Pourquoi, au XIXe siècle, les libéraux classiques français étaient-ils opposés à l’avortement ?

Aujourd’hui, les libéraux sont, dans leur grande majorité, favorables au droit à l’avortement au nom du droit des individus à disposer librement de leur corps. Mais cela n’a pas toujours été le cas.

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Pourquoi, au XIXe siècle, les libéraux classiques français étaient-ils opposés à l’avortement ?

Publié le 22 octobre 2023
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Pendant près de trois siècles, la pensée libérale s’est épanouie en France et des auteurs innombrables se sont rendus célèbres par des livres qu’on lit encore, et qui sont traduits à l’étranger.

Aujourd’hui, découvrir leurs opinions sur les sujets les plus brûlants apparaît comme un exercice salutaire. Car ce n’est pas l’archéologie de lieux communs ; c’est le dévoilement du libéralisme pratique, aux différentes sensibilités, dans des conditions historiquement posées.

Ainsi, quand les libéraux classiques français promeuvent l’immigration libre et réclament l’abolition des passeports ; quand les plus radicaux d’entre eux accordent tout de même à l’État une responsabilité pour la protection de l’environnement ; quand Yves Guyot, au milieu de son combat contre l’antisémitisme, critique le projet sioniste, etc., nous sommes forcés de comprendre, de penser.

De même, dans la tradition libérale française l’avortement a eu l’unanimité contre lui. C’est un point d’histoire méconnu, intéressant à élucider.

 

La vie sensible du fœtus

La première explication tient dans l’idée que les libéraux classiques français se faisaient de la vie. Peu d’entre eux possédaient des connaissances approfondies en médecine, et ils étaient comme forcés de faire reposer leur opinion sur l’expertise d’autrui. Cabanis, du mouvement des Idéologues, est l’un des rares médecins de la tradition libérale française. Son ouvrage majeur, Rapports du physique et du moral de l’homme (1803), est bien connu des auteurs libéraux français du XIXe siècle ; Gustave de Molinari, par exemple, le cite fréquemment. (Œuvres complètes, t. V, p. 156, t. VII, p. 214, t. XI, p. 224)

Or, Cabanis explique que chez le fœtus, dont la constitution est à peine ébauchée, l’organe cérébral est déjà en état de fonctionnement, et qu’en effectuant des mouvements qui rencontrent une résistance dans le ventre de la mère, il accumule déjà des perceptions et des sensations. (Rapports du physique et du moral de l’homme, 1802, t. II, p. 430-431 ; Œuvres complètes, 1823, t. IV, p. 295-296. — C. Jolly, Cabanis, p. 112). C’est pour lui une démonstration importante à faire, car l’origine des idées est au cœur du projet intellectuel des Idéologues.

Dans cette perspective alors, la conclusion est forcée : l’avortement brise une existence sensible et réelle, et doit donc être compté au nombre des crimes.

 

L’avortement, un crime pas assez réprimé

C’est aussi ce que considère le législateur du XIXe siècle. Cependant, les statistiques officielles font état de poursuites extrêmement rares.

En Belgique, rapporte Gustave de Molinari, les opérations de la police judiciaire et de la justice criminelle dans la période de 1840-1849 ne font état que de 33 avortements. (L’Économiste Belge, 5 juin 1855.) En France, Paul Leroy-Beaulieu se désole aussi de ne lire que 27 avortements par année, dans la statistique dont il rend compte en 1878. (Journal des Débats, 19 décembre 1878) L’un et l’autre sont d’accord pour dire que le crime d’avortement est facile à cacher.

Vers la fin du XIXe siècle cependant, l’effondrement de la natalité française fait prendre plus au sérieux ce crime plus ou moins silencieux.

« Aujourd’hui, l’on peut considérer que l’impunité, sauf malchance exceptionnelle, est assurée aux avortements », écrit Paul Leroy-Beaulieu en 1913. « On fait 20 à 30 poursuites par année, quand les avortements sont évalués par des médecins sérieux à une centaine de mille et, sur ces deux ou trois dizaines de poursuites, c’est à peine si la moitié aboutit à une répression, les jurys ayant l’habitude d’acquitter ce genre de crimes. » (La question de la population, 1913, p. 441)

Leroy-Beaulieu, au contraire, plaide pour une sévérité accrue, réelle, assumée :

« Il est indispensable, pour l’honneur de la société moderne et le salut de la France, de châtier méthodiquement et efficacement l’avortement au moins autant qu’on châtie soit le vol, soit les coups et blessures… Si au lieu de 20 à 30 poursuites pour avortement devant des jurys bassement complaisants, il y avait un millier ou quelques centaines de poursuites chaque année, au titre de délits, devant les tribunaux correctionnels et que des peines à trois, quatre ou cinq ans d’emprisonnement, ainsi que de fortes amendes, fussent régulièrement infligées non seulement aux ‘faiseuses d’anges’, mais aussi aux mères naturelles ou légitimes que l’on considère comme leurs victimes, on peut être certain que le nombre des avortements diminuerait rapidement de moitié et ultérieurement des trois quarts sinon davantage. » (Ibid, p. 442)

De même, il entendait criminaliser la propagande en faveur de l’avortement, qui s’était donné libre cours et qui s’étalait complaisamment dans les journaux, sous la forme de conseils ou d’annonces pour des objets anticonceptionnels. « Ces annonces doivent être interdites et châtiées de fortes peines pécuniaires et corporelles. » (Idem, p. 441) La loi du 31 juillet 1920 le fera d’ailleurs.

En ce début de XXe siècle, Paul Leroy-Beaulieu traitait du sujet sur fond de tensions géopolitiques et de craintes pour l’avenir de la population française, qu’il savait stagnante, et qu’il entrevoyait bientôt faiblissante, et peut-être remplacée par une immigration qui provoquerait une dénationalisation progressive (voir son chapitre du même livre, sur « la question des étrangers résidant et l’éventualité de la dénationalisation de la France ».) Établissant le constat que l’avortement et l’emploi de préservatifs étaient en train de conquérir la France et s’imposaient dans les campagnes, après avoir déjà accompli la conquête des villes, il était presque naturel, compte tenu de ses craintes, qu’il cherchât des solutions fermes du côté de la correctionnalisation, qu’il demandât de tenir ouvert les yeux des magistrats sur les agissements des sages-femmes, et qu’il prononçât des peines lourdes contre les mères avorteuses.

 

La question de la recherche de la paternité

La réponse courante et traditionnelle du libéralisme français n’était pourtant pas tout à fait celle-ci. Avant que le péril de la natalité décroissante ne vienne compliquer les débats, les libéraux avaient surtout signalé et blâmé le déséquilibre des lois, dont la sévérité était accablante pour les femmes, et presque insensible pour les hommes.

Leroy-Beaulieu lui-même, en 1878, publiait une longue plainte contre cette injustice, et demandait l’abrogation pure et simple de l’article 340 du Code pénal, qui interdisait absolument la recherche de la paternité, sauf le cas de rapt par violence (Journal des débats, 19 décembre 1878).

Cette mesure, dite de la « recherche de la paternité », et qui n’est autre chose que l’exercice forcé de la responsabilité individuelle, était défendue également avec chaleur par Frédéric Passy (Société d’économie politique, réunion du 5 octobre 1877) et Gustave de Molinari (« La recherche de la paternité », Revue des Deux-Mondes, 1875).

Frédéric Passy et Yves Guyot demandèrent aussi expressément une modification de l’article 1133 du Code civil, de manière que, sous prétexte « de bonnes mœurs », la loi n’annule plus les engagements contractés par l’homme envers la femme, par exemple lorsqu’il promettrait leur mariage ultérieur, avant qu’elle ne se donne. Ils ajoutaient ainsi, à la recherche ultérieure de la paternité, la sécurité d’une reconnaissance ou d’une constatation préalable. (Société d’économie politique, réunion du 5 octobre 1877 ; idem, du 5 décembre 1882.)

Dans l’esprit de tous ces auteurs, il s’agissait tout simplement de faire assumer à chaque individu, au sein d’une société libre, la responsabilité de ses actes. Ces justes dispositions devaient fournir un frein aux avortements, de même qu’aux infanticides et aux abandons d’enfants. Mais quant aux cas qui surviendraient, une fois les réformes faites, ils ne se mettaient pas en peine de les nommer des crimes.

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  • Que de progrès chez les libéraux ! Non seulement ils sont pour l’avortement avec un délai allongé à 14 semaines, mais ils sont aussi pour la PMA et la GPA au nom du droit de chacun à disposer de son corps.
    Pourtant disposer de son propre corps ne signifie pas disposer de la vie ou de la mort de l’enfant à naitre.
    Il n’y a pas de liberté sans responsabilité : choisir de mettre un enfant au monde ou de l’empêcher de venir au monde est un acte grave qui ne peut se réduire à une conception excessive de la liberté individuelle.

  • Eliminer un foetus, c’est éliminer un enfant en devenir car pas de foetus, pas d’enfant, jusqu’à preuve du contraire. Est il légal de tuer un enfant: non, donc acte
    Le droit à l’avortement ne peut être une victoire de la femme, mais une défaite, car elle n’est pas capable de maîtriser son corps, ses pulsions, sa connaissance de sa physiologie. La femme est l’égale de l’homme ,elle est capable d’intelligence et de connaître les fonctions de son corps. L’application de la loi Weill, rien que sa loi, toute sa loi, sans modification.

    •  » un enfant en devenir « … et vous faites sun distinguo entre fÅ“tus et enfant..

      oui il existe un moment…. ou c’est un enfant et non un fÅ“tus , dans le ventre de la mère..

      • Dès qu’il y a une nouvelle vie dans le « ventre de sa mère », il s’agit d’un autre corps que le sien propre. On ne peut donc pas utiliser l’argutie consistant à dire « droit de faire ce qu’on veut de son corps ». Ce sophisme est utilisé pourtant ; il faut avoir le courage de dire que si la loi permet l’avortement, cela renvoie la responsabilité de la société à chacun et chacune. L’homme mâle est aussi concerné et souvent se défile. Pour moi, généticien, dès qu’une nouvelle vie génétique est mise en place, elle doit être respectée. Si elle ne l’est pas, il faut assumer sa faute. L’allongement du délai à quatorze semaines ne change qu’une chose : rendre l’image de moins en moins soutenable, mais l’acte reste le même quelque soit le stade.

        • Entièrement d’accord avec vous quant à la responsabilité du mâle qui souvent se défile.
          Quand on n’est pas certain de ce qu’on fait de sa semence, on prend ses précautions.
          Comme disait Camus : « un homme ça s’empêche »

        • c’est votre opinion pas l le mien un amas cellulaire n’est pas un être humain.. c’est certes vivant mais pas un être.. .

          faire ce qu’on vet de son corps va de soi…
          mais la question n’est pas celle là..
          une vie??? certes…la belle affaire.. la question est de savoir si on a un être humain…

          si une personne a le cerveau HS.. c’est une vie…

  • Il aurait été intéressant d’avoir l’avis d’une femme libérale de ces temps anciens.
    La responsabilité, c’est bien.
    Ne pas décider à la place d’autrui, c’est mieux.

  • Dans la période qui a précédé l’adoption de la loi Veil, les pro-libéralisation de l’IVG présentaient la loi du 31 juillet 1920 évoquée dans le billet comme l’alpha et l’oméga de la répression. En fait, cette dernière était inscrite dans le Code pénal de 1815. C’était l’époque des guerres napoléoniennes qui dépeuplaient la France par l’éloignement de leurs foyers d’un grand nombre d’hommes en âge de procréer.
    La loi de 1920 avait pour intitulé « Loi réprimant la provocation à l’avortement et la propagande anticonceptionnelle. ». 1920, c’est le lendemain de la Grande guerre qui s’est traduite elle aussi par des « classes creuses », comme disent les démographes, pour chaque année de la guerre, pour les mêmes raisons que les guerres napoléoniennes.
    Dans ces deux cas, les législateurs ont estimé que l’intérêt général prévalait sur celui des femmes.

    • « Dans ces deux cas, les législateurs ont estimé que l’intérêt général prévalait sur celui des femmes. »
      D’autant plus facile que c’était des hommes…

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