L’engin hypersonique français : historique et stratégique

Le nouvel engin hypersonique français VMaX est l’expression d’une volonté : maintenir la crédibilité des vecteurs porteurs des armes nucléaires.

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L’engin hypersonique français : historique et stratégique

Publié le 6 août 2023
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Par Philippe Wodka-Gallien.

 

L’engin s’appelle VMaX. L’annonce est venue du ministère des Armées :

« La Direction générale de l’armement (DGA) a procédé le 26 juin 2023 à 22 h, à un tir d’essai de fusée sonde à partir du site de Biscarrosse de DGA Essais de missiles. Cette fusée emportait le démonstrateur de planeur hypervéloce VMaX ».

Le communiqué précise également que le démonstrateur intégre « de nombreuses innovations » et que l’objet a suivi « une trajectoire à longue portée très exigeante ». Autre message de la DGA : le défi technique est inédit et « prépare l’avenir de notre feuille de route nationale hypervélocité ».

 

Analyse de texte 

Derrière ces quelques lignes, il y a ces lieux où l’on cultive le secret, mais aussi l’excellence technologique dans les engins hypervéloces : la Délégation générale pour l’armement, l’Onera (Office nationale de recherche aérospatiale), des industriels, ArianeGroup, concepteur des lanceurs, et MBDA, fournisseur national et européen de missiles.

Leur mission, définie il y a plus de 60 ans, est claire : bâtir la force de dissuasion, la moderniser et en assurer la pérennité en une démarche industrielle de long terme. L’essai VMaX nous projette à l’horizon 2050-2080, tout en prolongeant une longue lignée de travaux dans les hautes vitesses en France.

En parler, c’est embrasser des décennies d’excellence et de performances. Le maintien des compétences est à cet égard un enjeu critique. Le VMaX est donc aussi un message vers l’international : la France restera à parité de performances avec les autres grandes puissances de l’hypersonique et fait savoir, à travers cet effort, qu’elle saura garantir pour l’avenir la crédibilité de sa dissuasion nucléaire. C’est d’autant plus essentiel que la dissuasion nucléaire est un absolu tel qu’il est inséré au concept français de défense.

La dissuasion avec armes nucléaires, c’est d’abord pour Paris une stratégie dont la crédibilité repose sur un triptyque cohérent que l’Assemblée nationale a ainsi résumé :

« La volonté du président de la République d’y recourir, la performance des systèmes d’armes et, enfin, l’excellence de l’outil industriel et des technologies employées. »

En matière stratégique, seule en effet compte la parole officielle, d’autant qu’elle est en République française l’expression directe d’une souveraineté issue du suffrage universel.

 

La défense par la dissuasion à horizon du siècle 

Cette réalisation vient de marquer un jalon emblématique du renouvellement de la force de frappe, processus actuellement engagé résolument sur les deux composantes actuelles de la force de frappe : les sous-marins de la composante océanique avec leurs fusées balistiques et les avions qui arment la composante aérienne ; respectivement confiées à la Force océanique stratégique, aux Forces aériennes stratégiques et à la Force aéronavale nucléaire.

Cette ambition, réaffirmée par l’actuelle Loi de programmation militaire 2024-2030, est une réaction légitime à une lecture de l’environnent de défense, en clair un contexte de consolidation du fait nucléaire à travers le monde, et de course aux armements. Dans la trajectoire nationale ainsi fixée, ce sont plus de 50 milliards d’euros que les lois de finance de la décennie devront prévoir pour cette ligne de dépense.

Les orientations prises en Russie, en Chine, chez les États proliférants, Corée et Iran, ont totalement démonétisé les objectifs du désarmement nucléaire pourtant fixés par le Traité de non-prolifération.

La Loi de programmation militaire est directement inspirée de l’Actualisation stratégique 2021, travail qui établit ce constat.

Il faut être lucide : depuis plus d’une décennie, le monde a refusé l’élimination des armes nucléaires. C’est ainsi. Finies les espérances d’un monde débarrassé des armes nucléaires : il y a eu la Crimée, l’Ukraine, la course aux armements stratégiques et conventionnels, la conquête des mers de Chine du Sud par les armées de Pékin, les missiles intercontinentaux de la Corée du Nord. En dix ans, les dépenses de défense dans le monde ont doublé.

Empire maritime et puissance européenne, la France n’a plus d’autre choix que de réaffirmer ses objectifs capacitaires et son concept stratégique nucléaire associé. Une guerre durable s’est installée aux marges de l’Europe, alors même que les ambitions étatiques s’affirment sur notre sud, en Méditerranée.

Dès lors, notre regard se doit d’être tous azimuts, pour reprendre la formule du général De Gaulle, puisque le pays est confronté à une « multipolarité nucléaire désormais avérée », selon la vision française contemporaine de l’environnement stratégique.

Plus encore, les systèmes antiaériens et antimissiles progressent en performance. Si le Pentagone débloque des crédits dans ce secteur de lutte, forcément, Chinois, Russes et même Israéliens mobilisent à leur tour leurs bureaux d’études. Dans ce jeu de rapports de forces, il en va de la crédibilité de la dissuasion française.

Tout ceci explique logiquement le besoin de hautes performances en matière de systèmes centraux de défense. Forcément, la France doit investir dans l’hypersonique pour maintenir la dissuasion et rester en première division.

 

S’épargner le déclassement, ménager nos libertés d’action     

Vincenzo Salvetti est le directeur des applications militaires au CEA.

Il est récemment intervenu en audition publique devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale.

Écoutons :

« Dans les zones que la France cherche à dissuader, on ne nous attend pas les bras croisés : on met en place des systèmes de détection avancée, radars et satellites, des missiles antibalistiques pour intercepter nos têtes […] Nous devons être capables d’adapter, plus vite que par le passé, la dissuasion du président de la République, à de telles évolutions. »

D’ailleurs, l’Actualisation stratégique 2021 avait déjà noté un environnement de sécurité « marqué par le retour du fait nucléaire et de la compétition stratégique entre puissances », si bien que « nos armées sont amenées à se déployer à proximité de puissances nucléaires, en Europe, mais aussi sur des théâtres lointains ».

La force de frappe française reste dans sa ligne : la perspective de délivrer l’apocalypse et prévenir la « guerre majeure », bref, l’affrontement direct entre grandes puissances. Au titre des spécificités politiques de l’arme nucléaire, l’idée est aussi de garantir la liberté d’action à notre diplomatie et à nos forces conventionnelles en opérations.

 

Les hautes vitesses : une filière technologique bien française

Le VMaX vient dans le prolongement de plus de 70 années de travaux dans le secteur exigeant des engins à très hautes vitesses.

L’ambition tricolore s’exprime par de premières ébauches destinées à porter la bombe atomique, dès les années 1950. Ces travaux capitalisent sur les avancées de René Leduc dans le domaine des statoréacteurs. Ces étranges avions sont aujourd’hui exposés au Musée de l’air et de l’espace au Bourget. Puis, il y a eu Concorde ! Réacteur et statoréacteurs sont combinés pour donner le Griffon.

Cet appareil prodigieux, lui aussi au Musée de l’air du Bourget, franchi Mach2 en 1959. Aux commandes, André Turcat, futur pilote d’essai de Concorde. Les ingénieurs aéronautiques britanniques et français réunissent leur expertise pour permettent à une centaine de passagers décollant de Londres ou Paris de rejoindre New-York en 3 h 30 dans des conditions de confort inédites. Reconnaissance des États-Unis pour les travaux français : la marine américaine fait l’acquisition d’engins cibles CT-41, un produit Nord Aviation classe Mach3.

Par ces exploits, les hautes vitesses entrent dans la culture aéronautique française.

Fidèle à sa vocation, à savoir le développement des vecteurs de la force de frappe, l’Onera entretient sa R&D et tient à le faire savoir. Il n’est pas un Salon de l’aéronautique du Bourget sans que son stand n’expose ses travaux dans les très hautes vitesses, à des fins militaires comme civiles.

Il est aujourd’hui question de concevoir l’ASN-4G, le successeur de l’ASMP-A, travail qui doit aboutir à une arme opérationnelle à l’horizon 2035. On apprenait, il y a dix ans déjà, dans un communiqué du 18 février 2013, que l’Onera était parvenue à développer « un matériau haute température bon marché permettant de repousser la limite thermique du vol hypersonique ».

Avec MBDA, l’établissement travaille dans la foulée sur deux programmes de recherche :

  1. Camosis, un engin à statoréacteur
  2. Prométhée, un missile à super statoréacteur

 

Selon les informations publiques données par le Parlement, le choix s’oriente vers un missile hypersonique manœuvrant dans l’idée de traverser des territoires sévèrement défendus. On parle ici de « déni d’accès croissant ». L’essai du VMaX constitue à cet égard une étape clé, les ingénieurs passant de travaux de laboratoire au monde réel.

Sur ce futur vecteur, on évolue sur des vitesses cinq à six fois la vitesse du son. Ce point a été précisé par Emmanuel Chiva, actuel DGA, devant l’assemblée nationale en février 2023 1. Notons qu’aucune image de l’aéronef n’a été diffusée.

 

Composante atmosphérique : l’enjeu stratégique de la crédibilité    

Le démonstrateur VMaX est donc l’expression d’une volonté : maintenir la crédibilité des vecteurs porteurs des armes nucléaires.

Il est en particulier question de mettre en service à horizon 2035, le successeur de l’actuel missile ASMP-A embarqué par Rafale.

En septembre 2019, Florence Parly, alors ministre des Armées, dans un discours sur la base aérienne d’Avord avait annoncé de nouveaux investissements dans des projets à fort contenu technologique, citant en particulier ces engins évoluant entre 6 et 7000 km/h.

En référence à ce dialogue entre stratégies et technologies, la ministre a rappelé que « la guerre a toujours été un lieu d’affrontement technologique, et les guerres de demain ne feront que renforcer cette tendance […] la compétition de la supériorité opérationnelle du futur est lancée. »

Une question se pose alors : pourquoi disposer encore d’une composante aérienne de la dissuasion ? Demain, comme aujourd’hui, il faudra compter sur l’apport de la composante aviation à la manœuvre de dissuasion, donc la mission du futur missiles ASN-4G.

En synergie avec le sous-marin stratégique dédié à la riposte massive, la force aéroportée présente au politique d’autres options : manœuvre démonstrative, tir de semonce ou d’avertissement, frappe unique ou limitée, et au final une capacité de frappe massive dès lors qu’un ensemble significatif de vecteurs aéroportés est engagé.

Cette arme renvoie donc aussi au scénario de l’ultime avertissement « en vue de restaurer la dissuasion », comme rappelé par les récents présidents de la République successifs. Dès lors que la France fait reposer sa dissuasion sur un nombre limité de vecteurs, qu’ils soient océaniques ou aéroportés, ceux-ci doivent être au plus haut de la technologie et de l’opérationnel. Par cet effort dans l’hypersonique, la force de frappe saura rester dans le champ de la stricte suffisance en disposant des vecteurs aptes à percer les zones « access denied ».

L’engin ASN4G sera embarqué sur l’avion d’arme des années 2040 – 2050, à cet horizon vraisemblablement l’avion du SCAF, le système de combat aérien futur pour l’instant envisagé avec l’Allemagne, l’Espagne et la Belgique. Confié à la maîtrise d’œuvre Dassault Aviation, un avion de démonstration du système SCAF est inscrit à l’actuelle Loi de programmation militaire. Il devrait voler vers 2030. Les puissances nucléaires nous ont lancé un défi qui fait impact sur le diplomatique considérant notre statut de membre permanent du conseil de sécurité.

Ce 26 juin 2023, la France a délivré un autre message : consolider par la technologie le caractère politique de son arme nucléaire.

 

Philippe Wodka-Gallien, Institut Français d’Analyse Stratégique, Auteur de l’ouvrage La dissuasion nucléaire française en action – Dictionnaire d’un récit national – Édition Decoopman. 2019.

  1. Audition d’Emmanuel Chiva, Délégué général pour l’armement sur la dissuasion nucléaire devant la Commission de la défense nationale et des forces armées. Compte rendu n°40. Séance du 1er février 2023 sous la présidence de M. Thomas Gassilloud, président.
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  • Merci pour ce trèe interessant article et le rappel trèe opportun des grands ancêtres, tels René Leduc dont il ne fut construit que 2 ou 3 prototypes. Les Leduc 01, 02…Trop en avance sur son temps . Nous sommes dans les années 50. Esperons que la folle europhilie de nos gouvernants ne va pas sacrifier une nouvelle fois, la technologie française de défense à la pression germanique ??

  • La défense et les forces armées, le seul secteur que la religion écolo n’a pas encore investi, et nous restons en pointe, cherchez l’erreur. Si on avait de même pour le secteur de l’énergie, nous aurions l’électricité la moins chère du monde.

  • « Ce 26 juin 2023, la France a délivré un autre message : consolider par la technologie le caractère politique de son arme nucléaire. »

    Que n’a-t-elle fait la même démarche pour consolider son indépendance énergétique en continuant le développement de la production d’énergie électrique nucléaire fiable, peu chère, et abondante?

  • Pensez vous que les travaux de Jean Pierre Petit sur la MHD puissent servir dans les » territoires perdus de la Republique » par exemple ? Ou bien strategiquement : Erreur en deçà contre Vérité au delà ???

    • Je me souviens d’une vidéo japonaise de propulsion MHD montrant le ban et l’arrière-ban des personnalités convoquées pour assister à la démonstration d’un navire se déplaçant … à la vitesse d’un escargot au pas. Dévastatrice ! Et créer des champs magnétiques susceptibles de faire aller plus vite n’est, à ce que j’ai compris, ni simple ni sûr.

      • Les russes semblent avoir pris de l avance en venant faire leur congres a Marseille : parce que les Francais sont en avance !
        On a des talents individuels et des gardiens du temple fonctionnaires !!!

  • Bien que la dissuasion reste importante, elle est moins efficace car l’utilisation de l’arme nucléaire est un tabou. Si la France était dans la situation de l’Ukraine, je ne pense pas qu’elle l’aurait utilisée. Je pense qu’elle aurait monnayée sa non utilisation contre des soutiens, des livraisons d’armes etc.
    D’ailleurs, l’arme nucléaire sur le champ de bataille est beaucoup moins efficace que l’on peut croire. C’est plus un arme de terreur, et symbolique.
    Et la dissuasion non nucléaire en France, par contre elle, c’est plus trop crédible…

  • Ha, donc quand les Russes ont des armes hypersonique, c’est une blague, c’est mal et ça ne sert à rien.
    Mais quand c’est un pays occidental dégénéré c’est génial ?

    • Tout dépend de l’usage qui est fait de ces armes.
      Cet article parle de missiles supersoniques utilisés comme vecteurs nucléaires, il s’agit d’un élément de la dissuasion nucléaire – et pour tout dire un élément critique, la dissuasion nucléaire ne peut pas être crédible aujourd’hui avec des vecteurs subsoniques – au passage, les missiles M51 qui équipent les sous marins lanceurs d’engin de la force de dissuasion française atteignent Mach 15, on est quand-même assez loin dans le supersonique.

      Je ne crois pas que quiconque a condamné l’utilisation du Kinjal par la Russie, sauf usage contre des cibles civiles ou en tant que vecteur nucléaire. Il me semble que ce missile était considéré comme un gros atout dans la manche de la Russie au début du conflit. Sauf que son coût très élevé et la faible capacité de la Russie à en produire semblent au final en faire un tigre de papier sur le terrain.

  • Avatar
    Hyacinthe Herve
    7 août 2023 at 15 h 19 min

    Contrepoints est-il toujours un journal libéral ? Y a t-il un pilote dans l’avion ?

    • Je ne vois pas ce qui vous dérange dans l’article. Il est question de défense et donc d’une des missions régaliennes de l’État.

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