine sur les Français en général que vous ramenez à chaque commentaire ? Défendez le gvt à tout-va si vous le souhaitez, mais avec à-propos et de bons arguments, c’est mieux.

              -1
              • Opposez vous au gouvernement a tout va si vous le souhaitez mais avec a-propos et de bons arguments c est tellement mieux…….🤣🤣🤣🤣🤣🤣

        • Ah vouloir le beurre et l argent du beurre c est terriblement français……..😆😆😆😆😆

  • Excellent article.

  • Sur le bulletin de salaire on trouve une foule d’autres lignes qui ruinent l’employeur, explosent son prix de revient (faisant fuir au passage ses clients), et privent le salarié en l’empêchant de choisir de meilleurs fournisseurs d’assurance maladie/retraite.

    • Et c’est bien pour éviter la moindre prise de conscience des salariés que le Bruno de Bercy veut supprimer le détail de ces lignes (pas les cotisations bien sûr)

      • C est plutôt pour donner une apparente consistance à son projet de loi bien light sur la simplification des normes…… 🤗🤗🤗🤗

        • Les normes occultes sont-elles plus simples que les normes ostensibles?

        • Non non, c’est bien pour que les salariés ne puissent pas savoir combien elles leur coûtent, toutes ces prestations que la plupart pensent « gratuites ».

          • Les salariés regardent sur leur fiche de paye le net versé sur leur compte en banque
            Le reste est royalement ignoré
            Vous avez une vision hors sol…..

            • “Les salariés regardent sur leur fiche de paye le net versé sur leur compte en banque
              Le reste est royalement ignoré”
              Je comprends mieux vos commentaires, vous dites-là que votre entourage n’est pas bien malin.
              Ne le généralisez pas à l’ensemble de la société, autour de moi, ils regardent ces choses et sont de plus en plus nombreux à le faire (je les y incite aussi quand ils ne savent pas, au lieu de leur dire qu’ils ne sont que des assistés…)

              -2

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