Israël-Palestine : l’évolution sinistrogyre de l’antisémitisme français

Pour comprendre l’augmentation spectaculaire des actes antisémites en France depuis l’attaque terroriste du Hamas en Israël le 7 octobre 2023, il est utile de se plonger dans l’histoire et l’évolution de l’antisémitisme.

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Source : Noah Holm sur Unsplash

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Israël-Palestine : l’évolution sinistrogyre de l’antisémitisme français

Publié le 6 novembre 2023
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Depuis les attaques du Hamas à l’encontre d’Israël le 7 octobre dernier, le nombre d’actes antisémites a explosé dans l’Hexagone. Lundi, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a évoqué le nombre de 857 actes depuis bientôt un mois, soit presque davantage que sur la totalité de l’année 2022.

C’est dans ce contexte particulièrement tendu que le lundi 23 octobre dernier, à l’occasion de son passage à l’émission « Les 4 Vérités » de France 2, le porte-parole du gouvernement Olivier Veran a comparé l’antisémitisme de LFI et celui du RN, accusant les deux formations d’hémiplégie dans leur dénonciation respective de la haine des Juifs sans mener leur propre aggiornamento.

C’est l’occasion de s’interroger sur la nature de ces deux formes d’antisémitisme et sur leur articulation avec l’antisémitisme islamiste.

 

Les origines de la notion d’antisémitisme

Étymologiquement, l’antisémitisme est la haine des Sémites, descendants de Sem, un des trois fils de Noé, situés dans la péninsule arabique et une partie de la Corne africaine où se trouvent aujourd’hui les Falashas, Juifs d’Éthiopie.

Ce n’est qu’au XIXe siècle que le journaliste allemand anarchiste Wilhelm Marr crée le terme d’antisémitisme afin de donner un aspect scientifique à la judéophobie, terme utilisé jusqu’alors. Cet antisémitisme était déjà fondé sur des considérations sociales.

L’antisémitisme a su évoluer pour correspondre aux caractéristiques du stéréotype du moment.

« Le » Juif est ainsi à la fois perçu comme un déicide, un cosmopolite, un capitaliste cupide et, depuis 1948, un colonisateur. Chacun de ces quatre aspects correspond à une forme d’antisémitisme.

 

L’antisémitisme chrétien : un Juif déicide

L’idée du Juif déicide remonte au IIe siècle, lorsque certains théologiens catholiques ont émis l’idée que le peuple juif serait responsable de la mort du Christ.

Si elle survit dans certaines franges intégristes, la théorie du peuple déicide est aujourd’hui anecdotique.

 

L’antisémitisme de droite : un Juif cosmopolite

L’antisémitisme de droite, de son côté, se fonde sur l’aspect cosmopolite du Juif fantasmé. Ce dernier met en péril la pureté de la nation, aussi bien sur le plan culturel qu’ethnique. C’est cette vision qui fonde les doctrines antisémites de l’extrême droite française et allemande, respectivement fondées sur l’idée des Juifs comme nation ou comme race.

Cet aspect se mélange à l’antisémitisme de gauche dans la rhétorique négationniste selon laquelle la Shoah aurait été « inventée » pour « faire de l’argent » sur la culpabilité des nations occidentales[i].

 

L’antisémitisme de gauche : un Juif capitaliste puis colonisateur

À gauche, l’antisémitisme se fonde donc principalement sur des aspects économiques. Comme l’a rappelé Hannah Arendt en 1973, la gauche était antisémite jusqu’à Dreyfus[ii], moment où l’hostilité envers les Juifs de la droite catholique l’a poussé à devenir philosémite par esprit de contradiction.

Cet antisémitisme est une hostilité contre les Juifs, décrits comme banquiers ou plus généralement capitalistes. On retrouve cette idée chez Proudhon, pour qui le Juif « est l’ennemi du genre humain », qu’il faudrait expulser, voire « exterminer ».

Avec l’émergence du conflit israélo-palestinien, l’antisémitisme de gauche s’est mêlé à des considérations altermondialistes, opposées à la domination du modèle occidental, dont l’État d’Israël serait une colonie.

L’idée du Juif capitaliste s’est transformée en celle du Juif colonisateur, toujours dans la même logique, teintée de marxisme, d’opposition entre oppresseur et oppressé. Qu’il soit capitaliste ou colonisateur, le Juif est un oppresseur, hier de l’ouvrier français, aujourd’hui du peuple palestinien.

Cette mutation a été documentée dès 2006 par l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC), qui constatait alors que les auteurs d’actes antisémites en Europe étaient de moins en moins d’extrême droite et de plus en plus issus culturellement du monde musulman.

 

Le difficile positionnement de l’islamisme

Demandez à quelqu’un de droite de positionner l’islamisme, il dira qu’il est de gauche. Posez la même question à quelqu’un de gauche, il vous dira que l’islamisme n’existe pas, et qu’il s’agit d’un simple mouvement de résistance.

Derrière la boutade, si l’imaginaire collectif tend à l’associer à la famille de pensée qui l’a le plus favorisé électoralement, la face extrémiste et politique de la deuxième religion de France recouvre davantage d’aspects d’extrême droite que d’extrême gauche : théocratique, homophobe, réactionnaire et autoritaire.

En face, la lutte contre l’oppression et l’impérialisme occidental lui attirera la sympathie des mouvements marxistes et altermondialistes. Une sympathie qui sera au cœur de l’émergence de la pensée islamogauchiste théorisée par Pierre-André Taguieff lors de la seconde intifada.

 

L’antisémitisme islamiste : une forme hybride

Seulement, ce positionnement ne préjuge absolument pas de la nature de l’antisémitisme islamiste, qui dispose aussi bien de traits racistes issus de certaines interprétations du Coran ou d’influences occidentales, que de traits purement marxistes et anticoloniaux.

Les seconds sont généralement les portes d’entrée « acceptables » vers les premiers, avec un accent sur l’aspect humanitaire lié aux victimes civiles palestiniennes.

 

Une caricature qui ne repose sur rien

L’antisémitisme a su évoluer avec son époque et les caractéristiques qu’il cherchait à donner à la communauté juive. Ces caractéristiques ne reposent toutefois sur aucune réalité.

La théorie du peuple déicide a été démentie par le concile de Trente en 1566. Si la communauté juive est une diaspora depuis le Ier siècle, ses membres ne sont pas plus aisés, malgré des études plus longues que le reste de la population.

Quant au mythe du Juif colonisateur, selon que l’on prenne une définition religieuse ou ethnique, entre six et sept et Juifs sur dix vivent ailleurs qu’en Israël.

 

L’antisémitisme est aujourd’hui de gauche

Longtemps associé à l’extrême droite, l’antisémitisme se trouve aujourd’hui principalement à l’extrême gauche.

En effet, depuis 2010, la dédiabolisation du FN / RN a amené Marine Le Pen à s’éloigner des thèses antisémites, notamment en reconnaissant la Shoah comme un acte abominable, et en excluant systématiquement les éléments les plus radicaux, jusqu’à son propre père et fondateur du parti.

De son côté, LFI semble avoir fait la démarche inverse, sans doute pour ne pas s’attirer l’animosité d’une part importante de son électorat.

En 2018, lors de la marche blanche en l’honneur de Mireille Knoll, Jean-Luc Mélenchon et des élus LFI ont ainsi été sifflés, les contraignant à fuir la manifestation, après que le président du CRIF leur a demandé de ne pas s’y rendre.

Outre les polémiques régulières de certains membres du parti, l’année suivante, une étude a révélé que les préjugés antisémites étaient autant partagés au RN qu’à LFI. L’étude montrait également une corrélation importante entre antisionisme et préjugés antisémites, confirmant la nature de l’antisémitisme actuel.

[i] Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire : « Un Eichmann de papier » et autres essais sur le révisionnisme, Paris, La Découverte, coll. « La Découverte Poche/Essais » (n° 201), mai 2005, 238 p.

[ii]  Hannah Arendt, Sur l’antisémitisme, Seuil, 1984.

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  • Donc l’antisméitisme existe depuis longtemps, ce qui prouve que la haine ou l’antisméitisme individuel n’est pas le problème, le problème est le passage à l’acte criminel.

    Et j’ai toujours tendance à penser que les lois qui condamnent l’antismétisme ont un effet néfaste, un peu atténué par les lois contre l’islamophobie dans le cas d’espèce…ON voit même se jouer un pathétique concours de victimisation..

    • Certes.
      Mais on ne peut ignorer que
      « Tout discours est vain s’il n’incite à l’action » (Démosthène).
      Et qu’il y a bon nombre de gens qui n’aiment pas parler pour ne rien dire…

    • Bien d’accord, surtout qu’ici la moindre critique fait de toi un antisémite ou un islamophobe. Je suis pas très Melenchon mais j’ai pris 10 minutes pour entendre son analyse (là où beaucoup commentent des tweets), elle n’a rien d’antisémite, elle est juste critique et très proche du gaullisme historique.

      • Les affirmations de de Gaulle sur les Juifs ne sont pas de celles qui ont été les mieux inspirées.
        Voir à ce sujet la tribune de Raymond Aron « De Gaulle, Israël et les Juifs ».
        Qu’un Mélenchon les reprennent 50 ans plus tard donnent encore plus de poids aux réflexions de Raymond Aron.

      • Donc les souverainistes sont proches de melenchon qui est un gaulliste
        La vérité révélée des populistes………

  • Incroyable cette malédiction subie par ces personnes . On notera qu il s’agit bien d’antisémitisme et non de problème de religion. Car aujourd’hui comme hier , les tueurs se fichent comme d’une guigne de savoir si l’individu tué pratique sa religion ou non , c’est bien la race, la communauté qui visées et rien d’autre. Pour moi l’antisémitisme relève de médiocrité d’ individus , lesquels cherchent un bouc émissaire pour se défouler de leur inanité .

  • Le terme qui s’approche le plus de « islamisme » est « fasc.sme ».
    Avec option « naz.sme » pour les pogroms, le fasc.sme historique n’étant pas spécifiquement virulent contre les Ju.fs.

  • Bien souvent, au moyen age, les prêteurs des états étaient des banquiers juifs. Et lorsque l’état ne pouvait plus rembourser, c’était la faute du juif prêteur qui n’avait plus qu’à s’exiler ou croupir en prison. Bien sûr, avant cette faillite, L’État prenait bien soin de conditionner sa population à la culpabilité du prêteur (bientôt notre état fera pareille mais qui sera son bouc émissaire cette fois ?).
    L’islam ne tolère aucune autre religion que la sienne. Il suffit pour s’en convaincre de voir à quel pied d’égalité sont traités les sujets non musulmans de ces pays. Et en particulier il est reproché aux juifs de Palestine d’avoir tué le Christ (qui est considéré comme le second prophète de l’islam après Moïse et avant Mahomet) car à cette époque, Juda était juif comme les autres apôtres. L’utilisation de la trahison par Juda est le moyen de justifier la haine des Juifs par la population musulmane qui est éduquée en ce sens dès la plus tendre enfance par le Coran.
    On notera que cette trahison de Juda est aujourd’hui remise en cause : certains pensent que Juda aurait dénoncé Jésus parce que ce dernier le lui aurait demandé afin qu’il puisse mourrir puis ressusciter. Juda était le meilleur ami de Jésus et seul son meilleur ami aurait pu accepter de le dénoncer pour cela, comprenant l’importance de la résurrection.

    • Sur le fait que les juifs étaient prêteurs, et que les plus anciennes banques en activités aujourd’hui ont été fondées par des juifs, il n’est pas nécessaire de chercher la raison bien loin : les chrétiens n’avaient pas le droit de pratiquer l’usure. Les musulmans ne l’ont toujours pas (mais bon, la nature trouve toujours son chemin, donc la finance islamique n’a pas trop de mal à contourner cette petite difficulté). Les juifs seuls pouvaient le faire, certains ne s’en sont pas privé.

      Sur Judas, pour moi c’est du même niveau que le coup de mettre un arbre au milieu du jardin en disant aux personnes qui vivent dans le jardin : « surtout, vous n’y touchez pas, d’accord ? ». Je veux dire qu’à lire les évangiles canoniques, Jésus était un agitateur, il venait de faire une entrée triomphale à Jérusalem, il avait chassé les marchands du Temple, il avait une vie publique depuis 3 ans et était suivi par bon nombre de disciples. Et ses ennemis auraient eu besoin qu’un de ses proches viennent leur montrer qui il est ? Et si vraiment, ils ne savaient pas qui il était, ils n’auraient pas pu prendre tout le monde ?
      Bref, indépendamment du fait que Judas était ou non complice de Jésus, cette histoire de « trahison » n’a à la base juste pas de sens.

  • Le problème est d’abord et avant tout chez les partis de gouvernement, grandes gueules et petits bras, qui n’ont pas cessé de dénoncer l’antisémitisme tout en le laissant s’installer aux frais de la république dans les logements sociaux payés par le contribuable et même se sont bien gardés de rappeler dans l’éducation nationale ce qui s’était passé dans les années 40.

  • Une définition « ethnique » du peuple juif ? Vraiment ?

    • L’auteur dit : « Étymologiquement, l’antisémitisme est la haine des Sémites, descendants de Sem, un des trois fils de Noé, situés dans la péninsule arabique et une partie de la Corne africaine où se trouvent aujourd’hui les Falashas, Juifs d’Éthiopie ».
      S’il existe bien des langues sémitiques comme l’arabe (360 millions de locuteurs), l’amharique (90 millions), l’hébreu (8 millions), le maltais (400 000), il n’existe pas de peuple sémite.
      Assimiler langue et peuple est une tendance qui a eu cours chez certains universitaires allemands à la fin du 19ème siècle, malgré le contre-exemple tout proche des Suisses.
      Plus récemment, elle a permis à l’Allemagne de considérer les Allemands de la Volga (originaires de l’ex-URSS) comme pouvant revendiquer la citoyenneté allemande.
      Cependant, elle ne repose sur aucune base scientifique et est contraire à la notion de peuple telle que nous la considérons depuis Renan.

  • L’auteur dit : « Quant au mythe du Juif colonisateur, … entre six et sept et Juifs sur dix vivent ailleurs qu’en Israël. »
    Attention à cette affirmation ! Elle peut sous-entendre que les Juifs vivant en Israël, pourraient, eux être par nature des « colonisateurs ».
    A ce sujet, il faut savoir qu’Israël compte environ 9 millions d’habitants dont 7 millions de Juifs. Or, il y n’a que 4 à 500 000 Israéliens qui vivent dans les implantations en Cisjordanie, ceux qui vivaient dans la bande de Gaza ayant été expulsés par Ariel Sharon il y a déjà 18 ans.
    Par ailleurs, la politique actuelle d’implantation en Cisjordanie est critiquée par une forte partie de la population israélienne, le gouvernement actuel n’ayant pu constituer une majorité que par une alliance aves les petits partis extrémistes, très visibles mais en aucun cas majoritaires. Je ne vous explique pas les dégâts de la proportionnelle intégrale…

  • Globalement, un bon article, mais avec des justifications quelques fois superflues
    L’auteur dit :  » …ses membres (de la communauté juive) ne sont pas plus aisés, malgré des études plus longues que le reste de la population. »
    Cette étude a peut-être raison, je ne sais pas. Mais faut-il se justifier d’être « plus riche que le reste de la population » quand on écrit dans un site libéral ?

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