Une contre-révolution sous nos yeux ? Ce que révèlent les affaires Depardieu et Cesari

Pour Vincent Tournier, les affaires Depardieu et Cesari, survenues toutes deux le 7 décembre 2023, sont le signe d’une contre-révolution morale.

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Source : wikimedia

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Une contre-révolution sous nos yeux ? Ce que révèlent les affaires Depardieu et Cesari

Publié le 19 décembre 2023
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Deux événements se sont produits simultanément le 7 décembre 2023.

Le premier concerne la bronca qui a gagné un collège des Yvelines à la suite de la présentation en cours de français d’un tableau de Giuseppe Cesari datant du XVIIe siècle, Diane et Actéon. Parce que ce tableau représente des femmes dénudées, des élèves musulmans de 6e ont exprimé leur réprobation. Des tensions et des menaces ont suivi, ce qui a conduit les enseignants à faire valoir leur droit de retrait, avant que le ministre Gabriel Attal ne se rende sur place.

Le second événement concerne l’acteur Gérard Depardieu. Dans un documentaire, le magazine « Complément d’enquête » a diffusé des extraits d’une vidéo tournée en 2018 dans laquelle le comédien tient des propos particulièrement crus et vulgaires sur les femmes, y compris sur une très jeune fille d’une dizaine d’années.

Si ces deux événements méritent d’être rapprochés, malgré leurs différences, c’est parce que, chacun à leur manière, ils nous parlent des transformations actuelles de la société française.

 

Cachez cette nudité

Commençons par l’affaire du tableau de Cesari. On peut légitimement discuter pour savoir s’il était judicieux de montrer un tel tableau à des élèves de 6e. Mais l’essentiel n’est pas là.

Il fut un temps pas si lointain où, face à des images à caractère sexuel, entraperçues par exemple dans un film ou un documentaire, les collégiens avaient tendance à manifester, non pas leur dégoût mais bien un enthousiasme typiquement juvénile, où se mêlaient gloussements émerveillés et clameurs grivoises.

Que des élèves de 6e adoptent aujourd’hui une attitude exactement inverse, surtout à un âge aussi précoce, en dit long sur le type d’éducation qu’ils reçoivent et sur les valeurs qu’ils entendent affirmer. Visiblement, cette affaire confirme l’existence d’un clivage profond qui place l’école en porte-à-faux vis-à-vis d’une partie de la population, comme l’avaient déjà révélé les incidents lors de l’hommage à Samuel Paty et à Dominique Bernard, ou les nombreux conflits sur les signes religieux et les atteintes à la laïcité.

 

Cachez cette sexualité

Concernant Gérard Depardieu, le problème se présente différemment. Il est évidemment légitime d’être choqué par les propos de l’acteur, lesquels dépassent très largement ce que la décence commune peut tolérer.

On évitera cependant d’être hypocrite. Lorsqu’ils sont entre eux, il arrive aux hommes de parler crûment des femmes et de la sexualité car rares sont ceux qui échappent totalement aux pulsions de leur cerveau reptilien. Cela vaut sans doute aussi dans l’autre sens. On peut en effet remarquer que l’un des clips actuellement les plus populaires est une chanson de rap interprétée par deux femmes qui s’intitule WAP, ce qui signifie Wet Ass Pussy. Or, les paroles n’ont rien à envier à la trivialité de Depardieu : « Il y a des salopes dans cette maison / Amène un seau et une serpillière pour cette chatte bien mouillée / Mets cette chatte sur ton visage, glisse ton nez comme une carte de crédit / Crache dans ma bouche / Dans la chaîne alimentaire, je suis celle qui t’avale / Je veux que tu touches ce petit trucmuche qui pendouille au fond de ma gorge. » Ce clip a été encensé encore récemment sur le site Slate.fr.

Il ne s’agit pas de dire que tout est permis. La vie civilisée consiste justement à s’abstenir de toute vulgarité dans la vie publique : la sexualité est une affaire privée. Mais rien ne dit que les propos de Depardieu étaient destinés à être diffusés. On aimerait d’ailleurs savoir pourquoi la chaîne publique s’est autorisée à diffuser ces images, violant sans scrupules le droit à la vie privée de l’acteur.

 

Cachez ce monstre

Le problème concerne cependant moins Depardieu lui-même que l’évolution de son statut dans la société. Car Depardieu n’a pas toujours été ce personnage exécré qu’il est devenu. Historiquement, il a au contraire incarné l’audace modernisatrice, la provocation progressiste, la critique iconoclaste.

Le film qui l’a propulsé vers la gloire, en l’occurrence Les Valseuses de Bertrand Blier (1975), dont le titre était déjà tout un programme, devait son succès à ses dialogues crus et à ses scènes de sexe délibérément destinées à choquer le bourgeois. Les radios publiques lui rendent encore hommage, que ce soit France Interou plus récemment France Culture.

C’est donc en grande partie pour son côté iconoclaste que Depardieu a été encensé. Même les institutions de la République y sont allées de leur reconnaissance, d’abord en le faisant chevalier de l’ordre national du Mérite de la part de François Mitterrand en 1988 (précisons toutefois qu’il avait appelé à voter pour le candidat socialiste), puis en lui attribuant la Légion d’honneur (Jacques Chirac en 1996).

Cette consécration artistique et politique a forcément eu des effets sur ses manières d’être et de s’exprimer. Tout au long de sa vie, Depardieu a probablement été adulé par son entourage pour son côté libéré et provocateur. Personne ne se fait tout seul, et Depardieu n’échappe pas à cette règle : à sa façon, il est le fruit de cette France d’après 1968 qui ambitionnait de bouleverser la morale traditionnelle au profit de la liberté amoureuse et sexuelle.

Le retournement est aujourd’hui total. Depardieu est maintenant présenté comme un « ogre » ou un « monstre ». La ministre de la Culture n’hésite pas à dire qu’il fait « honte à la France », et parle de lui retirer la Légion d’honneur. Elle n’a pas appelé à brûler ses films, mais ce n’est peut-être qu’une question de temps.

On pense à la célèbre formule de l’Évêque de Reims lors de la conversion de Clovis au christianisme :

« Adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ».

C’est probablement à cela qu’on reconnaît un changement d’époque : c’est lorsqu’une société aspire à se débarrasser de ses idoles d’hier, à briser ses anciennes icônes devenues insupportables, que l’on comprend qu’une nouvelle religion émerge, même si on ne sait pas très bien quelles personnalités vont incarner la nouvelle vertu.

 

La contre-révolution est en marche

Les affaires Cesari et Depardieu pourraient rester dans le registre du fait divers si elles ne venaient pas à la suite de nombreuses polémiques du même type. On pense par exemple au baiser de Blanche-Neige, dont nous avons essayé d’esquisser une analyse.

Une contre-révolution morale est manifestement en marche. Serge Gainsbourg, un autre provocateur du même acabit, en a fait les frais dernièrement. Autrefois, les jeunes traitaient leurs aînés de « vieux cons » et dénonçaient leurs opinions réactionnaires ; désormais, ils reprochent aux générations précédentes d’avoir été progressistes.

Si cette dynamique contre-révolutionnaire s’annonce profonde et durable, c’est parce qu’elle est portée par un agrégat de groupes différents soutenus par une démographie et des mutations sociologiques favorables, dont le point commun est de promouvoir un agenda néo-puritain. La polémique sur le tableau de Guiseppe Cesari est ici très significative : elle a été lancée par des familles musulmanes, mais elle aurait très bien pu être initiée par des néo-féministes. L’islam rigoriste se retrouve sur la même ligne qu’une partie du féminisme moralisateur, tandis que la gauche, loin de se détourner de ces deux causes, aspire à les englober dans un salmigondis idéologique aussi indigeste que fragile.

Il faut donc s’attendre à ce que les polémiques de ce type se multiplient. On doit se préparer à aller de surprise en surprise, car les nouvelles sensibilités sont toujours pleines de ressources et de créativité lorsqu’il s’agit de désigner des icônes à abattre. C’est ce qui en fait tout l’intérêt, un peu comme pour une bonne série télé : on a hâte de découvrir la prochaine saison.

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  • C’est curieux, les musulmans ne crient pas au scandale lorsqu’ils voient une chienne, une vache, une brebis… Ha, c’est vrai, la femme est un être impure. C’est le seul être impure sur terre avec le porc (seraient ils apparentés ?).
    Lorsque Mélenchon ou ses LFIstes accompagnés des écolos seront au pouvoir, j’espère qu’ils vont brûler toutes ces oeuvres en contradiction avec les idées de leurs électeurs. Comme un certain Adolf le fit en Allemagne…

  • Analyse que je cautionne. La tendance est à l’ascétisme , recherche de pureté , cette résurgence s’apparente au catharisme. Je n’ai pas aimé les icônes anciennes. Je n’aimerai pas plus les nouveaux modèles, d’autant qu’ils risquent d’être plus violents comme tous les « purs » (prétendus purs, évidemment ) . Car je sais que ce sont les deux faces d’une même pièce : on passe d’un excès à l’autre, et on diabolise les autres . Pour Mr Depardieu , eh bien je dirai seulement , comme on fait son lit on se couche .

  • Avatar
    alline.francois@gmail.com
    19 décembre 2023 at 10 h 11 min

    Et encore Mr Tournier, vous faites allusion à cette chanson mais vous n’avez pas regardé un épisode de la série « branchée » : Frenchie Shore où les filles se baladent en réclamant de « se faire ken » de chercher une grosse B++++ et sont même filmées en train de faire une fellation et de masturber un garçon en comparant son engin à une banane….
    Mais ce sont des filles…. Pas des épouvantables mâles blancs de plus de 50 ans….

  • Bonne analyse, M. Tournier. Que va devenir notre société si elle continue dans la voie de l’opprobre et de l’intolérance? J’ai même entendu ce matin à la radio que la statue de Gérard Depardieu allait être enlevée du Musée Grévin et je ne comprends pas cette décision.

    • En ce moment, les décisions annoncées à grand bruit dans les médias ne sont pas des décisions prises par des gens rationnels guidées par un raisonnement honnête.
      Ce sont des réactions opportunes hystériques qui vont « faire le buzz » et n’ont pas de signification profonde. Demain Depardieu sauvera peut-être Greta Thumberg alors qu’un camion allait la percuter, et il recevra 2 statues et 2 légions d’honneur, qu’on lui retirera la semaine prochaine parce qu’il rendra hommage aux gens décédés au proche orient…

  • Voilà qui nous ramène à St-Just :
    – pas de liberté pour les ennemis de la liberté.
    Par là, on comprend bien que le choix n’est pas vaste : guillotiner ou être guillotiné. Au sens figuré, ça va de soi.

  • Adieu mots, expressions, littératures, argotiques.Dommage.
    « Dans sa fouille j entends des shillings.Je pique.Il s en goure même pas. »
    Céline.

  • Au sujet du collège perturbé par le cours sur Diane et Actéon, on oublie un peu vite qu’on a affaire d’abord à des gamins qui s’ennuient ferme de devoir se rendre à l’école et y perdre leur journée.
    Au lieu de simplement, comme la plupart des classes, biaiser un peu et profiter de la séance pour faire des allusions grivoises et des blagues salaces, caser un peu de ce harcèlement sexuel qui vient si facilement en collectivité mais qui n’a plus la cote au travail et dans la rue ces temps-ci, les élèves d’une seule classe (alors que le cours avait été donné à 3 autre classes sans gros chahut) ont eu une approche originale : ils ont accusé la prof de pédophilie, une belle émulation s’en est suivie et les parents ont soutenu et impliqué la police. La solidarité et la trouille des collègues de subir la même chose les a amené à prendre leurs distances, en se faisant porter pâle ou en exerçant leur droit de retrait pour ceux qui n’ont pas obtenu d’arrêt de leur médecin.
    Pourquoi soutenir la marmaille dans pareilles circonstances ? Les gamins ont visiblement exagéré délibérément leur réaction de choc pour nuire à l’institution et par là rater des cours. Je pense que l’éduc nat n’a plus du tout bonne réputation, y compris du côté des parents d’élève ces temps-ci. On envoie les élèves en cours par des menaces de retrait d’allocations, voire de garde, et plus personne n’en attend rien ni sur le plan intellectuel, ni sur le plan sportif, ni culturel, ni social.
    Affronter ses propres enfants pour défendre une institution à bout de souffle qui échoue catastrophiquement dans tous les domaines (les études montrent qu’elle accroit même les inégalités sociales, c’est le comble !) ne parait plus vraiment défendable aujourd’hui.

  • Les commentaires sont fermés.

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