Intelligence artificielle : la fin des managers traditionnels ?

Les ‘bullshit jobs’ dans le viseur : l’IA mettra-t-elle fin à la prolifération des postes managériaux ?

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Intelligence artificielle : la fin des managers traditionnels ?

Publié le 2 octobre 2023
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Lors d’une émission de la chaîne économique Xerfi Canal, l’intervenant Olivier Passet opère la démonstration que les bullshit jobs conceptualisés par David Graeber (1961 – 2020) mènent inéxorablement au bullshit management.

Une assertion facilement vérifiable par tout individu qui parcourt les entreprises de services numériques où l’armée de managers qui s’affairent de réunion en réunion devrait pourtant alerter tout dirigeant averti sur la détérioration de valeur inhérente à cette réalité.

Une nécessité de correction d’autant plus pressante que l’arrivée d’une nouvelle génération d’Intelligence Artificielle est susceptible de déclasser singulièrement cette catégorie d’employé qui s’est longtemps considérée comme indispensable à la bonne marche de l’entreprise.

 

Les Premiers seront les Derniers

Par un retournement en cours, les gagnants de la mondialisation depuis 1980 – un cadre salarié néo-citadin ou pavillonnaire exerçant dans le secteur des services, surtout informatiques depuis les années 1990 – deviennent avec l’avènement de la nouvelle génération d’intelligence artificielle les perdants des années 2030.

Définissons celle-ci : emploi de protocoles, de modèles et de programmes afin de répondre à la requête informationnelle d’un opérateur humain ou d’une autre intelligence artificielle.

Les organisations, en recherche permanente d’efficacité et par voie de conséquence de bénéfices, en sont venues à rechercher des spécialistes en gestion de personnel, car tel est le rôle premier du manager : gérer du personnel. Dans sa définition classique, le manager est un responsable d’équipe.

La bascule est arrivée dans les années 1980 avec l’informatique accessible pour la majeure partie des organisations, ce qui a permis d’archiver à plus grande échelle, donc de mieux quantifier, et de calculer davantage de données rapidement et simultanément pour améliorer quantité et qualité. Cette bascule est aussi celle du nombre, les 0 et les 1 envahissant les méthodes de gestion : le chiffre prenait le pas sur la lettre.

Paradoxalement, les chefs d’équipe, ou managers, se sont démultipliés durant cette période. Ils ont été souvent désignés sous le sobriquet de « cols blancs » (relation aux chemises blanches constituant alors le code vestimentaire en vigueur) par opposition aux « cols bleus » (les tuniques de travail des ouvriers) s’affairant sur les chaînes de production d’antan. Comme si l’informatisation avait dopé leur importance et affermi leur rôle, là où paradoxalement il aurait été plus logique qu’elle soit le catalyseur d’un effacement au profit du personnel de terrain et des stratèges, bref la tête et les mains se voyaient affublées d’une excroissance pas toujours compréhensible.

Du secteur primaire au tertiaire, le chef d’équipe n’a pas toujours bonne presse car contrairement au technicien ou à l’ingénieur, il n’a pas besoin d’avoir une connaissance produit pour exercer. Il est placé pour organiser et rationaliser (et même motiver parfois) les forces productives qui récoltent, façonnent ou développent.

Pourtant, lire de nos jours les fiches de recrutement de poste pour ceux-ci force l’incrédulité tant la liste des pré-requis est aussi longue que celle de leurs responsabilités. Omniscient et omniprésent pourraient aisément remplacer toutes ces listes dont la polysémantique alimente la suspicion d’effectivité des postes de managers proposés.

Autre sujet de circonspection, leur prolifération : les chiffres les plus divers circulent quant à leur nombre, tant il est vrai que ces postes de cadre ne sont pas définis toujours distinctement. Il représente à coup sûr plusieurs millions, et sont majoritairement présents dans le secteur tertiaire.

En somme le manager est placé souvent entre le marteau (le dirigeant) et l’enclume (l’équipe), et endosse de plus en plus souvent le rôle de fusible organisationnel.

Souvent décrié pour sa toxicité, le manager est devenu une espèce « invasive » qui pourrait bien régresser ironiquement par le même substrat d’où il est né : l’informatique. Et plus précisément, l’un de ses fruits les plus récents, l’intelligence artificielle.

 

L’IA, le manager idéal ?

Cible idéale du marteau et de l’enclume, le manager doit affronter une menace exogène qui, sans être nouvelle, subit actuellement une explosion de ses capacités ne pouvant laisser les dirigeants de marbre quant à leur quête de compression des coûts et d’optimisation des process.

En effet, l’intelligence artificielle n’est en rien une innovation (cf la conférence de Dartmouth en 1956 et les systèmes experts des années 1980), mais elle bénéficie depuis les années 2000 de facteurs technologiques concomitants :

  • la miniaturisation mature des composants électroniques ;
  • la multiplication des processeurs ;
  • la latence de plus en plus réduite des télécommunications ;
  • le stockage exponentiel des données ;
  • les nouvelles capacités logicielles.

 

Cette évolution, que l’on peut considérer comme majeure fait entrer l’intelligence artificielle dans la maturité, et à ce stade-là on peut constater les premiers effets, et envisager les prochaines conséquences socio-économiques.

La crise covid de 2020-2022 a obligé nombre d’entreprises, et en corollaire de cadres intermédiaires, à ne plus pouvoir opérer une surveillance physique de leurs subordonnés.

Ce relâchement présentiel, dont le télétravail est l’aspect le plus visible au regard des bureaux désertés durant cette période, ne s’est pas traduit dans les faits par un effondrement organisationnel et productif. Ce retour aux sources (le travail dans un espace tiers n’est devenu la norme qu’avec l’industrialisation du XIXe siècle, puisque autrefois on œuvrait dans son échoppe, son établi ou ses champs) n’a aucunement été du goût des managers qui perdaient là leur atout principal : le contrôle des salariés, des consultants ou des fonctionnaires besognant sur place, l’autonomie de ces derniers devenaient le cancer de leur emploi.

L’assaut de cette catégorie socioprofessionnelle quant à la perte de productivité ne se révèle pas pour l’heure fort probant, tant les résultats sont contrastés (cf note numéro 198 de la Banque de France) même si la presse généraliste et économique fait état ici et là de la volonté de plusieurs chefs d’entreprise européens et américains de procéder à un retour à la situation antebellum. Une volonté prise avec d’amples précautions tant le risque de fragiliser les conditions de travail, et donc d’attractivité, est dorénavant réelle.

Les employés devraient trouver d’ici peu un allié de taille contre cette remise en cause : l’intelligence artificielle qui peut guider, corriger, archiver, comptabiliser, suggérer, compléter, créer en lieu et place de leur manager et ce, chaque jour de la semaine, tout en étant insensible aux considérations émotionnelles pouvant produire des biais contre-productifs. Cette immixtion de l’IA renforcera la déshumanisation de la société de services dans laquelle nous vivons, mais elle touchera prioritairement ceux qui, précisément, se pensaient intouchables, ou les derniers pouvant l’être.

Alors oui, des initiatives comme Webox existent (une plateforme d’échanges automatisés analysant, corrigeant et remotivant les managers), ces dernières peuvent nuancer la vision d’une IA destructrice, car l’IA demeure un outil, neutre par essence. Il ne faut cependant pas se leurrer tant les perspectives de gains en matière de masse salariale sont alléchantes pour les dirigeants d’organisations avides de rationalisation des coûts.

Pour se défendre, les managers ne pourront guère compter à l’extérieur sur une image écornée médiatiquement, souvent réduite au petit chef tyrannique, et guère plus en interne, où le soutien de la base demeure plus qu’aléatoire.

 

L’IA managériale, suggestive et incitative

Cela augurera-t-il un avenir radieux pour les subordonnés délivrés du management toxique ? Pas forcément.

Car, en tant qu’algorithme répondant à des requêtes spécifiques visant à atteindre des objectifs spécifiques, l’IA peut tout à fait devenir encore plus intrusive et intolérante que l’opérateur humain. Et l’impartialité peut rapidement se muer en insensibilité au regard des conditions fluctuantes pour atteindre les objectifs.

Une fois encore, il s’agit d’un outil neutre par essence, fortement dépendant de l’orientation stratégique organisationnelle. Et si l’on remplace désormais un manager toxique par une IA toxique, difficile de prétendre que celle-ci aura fondamentalement changé la donne. Si la suppression d’un échelon intermédiaire serait de nature à faciliter la compréhension et le respect entre la base et le sommet, cette vision irénique ne peut avoir cours que si le sommet – dans le cadre des organisations hiérarchiques classiques – impulse une sélection avisée des employés, une façon de les responsabiliser, leur remise à niveau régulière et leur fidélisation. Dans le cas contraire, l’introduction d’une IA managériale ne sera qu’une béquille, ou pis, un amplificateur des tares antérieures. Or, celle-ci doit être l’occasion d’une remise à plat des relations entre l’équipe dirigeante et les collaborateurs encadrés par une IA faisant office d’assistant bienveillant comme de filet de sécurité, et non de nasse technologique.

Une IA, c’est un code (les mains) et une logique (le cerveau), en rien une baguette magique pour réviser une stratégie organisationnelle déficiente, voire faisandée. L’IA pour l’IA en management est une aberration. En revanche, pour une rationalisation des coûts, une amélioration des process et un encadrement délestant l’employé de ses tâches les plus chronophages et superficielles, l’IA est un investissement louable.

En aval, elle peut servir d’interface pour des suggestions de collaborateurs, et les traiter en fonction des données disponibles en temps réel.

En amont, elle peut ajuster la gestion de projet en fonction des réalités de terrain.

L’IA n’est pas obligatoirement impérative, elle doit même être prioritairement suggestive et incitative. Son acceptation passera par un mode évolué d’interface de dialogue multilatéral. Et ce n’est pas de la magie, c’est de la programmation.

Comme dans les entreprises libérées, la meilleure stratégie, c’est celle qui s’assure de la meilleure entente relationnelle et fluidité informationnelle entre les divers acteurs de l’organisation, verticalement et horizontalement. Avec ou sans intelligence artificielle.

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