Conquête spatiale : la Chine, seule vraie rivale des États-Unis

La Chine est présente sur tous les fronts du « spatial-habité », beaucoup plus que les autres « pays spatiaux », Russie ou Europe.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 1

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Conquête spatiale : la Chine, seule vraie rivale des États-Unis

Publié le 13 août 2023
- A +

Dans les différents domaines concernés par la conquête spatiale, lanceurs lourds, astroports, stations spatiales, exploration de la Lune, exploration de Mars, les Chinois sont présents, très actifs mais toujours secrets malgré quelques ouvertures. Et ils ne comptent que sur eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils ne dépendent pas des autres même s’ils s’en inspirent. Ce sont les vrais et les seuls challengers des États-Unis.

Le premier domaine est celui des lanceurs lourds.

Dans celui-ci, le CZ-5B (ChangZheng / Longue-marche-5B) est activement utilisé. Il peut mettre 20 tonnes en LEO (Low Earth Orbit) et 14 tonnes en GTO (Geosynchronous Transfer Orbit). Ces chiffres sont à comparer aux 63,8 tonnes en LEO et aux 26,7 tonnes en GTO du Falcon Heavy, et aussi aux 22,9 tonnes et 8,3 tonnes du Falcon 9, ou encore aux 10,5 tonnes en GTO de l’Ariane 5-ECA (12 tonnes pour la future Ariane 6-A64).

Comme pour tous les concurrents du leader SpaceX, le problème pour la Chine est la récupération et la réutilisabilité, mais elle y travaille. En mai 2023, elle a informé le monde de l’atterrissage d’une navette spatiale (donc l’équivalent d’un second étage) qui aurait passé 276 jours dans l’espace (malheureusement on attend encore les images).

Depuis 2016, elle travaille à un CZ-9, ultralourd, qui serait comparable au Starship (150 tonnes en LEO), totalement réutilisable dans son concept 2022, mais qui ne devrait voler que dans les années 2040. NB : l’ESA ne fait que commencer à y penser après avoir beaucoup critiqué le principe même, comme étant trop coûteux (dépense supplémentaire d’énergie pour le retour) et empêchant les économies d’échelle (la réutilisation des moteurs en aurait limité le nombre en production).

Qui dit lanceur implique astroport, car il faut bien partir de quelque part, et éventuellement y revenir. La Chine en dispose sur son territoire, bien évidemment. On parle souvent de ceux de Jiuquan en Mongolie Intérieure, par 40° Nord, de Xichang dans le Sichuan, par 28° Nord ou de Wencheng (île de Haïnan) par 19° Nord. C’est à l’équateur que les lancements sont les plus économiques (moins de poussée pour le maximum de vitesse) puisque à cette latitude 0, une fois dans l’espace, le véhicule va disposer du maximum de la vitesse de rotation de la masse terrestre (effet de fronde). Toutefois, en restant en Chine, on ne peut pas descendre plus bas vers l’équateur que Haïnan.

Par ailleurs, la Starbase de SpaceX se trouve à Boca Chica, Texas qui n’est qu’à 25° Nord. Les seuls qui fassent mieux sont les Français et les Européens avec Kourou, en Guyane, 5° Nord seulement. Donc Haïnan, ce n’est pas si mal. On a appris récemment (janvier 2023) que la Chine était le plus gros investisseur de l’astroport « Etlaq Space Launch Complex », en construction à Oman près du port de Duqm. On peut constater que ce port étant comme Wencheng à 19° Nord, il n’y a donc de ce point de vue aucun avantage à lancer d’Oman.

Peut-être est-ce une précaution climatique, car la mousson se manifeste à Haïnan entre avril-mai et septembre-octobre, et les lancements de fusées ne peuvent se faire que par beau temps ? Ou bien peut-être cela offre-t-il simplement une diversification ou un intérêt politique ? Oman est le pays voisin des Émirats Arabes Unis (EUA) qui sont très actifs dans le domaine spatial, avec le soutien des Américains (sonde Amal lancée en février 21 et qui orbite aujourd’hui autour de Mars). À noter qu’en dépit de cette activité, les EUA ne disposent pas d’astroport.

Quand on dispose d’un astroport et des lanceurs, et qu’on vise plus que la mise de satellites en orbites, mais aussi des vols habités avec en vue la conquête spatiale, on construit une station spatiale. Ce n’est peut-être pas indispensable, mais c’est ce qu’ont fait les États-Unis après la Russie. Et donc la Chine se devait de montrer qu’elle en était capable.

Elle a donc investi dans la construction d’une telle structure et en possède maintenant une, nommée Tiangong (Palais céleste), qui est opérationnelle. Elle orbite à peu près à l’altitude de l’ISS, ou plutôt juste un peu plus bas (entre 300 et 400 km) avec une inclinaison de 41° sur l’équateur.

Le projet a commencé en 2008, le premier test (Tiangong 1) a été fait en 2011 ; le deuxième (Tiangong 2) en 2016 ; le troisième, (Tiangong 3) n’a finalement pas été jugé nécessaire et a fusionné avec Tiangong 2.

La station définitive a été lancée à partir de 2018 et a été terminée fin 2022. Elle possède trois modules, comparables à ceux de l’ISS (International Space Station). Son volume pressurisé est de 120 m3, soit nettement moins que celui de l’ISS (388 m3 habitable pour un volume pressurisé de 1000 m3) et même nettement moins que la vieille station MIR des Soviétiques/Russes (volume pressurisé de 350 m3) détruite volontairement dans l’atmosphère puis l’Océan, en 2001 après de longs et loyaux services. Pour mémoire, si le Starship finit par voler, il pourra disposer d’un volume pressurisé de 1100 m.

À bord de Tiangong on procède à toutes sortes d’expériences en préparation à la vie dans l’espace.

Et c’est l’occasion pour la Chine de mener également une politique de relations internationales en invitant des chercheurs de tous les pays à y participer. Ses panneaux solaires lui donnent une puissance de 27 kW, ce qui est peu (l’ISS dispose de 110 kW, et MIR disposait de 42 kW). À noter qu’il est prévu de l’équiper en 2024 d’un gros télescope (avec un champ angulaire trois fois plus grand que celui de Hubble). Ce télescope serait indépendant de la station mais pourrait s’y amarrer pour ravitaillement ou entretien.

Quand on a des intentions de conquête, on a un programme lunaire.

La Chine en a évidemment un, Chang’e (la femme de la Lune) et compte bien envoyer des hommes sur notre satellite naturel après y avoir envoyé des robots. La mission Chang’e 3 a posé un premier rover sur la Lune en 2013 (les deux premières missions Chang’e testaient le parcours en orbite). Chang’e 4 en a posé un second, cette fois-ci dans la zone stratégique du pôle Sud (cible des futurs missions habitées), en janvier 2019. Fin 2020, Chang’e 5 a déposé un collecteur d’échantillons équipé d’un foret allant jusqu’à deux mètres de profondeur (comme celui que l’ESA voudrait utiliser sur Mars avec ExoMars).

Il a rapporté avant la fin de cette même année (après remontée en orbite, rendez-vous, retour vers la Terre, EDL) 500 grammes d’échantillons. Aucun autre pays excepté les États-Unis n’avait su le faire. La prochaine étape (« phase 4 ») est la création d’une base robotique au pôle Sud de la Lune, là où veulent aussi s’installer les Américains (présence de glace d’eau constatée et éclairage solaire permanent). Elle a commencé à travailler sur le projet en 2023, et doit procéder à des lancements à partir de 2025. L’exploration habitée suivra. Elle est prévue pour les années 30. Ensuite viendra la station habitée au sol dont la construction commencera en 2035. On peut envisager des relations avec les Américains courtoises mais délicates, chacun restant évidemment sur ses gardes.

Mars ne pourrait être absente de cette politique. Les voyages sur Mars font partie de ce qu’il convient de faire, puisque c’est possible. C’est aussi un gage de maîtrise de technologies difficiles. Le monde entier a donc eu la surprise d’apprendre en mai 2021 que la Chine était parvenue, du premier coup, à faire atterrir un rover sur Mars (Zhurong dans le cadre de la mission Tianwen-1). Elle se place ainsi au côté des États-Unis et de la Russie ; mais cette dernière n’avait pas réussi à faire fonctionner ses propres sondes après l’atterrissage plus que quelques minutes alors que Zhurong non seulement s’est posé mais aussi a vraiment exploré Mars.

Elle a damé le pion à l’Europe qui a échoué dans ses tentatives. Après avoir atterri en mai 2021, Zhurong a parcouru presque 2 km, collecté toutes sortes de données (avec caméra, radar, spectromètre) et transmis vers la Chine pendant largement plus d’une année, puisqu’il n’a été officiellement déclaré mort que seulement en avril 2023 (mais il l’était probablement depuis déjà quelques mois). Pour la suite, une mission de retour d’échantillons est prévue en 2029.

L’intention clairement exprimée au GLEX de Saint Pétersbourg en juin 2021 est de mener dès que possible des missions habitées et de construire une base habitable. Pour le transport, après une phase d’exploration effectuée avec des vaisseaux à propulsion chimique classiques, le projet est de construire en orbite terrestre, à l’aide de ces mêmes fusées à propulsion chimique, un vaisseau martien utilisant l’énergie nucléaire qui ensuite fonctionnera comme navette interplanétaire, avec des petites navettes secondaires embarquées pour assurer la liaison sol de Mars à orbite de Mars.

Donc on le voit, la Chine est présente sur tous les fronts du spatial-habité, beaucoup plus que les autres pays spatiaux, Russie ou Europe. La Russie, parce qu’elle n’a pas récupéré sa capacité ingénieuriale de la fin de l’URSS (plusieurs échecs l’ont démontré), l’Europe parce que son mépris des vols habités l’a figée dans une technologie ancienne et non adaptée à cet aspect de l’activité spatiale. Quant à l’Inde, elle essaie de suivre, mais elle est encore très loin derrière, et le Japon n’est pas intéressé (sauf comme auxiliaire des États-Unis).

Donc les vrai rivaux des Américains, ce sont les Chinois, même s’ils n’en parlent pas trop (ils peuvent encore se le permettre).

Dans la première partie de cet article, passant en revue les divers domaines concernés, on voit que les États-Unis sont toujours devant. Le Falcon Heavy a une capacité bien supérieure aux CZ-5 et le Starship sera sans doute prêt avant le CZ-9. Les astroports de Cap Kennedy ou de Boca Chica sont certainement aussi bien équipés, sinon probablement mieux, que ceux de Chine et à côté d’eux plus d’une vingtaine de spaceports tels que Vandenbergh Space Force Base ou Launch Site One West Texas (Blue Origin) fonctionnent ou sont prêts à fonctionner dans le pays.

La station Tiangong est une copie en miniature de l’ISS. Les Américains sont déjà allés sur la Lune et ils pourraient encore aujourd’hui y prélever robotiquement des échantillons et les renvoyer sur Terre sans difficulté. Le programme Artemis est engagé alors que les missions lunaires habitées chinoises sont encore dans les cartons. Atterrir sur Mars est devenu une routine et l’ellipse d’atterrissage de la NASA se rétrécit de plus en plus devenant de plus en plus précise, ce qui permet aux Américains de se poser sur des terrains beaucoup plus accidentés que la plaine vaste et presque sans relief d’Utopia Planitia sur laquelle s’est posée Zhurong.

Alors pourquoi les Américains doivent-ils se méfier ?

Parce que les Chinois progressent vite et que les dernières marches franchies l’ont été sans difficultés apparentes. Parce que leur ambition est aussi grande que leur fierté et leur volonté de venger l’humiliation toujours présente des traités inégaux de la fin du XIXe siècle, ou de l’incapacité à redevenir une grande puissance dans le cadre du maoïsme. Parce qu’il n’y a aucune coopération possible avec eux; mais beaucoup de méfiance, ou plutôt d’hostilité plus ou moins cachée, de part et d’autre.

Parce que les Chinois ont beaucoup d’argent, qu’ils disposent de la continuité politique et qu’ils ne lésineront jamais pour avancer dans les domaines où ils estiment devoir le faire, sans aucune considération d’excès financiers, de dommage écologique, d’atteinte à la personnalité de la Lune ou de Mars (comme le craint Mary-Jane Rubenstein) ou même de soucis de propriété intellectuelle (l’inspiration se rapproche souvent de la copie).

D’autres pays pourraient se ruiner par un tel acharnement et avec une gouvernance autoritaire qui doit commettre beaucoup d’erreurs du fait même de son autoritarisme. Mais la Chine, usine du monde, dispose d’énormes réserves et peut se payer ce qu’elle veut au coût qu’elle veut, pour une période probablement suffisamment longue pour réussir.

 

https://www.letemps.ch/sciences/espace/l-occident-doit-il-craindre-le-spatial-chinois

https://www.thenationalnews.com/gulf-news/oman/2023/01/18/oman-is-building-the-middle-easts-first-spaceport/

https://universemagazine.com/en/china-launched-a-secret-reusable-spacecraft/

https://universemagazine.com/en/who-will-seize-the-moon-confrontation-between-the-usa-and-china/

https://www.omanobserver.om/article/1132376/business/economy/10-year-strategy-unveiled-to-advance-omans-space-policy

https://www.space.com/china-plans-mars-base-with-astronauts

Lire, de Philippe Coué, spécialiste de l’astronautique chinoise : Dragons furieux, les avions spatiaux chinois, publié chez l’Harmattan ; Palais céleste, la station spatiale chinoise, chez Skyshef.eu

Sur le web

Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
washington
0
Sauvegarder cet article

La Chine a enregistré une croissance de 5,3 % au cours du premier trimestre, une performance surprenante pour les observateurs extérieurs, qui dépasse même les attentes des grandes banques d'investissement. Certains commencent à revoir à la hausse leurs prévisions, ce qui souligne clairement que, tout en poursuivant ses transformations en cours, l'économie chinoise continue de croître.

Article original paru sur Conflits.

Pour éviter d'être influencés par le ton souvent négatif de certains médias occidentaux, et afin d’avoir une ... Poursuivre la lecture

7
Sauvegarder cet article

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’êtr... Poursuivre la lecture

Ce vendredi 2 février, les États membres ont unanimement approuvé le AI Act ou Loi sur l’IA, après une procédure longue et mouvementée. En tant que tout premier cadre législatif international et contraignant sur l’IA, le texte fait beaucoup parler de lui.

La commercialisation de l’IA générative a apporté son lot d’inquiétudes, notamment en matière d’atteintes aux droits fondamentaux.

Ainsi, une course à la règlementation de l’IA, dont l’issue pourrait réajuster certains rapports de force, fait rage. Parfois critiquée pour son ap... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles