Comment réconcilier les irréconciliables ?

Comment surmonter les haines nationales, raciales et religieuses ? En s’appuyant sur des exemples historiques et des théories libérales, Benoit Malbranque offre quelques pistes de réflexions.

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Comment réconcilier les irréconciliables ?

Publié le 4 décembre 2023
- A +

Un récent article sur l’islam m’a valu quelques critiques, et cette question ironique, si j’avais d’autres articles aussi curieux à proposer. Hélas oui, la mine n’en est pas épuisée.

Un jour les Israéliens seront à nouveau en paix avec leurs voisins palestiniens. Ils auront, on l’espère, exercé dans les bornes les plus strictes leur droit à la légitime défense, et employé avec mesure le dangereux appareil de la guerre. Mais la paix est un idéal négatif, qui n’évoque qu’un monde sans violence. Ne peut-on pas au surplus se respecter, s’entendre, se réconcilier ?

La géographie et l’histoire se mêlent pour dresser devant nous des situations difficiles. Lorsque les républicains chinois sont chassés du pouvoir, ils se réfugient sur une petite île à 160 kilomètres des côtes qu’ils doivent quitter, et ils y fondent un gouvernement de sécession. L’île de la Grande-Bretagne est séparée d’à peine 20 kilomètres des côtes d’Irlande, de sorte que par temps clair on en aperçoit les falaises. Français et Allemands ne sont séparés que par un fleuve de 200 mètres de largeur, bien faible rempart contre les velléités d’une armée. Il y a par le monde beaucoup de ces siamois politiques, qui sont forcés de vivre une cohabitation que souvent ils ne désirent pas.

Sur un même territoire (les États-Unis), les descendants de colons européens ont dû aussi apprendre à vivre au milieu des descendants d’esclaves qu’ils avaient transportés, opprimés puis émancipés, de même qu’avec les indigènes dont ils avaient accaparé les terres.

Solutionner les haines nationales, raciales, religieuses, peut se faire en s’appuyant sur le témoignage de l’histoire. Plusieurs auteurs de la tradition libérale française ont œuvré, en leur temps, à la réconciliation entre catholiques irlandais et anglicans, entre Noirs et Blancs aux États-Unis, notamment, et peuvent nous fournir des idées.

 

Les différents moyens de réconciliation

À les en croire, la première condition à obtenir est la suppression des barrières légales qui empêchent les peuples de s’unir d’eux-mêmes.

En Irlande, il fut un temps interdit à tout Anglais d’adopter le costume et jusqu’à la moustache irlandaise, de même que d’épouser une Irlandaise catholique. Un catholique ne pouvait occuper un emploi public, ni acquérir une propriété. Des barrières douanières s’assuraient que l’industrie textile irlandaise ne prospérait pas (Gustave de Beaumont, De l’Irlande, 1863, t. I, p. 43, 99, 111.). Il fallait donc, en priorité, obtenir l’abolition de ces lois.

La pratique stricte de la justice est, elle, essentiellement pacificatrice.

Aux États-Unis, écrit Charles Comte, ce n’est pas l’oubli de l’histoire, l’abolition des couleurs et des races, qu’il faut ambitionner, mais l’installation d’une justice impartiale et de l’égalité réelle devant la loi.

« Il faut faire, autant que cela se peut, que tous les hommes jouissent d’une protection égale ; il faut que les mêmes qualités ou les mêmes services obtiennent les mêmes récompenses, et que les mêmes vices ou les mêmes crimes soient suivis de peines semblables. » (Traité de législation, 1827, t. IV, p. 496).

L’orgueil de race, cependant, est lent à mourir. Pour le vaincre, il n’est peut-être guère d’autre recours que la liberté des mariages.

À son retour d’Amérique, Gustave de Beaumont soutient que « les mariages communs sont à coup sûr le meilleur, sinon l’unique moyen de fusion entre la race blanche et la race noire » (Marie ou de l’esclavage aux États-Unis, 1835, t. II, p. 317). Mais il faut pour cela vaincre à la fois l’opinion, qui réprouve ces unions, et la loi, qui parfois les interdit ou les déclare nulles.

La mobilisation de l’opinion publique contre les haines nationales, raciales, religieuses, est fortement appuyée par Frédéric Bastiat dans sa défense de la liberté des échanges. Ce sont pour lui des sentiments « pervers » et « absurdes », qu’il est plus encore utile d’éradiquer que le protectionnisme lui-même (Œuvres complètes, t. VI, p. 382 ; t. I, p. 167). Les deux maux se tiennent cependant : le libre-échange est pacificateur et unificateur de son essence, car il fait de l’étranger un ami (Idem, t. II, p. 271).

 

Ne pas céder au découragement

Les haines nationales, religieuses, raciales, paraissent toujours insurmontables aux générations qui les constatent et les combattent. Mais aussi elles meurent, ou faiblissent. L’Anglais et l’Irlandais ne forment pas une union fraternelle, mais le temps n’est plus où le premier enfermait des prisonniers dans des cavernes et y mettait le feu pour les enfumer, où l’autre exprimait sa vengeance en organisant le rapt et le viol des femmes ou des filles des propriétaires anglais qu’il voulait punir. De même la cohabitation des Noirs et des Blancs aux États-Unis a progressé.

Le libéralisme est porteur d’un idéal dont l’application est difficile, les victoires lentes et jamais acquises. Ce n’est pas un motif pour se décourager, mais pour œuvrer à un progrès qu’à peine peut-être nous entreverrons. La liberté, disait Édouard Laboulaye, est une œuvre qui ressemble à ces cathédrales qu’élevait le Moyen Âge : ceux qui les commençaient n’ignoraient pas qu’ils n’en verraient pas la fin. Ou, pour reprendre une autre image, empruntée à Edmond About, nous faisons la cuisine de l’avenir. Nous vidons les poulets et nous tournons la broche, pour que nos arrière-neveux n’aient plus qu’à se mettre à table et à dîner en joie.

À ce titre, combattre les haines nationales, raciales et religieuses, et accompagner les réconciliations, est une œuvre de la plus grande utilité.

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  • Bravo ! Ça recoupe d’ailleurs en partie un autre article d’aujourd’hui, celui sur l’associé de Warren Buffet. Les acteurs et réacteurs. des communautarismes multiplient les obstacles aux solutions et exacerbent les comportements

    -2
  • Bel article qui va je l’espère donner de la perspective.

    -2
  • Si les peuples ne s’aiment pas entre eux, c’est uniquement à cause de leurs politiciens. Beaucoup, pour rester au pouvoir, sont prêts à tout, y compris à pousser leurs peuples à la guerre. Pour exister, les islamistes radicaux prônent la guerre sainte ; Poutine combat les fascistes ukrainiens ; Bush, en son temps, combattait les armes de destruction massive irakiennes. Et ne parlons pas de toutes les guerres de l’histoire qui répondent à cette logique. Ou aux interventions de tribuns qui rejettent leurs incompétences en fustigeant les autres.
    Je suis personnellement convaincu que le racisme n’existe pas. Le tourisme est la preuve que les gens sont ouverts à la découverte d’autres cultures.

  • Woody Allen aussi professait :
    – Un jour le loup et l’agneau dormiront côte à côte…
    Il ajoutait aussitôt :
    – mais l’agneau ne dormira pas beaucoup.
    Le libéralisme ? Il est légitime de craindre qu’il n’amende pas plus l’islam radical que l’eau qui coule sur les plumes d’un canard.
    Plutôt qu’un irénisme mortifère, nous aurions du méditer, depuis longtemps – au moins les années 70 – Sun Tzu :
    – Celui qui excelle à résoudre les difficultés les résout avant qu’elles ne surgissent. Celui qui excelle à vaincre ses ennemis triomphe avant que les menaces de ceux-ci ne se concrétisent.
    Voilà.
    Maintenant.
    Nous aurions bien le temps de penser à la paix quand nous aurons gagné la guerre.

    • L’agneau peut il espérer gagner la guerre contre le loup ?

      • Peut-être en faisant des exercices de muscu matin et soir. Ou en apprenant à poser des pièges. Certainement pas en écoutant ceux qui veulent résoudre le problème par la coexistence gueule de loup — côte d’agneau.

  • « de ces siamois politiques, qui sont forcés de vivre une cohabitation que souvent ils ne désirent pas. » : justement non c’est rigoureusement l’inverse, le territoire et la frontière sont l’inverse de la cohabitation forcée : c’est la limite que le voisin ne doit pas franchir et qui délimite le chez lui du chez moi . Cet article est une fois de plus un podium au championnat du sophisme . Les guerres sont la conséquences de ces transgressions , ou du désaccord sur les frontières . La paix arrive quant un accord bilatéral est finalement accepté . Vous citez le cas de Taiwan , vous noterez que la Chine n’a jamais accepté l’indépendance de cet Etat et que la paix ne perdure que grâce au soutien militaire indéfectible américain , vous noterez aussi que la sortie de l Angleterre de UE et les questions soulevées pour le quid des frontières irlandaises ont donné des sueurs froides à plus d’un, vous aurez également remarqué que la guerre entre Israel et ses bouillants voisins sont liés à la non reconnaissance de l Etat d Israel . Il ne s’agit pas ici ni d’orgueil ni de race mais bien de vie ou de mort, que croyez vous qu’il arrivera si la Chine envahit Taiwan , ou si le Hamas ou autres entités prenaient le contrôle d Israel ? Une douce cohabitation ? Qu’est il arrivé aux pieds noirs et aux Harkis ? Aux indiens des Amériques à l’arrivée des européens ?

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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