Chine : véritable déflation ou simple passage à vide ?

L’effondrement des prix et l’instabilité économique en Chine suscitent des inquiétudes quant à l’émergence d’une déflation. En scrutant les indicateurs clés tels que la production, les exportations et le chômage, Pierre Robert évalue le risque de déflation et analyse comment le secteur immobilier chinois pourrait aggraver cette menace, tout en explorant les réactions potentielles des autorités pour renverser cette tendance.

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Chine : véritable déflation ou simple passage à vide ?

Publié le 17 août 2023
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L’économie chinoise émet aujourd’hui des signaux qui inquiètent les observateurs, même s’ils sont encore difficiles à interpréter.

 

Des signaux qui interrogent

Selon le bureau national des statistiques de ce pays, l’indice des prix à la consommation enregistre une baisse de 0,3 % en juillet, pour la première fois depuis février 2021.

Plus alarmant, l’indice des prix à la production, qui mesure le coût des marchandises sorties d’usines, s’est le même mois contracté de - 4,4  % pour la dixième fois consécutive.

Toujours en juillet dernier, les exportations ont reculé de près de 15 %, leur plus fort repli depuis trois ans, alors que l’appareil productif était paralysé par la pandémie.

En outre, un jeune Chinois sur cinq (16-24 ans) est au chômage selon les chiffres publiés en mai, soit un taux de 20,8 % et un nouveau record dans le pays asiatique.

 

Des pressions manifestes à la baisse des prix et de l’activité

De fait, les principaux moteurs de la croissance chinoise sont aujourd’hui en voie d’essoufflement.

La production manufacturière tourne au ralenti, en lien avec l’apathie de la consommation des ménages et avec l’affaiblissement de la demande internationale pour les produits chinois. Elle est de fait affectée par la menace de récession aux États-Unis et en Europe, combinée à l’inflation dans ces régions et aux tensions commerciales entre Washington et Pékin.

De surcroît, le secteur immobilier est en plein marasme dans l’Empire du milieu.

Peut-on d’ores et déjà en conclure que le pays est en proie à la déflation ?

 

Déflation, le mot qui fait peur

À ce stade, cela semble prématuré dans la mesure où la déflation n’est pas un simple épisode de baisse momentanée des prix.

Elle est un processus cumulatif, durable et auto-entretenu de contraction du niveau général constatée sur une période longue.

Une fois qu’elle s’est installée, elle affecte durement tous les agents économiques.

En effet, elle incite les ménages à différer leur consommation de biens durables et leurs investissements en logement avec l’espoir de profiter demain de prix plus bas qu’aujourd’hui (mais avec demain un risque de chômage bien plus élevé qu’aujourd’hui).

Pour les entreprises, elle est synonyme de baisse de leur marge, car elles ne peuvent réduire leurs coûts aussi vite que la baisse de l’activité, ce qui les pousse à réduire leurs investissements.

Pour l’économie en général, la déflation entraîne la chute de l’activité et l’augmentation du chômage comme la crise des années 1930 en a fait la triste démonstration.

Quant aux agents économiques endettés (entreprises, États, particuliers), elle les pénalise tous car ils voient la valeur de leur dette, restée constante en valeur nominale, augmenter en valeur réelle. Les plus fragiles risquent de ce fait la faillite.

Une fois le processus en route il est très difficile d’en sortir comme le confirme le cas du Japon. Lorsqu’à la fin des années 1980 l’énorme bulle spéculative qui s’y était formée a éclaté, son économie a traversé une longue phase d’atonie et de baisse des prix contre laquelle les politiques économiques mises en œuvre sont restées longtemps inopérantes.

 

L’immobilier chinois dans la tourmente

Parler de déflation suppose donc que se constitue un cercle vicieux faisant interagir de multiples éléments, ce qui ne semble pas être aujourd’hui le cas en Chine.

Si toutefois, au-delà du choc déflationniste que son économie subit actuellement, une telle spirale cumulative devait apparaître, le principal responsable de cette mutation serait la crise profonde que traverse son secteur immobilier.

Alors qu’il représente environ le quart du PIB du pays, il est aujourd’hui aux abois en raison du marasme du marché et des déboires financiers de ses principaux opérateurs. En juillet, les ventes ont chuté de près de 40 % par rapport à ce qu’elles étaient un an auparavant, ce qui génère une très forte pression de déstockage et de chute des prix.

Dans un tel contexte, Evergrande, le plus gros promoteur, est écrasé par une dette obligataire de 300 milliards d’euros. Mis en défaut de paiement, il a été incapable de présenter à la fin du mois dernier le plan de restructuration promis à ses créanciers.

Country Garden, un autre mastodonte, a enregistré en 2022 une perte record de 800 millions d’euros. En 2023, on s’attend pour le premier semestre à une perte nette de l’ordre de 6 à 7 milliards d’euros.

Selon Bloomberg, son endettement global s’élève à 176 milliards d’euros. Or, le 7 août, le groupe n’a pas eu les moyens de verser les intérêts dus sur deux emprunts contractés sur les marchés internationaux. Un délai de 30 jours lui a été accordé, mais le risque d’un défaut de paiement en septembre est élevé.

Si cela se confirmait, la crédibilité des entreprises chinoises en serait fortement affectée sur les marchés internationaux de capitaux à un moment où les flux d’IDE ont déjà tendance à se réduire. Depuis la mi-juin, de nombreux analystes doutent en effet que la Chine retrouve des taux de croissance comparables à ceux d’avant l’épidémie. L’effondrement du secteur immobilier chinois aggraverait durablement cette tendance et on pourrait alors voir se mettre en place les ingrédients d’une véritable déflation.

 

Conséquences prévisibles de ce choc déflationniste

Par le canal des échanges internationaux de biens, l’impulsion déflationniste venant de Chine devrait à court terme exercer une influence modératrice sur l’inflation qui sévit dans les pays occidentaux.

Cela devrait inciter la Fed et la BCE à mettre plus vite un terme à leur cycle de hausse des taux, procurant ainsi une bouffée d’oxygène aux agents qui dépendent de leurs politiques monétaires. Cela peut aussi favoriser une certaine détente sur les cours du pétrole qui oscillent sous l’influence de deux forces contradictoires : le ralentissement de l’économie chinoise et la réduction de l’offre par l’action combinée des Russes et des Saoudiens.

À horizon un peu moins rapproché, il n’y a toutefois pas lieu de se réjouir. Si la Chine entre vraiment en déflation, il en résultera un effet dépressif majeur sur l’ensemble de l’économie mondiale, et en particulier sur les pays occidentaux qui seront confrontés à une très probable montée du chômage.

 

Relance en vue ?

Deux éléments majeurs permettent toutefois de penser que le scénario de la déflation et du marasme sera invalidé.

D’une part, ces trois dernières années, le gouvernement de Xi Jinping a surtout cherché à contrôler le virus avec une politique zéro covid  drastique. Pour contrer le ralentissement de l’activité, il s’est pour le moment limité à réduire certains taux d’intérêt et à offrir des incitations fiscales aux entreprises en s’abstenant de toute mesure de relance majeure. Les mauvais chiffres récents devraient le pousser à mettre en place des mesures beaucoup plus énergiques de stimulation de l’économie, tout en veillant à ne pas réveiller la spéculation immobilière dont le pays paie aujourd’hui les conséquences.

D’autre part, l’imbrication des circuits de l’économie mondiale, leur extrême interdépendance opposent des freins puissants aux velléités de « découplage » que certains aux États-Unis voudraient instituer en coupant les liens économiques, technologiques et financiers qui unissent la Chine au reste du monde. Un tel fractionnement du monde favoriserait sûrement un processus très négatif d’inflation chez les uns, de déflation chez les autres, mais de marasme pour tous.

Dans ces conditions, personne n’a vraiment intérêt à ce que l’économie chinoise plonge dans la déflation et entre dans une phase de stagnation durable de son économie. Si tel devait être le cas, on peut légitimement craindre que Pékin soit encouragé à mener une politique toujours plus massive de réarmement.

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  • Déflation ou pas ne me paraît pas la question, ça détourne l’attention des deux véritables problèmes qu’il faut considérer directement :
    1. La crise de l’immobilier en Chine est-elle maîtrisable ? AMHA, probablement oui, mais pas sans passer par une bonne purge. En revanche, les autorités devraient pouvoir la cantonner et éviter trop de conséquences sur le reste de l’économie.
    2. La réduction de la demande extérieure (et des investissements étrangers) qui pénalise l’économie. C’est d’une part le symptôme d’une mauvaise santé en Occident dont nous devrions nous inquiéter, et d’autre part la conséquence de la popularité croissante du protectionnisme, dont nous devrions là encore nous inquiéter en priorité parce que faisant payer plus cher les mêmes produits, c’est un facteur inflationniste chez nous.

  • Cet article n’a rien de libéral. Pourquoi la déflation est elle mauvaise? Pour les états endettés, les entreprises zombies, c’est sûr que c’est une mauvaise nouvelle. Pour les consommateurs? Pourquoi les gens possèdent des ordinateurs, alors que le même coutera moins cher dans un an? Sont ils idiots?
    Bref, la déflation correspond à une correction de prévisions économiques, une purge de mauvais investissements. Ne me dites pas que la Chine, l’empire de la connivence, aurait pu faire des investissements mal avisés? Ce serait incroyable, le PCC ayant la science infuse comme tout le monde le sait.
    Les prix baissent car les produits proposés par des entrepreneurs sous la botte de Xi ne plaisent pas à la population? J’ai la solution, les dépouiller… euh, pardon, une « stimulation »: dévaluons la monnaie, comme ça même les produits non désirables verront leur prix augmenter. Ouf, la déflation est évitée! Quant aux produits désirables, leur prix va exploser, mais bon, les gens ne pourront pas les acheter, donc ils ne pèseront pas dans le calcul de l’inflation.

  • Avatar
    hecosphere@gmai.com
    17 août 2023 at 23 h 19 min

    Cet article est factuel. Il s’efforce avant tout de rendre compte de la situation de l’économie chinoise à partir de données objectives.
    Il n’en est pas moins profondément libéral pour moins deux raisons :
    – Il dénonce une politique qui, sous l’emprise de la corruption a laissé gonfler une bulle immobilière démesurés sur le point d’éclater
    – Il plaide pour le maintien d’un commerce international ouvert contre les tentations agressivement protectionnistes de ceux qui militent pour un découplage.

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