La guerre scolaire est relancée

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Ecole Primaire By: Petit_louis - CC BY 2.0

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La guerre scolaire est relancée

Publié le 1 mai 2024
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L’Éducation nationale se trompe d’objectif en favorisant la mixité sociale et la réduction des inégalités plutôt que le niveau de connaissances. En effet, la dégradation du niveau général est nuisible à tout le monde et réduit donc les chances de promotion sociale. 

Depuis la publication en avril 2023 de mon article « L’éducation nationale se trompe d’objectif », sont arrivés les résultats de la dernière enquête PISA, qui confirme la catastrophe, et le plan Attal qui tente d’y pallier.

L’échec du système actuel est donc patent, mais cela n’empêche pas les tenants de la mixité sociale de continuer à en faire leur objectif, alors que l’impact sur le niveau des élèves est très discutable.

Et comme la mixité sociale est moindre dans l’école privée, des voix s’élèvent maintenant pour la contraindre elle aussi à plus de mixité.

Bref, il s’agit de prendre le contrôle du privé. C’est la reprise de la guerre scolaire !

 

L’échec du système actuel

Cet échec est mesuré par la chute régulière de la France dans le classement PISA (Programme international pour le Suivi des Acquis des élèves) qui est bien connu et dont on peut retrouver le contenu et les caractéristiques en version française sur le site officiel de l’OCDE.

Le classement Pisa diffusé en 2023, basé sur des enquêtes 2022, montre une dégradation accélérée de la situation française, notamment en mathématiques et en compréhension de l’écrit.

La France termine à la 23e place sur les 80 pays de l’OCDE, et chute lourdement en mathématiques. Ces résultats sont pires que ceux des autres pays, qui chutent également, probablement du fait de la pandémie de covid.

Seuls trois pays asiatiques parviennent à faire mieux qu’en 2019 : Singapour, Japon, Corée du Sud. Tous les autres affichent de plus mauvais résultats.

En mathématiques, la forte baisse observée en France entre 2018 et 2022 est la plus importante observée depuis la première étude PISA en 2000, alors que la France se trouvait au-dessus de la moyenne en 2003.

D’autres études confirment la chute de ce niveau de mathématiques en France, dont « L’État de l’école » publiée en 2022 par le service statistique du ministère de l’Éducation, qui déclare :

« Depuis trente ans, une baisse très sensible du niveau moyen et une augmentation des inégalités […] Le niveau à l’écrit des 10 % d’élèves des familles les plus riches équivaut à une avance de trois années scolaires environ par rapport aux 10 % d’élèves les plus pauvres ».

Mais cette constatation de l’inégalité sociale ne dit pas que c’est elle qui est à l’origine de la baisse de niveau. Le rassemblement d’élèves hétérogènes, par exemple dans le collège unique, peut, au contraire, mener à s’interroger sur le rôle de cette hétérogénéité dans la baisse du niveau.

Pour une fois, on peut aujourd’hui dire : « c’était mieux avant », et on peut même ajouter « c’est mieux ailleurs ».

Qu’est-ce qui a changé ? Le collège est devenu « unique », et les programmes s’inspirent sinon de Pierre Bourdieu, du moins d’une sorte de vulgate mise au point par ses admirateurs.

Je fais ici allusion à ma participation à un groupe d’enseignants de sciences économiques et sociales et à l’étude dont j’ai été chargé sur une éventuelle informatisation de leur programme.

Les participants avaient une vue marxisante de l’économie, ne parlant des entreprises que par allusions négatives, ce qui me paraissait curieux, car la majorité des élèves allait plus tard y travailler.

À la mort de Bourdieu, le groupe s’est répandu en louanges tellement hyperboliques que j’ai déclaré y voir un véritable culte. Et j’ai été immédiatement exclu.

J’en ai retenu la négation de toute donnée culturelle traditionnelle assimilée à « un code social destiné à empêcher l’accès au savoir des classes défavorisées ». De même pour toute difficulté pouvant décourager les élèves.

Les simplifications drastiques des programmes, notamment en culture littéraire, me semblent découler de cet état d’esprit, qui a donc gagné certaines hautes sphères du ministère.

À mon avis, ce sont des pistes sérieuses pour expliquer la baisse du niveau, d’autres pistes étant le niveau des enseignants, et le « pas de vagues » de la part de l’administration, de phénomènes largement débattus aujourd’hui.

 

La priorité à la mixité de sociale

Mais, curieusement, ce n’est pas la baisse de niveau qui est remarquée, mais le fait que « les jeunesses ne se croisent plus » (Le Monde du 21 mars 2024), c’est-à-dire que la mixité sociale aurait diminué.

Tout un courant de pensée, portée notamment par Le Monde et le magazine Alternatives Économiques, semble estimer que l’objectif de l’école est la mixité sociale et non le retour à un meilleur niveau.

Dans Alternatives Économiques, la question de la mixité sociale revient, avec notamment le commentaire du rapport parlementaire sur le financement public de l’enseignement privé,  commentaire virulent qui accuse le privé de pousser à la ségrégation scolaire. C’est confondre l’effet et la cause, qui est la fuite de l’enseignement public.

Cette fuite serait encore plus importante si le privé n’était pas contingenté à 20 % des enseignants. Cette limitation totalement arbitraire est un compromis politique vieux de 40 ans, lorsque le programme de François Mitterrand de « nationalisation » de l’enseignement s’est heurté à la manifestation géante du 24 juin 1984 à Paris.

À mon avis, la détérioration de l’enseignement public devrait amener d’urgence à revoir ce chiffre. Peut-être les proclamations actuelles contre l’école libre sont-elles des contre-feux pour éviter d’en arriver là.

Le commentaire virulent d’Alternatives Économiques contre l’enseignement libre est appuyé par une citation de l’économiste Youssef Souidi, qui a lancé le 10 avril un ouvrage intitulé Vers la sécession scolaire ? Mécaniques de la ségrégation au collège et sa conclusion : on n’arrivera pas à faire progresser la mixité sociale si l’on ne revoit pas les privilèges octroyés au secteur privé en matière de recrutement et de sélection des élèves.

Partant de ce constat, il suggère « un contrat d’objectifs et de moyens contraignants en matière de mixité sociale », autrement dit d’étendre au privé ce qui se fait dans le secteur public, qui croûle pourtant sous les problèmes.

Alternatives économiques attaque par ailleurs la mise en place de groupes de niveau, les accusant d’organiser la ségrégation scolaire et de détruire « 50 ans de travail d’unité ».

Le 20 mars 2024, Le Monde mettait en avant « le poids du déterminisme social et la concentration des difficultés dans les établissements les plus défavorisés » dans le secteur public (comprendre : « dont la population est la plus socialement défavorisée », ce qui ne paraît pas très étonnant) : la réussite du brevet est de 99 % dans les établissements privés, et de 81 % dans ceux « d’éducation prioritaire renforcée. »

 

Imposer la mixité sociale dans le privé ?

Le Monde du 28 février relance le débat sur la gestion « singulière » des établissements privés sous contrat, qui accueillaient 17,6 % des élèves à la rentrée 2022, et expose qu’ils doivent être davantage régulés. 

Le 2 avril, Le Monde poursuivait ses attaques contre l’enseignement privé pour insuffisance de mixité sociale. Or, le privé coûte 30 % de moins au budget de l’État que l’enseignement public, en grande partie du fait du moindre coût des enseignants et de leurs retraites : davantage de contractuels, moins d’agrégés.

Au passage, notons qu’un recrutement différent de celui du secteur public, moins qualifié mais mieux choisi, semble plus adapté, puisqu’il a la préférence des parents malgré son coût

La mixité sociale est-elle le bon remède ?

Ces articles posent comme évident que la mixité sociale serait un moyen de réduire la chute du niveau. J’avoue ne pas voir de lien logique entre les deux.

D’abord, ce choix de la mixité, encore insuffisante d’après les adversaires de l’école libre, est parallèle à la chute de niveau.

Ensuite, il y a éventuellement des conséquences négatives pour les meilleurs élèves, et c’est d’ailleurs ce que craignent les parents et explique leur fuite vers le privé..

Enfin, il n’est pas évident qu’il faille les mêmes enseignants dans des milieux sociaux différents. Il est tout à fait possible qu’il soit plus difficile de faire progresser les élèves d’une classe hétérogène que ceux de classes homogènes, qu’elles soient en dessus ou en dessous de « la normale ».

En tout cas, une décentralisation par établissement permettrait les ajustements nécessaires.

Et de toute façon, selon moi, l’enjeu n’est pas réduire la mixité sociale, mais d’augmenter le niveau.

 

Refonte de la formation des profs

Le plan de réforme Attal a été complété par le projet de refonte des études des enseignants exposé par Emmanuel Macron le 5 avril 2024 :

« Des enseignants bien formés seront mieux armés pour répondre aux attaques contre l’école et notamment aux atteintes à la laïcité […] il s’agit de mettre en place « les écoles normales du XXIe siècle. »

C’est un rappel de l’époque où la formation des maîtres ne se faisait pas à l’université. Cette dernière est soupçonnée de faire sortir les candidats des savoirs fondamentaux, c’est-à-dire du français et de l’histoire-géographie.

On vise désormais le niveau bac+3 au lieu de bac+5, avant de passer à des Master « très professionnalisés » qui seront rémunérés et qui comprendront au moins 50 % de stages, pour enrayer la baisse d’attractivité du métier.

Cette réforme devrait être mise en œuvre dès la rentrée 2024 pour les professeurs des écoles et ultérieurement pour les enseignants du secondaire.

 

L’impact de l’orientation Affelnet

Le logiciel Affelnet (Affectation des Élèves par le net) gère l’affectation dans les lycées de l’ensemble des collégiens de troisième. Il prend en compte plusieurs critères pour affecter chaque élève dans un établissement.

Parmi les principaux critères utilisés par les académies figurent le lieu d’habitation de l’élève, les résultats scolaires (demande d’affectation en voie professionnelle et dans certains enseignements à capacité contrainte) et le statut de boursier. Viennent ensuite un rapprochement avec sa fratrie (déjà dans l’établissement), un lycée en limite de zone géographique, etc.

Ce système semble conçu pour développer la mixité sociale, les meilleurs élèves n’étant pas dirigés vers les meilleurs lycées.

Outre ce que nous avons dit plus haut, à savoir l’absence de lien évident entre la mixité sociale et l’amélioration du niveau, c’est mettre en place un mécanisme qui décide à la place des principaux intéressés, à savoir les parents d’élèves et les directeurs de lycée.

Outre l’atteinte à une liberté fondamentale, on peut craindre les inconvénients de tout système administratif : fonctionner au détriment des réalités humaines ou concrètes.

Enfin, ce système suppose de chiffrer toutes les données et de les combiner. Or, les données ne sont pas forcément fiables car les enseignants ne notent pas tous de la même façon, et ils ont en particulier tendance à noter par rapport à la moyenne de leur classe.

Les autres données sont largement arbitraires, notamment le niveau socio-intellectuel des parents et la pondération entre différentes disciplines : pourquoi donner un poids plus important au sport et aux disciplines artistiques ?

Au sujet des aberrations d’Affelnet, je vous conseille la lecture instructive – quoiqu’un peu décourageante si vous êtes parent d’un élève scolarisé dans un « bon » collège public – du rapport intitulé : « La réforme Affelnet à Paris : un voyage au pays où 15=20 » de Marion Oury, Maître de conférences en Économie à l’Université Paris-Dauphine, pour la Fondation pour l’Innovation Politique.

Cela me rappelle le mécanisme de promotion à l’ancienneté, dans l’Éducation nationale et ailleurs, qui ne permet pas de mettre là où il faudrait les enseignants les plus adaptés à la variété des différentes classes, alors que le directeur local tiendrait compte de cette variété. Mais les syndicats, reflétant vraisemblablement l’avis de leurs membres, préfèrent un mécanisme automatique « neutre » à « l’arbitraire » de la décision d’un patron.

On s’étonnera ensuite de la réussite du privé, tant dans l’enseignement que dans les entreprises en général, c’est-à-dire là où les employés sont choisis par des patrons.

Les dirigeants de l’enseignement privé peuvent certes se tromper, mais gardent la liberté de renvoyer et recruter de nouveau, ce qui n’est pas le cas dans le public qui doit garder en poste des enseignants parfois inadaptés durant des années, malgré l’intervention du rectorat saisi dans les cas les plus graves.

 

Relance de la guerre scolaire

Le rapport parlementaire relatif au financement public de l’enseignement privé sous contrat des députés Paul Vannier (LFI-NUPES) et Christopher Weissberg (Renaissance) du 2 avril 2024 a été très critique envers l’enseignement privé accusé d’être un système opaque et mal contrôlé pour son usage public.

Après ce rapport, Vannier, député LFI, a fait des commentaires plus raides que son collègue macroniste. Il a notamment demandé que les fonds publics aillent en priorité à l’école publique, et cessent de financer le secteur privé.

Ce rallumage de la guerre scolaire par La France Insoumise est destiné, à mon avis, à masquer les vrais problèmes de l’enseignement public.

Tout cela a bien entendu suscité de vives réactions de Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, principal acteur de l’enseignement privé sous contrat (voir communiqué APEL)

Le rapport a été nuancé dans un deuxième temps par un « rétropédalage » de Christophe Wahlberg, le signataire macroniste :

« Nous ne remettons pas en cause les existants de l’enseignement privé ni son financement. Il est apprécié par les familles, apporte des projets éducatifs et pédagogiques spécifiques. Laissons les parents faire le choix ».

 

En conclusion

Les entreprises voient arriver des jeunes s’exprimant mal, ne pouvant pas poser clairement un problème ni proposer des solutions claires. L’enseignement du français est donc mauvais, et beaucoup d’entreprises font passer des cours de rattrapage à leurs employés.

Le cas des carrières scientifiques est bien pire, car quelques cours à l’entrée dans les entreprises ne peuvent pas rattraper une formation scientifique, notamment mathématique, insuffisante pendant la douzaine d’années antérieures (primaire, collège, lycée).

Or, la plupart des sciences et techniques d’aujourd’hui supposent une bonne formation mathématique et déterminent le niveau de vie de tous.

Sacrifier le français et les mathématiques – et, par contrecoup, bien d’autres disciplines autres que le sport ou les arts, favorisés dans les cotations – au nom de la mixité sociale me paraît donc être une aberration.

Il y a sûrement d’autres moyens que de sacrifier le niveau général de la nation.

 

Références

 

 

  1. Réseau Canopé : Note d’alerte CESE septembre 2023  
  2. Projet de Loi de Finances 2024 : budget total de la mission « enseignement scolaire » 64,2 milliards hors contributions aux pensions de l’État et 86,8 milliards pensions comprises.
  3. Public Sénat : École : le Sénat adopte une expérimentation de l’autonomie des établissements
  4. Editorial Le MondeL’école ou le triomphe du corporatisme
  5. Reportage Les Échos : Les écoles de production, cheville ouvrière de réindustrialisation
  6. France Info : Éducation : Comment réussir en dépit de son milieu social d’origine

 

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  • Excellent article qui met bien en évidence les prismes traditionnels d une gauche a bout de souffle qui recycle ses éternels poncifs sur l éducation la culture, le logement, l économie……

  • Très juste.
    Comme souvent des slogans (« la mixité », « la diversité », « l’environnement », etc.) qui sont mal définis et/ou mal compris, sont répétés indéfiniment comme étant l’objectif. Le mot sonnant bien, la plupart suit et se dit que oui, bien sûr, il faut plus de mixité, évidement que la diversité est une force, oui, les inégalités sont mauvaises. Sauf que… non, on n’en sait rien et même à y penser de plus près, il est probable que l’inverse soit vrai (sinon, pourquoi cette tendance naturelle des gens à se regrouper en fonction de points communs? pourquoi ces hiérarchies qui apparaissent naturellement partout, etc.)
    On est bien mal en point dans un système centralisé et étatique si les « élites » supposées ne pensent pas ou ne pensent pas droit. Laissons le marché, les acteurs concernés, découvrir les équilibres optimaux!

    Privatise everything !!!!

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