Indispensables précautions
Ce papier ne prétend pas à l’exhaustivité pour deux raisons de pondérations inégales : d’une part il m’a été sollicité par la rédaction de Contrepoints en période estivale, moment d’inévitable ralentissement neuronal et d’énergie ; d’autre part, disserter valablement sur ce sujet nécessite une connaissance approfondie des systèmes d’enseignement supérieur, au moins des grands pays du monde.
Nous n’avons pas cette prétention, même si nous avons quelques notions et lumières en la matière. Nous examinerons successivement, d’abord les critères de choix du classement de Shanghai, ce qui permettra de cerner les biais méthodologiques choisis. Puis nous procéderons à quelques réflexions sur les résultats, avant enfin, dans un dernier temps, de déterminer les raisons du résultat ni bon ni mauvais de la France.
Des critères spécifiques donnant une prime aux sciences prétendues dures
Ce classement est largement et annuellement contesté (rarement par ceux qui sont « dans la botte » ou en forte progression), sujet à caution, vilipendé par certains, et pourtant scruté par tous. Il fait penser aux sondages pendant les périodes électorales.
Le refrain des entrepreneurs politiques est connu : « nous n’attachons que peu d’importance aux sondages » (mais en fait nous avons les yeux rivés dessus !). Il comporte cependant un biais méthodologique crucial et décisif qui génère mécaniquement des résultats prévisibles. Dès lors qu’on connaît le biais méthodologique, et à cette restriction près, les résultats peuvent être analysés avec intérêt.
Un avantage comparatif substantiel dope ici les résultats des uns, affaiblit ailleurs les résultats des autres. Il s’agit de prendre en compte les sciences dites dures (mathématiques, physique, chimie, mécanique, médecine, pharmacologie, biologie, astrophysique, économie…) d’abord, toujours, exclusivement… ou presque, au détriment des autres disciplines considérées comme obéissant à des obligations méthodologiques moins rigoureuses. En gros, les sciences humaines qui ne comptent pour rien, ou presque, dans le dit classement. Sont ainsi pénalisées, voire passées sous silence, les institutions universitaires qui excellent en histoire, géographie, lettres classiques, littérature, grammaire, sociologie, psychologie, langues, histoire de l’art, philosophie.
Plus encore, ici et maintenant, pour notre pays, les critères excluent, non en droit, mais en fait, les facultés de droit.
Or, c’est un domaine dans lequel nos facultés excellent, nonobstant la notable avancée de la Common Law. De Paris 1, 2 et 5, à Aix-en-Provence, de Montpellier à Bordeaux, Lyon et Toulouse, sans compter Strasbourg, Rennes et d’autres, nos professeurs de droit restent des pôles d’excellence, malgré les errements désastreux du positivisme juridique. Nos grands juristes font partie de l’étroite cohorte des meilleurs du monde, et nombre de professeurs étrangers rêvent de venir passer quelques mois dans nos facultés afin de se mettre dans les pas lointains de Portalis et des rédacteurs du Code civil, et de l’école de l’exégèse.
Quels sont donc ces critères ? Ils sont au nombre de six.
Le premier est le contingent de prix Nobel et de médailles Fields (le Nobel de mathématiques réservé aux moins de 40 ans) parmi les anciens élèves. En dehors du prix Nobel de littérature, mais il est fort rare qu’à l’université, un professeur de littérature, ou de toutes autres disciplines, soit également un écrivain renommé, tous les autres prix Nobel font partie de la famille des sciences lourdes (médecine, physique, chimie, économie).
Le second est le nombre de Nobel et Fields parmi les chercheurs de l’université. Ce second point appelle naturellement la même remarque.
Puis est pris en compte le nombre de chercheurs les plus cités dans leurs disciplines depuis les dix dernières années. Encore faut-il que la revue soit dite à référé (tel n’est pas le cas par exemple, sauf exception, des revues juridiques). Il faut noter que la bibliométrie recèle un effet pervers. Un auteur peut faire l’objet de multiples citations mis en cause qu’il est par ses pairs pour ses approximations et erreurs grossières. Thomas Piketty fournit un bon exemple. Il fait l’objet de très nombreuses références, mais c’est fréquemment pour être critiqué et blâmé de façon cinglante.
Le quatrième critère fait référence au nombre d’articles publiés dans Nature et Science pendant les cinq dernières années. Les humanités, et plus largement les sciences humaines et morales, en sont exclues de facto.
L’avant-dernier critère est le nombre d’articles indexés dans Science Citation Index, et Social Sciences.
Enfin, le dernier résume, synthétise et cristallise les autres puisqu’il est question de « la performance académique au regard de la taille de l’institution » ?! (un calcul bien délicat et vraisemblablement aussi approximatif que lorsque le ministère de l’Éducation nationale en France « redresse » les résultats effectifs au baccalauréat en fonction des résultats « attendus », vu l’origine sociale des élèves. Cette idée particulièrement perverse de déterminisme de la réussite scolaire en fonction de l’origine sociale des élèves est issue évidemment directement des idées proposées par Bourdieu et Passeron en 1966 dans Les Héritiers, la bible des soixante-huitards, et évince les travaux ultérieurs mondialement acceptés et ratifiés de Raymond Boudon sur « l’inégalité des chances ». Rien ne mesure mieux l’imprégnation idéologique et l’absence de vraie culture des ministres de l’Éducation nationale réputés de droite que l’acceptation pleine et entière de cette doxa dont d’innombrables mesures de « rattrapage social », de quotas, de discriminations positives ont découlé.
Ce qui précède peut se résumer ainsi : « dis-moi quels critères tu utilises, et je te dirai par avance les résultats…». Selon les « entrées » choisies, il est aisé de prévoir les résultats.
Des résultats cependant significatifs et éclairants
Une fois ces limites et restrictions admises, les résultats appellent des commentaires dont la portée est certaine. Ils sont essentiellement au nombre de trois.
D’abord le classement confirme évidemment la corrélation-causalité entre le niveau du capital humain d’un pays et son développement.
Si nous descendons jusqu’au rang 100, 18 pays sont concernés. (curieusement, alors qu’il s’agit d’un classement issu de la Chine, avec une citation Hong Kong est considéré comme un pays indépendant)
Les États-Unis sont en tête de façon écrasante avec 38 citations (et 8 dans les 10 premières universités du monde, 12 dans les 15 premières, 16 dans les 20 premières, 21 dans les 30 premières…), la Grande- Bretagne (8 citations avec Cambridge et Oxford dans les 7 premières, soit les deux seules non américaines entre le rang 1 et le rang 14).
Figurent également : l’Australie (6 citations ), la Suisse (5), le Canada (5), La France (4), l’Allemagne (4), la Suède (3), Israël (3), les Pays-Bas (3), le Japon (2 citations seulement), la Belgique (2), le Danemark (2), la Norvège (1), Singapour (1), la Corée du Sud (1).
Le classement de la Chine provoque quand même une certaine forme d’étonnement.
Les universités y sont certes, selon des observateurs avisés, compétents et incontestables, en très nets progrès. De là avec 10 citations à occuper 10 % du Top 100 et égaler la France, l’Allemagne et le Japon réunis…
Les choses sont désormais bien établies par l’analyse économique. La richesse de chacun dans une frontière donnée (et par agrégation la richesse de tous) dépend de plusieurs éléments : d’une part la qualité et la prévisibilité des institutions et du droit ; d’autre part le niveau du capital humain, lui-même divisé, selon des pondérations à déterminer, en capital éducation et savoirs, et en capital santé ; et enfin, dernier élément, la densité du maillage numérique permettant immédiatement l’accès aux connaissances utiles et nécessaires à nos prises de décisions et la connaissance des possibilités, actions, opportunités offertes par les autres afin d’optimiser l’échange marchand monétarisé, comme non marchand.
Le classement confirme également une dimension apparemment de moindre importance, presque de nature technique, et qui pourtant confirme de façon éclatante et lumineuse qu’à partir d’une certaine taille les effets pervers engendrés sont supérieurs aux avantages évidemment attendus par une addition des facteurs de production, le travail et/ou le capital. Small is beautiful. La loi ricardienne des rendements décroissants joue à plein son rôle en matière universitaire.
Il faut en apporter la preuve.
Nous avons pour les quinze premières universités du monde, selon les critères de Shanghai, consulté à la source le nombre d’étudiants. Notons d’abord que douze d’entre elles sont américaines. Deux sont anglaises, Cambridge et Oxford, et une française, Paris-Saclay.
En dehors de Berkeley et University of California Los Angeles, qui dépassent de peu les 40 000 étudiants ainsi que Paris-Saclay (48 000 étudiants, 8100 enseignants-chercheurs ), toutes ont un effectif inférieur à 30 000, à l’exception de Columbia à New York (31 317). Princeton s’autorise à en avoir moins de 10 000, Yale 14476, Chicago moins de 15 000, le MIT 10 894, et Harvard, cette année encore en « pole position » moins de 20 000. Cambridge et Oxford sont pour l’une à 20 000 étudiants, l’autre à 23 000.
Autrement dit, la taille ne fait pas la qualité. Le bureaucrate, le technocrate et nombre de ministres de l’Enseignement supérieur en France ont imaginé, pensent encore et sont convaincus qu’en additionnant des étudiants et des chercheurs on accroît ses chances de bien figurer. L’apparence est trompeuse. Certes théoriquement, et c’est vrai à la marge, plus il y a d’enseignants-chercheurs, plus il y a de production(s) scientifique(s) et de références en bas de pages à imputer à l’université pour augmenter son score.
C’est oublier qu’à partir d’une certaine taille, des coûts de bureaucratie, d’encadrement, de hiérarchie, des coûts organisationnels, des coûts sociaux, d’information, de communication et bien d’autres, viennent, non seulement gommer les avantages attendus de l’augmentation en travail et capital, mais encore même peuvent produire des effets pervers stérilisants et décourageants pour les plus productifs et talentueux. Les forces des meilleurs s’épuisent dans des documents abscons, sans contenus ni intérêt qu’une bureaucratie, afin de justifier son existence, ne cesse de produire selon des mécanismes analysés avec brio et et pertinence, acceptées aujourd’hui en certitudes, par Mises, Sauvy, Crozier et Niskanen.
Si ce n’était si grave et lourd de conséquences qu’il suffise d’écrire que dans telle ou telle université française la taille des caractères pour une thèse a été définie par note, ainsi que les couleurs autorisées pour la couverture… ! C’est simultanément comique, incroyable, risible, dérisoire, consternant, pitoyable, pathétique et tragique.
Le troisième trait notable et significatif puise dans la nature des droits de propriété. Restons dans le classement de 1 à 15, échantillon suffisant (du reste confirmé par la suite du classement).
Dans les 15 premières universités du classement de Shanghai, 12 sont des universités privées, 3 des universités publiques. (Berkeley, University of California Los Angeles, et Paris-Saclay).
Dans les 12 premières, 10 sont privées. Le duo gagnant est donc clairement d’être de taille raisonnable (assez pour bénéficier des économies d’échelle, et point trop pour éviter les effets de l’implacable loi des rendements non proportionnels), et de mettre en jeu à tous les niveaux la responsabilité par les mécanismes féconds liés au droits de propriété privés.
Il n’est pas besoin d’être savant pour comprendre, par exemple, le faible effet stimulant d’un financement public assuré, quelle que soit par ailleurs la performance. Ce propos ne signifie en rien que les personnels sont démotivés dans l’enseignement supérieur public. Il souligne simplement qu’un pôle d’excellence est subventionné à l’identique d’un autre qui se comporte médiocrement (nonobstant le mythe du diplôme national, à vrai dire le mensonge destructeur et trompeur pour les étudiants, comme pour les parents, qui laisse à penser qu’une licence en droit ou en lettres est toujours et partout de niveau identique. À ce stade on quitte l’hypocrisie pour tomber dans la mystification).
Bien sûr, les choses sont plus complexes. Les moyens de la recherche ne comptent pas pour rien. L’écrasante suprématie de l’anglais dans les revues scientifiques a donné un temps un avantage non négligeable aux Anglo-Saxons (ce point est en train d’être gommé par la généralisation de l’anglais parmi les savants). Le niveau de rémunération incite plus ou moins. Et bien d’autres choses encore dépassant le cadre imparti à cet article. Mais enfin les faits sont là , et ils sont têtus.
Cela signifie-t-il l’échec irrémédiable des systèmes à droits de propriété publics ?
Gardons-nous de tout sectarisme. Berkeley est en cinquième position, et University of California Los Angeles, au treizième rang en 2022, se maintient exactement à la même place cette année.
Appliquons la jurisprudence méthodologique (John Stuart Mill, Karl Popper) des cygnes blancs et noirs. Le fait que les quatre premières universités du classement sont privées ne permet pas d’inférer la proposition qui serait vraie universellement en tous temps et tous lieux.
« Toutes les bonnes universités sont privées ».
Inversement, la présence de trois universités publiques parmi les 15 premières permet d’affirmer cette proposition vraie :
« Les bonnes universités ne sont pas toutes privées ».
Notons cependant une chose fort importante en termes de motivation, d’incitation, de volonté d’excellence. Berkeley a pour voisine Stanford (deuxième du classement). Si Berkeley veut avoir des étudiants d’excellence, et non pas le rebut que ne veut pas Stanford (17 246 étudiants), il lui faut être attirante par un très haut niveau.
La remarque vaut pour University of California de Los Angeles environnée, sinon presque encerclée, par des universités privées californiennes Stanford, California Institute of Technology, etc. et même sa concurrente publique Berkeley ! Dans les 15 premières, les trois universités publiques sont les seules à dépasser 40 000 étudiants : 48 000 pour Paris-Saclay, 45 057 pour Berkeley, et 44 947 pour University of California de Los Angeles.
Nous ne savons répondre à la question de l’absence totale dans les 100 premières du classement des universités des pays suivants : Russie, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Italie, alors que la Chine est présente dix fois. Nous n’osons imaginer un biais nationaliste dans un classement scientifique.
La France, bulletin de notes : élève moyen, dommage, car peut incontestablement mieux faire
Le fait pour la France que l’université et les grands organismes de recherche soient, au-delà des mots, entre les mains de l’État, politise à outrance le débat autour de cette question vitale.
Il s’en déduit des positions extrêmes et outrancières oscillant entre excès d’honneur (non, l’université française n’est pas au top) et procès en indignité (non, l’université française n’est pas à la dérive).
Reformulons la chose : l’enseignement supérieur français est-il à la hauteur espérée ? La réponse est négative. Fait-il naufrage ? Non. Est-ce un énorme gâchis ? Oui.
Après leur formation en France (payée par le contribuable dans un système public) une partie non négligeable des meilleurs partent désormais vers des pays dans lesquels, des moyens de travail aux rémunérations, ils peuvent mieux épanouir leur potentiel.
Au-delà de ces premières réflexions, gardons-nous d’oublier les critères de Shanghai.
On a vu précédemment qu’ils donnaient une prime spectaculaire aux sciences dites dures.
Certes, nos facultés de médecine donnent beaucoup de points aux universités françaises dans lesquelles elles sont installées. Certes, Paris Orsay l’ex Paris XI) et ses écoles d’ingénieurs permettent à l’appellation Paris-Saclay d’entrer dans le top 15 et de faire partie de la toute petite cohorte (3 unités) avec Cambridge et Oxford, d’universités dans le top 15 qui ne sont pas situées aux États-Unis.
Les facultés de sciences (ex Paris 6 et 7 dont le campus de Jussieu), et médecine (en particulier ex Paris 5 Descartes et Paris 6, l’Institut de physique du Globe), remplissent l’escarcelle des trois autres universités françaises classées dans le top 70, soit Paris Sciences et Lettres (P.S.L.), Sorbonne Université 46e, et Université Paris Cité 69e.
Mais évidemment, la place résiduelle, voire infime, donnée aux sciences humaines pénalise la France dans ce classement presque exclusivement consacré aux sciences dures.
La France a toujours des facultés de droit parmi les meilleures du monde (Paris 2 Panthéon-Assas, dont la réputation d’excellence n’est pas à démontrer, ne figure pas dans le top 200, ce qui interroge sur le classement de Shanghai), et nos historiens, surtout en histoire de l’Antiquité, du Moyen Âge, et en Histoire de France pour les Bourbons, sont très bien placés.
Dans les humanités classiques nous sommes hauts dans le hit parade, et la partie de la sociologie dans le sillage de Raymond Boudon rivalise sans difficulté avec les meilleurs mondiaux.
Ces considérations pèsent lourd .
Un autre exemple : la prestigieuse université Université Jean Moulin Lyon 3 entièrement dédiée aux sciences humaines est absente, pendant que l’université Claude Bernard Lyon 1 Sciences et Santé, très bonne maison certes également, figure dans le top 200).
Paris Sciences et Lettres est 41e, régressant d’une place, détail insignifiant. Sorbonne Université est 46e régressant légèrement. (de nouveau la vérification se fait. Ce regroupement récent est celui de l’ancienne faculté des lettres de Paris 4 Sorbonne, mais surtout comprend tout Paris-Centre en médecine et l’ancienne faculté des sciences Pierre et Marie Curie à Paris-Jussieu ).
Toute la suite du classement confirme notre thèse, puisque toutes les autres universités classées, ainsi par exemple Aix-Marseille Université est dans le groupe 151e – 200, comprennent scientifiques et médecins ; alors que le fleuron sans doute d’Aix-Marseille Université est sans doute la prestigieuse faculté de droit d’Aix-Marseille née en 1409, et qui apporte peu de points à sa maison-mère, c’est-à -dire Aix-Marseille Université.
Il reste pour finir à souligner deux choses.
D’une part, un handicap majeur pour de nombreuses universités françaises. C’est qu’une partie importante, voire dominante de la recherche en sciences et médecine va passer par le CNRS et l’INSERM non pris en compte dans le classement si le laboratoire n’est pas rattaché à une université ; d’autre part, quels sont les vices à éradiquer dans notre université ?
Évidemment, le fait que certains laboratoires du CNRS, en particulier en sciences, ne soient pas rattachés à une université affecte de nombreux établissements dans le classement de Shanghai, puisque ce dernier ne traite que des universités. Le CNRS est souvent critiqué. Quelquefois avec raison pour ses procédures, et une bureaucratie qui a augmenté de façon significative. Souvent à tort, car dans beaucoup de disciplines, en particulier en sciences lourdes, il est et reste un pôle d’excellence. La plupart de nos prix Nobel en sciences, et médailles Fiels en mathématiques sont issus et rattachés au CNRS. La non affiliation de certains laboratoires du CNRS à une université est évidemment un lourd handicap pour nos universités pour le classement que nous examinons. (l’équivalent du CNRS n’existe ni aux USA, pas plus en Grande-Bretagne, Canada, Australie, Chine, etc.).
Si, pour conclure, on s’interroge sur les vices à évincer pour rendre nos universités meilleures, un certain consensus existe parmi des personnes pourtant par ailleurs très opposées sur le plan doctrinal.
Nos universités sont trop grandes (cf notre point 2).
Une frénésie de regroupements a été menée en ne voyant que les économies d’échelle, mais pas les effets pervers expliqués précédemment.
Ce gigantisme a entraîné une bureaucratie dont on a peu idée si on n’y est pas confronté directement. L’autonomie est une véritable farce.
Nos maîtres d’il y a cinquante ans nous expliquent qu’ils géraient comme ils le désiraient, du moins la dimension des choix scientifiques et pédagogiques. Aujourd’hui, de plan quadriennal en contrats d’objectifs, des écoles doctorales aux innombrables instances, conseils, commissions, comités, un directeur de laboratoire n’a quasiment plus de temps pour chercher, comprendre, trouver, écrire. Pour continuer leur vrai métier, ils sont nombreux à renoncer à des responsabilités autrefois prestigieuses, et pour lesquelles la concurrence était vive. Les non universitaires professionnels, parmi les lecteurs, croient que, du moins dans les très grosses facultés à fort enjeu, la bataille pour le décanat est féroce. C’est tout l’inverse.
Le problème est désormais le suivant : convaincre une ou un collègue, si possible prestigieux, de se dévouer pendant cinq ans. La charge est tellement écrasante du point de vue administratif que le collègue sait qu’il met totalement ou presque, sa carrière scientifique et toute autre activité en sommeil pendant ces cinq années.
Or, dans certaines spécialités, inclus en droit, une coupure de quelques années peut se révéler à terme rédhibitoire sur le plan scientifique. On comprend mieux les légitimes hésitations. En outre, dans certaines institutions, la politisation au moment des élections universitaires est très grande. Les candidats ne doivent surtout pas oublier de soigner les personnels et les élus étudiants. S’il y a deux candidats proches, ce sont ces deux dernières catégories qui arbitrent. Les désastreuses lois Edgar Faure (1968), Savary (1984) et Pécresse (2007) n’ont pas fini de polluer la vie universitaire.
D’autre part, l’habitude commence à se prendre de réclamer des évaluations collectives. Or, s’il est vrai que fréquemment la recherche additionne de multiples talents et compétences, rien n’est plus solitaire et personnel que l’activité de recherche. On le vit dès la rédaction de sa thèse qu’on n’écrit pas à plusieurs. Et c’est tout seul que je rédige cet article.
Il resterait d’autres points à évoquer, mais nous aurons écrit l’essentiel en insistant sur une dernière dimension.
Les procédures de recrutement dans l’université française sont trop souvent, mais pas toujours, ici opaques, là incompréhensibles, là encore marquées par des biais idéologiques.
Soyons clair : en matière de recrutement universitaire aucun système n’est parfait. Comme en matière électorale chaque procédure comporte avantages et inconvénients.
Mais en ce domaine, comme tant d’autres, on voit aisément les vertus de la concurrence et de la compétition. Imaginons, par un biais ou un autre, une esquisse de vraie concurrence entre les universités. On peut légitimement penser qu’elles chercheront à recruter les meilleurs des enseignants. Et ce pour une raison très simple et incontournable : dans une université, les étudiants ne sont que de passage, les enseignants pour près d’un demi siècle.
L’université qui attire les meilleurs étudiants, et figure au sommet du classement de Shangai, verra par le fait même affluer nombre d’étudiants brillants qui, non seulement acquitteront le prix des études, comme on paie le prix de toute chose, mais il est vraisemblable que les meilleurs étudiants auront de très belles carrières, donc de très hauts revenus. Et ils se feront un plaisir et un devoir d’alimenter les fondations qui constituent l’essentiel du financement et des moyens colossaux des universités américaines.
Et c’est avec ces moyens qu’on peut recruter les meilleurs professeurs avec de hautes propositions salariales, qui, à leur tour, attireront les meilleurs étudiants, et ainsi de suite.
Voilà pourquoi les universités américaines dominent de façon écrasante le classement de Shanghai.
Pas parce qu’un Américain est en moyenne mieux doté intellectuellement qu’un autre, mais parce que les bonnes institutions génèrent les bons comportements et attitudes qui font à travers l’éducation la richesse des nations. Pour l’avoir compris et explicitement écrit dès la fin du XVIIIe siècle, voilà ce qui fait la grandeur et l’immortalité du père de l’économie politique, Adam Smith.
Le classement est établi sur des universités qui demandent des droits d’admissions astronomique, on supposerait même qu’elles financeraient leur classement
Ce qui est gratuit ne vaut rien.
C’est exact, pour y avoir travaillé les écoles ont un budget com’ et des politiques éducatives formatées dans l’optique de booster leur place dans les classements, pas forcement Pisa, et ces critères n’ont rien à voir avec la qualité effective de l’enseignement. Un peu comme la police fait la course aux petits fumeurs de joint pour optimiser les chiffres.
Il n’y a pas eu beaucoup d’analyses sur le classement de Shanghaï faites avec une certaine objectivité en France. En fait les Français sont vexés de voir que leur enseignement supérieur et surtout leur recherche est largement égalée et parfois surpassée par d’autre pays scientifiques. Ils ont même créé de toutes pièces (les pièces étant des Universités, des Grandes Ecoles et peut-être des laboratoires du CNRS, pour établir une pseudo-université de Paris-Saclay. C’était pour figurer dans le classement de Shanghaï !
Ce que je reproche à ce classement, c’est de ne pas publier toutes les informations : il faut donner les nombre d’établissements examinés et non classés par pays ; il faut donner le score des différents paquets d’établissements entre lesquels il n’y a pas de différence significative et la valeur de cette différence significative. Les vrais scores sont donnés pour les 99 premiers classés ; on voit qu’ils diminuent très rapidement. Par rapport au premier (Harvard dont le score est 100) on descend à 25.1 pour le 99ème. Les scores doivent descendre à des niveaux très bas ensuite mais ne sont pas connus. Quelle est alors l’importance d’être classés dans le paquet des 101 à 200 ou dans le paquet suivant (201 à 300) et ainsi de suite. Les paquets sont régulièrement espacés à partir de 100 mais ce sont les scores qui devraient être régulièrement espacés et donnés.
La possibilité de classer un pays serait valable si on connaissait le nombre total d’établissements examinés, le nombre de classés, les scores, et si possible, le nombre total d’Universités ou d’établissements du pays.
J’ai comparé la France à la Belgique et à la Suisse. Ainsi, la France possède 27 établissements classés mais elle a 74 universités ! La Belgique a 9 classés pour 11 universités ! La Suisse a 9 classés pour 9 universités ! Cela fait des taux de classements de 36%, 82% et 100%, respectivement. Malgré la qualité, encore très respectable de la recherche française, il n’y a pas lieu d’être très fier, même par rapport à nos voisins immédiats. Si on compare simplement les nombres d’établissements classés dans les principaux pays scientifiques : on voit ceci : Etats-Unis : 187 ; Royaume-Uni : 64 ; Allemagne : 45 ; Italie : 40 ; Espagne : 38 ; France : 27 ; Canada : 25 ; Pays-Bas : 13 ; Belgique et Suisse :9 ; Danemark : 6. Ce classement démontre la puissance scientifique des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, mais aussi l’excellence des petits pays puisqu’ils ont peu d’Universités (NL, B, S, Dk).
Une autre critique, qui rejoint cependant la première, est la définition de l’Université. Shanghaï compare des pianos avec des oranges quant il met sur le même pied un regroupement comme Saclay avec une université de médecine américaine ou l’école royale militaire de Belgique (non classée d’ailleurs)(NB L’école polytechnique en France fait partie du consortium de Saclay !).
Concernant les critères, il est clair, qu’à partir d’un certain classement, il n’y plus de prix Nobel, plus de médailles Field, pas de publications dans Nature ou Science. Le score ne peut donc être déterminé que par l’index des citations. Ces critères seront à l’avenir de plus en plus nébuleux puisque les publications sont signées par un nombre croissant de personnes (cela va parfois jusqu’à plus de 50 !) de laboratoires ou établissements différents, et on ne sait qui a fait le plus. Comment attribuer les notes : à qui et à quel établissement ?
Oui, les Français sont vexés, mais comme d’habitude ils se préoccupent du thermomètre quand il faudrait chercher à influer sur la température. Le classement met les sciences dures en avant, alors qu’elles sont regardées avec au mieux de la méfiance en France. Mais la conclusion de l’article est clairvoyante : la science dure mène à des réussites qui ensuite financent leur perpétuation par de bons professeurs et des bourses et des pré-contrats aux étudiants brillants. Les sciences molles ne mènent pas à la réussite, c’est seulement une fois qu’on a réussi qu’on peut consacrer une part de ce qu’on a gagné aux sciences molles. Pour les mécontents, il y a deux solutions : créer un « classement des Parisiens et des Marseillais », fondé sur la capacité à briller dans les sciences molles, le publier, et voir quel retentissement il acquiert à l’international, ou accepter l’importance des sciences dures dans le quotidien de l’enseignement, et leur redonner un rôle significatif dans les programmes et les évaluations scolaires (s’il y en a encore).
C’est pourquoi il ne faut classer que les vraies universités, constituées au moins par : faculté de sciences, faculté des sciences appliquées, faculté des médecine, faculté de droit, commerce et gestion, faculté de lettres.
Les sciences dures sont celles qui font innover et évoluer une société. Les domaines « littéraires » sont sujets à du subjectif/analyse perso/abstrait ; non fiable donc pour un classement.
Cela n’empêche pas qu’il faille potentiellement faire un classement, mais à côté ; intéressant aussi pour analyser la culture/société d’un pays.
Le niveau d’enseignement dépend du niveau des enseignants. Quand en France on aligne des S. Rousseau comme enseignantes chercheuses en économie, on a vite compris pourquoi la France est loin de rattraper son retard face aux universités américaines et du Royaume-Uni. Car dans tous les domaines non purement scientifiques en France, si l’étudiant ne présente pas des idées bien à gauche, il est certain d’être éjecté des doctorats, s’il n’a pas été saqué avant.
Grâce à notre nouvelle méthode d’éducation, le baccalauréat ne vaut plus rien et son niveau atteint avec difficulté le niveau de 3ieme de 1980 (et sous réserve que l’élève sache lire). Les classes préparatoires scientifiques et commerciales voient leur niveau diminuer pour favoriser des cancres sous prétexte qu’ils sont issus de l’immigration. Il est désormais impossible aujourd’hui pour un bachelier d’entrer dans une fac étrangère sans passer un concours. À contrario, les bacheliers scientifiques du Maroc (pour prendre un exemple d’éducation basée sur notre système) ont toujours le niveau qu’avaient les bacheliers français en 1980.
L’école de la réussite sociale est devenue l’école du rien foutre. Et les profs en sont grandement les promoteurs.
à JR
Votre commentaire est hors sujet. Le classement de Shanghaï ne concerne pas l’enseignement mais la recherche. Cependant, je ne suis pas d’accord avec vos assertions non seulement très pessimistes mais fausses pour la plupart.
Et même parmi les domaines bien scientifiques, il faut maintenant des sujets de thèse bien politiquement corrects, c’est-à -dire écolo ou anti-application industrielle, et que ça se voie dans le titre de la thèse.