Échec de Luna-25 : le déclin spatial de la Russie

L’échec récent de la mission spatiale russe « Luna-25 » met en évidence un enchaînement de problèmes dans les missions spatiales russes au-delà de notre planète. Pierre Brisson s’interroge sur la capacité du pays à renouer avec son glorieux héritage spatial.

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Échec de Luna-25 : le déclin spatial de la Russie

Publié le 22 août 2023
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La mission russe Luna-25 a échoué ce 19 août 2023, et cet échec est décourageant.

Il vient après une longue apathie sinon une série de ratés de ce pays dans le domaine des missions spatiales au-delà de l’orbite terrestre. Et l’on peut se demander si la Russie pourra jamais redevenir la nation pionnière dans la conquête spatiale en général, que l’URSS a été avant son implosion. Rappelons-nous : années 1950 (Spoutnik, 1957) ; années 1960 (premier atterrissage réussi sur la Lune, 1966 ; premier atterrissage sur Vénus 1967) ; années 1970 (première station spatiale, Saliout, en 1971 ; premier atterrissage sur Mars, 1972) ; années 1980 (station MIR en 1986).

Luna-24, le vol précédent des Russes jusqu’à la surface de la Lune, datait de 1976, et leur dernier échec dans l’espace, la mission Phobos-Grunt (vers le satellite de Mars, Phobos) datait de novembre 2011. Mais aucun succès depuis ! Ces simples dates soulignent l’importance de cette mission pour les Russes et de la question qu’elle posait. La Russie peut-elle retrouver sa puissance spatiale d’antan, ou est-elle condamnée à vivre dans le souvenir de ses exploits passés ?

Comment y répondre aujourd’hui autrement que par la négative ?

Il est vrai que sur beaucoup de plans, la Russie n’est plus l’URSS. Le domaine spatial en particulier a beaucoup souffert du changement politique car, après 1991, l’État ne disposait plus du tout des mêmes moyens financiers que pendant les années 1960.

Cela était particulièrement vrai pour ses scientifiques ou ses ingénieurs travaillant pour l’exploration spatiale. La plupart (nombre estimé à trois sur quatre) ont alors quitté le secteur pour simplement pouvoir survivre, ou bien ils se sont expatriés. Les rares qui restèrent à l’œuvre n’étaient pas forcément les meilleurs, et n’avaient par ailleurs plus aucun moyen de développer quelque projet d’importance que ce soit.

Outre l’argent, le savoir-faire et la mémoire avaient disparu. L’organisation elle-même avait été bouleversée, l’agence spatiale russe ayant été refondée dans l’esprit de libertarianisme prévalant à l’époque. En 1992, Boris Eltsine l’avait sortie du contrôle des militaires (MOM et VKP), pour créer une agence spatiale à l’image de la NASA, la RKA puis FKA. Mais cette libéralisation ne donna rien et la FKA devint officiellement l’« entreprise d’État » (avec un contrôle resserré de l’État), Roscosmos en 1999. On voit aujourd’hui qu’une entreprise n’est pas seulement un cadre, c’est aussi les personnes qui la dirigent et qu’elle emploie.

Douze ans après Phobos Grunt (mentionnée ci-dessus), le fiasco de Luna-25, confirme donc l’incapacité des Russes. Je rappelle que cette mission se termina très prématurément par l’impossibilité d’injecter le vaisseau spatial sur sa trajectoire interplanétaire vers Mars depuis son orbite de parking terrestre. Déjà un problème de calcul ! Il n’était plus resté aux Russes que la routine des mises sur orbite terrestre de satellites de communication avec des lanceurs Protons et de lancement de navettes  Soyouz vers et au retour de la Station Spatiale Internationale (ISS). Ces derniers étaient effectués avec un vieux lanceur éprouvé depuis les premières années de la conquête spatiale (premier vol en 1967), portant le même nom de Soyouz, une sorte de 2CV de l’espace par sa rusticité et son efficacité.

Maintenant que la guerre froide est revenue, il n’est plus question de continuer la collaboration (en faisant abstraction de l’ISS elle-même où les Russes disposent du cœur même de l’ensemble, les six segments qui auraient dû constituer la station Mir-2 et qui sont indispensables/indissociables à/de l’ensemble, notamment le module Zvezda). Heureusement qu’une société américaine privée, SpaceX, est arrivée à la rescousse de la NASA pour fournir une alternative aux Soyouz avec leur Crew-Dragon lancée par Falcon 9 à partir de mai 2020 pour effectuer les transports d’équipage. On imagine mal que les Russes aient pu jouir d’un contrôle total sur l’ISS au début de la guerre en Ukraine ! Mais enfin, cela ne s’est pas passé ainsi, et les Russes ne peuvent maintenant qu’en rêver.

Les Russes travaillaient sur Luna-25 depuis la fin des années 1990.

La mission était vue comme une réplique de Luna-24, ce qu’elle n’est pas tout à fait. Comme Luna-24, elle devait bien effectuer un prélèvement d’échantillon du sol lunaire, mais cette fois en l’examinant sur place avec quelques instruments embarqués, sans renvoyer d’échantillons sur Terre. En réalité il s’agissait d’un simple atterrisseur, engin léger (1,75 tonne sèches dont 30 kg d’équipements scientifiques contre 1,88 tonne pour Luna-24, mais ce dernier était complété par un étage de remontée en orbite et de retour sur Terre, ce qui le portait à plus de 5 tonnes avec les ergols). Il était bien chargé d’une mission scientifique, forage jusqu’à 50 cm, puis examen des prélèvements, mais l’objectif principal était vraiment de se poser sans casse sur la Lune, et ensuite de montrer que l’atterrisseur pouvait toujours communiquer efficacement avec la Terre.

En bref, il s’agissait pour les Russes de refaire le minimum de ce qu’ils avaient réussi en 1976 afin de pouvoir repartir sur une bonne base. Et ils ne l’ont pas fait !

Luna-25 était propulsée par un lanceur Soyouz 2.1b complété par un deuxième étage Fregat, alors que Luna-24 l’avait été par un lanceur lourd Proton-K (capacité de 22 tonnes en orbite basse), pour des raisons de différence de masses, car le Soyouz n’avait pas la capacité suffisante à l’époque (le Fregat a une masse de 5,35 tonnes avec ses ergols, et le Luna-25 de 1,75 tonne – comme dit ci-dessus – avec ses 975 kg d’ergols). Le lanceur moyen Soyouz a évolué depuis 1976 (puisqu’il peut aujourd’hui mettre 9 tonnes en orbite basse) mais relativement peu ; on reste dans la même famille.

Par ailleurs, les Soyouz (lanceur et vaisseau) sont en principe spécialisés dans les vols habités. Il n’y avait donc pas d’innovation technologique, mais la mission elle-même ne l’exigeait pas.

À noter que cette mission est partie de la nouvelle base spatiale (cosmodrome) Vostochny en Extrême Orient russe, les Russes voulant de plus en plus ne dépendre que d’eux-mêmes et laissant tomber le cosmodrome historique de Baïkonour qui est maintenant au Kazakhstan.

Leur accord avec les autorités Kazakhs a été renouvelé en 2004 jusqu’à 2050. Mais à cette occasion, les Kazakhs sont devenus plus exigeants et ont obtenu toutes sortes de concessions pour participer plus activement aux activités de lancement. On peut voir là l’expression du raidissement russe, constaté par ailleurs en matière de relations internationales. Maintenant cette précaution apparaît bien vaine.

L’arrivée de la sonde Luna-25 sur le sol lunaire était prévue le lundi 21 août après une mise sur une orbite de transfert de 100 km au-dessus de la Lune, réussie le 16 août. Elle devait passer ensuite sur une orbite de pré-atterrissage (pre-landing) descendant de 100 à seulement 18 km, avant de s’engager dans la descente terminale, rapide puisque verticale, jusqu’au sol lunaire.

Tout s’est arrêté à ce moment là, apparemment encore pour un problème de calcul.

D’après Yura Prosti, chaîne de Telegram, bien informée :

« A computational error led to the final engine firing to be 1.5 time longer than required and thus resulting in deorbiting and crash of the spacecraft on the Moon ».

C’est plus qu’une maladresse !

À noter que les Indiens ont également une mission lunaire en cours. Leur fusée Chandrayaan 3 doit atterrir sur la Lune le mercredi 23 août. Les références indiennes actuelles ne sont pas bonnes (échec en 2019 avec Chandrayaan 2). Mais quelle honte ce serait pour les Russes s’ils réussissaient ! Rappelons déjà que les Chinois ont réussi cette même prouesse de l’atterrissage en décembre 2020 avec leur mission Chang’e-5 qui comprenait, elle, un retour d’échantillons, également réussi.

D’autres missions étaient prévues avant l’échec : Luna-26 en 2027, Luna-27 en 2028 et Luna-28 à partir de 2030. Ensuite devait venir une mission habitée sur la Lune en vue de la construction, avec la Chine, d’une base habitable. Mais comment continuer dans ces conditions ? Pour paraphraser Shakespeare, « il y a vraiment quelque chose de pourri dans l’empire de Russie », et la Chine n’aura même pas besoin de leur aide !

 

Sources :

https://www.france24.com/en/europe/20230810-russia-hopes-to-pull-ahead-in-the-space-race-with-the-launch-of-the-luna-25-moon-lander

https://t.me/roscosmos_gk/10293

https://kiosque.lefigaro.fr/reader/e69e9352-b3f9-4f6c-bd9f-dda8c2fc33ca?origin=%2Fcatalog%2Fle-figaro%2Fle-figaro%2F2023-08-12

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  • Je demande qui est responsable du krach financier de 2008, la crise des subprimes, 1985 bank of New York etc…,on est loin des USA d’avant, les choses ont changé avec le BRICS qui est une alternative réussie par rapport au dollar

    • Dans les BRICS, il y a la Chine. Et la Chine, c’est aussi des faillites retentissantes comme celles de l’immobilier qui se montent à plus de 500 milliards de $, celles prochaines de certains constructeurs automobiles, etc. Et ne parlons pas de l’instabilité politique du Brésil, de la colossale corruption de l’Afrique du sud (avant la fin de l’apartheid, son PIB par habitant était le double de celui de la Chine ; il a baissé jusqu’au niveau moyen des pays africains ; merci Mandella), des systèmes théocratiques anti économiques de l’Arabie saoudite et des EAU (dans l’islam, les prêts d’argent avec intérêts sont interdits). Etc, etc.
      L’efficacité de l’Union des BRICS n’est pas prête de s’imposer. Même l’euro ne s’est pas imposé.

  • Quand la Nasa échoue, c’est une tentative de réussite, quand c’est la Russie, c’est un déclin spatial… Comme indiqué, la Russie n’a pas fait grand chose depuis la fin des années 80… Attendons la mission Luna-26 non ? (ceci n’est pas un commentaire pro-Poutine hein…)

  • Ca montre juste que le jemenfoutisme a gagné aussi la Russie. Laisser passer un bug dans un programme, ça n’est pas une question de fine compétence technique, c’est juste que personne n’a passé ses nuits à vérifier le travail de ses jours comme on l’aurait fait il y a 40 ans.

  • Comment tirer parti d’un échec technique , que tout pays a connu dans le domaine spatial
    Le but de l’article était simple, c’était la conclusion:
    « il y a vraiment quelque chose de pourri dans l’empire de Russie »
    Voilà : une contribution de plus au Russian bashing
    Lamentable digne de LCI

      • On ne peut pas comparer le « demi-succès » du premier test de vol orbital du Starship avec l’échec de l’atterrissage de la sonde russe sur la Lune!
        .
        Elon Musk ne prétendait pas réussir pleinement son test qui suppose la bonne performance d’une somme considérables de technologies nouvelles (du « jamais fait »). Par contre l’atterrissage sur la Lune devait être pour les Russes, avec le brillant passé qu’ils ont, une opération de routine. C’est pour cela que leur échec est significatif et grave.
        .
        Dit autrement, Elon Musk en faisant son premier test de vol orbital, voulait aller aussi loin que possible en espérant presque quelques défaillances qui prouveraient qu’il était allé aussi loin que possible dans l’expérience. Tandis que les Russes espéraient avoir surmonté leurs difficultés (qui datent de l’époque Eltsine) et que le vol (réduit sur le plan technologique à un minimum de risques) serait un succès.

        • La sonde devait valider une technique d’atterrissage en douceur. Je n’appelle pas ça réduire à un minimum de risques sur le plan technologique, il semble d’ailleurs d’après Wikipedia que la mission n’avait QUE des objectifs technologiques. Un échec est un échec, mais votre traitement différent des échecs des Russes et de Musk est incohérent.

          • Je vois que vous ne comprenez absolument pas la différence entre les défis technologiques posés par le projet Starship et le retour sur la Lune des Russes qui est une opération beaucoup plus simple sur le plan technologique.
            Vous êtes aveuglé par le problème de la guerre en Ukraine mais je peux vous assurer que cet échec russe n’a rien à voir avec cela. Je pense plutôt que la faute vient d’une direction trop autoritaire et peu compétente de Roscosmos. Le résultat est une grande rigidité et une capacité limitée aux opérations de routine (placement de satellites en orbite terrestre).

            • Je suis ingénieur grande école et je comprends certainement aussi bien que vous, sinon mieux, ce qu’est un enjeu technologique. C’est vous qui êtes aveuglé par je ne sais quoi et qui vous laissez manipuler par les belles paroles de Musk.

              • J’en déduis qu’être « ingénieur grande école » n’est pas un brevet d’intelligence ni de capacité de réflexion.
                .
                Si vous pouvez me suivre, essayez de comprendre que si dans le deux cas il y a des enjeux technologiques, ces enjeux ne sont pas du tout les mêmes.
                .
                De ce fait, on peut avoir une indulgence pour le test d’Elon Musk (qui n’a jamais prétendu le réussir du premier coup) et la tentative minimaliste des Russes de se poser sur la Lune qui était la simple répétition d’une action déjà effectuée de nombreuses fois par eux-mêmes et des équipes d’ingénieurs d’autres pays.

              • Vu que vous êtes un ingénieur grand école, vous pouvez donc comprendre que techniquement, dans la gestion de projet, Musk a fait une « revue » ou « point d’étape », avec donc une démo, car c’est le meilleur moyen pour récupérer des retours pour adapter la roadmap et voir les problèmes avant qu’ils n’apparaissent en production…
                Pour même aller plus loin, l’atterrissage réussi de l’aéronef n’était qu’un bonus dans la vraie démonstration (qui elle était un quasi succès il me semble) ; mais évidemment, les médias se sont concentrés sur l’atterrissage…
                Concernant les Russes, ils ont en effet à revoir et réorganiser leur agence spatiale très certainement. Bien que ça soit une opération de routine théoriquement, ils n’ont pas fait ce genre de projet depuis les années 80 ; encore une fois, c’est pas un commentaire pro-Poutine…

    • Absolument pas de Russian bashing! Je constate simplement que le lancement a échoué et que les Russes ne parviennent pas à retrouver leurs capacités du temps de l’URSS. Cela n’a rien à voir avec la guerre en Ukraine.
      .
      L’échec des Russes ne peut pas être comparé à l’échec de « tout le monde ». Les Russes sont des pionniers du spatial et la preuve est faite que depuis 47 ans (1976), ils n’ont pas été capables de retourner sur la Lune alors que les Chinois viennent d’y parvenir. Cela est l’évidence d’un problème.
      .
      Attendons l’atterrissage des Indiens, demain 23 août. S’il est réussi, cela sera pour la Russie, un signe de véritable décrochage. Je ne m’en réjouis pas, je le constate.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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