La relance des relations France-Inde : le retour de l’histoire

Les célébrations du 14 juillet ont été marquées par un invité d’honneur notable, le Premier ministre indien. Mais derrière les feux d’artifice, se cachent des siècles de relations complexes entre deux nations intriguées l’une par l’autre.

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La relance des relations France-Inde : le retour de l’histoire

Publié le 3 août 2023
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Le Premier ministre indien a été invité en grande pompe à la cérémonie du 14 juillet, réveillant un intérêt pour ce grand pays qui a toujours intrigué une partie des Français, et fondant un « partenariat » ambitieux.

 

Le passé lointain

Les Indes fascinent les Occidentaux depuis la plus haute Antiquité.

Même Alexandre le Grand s’y est risqué. Un symbole de l’importance culturelle de l’Inde est à mon avis l’invention du chiffre zéro pendant le Moyen Âge européen, qui ringardisera les chiffres romains et permettra les calculs qui sont à la base des connaissances scientifiques d’aujourd’hui. Ceux qui ont essayé de faire une division en utilisant des nombres romains me comprendront.

L’arrivée des Européens

Puis l’Empire Ottoman a coupé les routes terrestres jusqu’à ce que les progrès de la navigation permettent aux Portugais d’y arriver au XVIe siècle en faisant le tour de l’Afrique.

La faiblesse militaire indienne par rapport aux armées occidentales n’a fait que s’accentuer par la suite, et le XVIIIe siècle y voit la rivalité entre Français et Anglais pour le contrôle de cet immense pays.

C’est l’aventure de la Compagnie française des Indes orientales, pâle copie de son homologue britannique, puis la tentative de protectorat du sous-continent par Dupleix entre 1742 et 1750, qui tenta de rallier sous la bannière française les mahradjahs face aux Anglais.

La défaite française

En 1763, la « Guerre de 7 ans » perdue par Louis XV nous coûte les plus grandes de nos colonies, dont l’Inde et la plus grande partie de l’Amérique du Nord, à la demande des Anglais. Aux demandes de secours d’Outre-mer, Versailles répond par la bouche de Nicolas-René Berryer, ministre de la Marine : « quand il y a le feu à la maison, on ne s’occupe pas des écuries ».

Finalement, il n’est resté à la France en Inde que les cinq comptoirs que chantait Guy Béart, les fameux et très fantasmés par les poètes, Pondichéry, avec le palais de Dupleix et le lycée français, ainsi que Karikal, Yanaon, Mahé et Chandernagor.

Nous avons rendu à l’Inde ces implantations minuscules lorsqu’elle est devenue indépendante en 1947, mais une poignée de fidèles y fêtent toujours le 14 juillet, apprennent le français et s’installent en France.

 

L’Inde nous a toujours culturellement fascinés

Beaucoup d’Occidentaux ont toujours eu confusément l’idée que l’Inde et l’Europe étaient des civilisations cousines.

Le centre et le nord de l’Inde d’une part, l’Iran et l’Europe d’autre part, se partagent (avec quelques autres) les langues indo-européennes, et les spécialistes trouvent mille autres éléments civilisationnels communs.

Reprenant une idée répandue, Voltaire y voit une source de notre culture, et notamment des connaissances scientifiques transmises par les Grecs, puis les Arabes : « tout nous vient des bords du Gange, astronomie, astrologie, métempsycose » (Lettre de Voltaire à Jean-Sylvain Bailly du 15 décembre 1775).

La curiosité continue au XIXe siècle avec le développement des études indiennes dans l’enseignement supérieur, notamment du sanskrit, qui est un peu l’équivalent du latin pour les Indiens, en tant que langue d’origine et support de la religion.

Une partie des Français est restée admirative de certains aspects de la religion hindoue, de sa réputation de sagesse, de sa maîtrise du corps. J’ai un proche qui a ainsi appris à contrôler les mouvements de son cœur et de son estomac, un autre qui s’est plongé dans les textes en sanskrit toute sa vie.

Mais une autre partie des Français est restée sceptique, relevant notamment la saleté et le manque d’hygiène du pays (confirmée par mon expérience personnelle et de nombreux journalistes) ainsi que les ravages des castes en Inde et autres interdits religieux : on peut ainsi noter l’action de la Fondation Bill Gates contre l’un de ces interdits, avec le lancement d’une action sur la nécessité hygiénique des toilettes, action qui a été enfin promue par les autorités indiennes.

 

La première démocratie du monde ?

Un autre facteur de proximité avec la France et l’Occident est le fait que l’Inde soit réputée être la première démocratie du monde.

Ainsi, dans ses pires périodes de pauvreté, l’Inde a connu des disettes, mais pas de famine. En effet, l’information est toujours restée possible et les secours ont pu être envoyés, contrairement à la Chine où l’opacité du régime a généré des dizaines de millions de morts de faim : « Pas de journalistes, pas de famine » disait Mao.

Est-ce toujours vrai ?

Il y a actuellement de nombreuses atteintes aux droits humains et à la liberté d’expression, qui visent les musulmans et les chrétiens, mais aussi les partis d’opposition, dont Rahul Gandhi, chef du plus important, le parti laïque du Congrès, alors que le parti au pouvoir est expressément national–hindou.

Toutefois, la comparaison avec la Chine et d’autres régimes autoritaires reste massivement à l’avantage de l’Inde.

 

L’économie indienne

Longtemps sous-estimée par l’élite économique et géopolitique mondiale, l’Inde lui parait aujourd’hui incontournable.

Avec un taux de croissance d’environ 7 % d’après la Banque Mondiale, et des prévisions autour de 6,5%, elle peut grignoter son retard sur la Chine. Cette dernière est encore cinq à six fois plus importante qu’elle, mais la croissance chinoise devrait descendre à 5 %, voire beaucoup moins à mon avis.

L’Inde est maintenant le pays le plus peuplé du monde, avec 1,4 milliard d’habitants, soit un sixième de l’humanité, et est plus jeune qu’une Chine maintenant vieillissante.

L’Inde n’a pas pour autant une démographie galopante, puisque le taux de fécondité est tombé à deux enfants par femme, et elle était déjà depuis longtemps largement en dessous dans les parties les plus développées au sud du pays.

Il est souvent exposé que l’Inde pourrait prendre un raccourci lui permettant de se développer plus rapidement du fait de son appétence pour le numérique.

On cite alors Bengalore, un des centres mondiaux des nouvelles technologies. Guy Sorman, dans son ouvrage très documenté Le génie de l’Inde (Fayard 2000), en donne une explication simple que je résume par « ce n’est pas parce que les Indiens auraient ethniquement des dispositions à l’informatique que s’explique leur succès, mais simplement parce que la caste des brahmanes, dont les informaticiens sont souvent issus, a une bonne formation en mathématiques. Comme ils sont très nombreux, la sélection professionnelle a fait le reste. ».

Remarquons que cette appétence est plus que jamais valable aujourd’hui, et pas seulement à Bengalore, mais aussi dans la Silicon Valley américaine.

Sur le plan de la lutte contre le réchauffement climatique, la situation est ambivalente : l’Inde a très fortement développé ses énergies renouvelables (100 gigawatts de solaire, éolien et biomasse, et 50 d’hydraulique en 2022), tout en étant de plus en plus polluante, notamment du fait de la multiplication de ses centrales électriques au charbon.

 

L’Inde dans la géopolitique mondiale

L’Inde n’est pas ressentie comme une rivale de l’Occident, et balance entre une fière indépendance, et une parenté intellectuelle, doublée de la nécessité stratégique de faire contrepoids à la Chine. Cette dernière maintient la pression pour récupérer les territoires himalayens indiens de peuplement tibétain, et en a déjà récupéré une partie par la force en 1962. Il y a encore eu récemment des escarmouches.

Un éloignement progressif de Moscou

Rappelons que l’armée indienne se fournit en URSS, qui a poussé aux indépendances, pensant précipiter ainsi la chute de l’Occident. Aujourd’hui, la Russie est restée l’alliée (et donc le fournisseur d’armement) des pays naguère socialistes, comme l’Algérie et l’Inde, même s’ils sont devenus relativement libéraux à la fin du XXe siècle.

Mais voilà que la Russie a montré sa faiblesse face à la petite Ukraine, qui a révélé notamment le retard technique d’une partie de ses armements.

D’où l’effort actuel de diversification, illustré par l’achat à la France de 26 Rafales et trois sous-marins Scopène, proclamé le 14 juillet 2023. Et New Delhi et Paris pratiquent des exercices aéronavals communs dans l’océan Indien depuis plus de 23 ans.

Certes, New Delhi n’a jamais voulu condamner Moscou. L’Inde a même multiplié par dix ses importations de pétrole russe pour profiter des rabais importants que Moscou est obligé d’accorder. Elle semble même le revendre une fois raffiné à certains membres de l’UE. Mais ça n’implique pas pour autant une alliance avec la Russie.

D’autant que cette dernière est peut-être en train de devenir vassale de la Chine, et pourrait donc se retrouver en face de l’Inde.

 

Des relations Inde-France encore modestes

Après l’indépendance indienne en 1947, la France ne peut se rapprocher de la nouvelle république, du fait de son statut de puissance coloniale, notamment en Indochine.

D’abord l’armement

Il a fallu attendre l’attaque brutale de la Chine en 1962, et la perte de territoire qui en est résulté, pour voir l’Inde se chercher des alliés autres que Moscou, et se fournir en armes auprès de Paris, évolution confirmée lors du second conflit indo-pakistanais de 1965.

Dans ce contexte, Thalès, anciennement Thomson-CSF, célébrait ses 70 ans de présence en Inde en 2023. Et j’ai recueilli des témoignages d’une multinationale française décrivant à quel point les contacts quotidiens avec les Chinois étaient difficiles du fait de la différence culturelle, alors qu’il n’y a pas de problème particulier avec les Indiens.

Vers un partenariat plus étendu

Sur le plan économique, la France, septième puissance mondiale, n’est aujourd’hui que le onzième investisseur en Inde.

Pour progresser, Paris propose un partenariat à New Delhi qui devrait être développé et étendu aux domaines scientifique, culturel, économique et commercial, pour notamment diminuer notre déficit commercial avec l’Inde.

Les principales entreprises concernées aujourd’hui sont de grands groupes industriels français et indiens.

Pour ce qui est des échanges universitaires, nous partons d’assez bas. Mais, lors de la visite de Narendra Modi le 14 juillet, il a été décidé de faciliter l’obtention de visas aux étudiants indiens.

De même, la présence des Français en Inde est faible, dépassant à peine les 7000 individus, ce qui est très peu comparé à la Chine, où résident plus de 24 000 Français.

Toutefois, le français est la première langue étrangère étudiée en Inde, avec plus de 700 000 apprenants, et le réseau de l’Institut français, Alliances françaises comprises, est le plus important d’Asie.

Aux entreprises françaises d’en profiter !

Le poids de l’anglais

Le Français est bien la « première langue étrangère » en Inde, car ce n’est pas le cas de l’anglais, qui a été décrété langue commune dans l’administration. Cela à la demande des 60 % de la population ne parlant pas hindi, qui craignait que l’adoption dans l’administration de cette langue la plus parlée ne leur donne moins de chance dans les concours.

Aujourd’hui, l’Inde est massivement anglophone à partir d’un certain niveau social, en langue seconde, voire familiale dans les couches supérieures. Et de toute façon comme langue commune ou de travail, situation assez analogue à celle du français en Afrique subsaharienne francophone.

Cette anglophonie fait que les entreprises indiennes, et particulièrement celles qui traitent avec le monde anglophone développé (centres d’appels, sous-traitance administrative et comptable, médecine meilleur marché qu’au nord…) ne sont pas tournées vers la France.

Et les échanges intellectuels se font eux aussi d’abord avec le monde anglophone.

 

En conclusion

Le rééquilibrage indien se fait avec l’Occident en général. Vue de New Dehli, la France n’est qu’une partie de l’Occident, loin derrière les États-Unis, ou encore de l’Angleterre, pour des raisons historiques.

Tout cela limite les relations entre la France et l’Inde, mais laisse néanmoins une grande marge d’amélioration par rapport au « pas grand-chose » actuel. La carte à jouer avec une Inde fière de son indépendance et de son nouveau poids géopolitique est celle de la diversification militaire, bien commencée, mais aussi industrielle, et peut-être culturelle.

Il faudrait notamment réfléchir à une plus grande implication de la diaspora indienne en terre francophone : France, mais aussi île Maurice et La Réunion.

L’État est bien maladroit dans ce domaine, aux entreprises de jouer !

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