La Russie franchit-elle un nouveau cap dans sa dérive totalitaire ?

Alors que le monde observe la guerre en Ukraine, la Russie verrouille son Internet. Comment le Kremlin transforme-t-il la toile en outil de contrôle de l’information?

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La Russie franchit-elle un nouveau cap dans sa dérive totalitaire ?

Publié le 12 septembre 2023
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Le Runet est un projet russe s’inscrivant dans ce qui est nommé le Splinternet, à savoir la fragmentation de l’Internet, certains États optant pour un Internet national aux allures d’« Intranet ».

À l’instar de la Chine, de pays comme l’Iran, depuis 2022, la Russie de Vladimir Poutine a encore accéléré ses travaux vers un Internet cloisonné et censuré. Le Kremlin considérant que la guerre en Ukraine menace le pouvoir, son pouvoir, il vise un contrôle absolu de l’information sur le sujet, et il n’est pas question pour lui d’être contesté dans son action.

Si la censure est à son apogée en Russie, et que certains en doutent, c’est un fait qui a été éclairé à la suite du piratage de l’agence de supervision de l’Internet russe, Roskomnadzor, en novembre 2022.

À cette date, le groupe biélorusse de hackers « Cyber-partisans » avait alors déclaré avoir piraté une filiale de Roskomnadzor – le Centre principal des fréquences radio (GRC), puis avoir passé plusieurs mois à l’intérieur du système et en avoir extrait deux téraoctets d’informations. Les données avaient alors été transmises aux journalistes du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, et à certains médias russes.

Süddeutsche Zeitung – ainsi que des médias russes en exil – publiait le 8 février 2023 un article intitulé « La fuite de données au cœur de la censure russe » montrant l’ampleur de la censure.

Les deux millions de documents internes dérobés à l’autorité de surveillance des médias Roskomnadzor donnent « un aperçu unique d’un appareil de censure numérique moderne, y compris ses forces et ses faiblesses », et révèle comment la « structure surveille des pans entiers du réseau et développe des outils ciblant les « offenses » à Vladimir Poutine. Notons que déjà en 2021 Moscou disposait d’une « technologie permettant de surveiller les réseaux sociaux et de repérer les comportements « destructeurs » au sein de la jeunesse. »

 

La guerre : un accélérateur sécuritaire…

Dans cette dynamique de contrôle, dans le contexte de la Guerre en Ukraine, l’étau sécuritaire se referme progressivement sur les Russes.

Outre une information sous contrôle, outre la propagande, il n’aura pas échappé que les voix dissidentes sont condamnées à se taire.

La crise en Ukraine a encore accéléré la surveillance de masse.

Selon le service russe de The Moscow Times, un journal indépendant :

« Plus d’un demi-million de caméras de surveillance à reconnaissance faciale sont installées dans toute la Russie. Avec plus de 200 000 caméras, Moscou représente 40 % du parc ».

Des experts en surveillance ont par ailleurs rapporté au journal que, bien qu’officiellement conçu pour lutter contre la criminalité, « le système russe de reconnaissance faciale s’était révélé plus efficace pour identifier les militants anti-guerre et les réfractaires, ajoutant que les autorités maintenaient l’imprévisibilité dans la conduite des arrestations liées à la surveillance afin de semer la peur et l’incertitude dans le pays. »

L’ancien responsable du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, a défié Vladimir Poutine. Sa mort, que toute l’opinion publique « pressentait » – au regard de son offense – a redonné – quelle que soit la vérité – (ce dernier a été enterré en secret le 29 août dans un cimetière de Saint-Pétersbourg, sa société ayant confirmé une cérémonie d’adieu qui s’est tenue en privé) une crédibilité à Vladimir Poutine qui, bien que se défaussant de toute responsabilité, apparait comme encore plus intraitable.

 

D’un régime autoritaire à un régime totalitaire ?

Dans ce cadre, la Russie qui est définie comme un régime fédéral, est de plus en plus souvent considérée par certains observateurs comme non plus autoritaire, mais totalitaire.

Si nous nous en tenons à la définition : un régime politique autoritaire est un régime politique qui, par divers moyens (propagande, encadrement de la population, répression) cherche la soumission et l’obéissance de la société, tandis que le totalitarisme est un régime et système politique dans lequel existe un parti unique, n’admettant aucune opposition organisée, et où l’État tend à exercer une mainmise sur la totalité des activités de la société.

À l’aune de cette définition, en 2022, dans un entretien accordé à L’Express, Peter Pomerantsev, journaliste, auteur d’essais de référence sur la propagande russe et la désinformation d’origine soviétique, analysait l’évolution du régime russe, qu’il qualifiait « d’État totalitaire postmoderne »… une analyse partagée, entre autres, par le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki. Une dérive dans la surveillance outrancière des citoyens que les États se qualifiant de démocratie gagneraient à analyser dans leur course à la surveillance des citoyens. Le basculement de situations démocratiques ne relève pas du fantasme quand certaines conditions sont réunies, comme le souligne Alain Chouraqui dans son dernier livre Le Vertige identitaire – Tirer les leçons de l’expérience collective : comment peut basculer une démocratie ? paru aux Ed Actes Sud en mars 2022   

« Arx Tarpeia Capitoli proxima. »
(il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne)

 

Alain Chouraqui est titulaire de la Chaire UNESCO « Éducation citoyenne, sciences de l’homme et convergence des mémoires » directeur de recherche émérite au CNRS, et président de la Fondation du Camp des Milles

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  • « …la Russie verrouille son Internet. Comment le Kremlin transforme-t-il la toile en outil de contrôle de l’information… » . C’est de bonne guerre si je puis dire. L’UE n’interdit-elle pas, dans sa zone d’influence, toutes informations en provenance de la Russie ? Elle ne veut pas que le ver russe entre dans le fruit UE, la Russie ne veut pas que le ver UE entre dans le fruit russe. Je ne vois là dedans rien de plus ou de moins dictatorial d’un côté comme de l’autre.

    • Idem en France. La propagande nous raconte que de méchants « hooligans anglais » viennent en famille pour tout casser au stade de France, que la majorité des casseurs lors des émeutes « sont des petits Kévin ou Matéo », etc. Ne parlons pas de la forêt de caméras qui sont en train d’être installées partout pour les J. O. (comment a-t-on fait lors des précédents jeux sans toutes ces caméras pour surveiller les Kévin et Matéo !?). Et que dire des lois anti fakes news dont l’aspect  » Fake » sera naturellement décidé par le gouvernement ?
      Ha, Poutine et’Xi sont si bien critiqués mais tellement imités tant dans leurs discours de démocratie que dans leurs actes.

    • l’UERSS vient de mettre en place le Digital Service Act
      Et la france est en train de voter la loi de régulation des contenus numérique.

      Et l’année prochaine, l’UERSS commencera à déployer l’identité numérique, avec la clé, le pass climatique, crédit carbone, et le but final le crédit social généralisé en europe.

    • A Delor:
      Comment pouvez-vous écrire des sottises pareilles ? Depuis votre navigateur vous pouvez par ex aller lire n’importe quel media Russe (merci les traducteurs de automatiques), et voir par vous-même. Essayez: ça marche !. En revanche un interaute Russe ne peut pas venir lire les médias Français. Alors dire qu’ici on est aussi censuré que là bas est purement dég….

  • « Le totalitarisme est un régime et système politique dans lequel existe un parti unique, n’admettant aucune opposition organisée, et où l’État tend à exercer une mainmise sur la totalité des activités de la société. »
    Ce qui se passe en Russie est l’affaire des Russes…
    Par contre, la définition du totalitarisme dans l’article est intéressante. Au détail près du parti unique, le côté « régime n’admettant aucune opposition et où l’État tend à exercer une mainmise sur la totalité des activités de la société » commence à furieusement à ressembler à la France sous le régime Macron.
    Rappelons également que le gouvernement a bafoué allègrement la déclaration des droits de l’homme et du citoyen en censurant « a priori » (la censure ne doit s’exercer qu’a posteriori) des médias comme RT ou Sputnik sous l’injonction de l’UE qui, ainsi, viole d’une certaine manière la souveraineté de la France garantie par sa Constitution. D’habiles juristes y ont certainement trouvé une justification en empilant les sophismes mais le mal est fait…
    En conclusion, avant de regarder la paille dans l’œil du voisin Russe et le laisser se dépatouiller avec, on serait fort inspiré de s’occuper de l’énorme poutre dans le notre qui, doucement mais surement, est en train de nous faire basculer dans une forme de totalitarisme technocratique.

  • Ah parce que c’est pas ce que fait l’UE et/ou la France ?

  • je m’en fous un peu de la russie;.mais bien sur ce qui frappe est qu’en meme temps on accuse le régime russe légitimement de tyrannie , on prend des mesure liberticides prises ici… notamment pour lutter contre cette tyrannie;..

    le controle de l’exrpression avez vous dit..

    c’est mélenchon qui manifeste pour la liberté … en criant à bas le libéralisme…

  • Toujours les mêmes commentaires débiles des poutinolâtres : puisqu’en France aussi la liberté d’expression est écornée, nous ne pourrions pas critiquer le régime autoritaire russe et cela légitimerait l’autoritarisme de la Russie.

    C’est tellement affligeant ce genre de sophisme…

    • Si la conner.e se mesurait, on pourrait les envoyer à Sèvres. Pour servir d’étalon !

    • ce qui se passe en France nous concerne d’avantage que ce qui se passe en Russie…

    • bien entendu..mais la « légitimité de la tyrannie russe n’est pas notre problème!!!

      • Les lecteurs de Contrepoints sont a priori des libéraux. Les soucis de totalitarisme (donc à l’extrême opposée de lu libéralisme) où qu’ils soient, devraient nous interpeller. Que ce soit notre problème, je ne sais pas, mais c’est un problème pour de très nombreuses personnes et cela devraient nous questionner.
        Quant aux personnes qui pour défendre la Russie accusent les autres de leur propres défauts, cela n’est ni nouveau, ni incroyable, c’était déjà la tactique employée à l’époque de Staline

      • À ce compte là, il faudrait que les médias suppriment leurs rubriques internationales… Encore un sophisme.

  • Si vous voulez un avis sur la Russie le mieux n’est-il pas de demander simplement à quelques français vivant là-bas ? Je suis persuadé que « Frussien » répondra à toutes vos questions, voir sur YT….

  • Les commentaires sont fermés.

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