La Pologne veut jouer sa partition en Europe de l’Est. Entretien avec Marcin Rzegocki

L’invasion de l’Ukraine place la Pologne au centre des enjeux géopolitique de l’Europe centrale, dont elle se pose en défenseur de la région.

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La Pologne veut jouer sa partition en Europe de l’Est. Entretien avec Marcin Rzegocki

Publié le 13 septembre 2023
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Un article de la Revue Conflits

 

L’invasion de l’Ukraine a remis la Pologne au centre des débats européens. Entre volonté de moderniser son armée et méfiance à l’égard du centralisme de Bruxelles, Varsovie se pose en défenseur des pays d’Europe centrale.

Marcin M. Rzegocki est manager, professeur d’université et rédacteur. Il est directeur général de la Fondation Auxilium, une ONG polonaise qui se concentre sur des projets d’éducation et de conseil. Marcin M. Rzegocki est titulaire d’un doctorat en sciences sociales et en gestion de la Warsaw School of Economics et d’une maîtrise en études interdisciplinaires individuelles en sciences humaines et sociales de l’université de Varsovie.

Propos recueillis par Jean-Baptiste Noé.

 

On connait l’antagonisme séculaire entre la Pologne et la Russie. Qu’est-ce que l’invasion de l’Ukraine a changé dans la vision géopolitique de la Pologne ?

Il ne faut pas oublier que les racines des antagonismes entre la Pologne et la Russie ne sont pas du tout un phénomène récent, elles remontent à l’époque tsariste. Pour bien des Polonais, la Russie symbolise l’agression et le manque de respect pour les valeurs comme la liberté et la paix. L’invasion russe de l’Ukraine a renforcé ces sentiments des Polonais en leur donnant une preuve tangible de la plausibilité de leurs pires cauchemars.

 

Le gouvernement polonais a annoncé de nombreux investissements pour l’armée. Quelle est la finalité de l’armée polonaise ? S’agit-il uniquement de se protéger d’une attaque russe ou bien envisage-t-elle aussi de se déployer sur d’autres théâtres d’opérations ?

Le motif primordial des investissements pour l’armée est d’augmenter les capacités de défense du pays. Néanmoins, en tant que membre de l’OTAN, la Pologne s’engage à des missions militaires d’outre-mer comme en Afghanistan entre 2002 et 2021, et en Irak depuis 2003. Il n’est pas exclu que l’armée polonaise s’engage dans de nouvelles missions de caractère militaire, même si aucun nouveau plan du déploiement des troupes polonaises à l’étranger n’a été annoncé récemment.

 

La Pologne a une position très atlantiste. Elle achète son matériel militaire aux États-Unis et se veut un bon élève de l’OTAN. Est-ce que cet atlantisme fait consensus en Pologne, ou bien y a-t-il des débats politiques parmi les partis de gouvernement sur ce positionnement ?

Le consensus général en Pologne sur la question atlantiste a toujours semblé être un dogme depuis la chute du communisme. Du point de vue culturel, les États-Unis sont l’incarnation de la valeur fondamentale de la République des Deux Nations ou bien de la Première République polonaise (1569-1795), notamment la liberté.

À présent, il n’y a pas de sérieuses discussions sur les rapports entre la Pologne et les États-Unis et l’OTAN qui – à leur tour – sont perçus comme les garants de la stabilité géopolitique dans la région de l’Europe centrale. Cela ne veut pas dire que tous les Polonais sont contents du profond engagement politique de la Pologne dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine. Il se peut que les coûts économiques et sociaux de cet engagement puissent provoquer un léger changement d’attitude des Polonais sur ce propos.

 

Au moment de son intégration dans l’UE (2004), l’euphorie était grande en Pologne et en Europe. Vingt ans plus tard, les occasions de frictions entre Varsovie et Bruxelles sont nombreux, notamment sur les sujets de fonctionnement juridique et d’application des textes européens. La population polonaise reste-t-elle malgré cela favorable à une présence dans l’UE ?

Il faut d’abord souligner que les Polonais se sont toujours sentis membres de l’Europe, et que l’adhésion à l’UE était perçue comme une conséquence tout à fait naturelle des changements politiques et économiques des années 1990. Il est cependant vrai que l’UE d’aujourd’hui n’est pas ce dont beaucoup de Polonais pouvaient rêver.

D’après ce que l’on peut observer, les Polonais ne mettent pas en question la nécessité d’appartenance de leur pays à cette organisation, mais en même temps ils auraient préféré qu’elle soit une sorte de club des pays souverains, avec la liberté de mouvement et un marché commun. Ils ne sont pas, en grande partie, favorables à des démarches vers une Europe fédérale, ni aux tentatives d’imposer des solutions culturelles, politiques ou économiques extérieures.

 

On voit le développement de l’initiative des Trois mers ainsi que du groupe de Visegrad. Comment la Pologne perçoit-elle son rôle en Europe centrale, et comment se positionne-t-elle par rapport à l’Allemagne ?

Il n’est un secret pour personne que les pays d’Europe centrale et orientale présentent un certain nombre de différences par rapport aux pays de ce que l’on appelle « la vieille Europe ». Les plus importantes sont, bien sûr, les différences économiques, mais les différences sociales et culturelles ne doivent pas être négligées. De même, l’orientation politique des pays de l’Europe centrale, y compris les points de vue sur les relations avec la Russie, diffère de celle de la « Vieille Europe », notamment l’Allemagne et la France.

En même temps, il devient de plus en plus évident que les pays des Trois Mers deviennent une force politique et économique que le reste de l’Europe ne peut plus ignorer. La Pologne, en tant que pays le plus grand et le plus peuplé d’Europe centrale et de l’initiative des Trois Mers, qui a connu au cours des dernières décennies un essor économique extraordinaire, qui n’est pas dû – comme on le laisse parfois entendre à l’Ouest – aux subventions de l’UE, mais plutôt à l’accès au marché commun européen et à l’esprit d’entreprise des Polonais, se considère comme le leader naturel de cette partie du continent, ce qui, à bien des égards, peut la rendre antagoniste de l’Allemagne au sein de l’Union européenne et de l’OTAN.

De plus, depuis quelques années, on entend de plus en plus souvent que la Pologne ne veut plus être un « État vassal » ni de l’Allemagne ni de n’importe quel autre pays de l’Europe. La Pologne du parti Loi et Justice souligne donc sa subjectivité et son désir d’être traitée comme un partenaire équitable, surtout au sein de l’UE. À cet égard, elle est en quelque sorte l’avocate des autres pays de Visegrad et des Trois Mers.

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  • Chaque pays s’est construit sur des valeurs propres que l’Europe doit respecter. L’Europe n’est pas l’Allemagne, ni la France, et ces deux pays ne doivent pas imposer aux pays de l’Europe de l’Est qui ont connu l’occupation russe, leur politique bisounours qui n’a rien a voir avec la géopolitique actuelle

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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