Pas d’escalade dans l’espace entre les Américains et les Russes

Les Européens seront de plus en plus dépendants des Américains, d’autant que la future fusée Ariane 6 de l’ESA ne fait pas le poids vis-à-vis des Falcons 9 ou Falcon Heavy de SpaceX.

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Pas d’escalade dans l’espace entre les Américains et les Russes

Publié le 2 mars 2023
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Les sportifs russes sont interdits de Jeux Olympiques et les musiciens russes ne peuvent plus jouer dans les concerts aux États-Unis ou en Europe mais le 23 février un vaisseau, vide (le MS23), est parti de Baïkonour lancé par un Soyouz pour aller rejoindre la Station Spatiale Internationale (ISS). Il s’agit de le mettre à disposition d’un équipage russo-américain (deux Russes et un Américain) qui se trouve là-haut depuis quelques mois mais qui ne peut plus redescendre sur Terre car le vaisseau avec lequel il était arrivé (le MS22) a été détérioré par une micrométéorite.

Une fois qu’on est monté il faut bien redescendre et on pourrait considérer que cet envoi est purement humanitaire mais il n’en est rien.

En effet, en plus des trois astronautes concernés par ce vaisseau de secours, il y a quatre astronautes (Crew-5) parvenus le 5 octobre 2022 dans l’ISS grâce à un vaisseau Crew-Dragon de l’Américain SpaceX (« CD5 ») en attente sur place. Et parmi ces quatre astronautes, une Russe, Anna Kikina, sélectionnée pour le voyage en juillet 2022 donc bien après le début de la guerre en Ukraine. C’était de plus le premier astronaute russe à voler sur un vaisseau américain.

Ce qui est encore plus surprenant c’est que ce lundi 27 février 2023, un nouveau Crew Dragon (CD6) doit partir de la Terre pour amener dans l’ISS un équipage de remplacement au Crew-5, le Crew-6. Le CD5 qui a amené le Crew-5 redescendra sur la Terre avec Anna Kikina et les autres membres du Crew 5 quelques jours après (il faut passer l’information et les consignes) mais le CD6 aura apporté à nouveau un passager russe, Andrei Fediaiev. Il y aura donc à nouveau trois astronautes russes à bord de l’ISS avec les Américains (qui prennent avec eux pour chaque séjour un citoyen d’un troisième pays, cette fois-ci un Emirati). Pour la seconde fois depuis que les Américains ont retrouvé un accès à l’espace autonome par vols habités grâce au Crew Dragon de SpaceX, le vaisseau américain transporte trois astronautes américains et un russe tandis que le vaisseau russe transporte deux russes et un américain. Autrement dit, dans l’espace tout continue comme si de rien n’était.

Comme on le sait, les Russes et les Américains partagent l’ISS avec les Européens (ESA), les Japonais et les Canadiens. Cela résulte d’accords internationaux (notamment l’accord américano-russe de 1993) et chaque partenaire a contribué physiquement et financièrement à la Station (les Américains plus que les autres). Mais les Russes sont des partenaires un peu plus importants que les autres car c’est leur module Zvezda, cœur du mécano de l’ISS, qui commande le maintien de la Station à une altitude suffisante pour qu’elle ne se désagrège pas dans la haute atmosphère terrestre. Les Américains auraient pu choisir de mettre brusquement fin à leur collaboration avec les Russes dans ce domaine comme dans les autres car après 25 ans de service l’ISS est à bout de souffle. Mais puisque Zvezda est contrôlé par les Russes, arrêter l’ISS sans accord avec eux aurait provoqué sa perte d’altitude irrémédiable et sa désintégration aux yeux de tous, avec des débris tombant un peu n’importe où sur Terre. Cela aurait été pour les Américains reconnaître devant le monde entier que l’ISS n’est pas une réalisation essentiellement américaine ou que les Russes ne sont pas des partenaires négligeables (et la chute incontrôlée de débris ne leur aurait pas fait des amis). Par ailleurs les Russes semblent satisfaits de continuer encore un peu. On viendra à ce dé-orbitage mais les deux partenaires principaux n’ont pas estimé qu’il était indispensable de le préparer maintenant, comme je le développe plus loin.

Dans leur relation avec les Russes, les Européens n’ont pas dû se plier aux mêmes contraintes que les Américains. Ou plutôt, si l’on veut être lucide, ils n’ont pas eu leur réalisme et ils se sont tirés eux-mêmes une balle dans leur pied spatial (comme dans d’autres pieds, voir celui de l’énergie !).

En effet, ils ont rompu avec les Russes dès le début de la guerre (17 mars 2022) pour un projet scientifique qui pour eux était essentiel (et qui avait coûté très cher), ExoMars. Il était convenu que cette mission phare d’exploration martienne serait embarquée à bord d’un Soyouz en septembre 2022 (fenêtre de lancements suivant celle d’août 2020), après de multiples retards techniques. Et le 17 mars 2022 la décision fut prise par l’ESA, téléguidée par l’Europe, d’interrompre tous les préparatifs et de rechercher un autre partenaire, forcément américain, puisque l’ESA est toujours incapable d’assurer ce type de lancements lourds. Cette décision était peut-être une réponse à celle prise par les Russes le 26 février 2022 de suspendre leurs propres lancements de fusées Soyouz depuis la base de Kourou en représailles du premier train de sanctions contre eux après l’entrée en guerre. En même temps, elle était stupide puisque contrairement aux Américains, les Européens n’ont pas d’alternative et puisque démonstration a été faite depuis que les Américains ne sont pas gênés moralement de continuer leur relation avec les Russes quand ils y voient leur intérêt.

On peut remarquer que ce ne sont pas les Russes qui sont moteurs dans le « petit jeu » des sanctions. Ils ont jusqu’à présent simplement répliqué par des contre-sanctions contre les décideurs politiques européens ou américains tout en se comportant tacitement comme les Américains quand ils y voyaient un intérêt, comme les voyages vers l’ISS et la cohabitation dans cette dernière le démontrent. Il n’y a donc pas « escalade » dans le sens traditionnel de ce mot car il faudrait être deux pour cela. Et dans le cas présent, chaque nouvel échelon est monté par l’Occident qui veut punir directement celui qui est devenu indirectement son adversaire, les Européens se comportant dans cette affaire comme l’idiot utile des Américains.

 

Pour l’avenir, la situation actuelle aura des conséquences

Les Européens seront de plus en plus dépendants des Américains, d’autant que la future fusée Ariane 6 de l’ESA ne fait pas le poids vis-à-vis des Falcons 9 ou Falcon Heavy de SpaceX qui sont, eux, réutilisables et lancés en très grand nombre ce qui génère des économies d’échelle importantes.

De leur côté, les Russes se préparent à diverger de plus en plus des Occidentaux, autrement dit à voler de leurs propres ailes. Leur gamme de Soyouz-2 (évolué du Soyouz primitif) est technologiquement à la hauteur des besoins d’autant qu’elle dispose de prix bas et d’un large marché protégé (et, contrairement à l’Ariane 6, il vole !). Par ailleurs, ils ont confirmé en août dernier leur volonté de construire leur propre station spatiale. La présentation de la maquette de la station, dénommée ROSS (Russian Orbital Service Station), a été faite tout à fait officiellement par l’agence spatiale russe Roscosmos le 15 août 2022 et son objet clairement exprimé est d’assurer l’indépendance de la Russie dans l’espace proche de la Terre (comme par ailleurs les Chinois). La construction de ROSS devrait commencer en 2027.

La première annonce de cette Station avait été faite avant la guerre, en avril 2021, sur la base de la constatation que l’ISS vieillissait et qu’il faudrait la remplacer (ce dont tout le monde convient depuis plusieurs années).

Après moult prolongations, la décision a été prise par les Américains (président Biden, 9 août 2022) que l’extension finale serait repoussée de 2028 à 2030 (dé-orbitage prévu en 2031). Comme suggéré plus haut cela implique que les Russes soient d’accord. Vu les circonstances, la présentation de la maquette de ROSS a pris une autre signification (comme chacun l’aura remarqué le 15 août est juste après le 9 août).

Comme les Russes avec ROSS, les Américains se moquent de l’ISS car ils sont passés à autre chose, l’Objectif Lune avec le programme ARTEMIS, avec peut-être la station Gateway en orbite autour de la Lune. Autrement dit les Américains font exactement ce qu’ils veulent (prolonger l’ISS jusqu’à ce que le programme Artemis soit bien engagé). En attendant les deux veulent prendre leur temps et profiter au maximum de leur investissement dans l’ISS.

Le 15 août, les Russes ont de facto accepté ce dé-orbitage programmé et organisé. Encore une fois ce sont les Européens qui regardent passer les balles.

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