La guerre de l’information sévit à plein

Alors que les services de l’État, après diverses autres institutions, viennent de subir des attaques informatiques d’ampleur, un ouvrage aide à mieux comprendre la guerre mondiale de l’information.

Par Johan Rivalland

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Ordinateur (c) Unsplash Marvin Meyer

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La guerre de l’information sévit à plein

Publié le 27 avril 2024
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Partie des États-Unis, où le recours aux technologies a permis de rallier très habilement les opinions publiques aux opérations en cours lors de la première guerre du Golfe en 1991, qui en marque le véritable point de départ, la guerre de l’information mondiale a succédé à la guerre froide. Une guerre engagée avant tout – nous montre David Colon dans son dernier ouvrage, La guerre de l’information : Les États à la conquête de nos esprits – par les régimes autoritaires, qui visent l’effondrement des démocraties libérales en s’appuyant sur nos failles. L’enjeu final étant la conquête de nos esprits, en retournant la démocratie contre elle-même.

 

Un nouvel art de la guerre

Médias contrôlés, triomphe du virtuel sur le réel par l’utilisation d’images d’archives et de simulations, manipulation habile des faiblesses de l’information en temps réel, désinformation tactique et stratégique, illusion de la « guerre propre », tout est mis en œuvre à l’époque pour manipuler les esprits et susciter l’adhésion des peuples en donnant une image trompeuse et quelque peu idyllique de la guerre du Golfe.

C’est un nouvel art de la guerre qui est pratiqué, ralliant l’opinion mondiale, crédule face à l’uniformisation de l’information et le recours aux techniques de langage. Les journalistes eux-mêmes, fortement encadrés et très peu nombreux à pouvoir réellement se rendre sur les terrains de guerre, sont fortement manipulés, voire censurés.

C’est aussi l’ère du softpower, du contrôle de l’information et de la création de chaînes contrôlées par le pouvoir dans certains pays. On assiste plus que jamais à des guerres informationnelles et une véritable course à l’influence, de la part de nombreux pays, en résistance à la domination informationnelle américaine (Iran, Qatar, Chine, Russie, etc.).

La manipulation organisée des journalistes devient monnaie courante, et ce d’autant plus qu’ils sont de moins en moins nombreux et que les journaux ont de moins en moins de moyens. Les agences de presse prennent l’ascendant, elles-mêmes devancées – voire manipulées – par les agences de relations publiques. Ce qui aboutit à de moins en moins de vérifications des sources d’information, quand elles sont même citées, et à des manipulations croissantes, orchestrées par les États et leurs services de renseignement. En particulier aux États-Unis, maîtres en la matière.

La guerre se déplace aussi sur le terrain des réseaux sociaux, qui deviennent stratégiques et où la vitesse de propagation d’informations ou de réaction compte. Les États n’étant pas toujours les plus performants en la matière comme le montrent l’efficacité du Hamas ou de Daech dans sa stratégie de terreur qui a un temps gardé une grande longueur d’avance sur les États avant que ceux-ci finissent par se ressaisir et renverser la situation, l’intervention des anonymous ayant aussi joué un rôle non négligeable.

 

Une guerre totale

Mais c’est la Russie qui a véritablement déclenché la guerre totale de l’information. D’abord en Ukraine, où cela lui a notamment permis de s’emparer de la Crimée sans véritable guerre armée, puis contre l’Occident, parvenant, à force de moyens colossaux, à dresser assez efficacement la démocratie contre elle-même.

On peut alors parler – nous dit Daniel Colon – de cyberguerre mondiale, qui a supplanté les formes de guerres traditionnelles, même si celles-ci sont toujours présentes. Les Américains sont les premiers à en avoir été les artisans, avant de subir en boomerang les assauts iraniens, chinois, russes, ou encore nord-coréens. La guerre fait rage de toutes parts et occasionne des dommages colossaux, tant sur les infrastructures qu’en matière psychologique.

La désinformation est également utilisée de manière massive, notamment par la Russie, qui entend plus que jamais manipuler en particulier les médias occidentaux et déstabiliser en profondeur les sociétés occidentales, dont elle entend provoquer l’effondrement.

Elle favorise ainsi les tensions sociales et ethniques et les manifestations en tous genres, grâce à des outils de propagande élaborés, et une véritable armée d’agents présents partout dans le monde, à la recherche de la moindre petite faille. Les théories du complot trouvent également souvent leurs sources dans les opérations russes de désinformation.

La France n’est pas épargnée, subissant les assauts répétés des campagnes d’influence et de désinformation russes, sans oublier les puissantes campagnes antifrançaises en Afrique, dont les conséquences sont vives. Mais aussi des campagnes de désinformation turques ou chinoises notamment.

Un chapitre très instructif du livre révèle la manière dont l’exploitation – au départ par un chercheur – du système des « J’aime » sur Facebook a permis d’aboutir à un microciblage psychologique inouï, dont se sont emparés à la fois les Russes mais aussi Steve Bannon aux États-Unis. Débouchant, de fil en aiguille, sur l’incroyable mouvement QAnon, véritable agrégateur de complots, manipulé par la Russie pour diffuser les plus sombres théories du complot, visant bien sûr en premier lieu les États-Unis. Aboutissant même à des mégathéories du complot participatives, à même d’expliquer bien des événements auxquels nous avons assisté médusés.

 

La difficulté accrue de distinguer vérité et mensonge

Un autre chapitre passionnant s’intéresse à la guerre 3.0 en Ukraine. Où l’on voit notamment que les GAFAM américains ont joué un rôle essentiel et inédit de défense contre la cyberoffensive russe de grande ampleur qui a été menée, bouleversant ainsi les équilibres géopolitiques. Tandis qu’une gigantesque bataille de hackers est menée de part et d’autre, et qu’une cyberguerre des ondes sévit à travers de multiples piratages ; à tel point qu’il devient de plus en plus difficile de distinguer la vérité et le mensonge. Surtout si l’on y ajoute les nouvelles technologies de l’Intelligence Artificielle, comme les redoutables deepfakes, qui manipulent les esprits humains et servent de manière efficace la propagande, de manière hautement personnalisée.

Et s’il n’y avait que la Russie… Il faut bien sûr aussi compter avec la Chine et sa redoutable efficacité à mener de front guerre psychologique, guerre de l’opinion publique et guerre du droit, dans le but de brouiller les perceptions, semer les divisions, et soumettre l’ennemi sans avoir à le combattre. À travers les cyberintrusions, et les participations au capital des sociétés en pointe à la Silicon Valley.

Sans omettre le recours massif, comme les Russes, au trolling, qui contribue fortement à former aussi les opinions du peuple, accompagné d’un strict contrôle du Net et un soigneux « nettoyage du web », appuyé par le fameux Crédit social. Sans oublier le très insidieux réseau Tik Tok, qui vise à subvertir les valeurs occidentales et encourager la forte dépendance à des stimuli passifs et des contenus pauvres, détournant une grande partie notamment de la jeunesse des activités de réflexion. Un moyen efficace de contrôler les cerveaux et de remporter la guerre, tout en collectant massivement des données pour le compte du Parti communiste chinois et en diffusant de fausses informations et éléments favorables aux théories du complot, servant aussi de relais à la propagande russe.

 

Retourner la démocratie contre elle-même

La guerre de l’information a succédé à la guerre froide. Une guerre engagée par les régimes autoritaires, qui visent l’effondrement des démocraties libérales en s’appuyant sur nos failles. L’enjeu final étant la conquête de nos esprits, en retournant la démocratie contre elle-même.

Si l’ouvrage de David Colon est très instructif et absolument passionnant, on peut néanmoins être déçus, parmi les solutions proposées dans la conclusion, de trouver la référence à Christophe Deloire et l’idée de privilégier le recours aux chaînes publiques, au détriment de celles privées. De même que cette grande idée d’Observatoire des médias et de conception de l’information comme « un bien public ». N’est-ce pas là le meilleur moyen de se détourner de la nécessité de se prémunir contre la guerre mondiale de l’information pour y substituer… une guerre nationale de l’information et une dérive vers la tentation totalitaire ?

 

David Colon, La guerre de l’information : Les États à la conquête de nos esprits, Tallandier, septembre 2023, 480 pages.

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  • Le projet de MD Dati ministre de la culture prévoit le regroupement des chaînes et des radios de l audiovisuelle un retour à l ORTF..
    C’est a dire une main mise de l état,non?

  • Les commentaires sont fermés.

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