La politique fiscale d’Emmanuel Macron : des baisses contrebalancées par des hausses

Macron présente une France allégée de ses charges fiscales. Cependant, un examen minutieux indique une augmentation masquée des recettes publiques.

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La politique fiscale d’Emmanuel Macron : des baisses contrebalancées par des hausses

Publié le 12 octobre 2023
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Par Victor Fouquet.
Un article de l’IREF.

Lors de son interview télévisée du 24 septembre, Emmanuel Macron a revendiqué une baisse des impôts (hors, donc, cotisations sociales), « de plus de 60 milliards d’euros pour nos compatriotes ».

Un mois plus tôt, dans un entretien au journal Le Point, le président de la République avait avancé le chiffre de 50 milliards (« Nous avons opéré une baisse de 50 milliards d’euros d’impôts, moitié pour les ménages et moitié pour les entreprises »).

Pourtant, depuis son arrivée au pouvoir, les prélèvements obligatoires ont fortement progressé : 1196,9 milliards en 2022, contre 1036,9 milliards en 2017, soit une augmentation de 160 milliards. De même, le taux de prélèvements obligatoires est passé de 45,1 % en 2017 à 45,4 % du PIB en 2022, soit une augmentation de 0,3 point de PIB.

Les prélèvements obligatoires ont-ils baissé, ainsi que l’affirme le chef de l’État, ou augmenté, ainsi que le suggèrent les ratios publiés par l’Insee ?

En la matière, toute la difficulté vient du fait que, même en l’absence de mesures nouvelles prévues sur les prélèvements obligatoires, ceux-ci évoluent en fonction de la croissance du PIB et de l’élasticité des recettes fiscales au PIB, elle-même fortement dépendante de la croissance de ce même PIB.

Autrement dit, même en l’absence de mesures nouvelles adoptées par le Parlement à l’initiative d’Emmanuel Macron, le taux de prélèvements obligatoires aurait spontanément fluctué, même légèrement.

 

Sur longue période, les prélèvements obligatoires « spontanés » tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB

Sur longue période, les prélèvements obligatoires « spontanés » tendent à augmenter à la même vitesse que le PIB. Leur élasticité au PIB est alors égale à 1.

En revanche, il arrive fréquemment à court terme que cette élasticité s’éloigne de l’unité.

Lorsque l’élasticité au PIB est supérieure à 1 (en général quand la croissance du PIB est forte), les prélèvements obligatoires augmentent ainsi plus rapidement que le PIB.

En 2018 et 2019, Emmanuel Macron a ainsi « profité » du dynamisme anormalement élevé des prélèvements obligatoires, avec une élasticité de 1,2 générant « spontanément » plusieurs milliards d’euros de recettes fiscales.

L’évolution spontanée entre 2017 et 2018 des recettes fiscales nettes (c’est-à-dire hors mesures nouvelles décidées par Emmanuel Macron dans le cadre du PLF 2018, qui fut son premier) a ainsi été supérieure à 16 milliards d’euros.

 

Répondre par oui ou non à la question posée est donc difficile à plusieurs titres

Tout d’abord, la composition des assiettes taxables se modifie dans le temps, notamment à la suite de la variation de taux, de sorte que les comparaisons d’une période à l’autre de données globales ou même impôt par impôt sont peu pertinentes.

Par exemple, la variation des revenus et la croissance de la masse salariale a nécessairement eu un effet sur les recettes engendrées au titre de l’impôt sur le revenu.

En l’espèce, le gouvernement a bel et bien créé en 2018 le prélèvement forfaitaire unique (PFU ou flat tax), c’est-à-dire mis en place un prélèvement proportionnel plafonné à 30 % (dont 12,8 % au titre de l’impôt sur le revenu, contre possiblement 45 %), et abaissé en 2020 de 14 % à 11 % le taux marginal de la deuxième tranche d’imposition.

Les recettes de l’impôt sur le revenu ont malgré tout augmenté. Une partie de la baisse prévue au titre du PFU a été compensée par une augmentation des dividendes versés (ici, le taux a baissé, mais l’assiette imposable a gonflé…).

Outre l’augmentation de la masse salariale, ont aussi joué en faveur d’un accroissement des recettes d’impôt sur le revenu la mise en place du prélèvement à la source (meilleur recouvrement de l’impôt) et l’inflation.

Bref, le dynamisme des prélèvements obligatoires ne tient pas nécessairement à des décisions d’augmentations des impôts, mais peut s’expliquer par leur forte élasticité au PIB, une forte réactivité des agents économiques à l’impôt, et une forte inflation.

 

Le président Macron communique sur les baisses en omettant, semble-t-il, de mentionner les hausses…

Ensuite, la baisse de certains impôts peut avoir pour effet d’élargir l’assiette d’autres impôts, ainsi augmentés à la suite d’une baisse décidée sur un autre impôt.

Par exemple, en 2019, les allègements de cotisations sociales ont renforcé les bénéfices des entreprises, donc élargi l’assiette de l’impôt sur les sociétés dont le rendement a augmenté de 5,6 milliards d’euros. De même, le chiffrage à 20 milliards sur deux ans de la baisse des impôts de production annoncé par le gouvernement n’a pas tenu compte de l’effet retour de la mesure sur les recettes de l’impôt sur les sociétés, ce qui en a réduit l’impact à hauteur de 2,8 milliards. Idem avec l’effet retour du bouclier tarifaire, là encore sur les recettes de l’impôt sur les sociétés (+ 0,7 milliard en 2022).

Enfin, plusieurs questions demeurent sans réponses à la seule lecture de la déclaration du chef de l’État.

Dans le montant de 60 milliards annoncé, Emmanuel Macron tient-il compte des mesures antérieures non reconduites par son exécutif ?

En 2018, la non-reconduction des contributions exceptionnelle et additionnelle sur l’impôt sur les sociétés de 2017, et la montée en charge du CICE ont par exemple fait baisser les prélèvements obligatoires de 8,5 milliards d’euros.

De même, tient-il compte des 6,1 milliards liés en 2024 à l’indexation du barème de l’impôt sur le revenu sur l’inflation, sur laquelle le gouvernement communique ces derniers jours au nom de la « protection du pouvoir d’achat », laissant à penser que cette indexation est « exceptionnelle », alors que le barème progressif de l’impôt sur le revenu est, sauf exceptions (le barème n’a été gelé qu’en 2011 et 2012), indexé chaque année.

Inversement, et par cohérence, du côté des hausses de prélèvements obligatoires, tient-il compte de la non-indexation des barèmes progressifs de l’IFI et des droits de succession et de donation, qui accroît subrepticement les recettes fiscales de ces deux impôts ?

Faut-il tenir compte de la diminution des recettes des taxes sur l’énergie, la TICFE/CSPE (-7,3 milliards en 2022 au titre de la CSPE), liée au bouclier tarifaire, et, dans le sens de l’augmentation des prélèvements obligatoires, de la contribution sur la rente inframarginale (+1,2 milliard en 2022 et + 3,7 milliards en 2023), de la contribution exceptionnelle de solidarité des raffineurs (+ 0,2 milliard en 2023, en passe d’être reconduite en 2024), de la taxe sur les services numériques (+ 0,3 milliard en 2019), ou encore de la taxe sur les concessions autoroutières et aéroportuaires (+0,6 milliard attendus en 2024) ?

Si l’on tient compte à la fois de l’évolution des prélèvements obligatoires liée à des mesures nouvelles en lois de finances, et de leur effet sur le solde public, on retrouve bien une baisse de l’ordre de 60 milliards d’euros, à parité entre ménages et entreprises (bien que cette distinction soit peu pertinente compte tenu des phénomènes d’incidence et de répercussion fiscales) :

  • suppression progressive de la taxe d’habitation (18 milliards environ) ;
  • baisse des impôts de production (-10 milliards en 2021, -4 milliards en 2023, -4 milliards entre 2024 et 2027) ;
  • baisse progressive du taux d’impôt sur les sociétés (-1,2 milliard en 2018, -0,8 milliard en 2019, -2,5 milliards en 2020, -3,7 milliards en 2021, et -2,1 milliards en 2022, soit un total de -9,3 milliards, auquel il conviendrait d’ajouter l’effet de la réforme du 5e acompte) ;
  • réforme du barème de l’impôt sur le revenu (-5 milliards  en 2020, auquel il faudrait ajouter l’effet de la défiscalisation des heures supplémentaires) ;
  • création de l’IFI (-3,2 milliards en 2018) ;
  • suppression de la CAP (« redevance télé » -3,2 milliards en 2022) ;
  • instauration du PFU (-1,4 milliard en 2018).

 

Mais, outre les augmentations spontanées, on ne tient là pas compte d’autres hausses de prélèvements obligatoires, liées directement à des mesures prises par l’exécutif.

À titre d’exemple, la fiscalité énergétique et celle du tabac avaient augmenté de 6 milliards d’euros sur la seule année 2018. On pourrait aussi citer la revalorisation par la loi (c’est-à-dire par l’État), chaque année, de l’assiette des taxes foncières.

Bref, le président Macron communique sur les baisses en omettant, semble-t-il, de mentionner les hausses…

Voir sur le web. 

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  • Que penser et que dire, ou plutôt écrire ! Il me semble que tout commentaire est superflu.

  • Macron, l’expert en manipulation et en enfumage, il pourra dire et faire tout ce voudra je ne lui accorde plus aucun crédit, il a détruit tout le bien que je pouvais penser de lui et de ses actions.

    • Ie PR joue comme tous ses prédécesseurs au bonneteau car majoritairement les francais réclament toujours plus d état …….
      Avant de baisser les prélèvements il faut avant tout diminuer la redistribution et donc moins d état……
      Mission impossible dans un pays biberone à la subvention tout azimut……depuis 40 a 50 ans
      Car la gauche comme la droite agite la démagogie a qui mieux mieux….même nos libéraux n y font pas exception

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